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Naissance des asiles d'aliénés (Auxerre-Paris)
Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
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L'Histoire de la folie de Michel Foucault a eu l'éclatant mérite d'ouvrir un champ de recherches sur le geste constitutif du « visage du fou » que les différentes histoires de la psychiatrie se contentaient de prendre pour une figure naturelle. Ainsi, de la léproserie à l' Hôpital général, c'est un espace social très particulier qui était décrit, espace dans lequel, après la période révolutionnaire, l'asile psychiatrique tel que nous le connaissons encore aujourd'hui, est venu, assez naturellement semble-t-il, prendre sa place. Et même si le livre de Michel Foucault s'arrête à la fin du XVIIIe siècle, l'aboutissement de ce vaste mouvement est en fait la loi de 1838. L'asile lui-même, dans ses formes particulières, reste à construire. C'est sur ce temps que nous voudrions porter l'attention en examinant les conditions concrètes de l'application de la loi, les forces sociales et économiques mises en présence au cours de ce processus, bref tout un ensemble de données qui ont été occultées pendant près d'un siècle et qui aujourd'hui encore n'arrivent à se dire difficilement que dans la mise en question de l'asile d'aliénés par le secteur psychiatrique.
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- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1975
References
1. «L'asile départemental d'aliénés», Almanach de l'Yonne, 1866, p. 10.
2. Dans ses rapports à la Commission des hôpitaux de Paris, Cabanis écrit en 1792 : « Mais cet entassement d'individus qu'aucun lien naturel n'unit les uns aux autres ; dont aucune espérance n'éveille l'activité ; qu'une sécurité stupide endort sur l'avenir ; qui n'ont, avec les sujets environnants, et avec les personnes dont ils dépendent, que des rapports faux et corrupteurs : cet entassement, dis-je, n'est-il pas capable de dégrader jusqu'au dernier point l'intelligence et les moeurs ? » 3. Flandin, «L'Asile des aliénés à Auxerre », Almanach de l'Yonne, 1865, p. 185.
4. Constans, Lunier et Dumesnil, Rapport sur le Service des aliénés en 1874, pp. 18-37, Paris, 1878, Imprimerie Nationale.
5. Délibérations du Conseil général de 1834.
6. « Dans le cours de sa dernière session, le Conseil général mû par un sentiment d'humanité et cédant à un besoin pressant, celui d'ouvrir un asile aux aliénés du département qui ne pouvaient trouver place dans l'hospice général existant au chef-lieu, crut qu'il y aurait possibilité de placer dans des établissements auxiliaires hors du département tout ou partie de ces infortunés, cause d'affliction pour les familles et trop souvent d'épouvante pour les communes. Une délibération indiqua à Monsieur le Préfet, les intentions du Conseil et une somme de 2000 F fut inscrite au budget de 1833. La correspondance suivie par Monsieur le Préfet avec plusieurs de ses collègues paraît, ainsi qu'il résulte du rapport de ce magistrat, démontrer l'extrême difficulté si ce n'est même l'impossibilité de réaliser les vues du Conseil ».
8. H. Girard, « De l'organisation et de l'administration des établissements d'aliénés » Annales Uédic. Psycho., 1843, t. II, pp. 230-260.
9. A propos d'une leçon de musique à laquelle il avait assisté au cours de sa visite, le professeur Pointe s'extasiait en ces termes : « En vérité ce n'était à ne pas croire qu'on était dans un hospice d'aliénés et au milieu d'eux ; pourtant, tous étaient fous et presque tous, sortant de la classe des laboureurs et des artisans, n'avaient jamais eu la moindre notion de musique ; plusieurs même n'étaient sortis que depuis très peu de temps des loges où on les avait tenus enfermés des innées entières ! Ils ont chanté plusieurs morceaux, et particulièrement une prière d'action de crâce dont les paroles et la musique ont été composées pour eux par Monsieur le Marquis de ! ouvois ». Or celui-ci n'était rien moins que Pair de France et Président du Conseil général du département.
10. En 1841, Girard fait paraître dans un journal local l'Yonne, Journal des intérêts moraux et matériels du département, plusieurs articles sur les aliénés. Le 15 mars 1841, il traite « Du ! i avail considéré comme moyen de traitement de l'aliénation mentale » ; le 30 juillet et le 15 août « De la musique considérée comme moyen de traitement de l'aliénation mentale » ; le 15 octobre « De l'importance des gardiens et de leur influence morale et physique sur les aliénés » et le 15 .ovembre « Des économes dans les hospices d'aliénés ». Dans ce dernier article, il indique les raisons pour lesquelles il s'adresse au grand public : « Les hospices d'aliénés sont, dans l'intérêt des malades, des espèces de sanctuaires, fermés au public. Rendre un compte moral de leur tenue et des principes qui les dirigent, devient donc un devoir pour le chef et une sécurité pour leurs !;i milles. Ces considérations seules m'ont engagé à donner de la publicité aux idées qui président à leur organisation en général. » Cette même année, le journal laissait sur la place dans ses colonnes, outre la traditionnelle correspondance vinicole, agricole et forestière, à la vie théâtrale d Auxerre, aux mesures prises envers la mendicité et l'indigence, aux fontaines (” Le Conseil Municipal s'occupe activement de rechercher le moyen le plus sûr et le plus économique de procurer à tous les quartiers l'eau nécessaire aux habitants »), à l'éducation publique (” Toute question qui touche l'éducation publique a, par sa nature même, et par les graves considérations qui s'y rattachent une grande importance sociale ») au chemin de fer (” …la formation à Paris d un comité composé de pairs de France, de députés et de propriétaires, dans le but d'obtenir du .gouvernement, la concession à une compagnie et l'établissement d'un chemin de fer de Paris à I von par la Haute-Bourgogne ») et à la canalisation de l'Yonne (” à défaut de chemin de fer, dont I exécution est à une distance si incommensurable du projet… »).
11. Rapport fait à l'Académie Royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, sur le mémoire de M. le docteur Girard, ayant pour titre De l'organisation et de l'administration des aliénés, au nom d'une commission composée de MM. Boullée, Achard-James et Gauthier, 16 mars 1844.
12. Haussmann.
13. Haussmann, Mémoires, p. 464.
14. Voici ce qu'avait publié Falret en 1843 dans ses « Considérations générales sur les maladies mentales » : « Les femmes surtout dont les carrières sont restreintes et ingrates, dans les conditions les plus favorables de santé, deviennent victimes de ces préjugés, de ces injustes préventions, et par cela même, elles ont les premiers droits à réparation complète (…). Pour remédier autant que possible à tous ces malheurs, un patronage spécial et un établissement de charité, intermédiaire entre l'hospice et la société, ont été organisés par mes soins en faveur des convalescentes de la Salpêtrière : on prévient les besoins les plus pressants, en offrant aux pauvres convalescentes d'aliénation, un asile, du travail et la continuation des conseils de la médecine et des enseignements de la religion, si propres à affermir leur raison, à régler leurs sentiments, à les fortifier contre les rechutes. Ensuite, à la sortie de l'asile, elles trouvent un appui moral dans chaque patron ou dans chaque patronesse qui, après leur avoir servi d'introducteurs dans la société, les suivent avec un véritable intérêt dans les différentes positions qu'elles occupent.
15. FI-Andin, «L'asile des aliénés à Auxerre », Almanach de l'Yonne, 1860, pp. 184-238.
16. Louis Chevalier, « La formation de la population parisienne au XIXe siècle », Travaux ci Documents, cahier n° 10, 1950.
17. Bibliothèque administrative de l'Hôtel de Ville de Paris (B.A.H.V.P.).
18. Cité par G. Daumezon, « Essai d'historique critique de l'appareil d'assistance aux malades mentaux dans le département de la Seine depuis le début du XIXe siècle, » Information psychiatrique, I, 5, 29, 1960.
19. Haussmann, Mémoires, t. II, p. 491.
20. La Caisse de la Boulangerie fut fondée par Haussmann dès 1853 pour régler le délicai problème de la cherté des grains en période de mauvaise récolte (les désordres de 1847 dus à cette situation étaient encore très présents dans les esprits. L'année 1853 fut elle-même une année difficile de ce point de vue). Le principe en était simple : la caisse faisait des avances aux boulangers de manière à ce qu'ils vendent le pain à un prix inférieur à son prix de revient dans les années de cherté, les boulangers remboursant ces avances dans les années de bonne récolte Ainsi, en 1860, Haussmann annonça au Conseil général de la Seine une rentrée d'une dizaine de millions à la Caisse de la Boulangerie (qui avait elle-même perdu beaucoup de son crédit avec la décision de l'empereur d'ouvrir le pays au libre-échange) ; cette rentrée devait permettre d'envisager la construction des asiles. On voit qu'il s'agit là d'une astuce de comptabilité ; les crédits votés sans trop de difficulté en 1853 pour la Caisse de la Boulangerie (qui n'avait plus en elle même sa raison d'être) furent versés sur un autre compte pour lequel les conseillers généraux auraient peut-être été plus réticents s'il avait été question de débloquer des fonds aussi importants 21. En 1858 Girard désira officialiser l'emploi du nom de «Girard de Cailleux» dont il s'autorisait depuis son mariage. Après l'échec de plusieurs démarches pour faire aboutir cette demande non fondée, les pressions exercées par Haussmann en sa faveur lui firent soudain obtenir satisfaction. La correspondance autour de cette affaire que nous avons retrouvée aux Archives Nationales ne laisse aucun doute à ce sujet. Haussmann termine ainsi l'une de ses lettres au Garde des Sceaux (27 janvier 1860) : « Accorder à M. Girard l'inoffensive concession qu'il demande, mais à laquelle il croit sa considération attachée, ce serait un faible dédommagement de la déception qu'il a éprouvée l'an dernier, mais c'en serait un, et je désire bien vivement qu'il la puisse obtenir ».
22. Pendant sa période parisienne les faveurs d'Haussmann avaient fait de Girard de Cailleux une incarnation du pouvoir central auprès de ses anciens collègues. Nous avons vu que le médecin-directeur, maître tout-puissant à l'intérieur de l'asile, dépendait étroitement de l'administration préfectorale, et par délégation de Girard de Cailleux. On devine ainsi qu'au-delà des querelles politiques, bien d'autres influences se sont fait sentir lors de sa mise à la retraite, et qu'elles expliquent en partie le silence qui s'est fait sur sa personne et sur son action à partir de 1870. Le moins étonnant n'est pas son « absence » totale du rapport sur le service des aliénés en 1874 de Constans, Lunier et Dumesnil.
23. La psychiatrie a été, avec la dermatologie, la première spécialité à se déiacher nettement du tronc commun de la médecine.
24. Rappelons à ce propos que c'est dans le même champ qu'ont été instituées, dès 1827, sut le modèle anglais, les « salles d'asiles », véritables ancêtres des « classes maternelles » instaurées par la IIIe République. C'est à Mme Pastoret, puis à Mme Millet, toutes deux « dames charitables », membres de la grande bourgeoisie parisienne, ainsi qu'à Jean-Marie Denis Cochin avocat, maire du XIIe arrondissement, député de la majorité en 1837, qu'on doit une telle initiative. Il s'agissait, on s'en doute, de libérer ainsi la force de travail des mères de famille qu'attendait l'industrie naissante et de prendre en charge idéologiquement les enfants des prole- taires : «(…) Ces enfants deviendront hommes à leur tour. Ils présenteront alors, au milieu de notre peuple si grossier, si brutal, si enclin à la débauche, à l'ivrognerie, une génération nouvelle qui se distinguera par des habitudes d'économie, de décence, de propreté par une conduite régulière et un travail intelligent ; assurément, il y a là une amélioration réelle de l'homme, une compassion bien entendue pour ses misères ; et ce sont là les enfants du pauvre qui auront été ainsi élevés, auxquels on aura donné des idées justes et des moeurs honnêtes ». Nous ne citons si longuement ces paroles de Lord Brougham, fondateur des salles d'asile en Angleterre, que pour donner une idée des buts et du ton que pouvait avoir la bourgeoisie d'assistance, qu'il s'agisse des enfants pauvres ou des insensés.
25. C. Lantéri-Laura, « La chronicité dans la psychiatrie moderne », Annales ESC, 3, 1972, pp. 548-568.
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