Hostname: page-component-cd9895bd7-gxg78 Total loading time: 0 Render date: 2024-12-24T13:07:30.147Z Has data issue: false hasContentIssue false

A quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule ? A propos d'une question mal posée

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Michael Richter*
Affiliation:
University College Dublin

Extract

La question qui figure dans le titre de cet article est une citation empruntée à Dag Norberg, qui reprenait lui-même en la modifiant une question analogue soulevée par Ferdinand Lot. Cette question pourrait trouver une réponse simple : on n'a jamais cessé de parler latin en Gaule, puisque le français est une langue (néo-) latine. On sait qu'en trois mille ans d'existence attestée, la langue latine a considérablement évolué, et qu'à partir de son apparition comme langue littéraire au ine siècle avant J.-C. elle fut vite très différente de la langue parlée. On lit dans le De Lingua Latina de Varron, ouvrage dédié à Cicéron, que latinitas est incorrupta observatio secundum Romanam linguam. Ainsi y avait-il dès l'époque classique une différence notable entre la langue littéraire et la langue parlée, et pourtant nul ne songerait à appeler autrement que latin la corrupta loquendi observatio secundum Romanam linguam de l'époque cicéronienne.

Summary

Summary

The relationship between Latin and Romance in Gaul in the late eighth and early ninth centuries is discussed in this article on the basis of historical sources. Several documents relating to the reform policy of Charlemagne give insight into levels of comprehension of spoken Latin and thereby indirectly into the position of the vernacular vis-a-vis Latin. The historical sources illumine the linguistic division of Gaul at that time into the area of the langue d'oc and that of the langue d'oïl. The legislation of 813 about preaching to the general public makes it plausible that spoken Latin was understood, in the early ninth century, in the southern half of Gaul but less so in the northern half.

Type
Hypothèses
Copyright
Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1983

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Notes

1. En raison de l'abondance de littérature sur ce sujet, les références dans nos notes ont Été réduites à un minimum. Le lecteur trouvera mention des œuvres de base dans les articles récents cités.

2. Cf. Dag Norberg, « A quelle Époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule ? », Annales E.S.C,2, 1966, pp. 346-356 ; Ferdinand LOT, « A quelle Époque a-t-on cessé de parler latin ? », Archivum Latinitatis Medii Aevi (Bulletin Du Cange), VI, 1931, pp. 97-159.

3. Meillet, A., Esquisse d'une histoire de la langue latine. Tradition d'humanisme II, Paris, 1966, p. 106 ss.Google Scholar

4. Comme l'a montré K. Barwick, « Widmung und Entstehungsgeschichte von Varros De Lingua Latina », Philologus, CI, 1957, pp. 298-304.

5. M. Terenti Varronis De lingua Latina quae supersunt, Éd. G. Gœtz et F. SchœlL, Leipzig, Teubner, 1910, p. 229, lignes 15-16.

6. Etymologiae, 9, 1, Patr. lat., Lxxxii, col. 327 : Latinitas autem linguam quatuor esse quidam dixerunt, id est, Priscam, Latinam, Romanam, Mistam. Prisca est, qua vetustissimi Italiae sub Jano et Saturno sunt usi, incondita ut se habent carmina Saliorum. Latina, quam sub Latino et regibus Tusciae caeteri in Latio sunt locuti, ex qua fuerunt duodecim tabulae scriptae. Romana, quae post reges exactos a populo Romano cœpta est, qua Naevius, Plautus, Ennius, Virgilius pœtae : ex praetoribus, Gracchus et Cato, et Cicero, vel caeteri, sua scripta effuderunt. Mista, quae post imperium latius promotum simul cum moribus et hominibus in Romanam civitatem irrupit, integritatem verbiper solœcismos et barbarismos corrumpens. Cf. aussi J. Fontaine, « De la pluralité à l'unité dans le ‘Latin carolingien’ », dans Nascita dell Europa ed Europa Carolingia. -un'equazione da verificare, Settimane di Studio… Spoleto XXVII, 1981, p. 772 ss, article d'un intérêt plus général en ce qui concerne notre Étude.

7. Cf. les commentaires d'Isidore sur la lingua mista (voir la note précédente) et MeilLET, Esquisse…, op. cit., p. 228 ss.

8. Caesarius, Sermones, CCSL CIII, 1953, esp. I, p. 13 : Non hic aut eloquentia aut grandis memoria quaeritur, ubi simplex et pedestri sermone admonitio necessaria esse cognoscitur… et simplicissimam plebiculam nostram communibus verbis dicimus nos admonere non posse. Sur le style populaire de Césaire, voir aussi Auerbach, E., Literatursprache und Publikum in der lateinischen Spàtantike und im Mittelalter, Bern, 1958, pp. 6777.Google Scholar

9. Pour un panorama complet et récent de ces diverses interprétations, voir Marc VAN Uytfanghe, « Le latin des hagiographies mérovingiens et la protohistoire du français », Romanica Gandensia, XVI, 1976, pp. 5-89.

10. La même modification de la question initiale, pour le Haut Moyen Age italien, a Été discutée par M. Richter, « Latina lingua — sacra seu vulgaris ? », dans The Bible and Médiéval Culture, Éd. W. Lourdaux et D. Verhelst, Louvain, Mediaevalia Lovaniensia 1/VII, 1979, pp. 16-34.

11. Voir plus haut note 9.

12. Ce point a Été traité assez longuement par Richter, M., Sprache und Gesellschaft im Mittelalter. Untersuchungen zur mùndlichen Kommunikation in England von der Mitte des elften bis zum Beginn des vierzehnten Jahrhunderts, Stuttgart, Monographien zur Geschichte des Mittelalters 18, 1979, chap. 1, pp. 925.Google Scholar

13. Monumenta Germaniae Historica, Legum Sectio III, Concilia , 1, 1906 (dorénavant abrégé en MGH LL Conc, II, 1), pp. 245-293.

14. Ceci est particulièrement visible au synode de Francfort en 794, consacré au problème de l'hérésie espagnole de l'adoptianisme, et effectivement présidé par Charlemagne, cf. MGH LL, Conc. II, 1, pp. 110-171. Comme Charlemagne l'écrivait aux Évêques espagnols : Hanc igiturfidem orthodoxam et ab apostolicis traditam doctoribus et ab universali servatam ecclesiam nos pro virium nostrarum portione ubique in omnibus servare et praedicare profitemur, p. 158. Sur l'assurance de Charlemagne dans ses rapports avec le pape, voir Alcuin, Epp. (MGH, Epp. IV), 92, p. 135 ss., 93, p. 136 ; dans ses rapports avec les clercs de son royaume, Alcuin, Ep. 202, p. 336 ; voir Également Ep. 203, p. 336, Ep. 211, p. 351.

15. Ce passage du n° 4a est à comparer avec les spécifications de Charlemagne sur la prédication Énoncées dans son Admonitio Generalis de 789, MGH LL Sectio II, Capitularia regum Francorum, vol. 1, 1883, chap. 82, p. 61 ss.

16. Voir Zink, M., La prédication en langue romane avant 1300, Paris, Nouvelle Bibliothèque du Moyen Age 4, 1976, p. 89;Google Scholar voir aussi plus loin note 25.

17. Fait caractéristique des méthodes de recherche utilisées jusqu'ici, ces législations ne sont pas mentionnées, par exemple par J. Fontaine, op. cit., p. 794. 18. Voir la discussion récente proposée par M. Banniard, «Géographie linguistique et linguistique diachronique. Essai d'analyse analogique en occitan-roman et en latin tardif», Via Domitia, XXIV, 1980, pp. 9-34, avec bibliographie exhaustive.

19. Ibid., p. 17.

20. Karoli Magni Capitula e canonibus excerpta, MGH LL, Conc. II, 1, p. 296, cap. 14.

21. La référence complète que donne l'édition MGH pour le capitulaire cité à la note 20 ne peut être correcte. Il est fait référence aux homélies par exemple dans Cap. 116, c. 6, Cap. 117, c. 12. MGH, Capitularia, pp. 234-235.

22. Concordia episcoporum, MGH LL, Conc, II, 1, p. 298, cap. 10.

23. Annotatio capitulorum synodalium, MGH LL, Conc. II, I, p. 302, cap. 17.

24. Caesarius, CCSL, C1II, p. 11 : Et si forte aliquibus dominis meis sacerdotibus per se ipsos laboriosum est praedicare, quare non intromittant antiquam sanctorum consuetudinem, quae in partibus orientalibus usque hodie salubriter custoditur, ut pro salute animarum homiliae in ecclesiis recitentur ?

25. L'usage du singulier est ici volontaire, car nous prenons thiotisca pour synonyme de rustica Romana lingua, c'est-à-dire le vernaculaire non spécifié. Il n'y a aucune raison de croire qu'il Était nécessaire, surtout à Tours, de traduire les sermons en langue germanique, interprétation généralement admise pour thiotisca lingua.

26. Reims, cap. 6 : Missarum ibi discussa est ratio, ut presbyteri minus antea scientes intellegerent ; Reims, cap. 1 : Baptisterii et caticuminorum ventilata est ratio, ut sacerdotes plenius intellegerent.

27. Chalon, cap. 37 : Cum igitur omnia concilia canonum, qui recipiuntur, sint a sacerdotibus legenda et intellegenda… necessarium duximus, ut ea, quae adfidem pertinent,… hoc ab (sacerdotibus) crebro legatur et bene intellegatur et in populo praedicetur.

28. Nous pouvons ici renvoyer à un Épisode de la vie de Grégoire, par la suite Évêque d'Utrecht. Épisode révélateur mais trop long pour être ici cité : ce personnage avait appris à lire mais ne comprenait pas ce qu'il lisait, MGH, ScriptoresXV, l.p. 68. Dans la Vita Meinwerci, MGH, Scriptores XI, p. 150, cap. 186, se trouve l'histoire d'un prêtre qui lui aussi pouvait lire le latin, mais sans comprendre ce qu'il lisait. Un autre membre du clergé lui joua un tour et le fit prier en public pour son roi : promulo tuolau lieu defamulo). Voir aussi la maxime selon laquelle légère et non intellegere non est légère, dans démentis Ars Grammatica, J. Tolkiehn Éd., 1928, citée par LAW, V., « Malsachanus Reconsidered : a Fresh Look at a Hiberno-Latin Grammarian », Cambridge Médiéval Celtic Studies, I, 1981, p. 86.Google Scholar Intellegere est une exigence maintes fois renouvelée dans les capitulaires de Charlemagne, voir M. Richter, « Die Sprachenpolitik Karls des Grossen » Sprachwissenschaft, VIL 1982, pp. 412-437, ici pp. 425-427. Il vaudrait la peine d'analyser l'ensemble de la législation carolingienne sous l'angle de légère et intellegere. Le brillant article de Josef Balogh sur la lecture à haute voix est capital pour la compréhension des problèmes ici en jeu : « ‘Voces Paginarum’ », Philologus, LXXXII, 1927, pp. 84-109, 202-240.

29. Voir Richter, Sprache…, supra note 12, p. 20 ss.

30. Il est indéniable que les réformes de Charlemagne en ce domaine avaient des racines plus vieilles, ainsi que l'ont démontré récemment Marc VAN Uytfanghe, « De zogeheten Karolingische Renaissance : een breekpunt in de evolutie van de Latijnse taal ? », Handelingen der Koninklijke Zuidnederlandse Maatschappij voor Taal- en Letterkunde en Geschiedenis, XXIX, 1975, pp. 267- 286, et J. Fontaine, op. cit. On ne devrait pas néanmoins minimiser l'importance des réformes de Charlemagne.

31. Sur cet aspect, voir Brunholzl, F., « Fuldensia », dans Historische Forschungen fur Walter Schlesinger, Beumann, H. Éd., Cologne-Vienne, 1974, pp. 536547.Google Scholar

32. Texte de XEpistola : Urkundenbuch des Klosters Fulda, E. E. Stengel Éd., Marburg, 1958, vol. 1, p. 251 ss.

33. Ibid., p. 253.

34. Âdmonitio Generalis (cf. supra note 15), cap. 72, p. 59 ss.

35. L'étendue et la profondeur de cette réforme linguistique n'ont pas Été Étudiées en détail, voir J. Fontaine, op. cit., p. 767. Les variantes régionales du latin au début de la réforme sont particulièrement manifestes dans les rapports du concile de Francfort en 794, rédigés par les hiérarchies d'Italie, de Gaule et de Germania, cf. supra note 14.

36. Selon VAN Uytfanghe (supra note 30), le latin des Pères de l'église eut plus d'influence sur le style du latin carolingien que ne l'eut le latin classique.

37. M. Richter, « Die Sprachenpolitik… », op. cit., p. 425 ss.

38. J. Fontaine, op. cit., met en relief certains aspects de ce problème.

39. Cf. supra note 33.

40. La plus ancienne homélie conservée en langue romane date de la première moitié du Xe siècle, cf. E. Koschwitz, Les plus anciens monuments de la langue française, 6e Éd., 1902, pp. 8-14. Sur celle-ci et d'autres textes en langue française avant 1100 en Gaule, voir l'article brillant de G. DE Pœrck, « Les plus anciens textes de la langue française comme témoins de l'époque », Revue de Linguistique romane, XXVII, 1963, pp. 1-34.

41. Ces problèmes sont assez longuement abordés par Mckitterick, R., The Frankish Church and the Carolingian Reforms, 789-895, Londres, Royal Historical Society, 1977, p. 80 ss.Google Scholar Mais il y a matière à hésitation : « Some doubts must be entertained as to the extent to which thèse homilies do provide Évidence for the sermon matter to be preached to the'Frankish people », p. 92.

42. Patr. Lat., LXXVIL Voir aussi Auerbach, p. 72.

43. Sermones, 6, CCSL, CIII, p. 32 s.

44. Certains de ces problèmes ont Été discutés par Richter, M., « Kommunikationsprobleme im lateinischen Mittelalter », Historische Zeitschrift, CCXXII, 1976, pp. 4380.Google Scholar

45. Mckitterick, p. 88.

46. Pour le texte voir Tagliavini, C., Le origini délie lingue neolatine, 6 e Éd., Bologne, 1972, p. 483 Google Scholar, Étude exhaustive qui traite délibérément les langues romanes en langues néo-latines.

47. G. DE Pœrck (cf. supra note 40) soutient que l'on devrait considérer la version romane des Serments de Strasbourg, comme « l'ultime témoignage de ce qu'était devenue la langue formulaire de la période précédente, représentée par les Formulae mérovingiennes », p. 20.

48. Voir M. Richter (cf. supra note 10) p. 33 ss.

49. Les recherches récentes de Bernstein, B., Class, Codes and Control, Londres, 1971, vol. I CrossRefGoogle Scholar, sont ici particulièrement instructives.