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L’orge et l'argent

Les usages monétaires à ‘Ayn Manâwirà l'époque perse

Published online by Cambridge University Press:  20 January 2017

Damien Agut-Labordère*
Affiliation:
CNRS UMR 7041-ArScAn

Résumé

À partir de l’exemple du village oasien de ‘Ayn Manâwir, dont l’histoire nous est connuepar près de 500 documents datant des Ve et IVe siècles av. J.-C., cet article propose une analysede la manière dont les Égyptiens appréhendèrent les statères d’argent qui commencèrent àse répandre en Égypte à cette époque. Les pièces grecques furent intégrées au systèmemonétaire égyptien dans lequel l’argent cohabitait avec une monnaie marchandise reposantsur l’orge. La principale vertu de l’argent résidait dans sa capacité à susciter la confiancedans le cadre des transactions touchant au patrimoine des notables.

Abstract

Abstract

This article examines the case of the oasean village of Ayn Manâwir, the history of which is recorded in 500 documents from the fifth and fourth centuries BCE, in order to analyze how the Egyptians apprehended silver staters, which had began to spread across Egypt during this period. Greek coins were integrated in the Egyptian monetary system, in which silver currency cohabited with commodity money based on barley. In this context, the use of silver contributed to establishing trust in transactions involving prominent citizens’ assets, constituting one of it’s primary qualities.

Type
Économie de l'Égypte ancienne
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2014

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Footnotes

*

À la mémoire de Michel Wuttmann. La publication des ostraca démotiques de ‘Ayn Manâwir est confiée à Michel Chauveau qui a réalisé l’ensemble du travail de lecture.Depuis 2009, à l’initiative de Pierre Briant, un partenariat fut signé entre l’Institutfrançais d’archéologie orientale (IFAO) et le Collège de France en vue d’une publicationen ligne sur le site achemenet.com. C’est dans le cadre de cet accord que j’ai été associéà l’étude de cette documentation. Outre les professeurs P. Briant et M. Chauveau, jesouhaite tout particulièrement remercier Claire Newton, Julien Monerie ainsi que Patrice Baubeau pour leur relecture attentive et leurs remarques toujours pertinentes.

References

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5 Dans son état actuel, la documentation de ‘Ayn Manâwir ne permet pas de répondreà cette hypothèse. Les doutes émis par P. Briant à ce sujet il y a une douzaine d’années demeurent donc de rigueur, Briant, Pierre, « Introduction », in Briant, P. (dir.), Irriga-tion et drainage dans l’Antiquité. Qanâts et canalisations souterraines en Iran, en Égypte et enGrèce, Paris, Thotm Éd., 2001, p. 914 Google Scholar.

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7 Bagnall, Roger S., Everyday Writing in the Graeco-Roman East, Berkeley, University of California Press, 2011, ici p. 117136 CrossRefGoogle Scholar.

8 Ibid., p. 134-135, pour une récente mise au point.

9 Pour une introduction générale aux études démotiques, voir Depauw, Mark, A Companion to Demotic Studies, Bruxelles, Fondation égyptologique reine Élisabeth, 1997 Google Scholar ; Hoffmann, Friedhelm, Ägypten: Kultur und Lebenswelt in griechisch-römischer Zeit: EineDarstellung nach den demotischen Quellen, Berlin, Akademie Verlag, 2000 Google Scholar. On trouve unebrève histoire des études démotiques dans Damien AGUT-LABORDÈRE, «Comme unphénix. Les réseaux de démotisants dans l’ombre de l’égyptologie », in C. BONNET,V. KRINGS et C. VALENTI (dir.), Connaître l’Antiquité. Individus et institutions, projets etpublications, stratégies et savoirs du XVIIIe au XXIe siècles, Rennes, PUR, 2010, p. 65-76.

10 Pour un aperçu de l’histoire de cette période, Agut-Labordère, Damien, «TheEmergence of a Mediterranean Power: The Saitic Period », in García, J. C. Moreno(dir.), Ancient Egyptian Administration, Leyde, Brill, 2013, p. 9651027 CrossRefGoogle Scholar.

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13 P. Berlin 15830, éd. dans Erich LÜDDECKENS, Ägyptische Eheverträge, Wiesbaden,O. Harrassowitz, 1960, document no 8.

14 Chauveau, Michel, «La première mention du statère d’argent en Égypte », Trans-euphratène, 20, 2000, p. 137143 Google Scholar.

15 Ostracon de ‘Ayn Manâwir (ci-après O.Man.) 3928, désigné sous la cote IFAO 661 dans M. WUTTMANN et al., « Premier rapport préliminaire… », art. cit., p. 443 ; M. CHAUVEAU,«Les qanâts dans les ostraca… », art. cit., p. 138-139, document no 1.

16 O.Man. 7547. La date du papyrus démotique Lille I 28 mérite cependant d’êtrereconsidérée à la lumière des remarques faites par M. CHAUVEAU, «La première mention du statère… », art. cit., p. 139, n. 4. S’il était avéré que ce document datait biende l’époque d’Artaxerxès Ier, il s’agirait effectivement de la plus ancienne mentiond’« argent ionien » en Égypte.

17 L’équivalence dében/statère/qité s’établit donc ainsi : 1 dében = 5 statères = 10 qités(1 statère = 2 qités).

18 « x statères (d’argent) qui font y débens/qités (d’argent) qui font à nouveau x sta-tère(s) (d’argent) », O.Man. 3928, 4067, 4158 (statère des Grecs), 4161, 5458, 5488,5569, 6048A, 6056.

19 O.Man. 4160, 4667, 4979, 5999, 6017, 6842, 7547 et, peut-être, O.Man. 3972 et 5487.

20 M. CHAUVEAU, «Les qanâts dans les ostraca… », art. cit., p. 142. Briant, Pierre, Bulletin d’histoire achéménideI, Paris, Thotm Éd., 2001, p. 83, n. 207Google Scholar, exprime cependantun point de vue contraire : « Je crois plutôt qu’ici (comme dans d’autres textes), le termestatère désigne un étalon pondéral. »

21 Vleeming, Sven P., The Gooseherds of Hou (pap. Hou): A Dossier Relating to Various Agricultural Affairs from Provincial Egypt of the Early Fifth Century B. C., Louvain, Peeters, 1991, p. 8789, note uuGoogle Scholar.

22 Ibid., p. 87, n. 67 ; Vargyas, Péter, «The Alleged Silver Bars of the Temple of Ptah:Traditional Money Use in Achaemenid, Ptolemaic and Roman Egypt », in Csabai, Z.(éd.), From Elephantine to Babylon: Selected Studies of Péter Vargyas on Ancient Near EasternEconomy, Budapest, L’Harmattan, 2010, p. 165176 Google Scholar, particulièrement p. 165.

23 O.Man. 4158 ; M. CHAUVEAU, « Les qanâts dans les ostraca… », art. cit., p. 139,document no 4, qui apparaît sous la cote O.Man. 620, aujourd’hui abandonnée.

24 B. PORTEN et A. YARDENI, Textbook of Aramaic Documents…, op. cit., 2. B. 3.12, corres-pond à P. GRELOT, Documents araméens d’Égypte, op. cit., p. 256-262, document no 53.

25 Agut-Labordère, Damien, «L’oracle et l’hoplite. Les élites sacerdotales et l’effortde guerre sous les dernières dynasties indigènes », Journal of Economic and Social Historyof the Orient, 54, 2011, p. 627645 CrossRefGoogle Scholar ; O. PICARD, «La monnaie lagide… », art. cit., p. 79-80.

26 Briant, Pierre, «L’État, la terre et l’eau entre Nil et Syr-Daria. Remarques introductives », Annales HSS, 57-3, 2002, p. 517529 CrossRefGoogle Scholar, particulièrement p. 528-529.

27 Agut-Labordère, Damien, «Oil for Silver: Temples and Development of the Oasein the Western Desert », in García, J. C. Moreno (éd.), Dynamics of Production andEconomic Interaction in the Near East in the First Half of the First Millennium BC, Oxford, Oxbow Books Google Scholar, à paraître.

28 Il convient de noter que l’argent, monnayé ou non, est pour l’instant totalementabsent des niveaux de fouille d’époque perse de ‘Ayn Manâwir,

29 O. PICARD, «La monnaie lagide… », art. cit., p. 78 : «Un premier changement inter-vient à partir du Ve siècle av. J.-C. Les chouettes […] constituent le numéraire de trèsloin prédominant, pour ne pas dire unique, dans la monnaie grecque arrivée en Égypte.On ne trouve plus de Hacksilber que dans un seul des quinze trésors attestés jusqu’à laconquête d’Alexandre. » Pour le Ier millénaire av. J.-C. et avant la conquête d’Alexandre,P. VARGYAS compte onze trésors qui contiendraient des pièces coupées, «The AllegedSilver Bars of the Temple of Ptah… », art. cit., p. 167-168.

30 Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le Hacksilber découvert lors de fouilles étaiten effet directement envoyé à la fonderie, Reade, Julian, « A Hoard of Silver Currencyfrom Achaemenid Babylon », Iran, 24, 1986, p. 7989 CrossRefGoogle Scholar, ici p. 79. En tous les cas, il esttoujours très difficile de détecter la présence de Hacksilber, surtout lorsqu’il s’agit detous petits morceaux.

31 O.Man. 6017 : «En l’an 3, 12e jour du mois de Phaophi. Reçu de la part d’Imhotepfils d’Horkheb, un statère et demi conformément à l’écrit qu’ont donné les hommesqui entrent dans le […] d’Osiris-iou, de la part de Hor fils d’Horkheb en qualité delésonis. [J’]ai reçu de leurs mains. Mon cœur est embelli [sic] de cela. Écrit parOunamenheb fils d’Harsiésé, sous la dictée d’Hor fils d’Horkheb. » L’intégrité desdébens égyptiens paraît avoir été tout aussi respectée. En effet, un seul document,une vente passée en 409 av. J.-C., mentionne un demi-dében dans une clause pénale(O.Man. 4303).

32 O.Man. 6017. Compte tenu de l’absence du nom du souverain régnant, il est impos-sible de dater ce versement avec précision. L’activité d’Ounamenheb fils de Harsiésé,le scribe signataire, est toutefois attestée des années 410 jusque dans les années 380av. J.-C.

33 O. Man. 4067 ro : « En l’an 7, mois de Phamenoth du pharaon v.p.s. [Achoris] cou-ronné à nouveau X à Hor fils de Setjamenemhotep et de Y. ‘Tu [dis]poses contre moid‘(une créance) de [un] statère qui fait deux qités d’argent qui font un statère à nouveau.Moi, je devrai te rendre cela en l’an 7, mois de Phamenoth, jour 10. Si je ne £te· rendspas un statère [au] [10e jour] du mois de Phamenoth, je devrai te donner trois qitésd’argent [en l’an 7] mois de Pharmouthi jour 10. Si [je ne te donne pas] trois qitésd’argent le 10e jour du mois de Pharmouthi, tu seras en possession de [ ] qui m’appar-tient et tu les prendras pour toi sans que je dispose £d’aucun· [argument]. Je ne pourraite dire : ‘Je … ce document… Sans qu’aucun argument ne puisse t’être opposé.’ £Écrit·par Ounamenheb £fils de Harsisésé·. »

34 M. CHAUVEAU, «Les qanâts dans les ostraca… », art. cit., p. 142 (O.Man. 4067 appa-raît sous le numéro 820), repris par O. PICARD, «La monnaie lagide… », art. cit., p. 79.

35 Cette différence pourrait correspondre aux frais de change appliqués par le pouvoirpolitique aux pièces importées, M. CHAUVEAU, «Les qanâts dans les ostraca… », art. cit., p. 142 ; O. PICARD, «La monnaie lagide… », art. cit., p. 79. Pour les statères d’origineégyptienne, il pourrait alors s’agir du coût de la frappe.

36 O.Man. 4158, où l’équivalence « 1 statère = 2 qités d’argent » est établie.

37 O.Man. 7547 (412-411 av. J.-C.) ; O.Man. 3972 (408 av. J.-C.) ; O.Man. 4160 (407av. J.-C.).

38 Jusque-là le plus ancien document attestant de cette équivalence était une reconnaissance de dette de « deux qités d’argent qui équivalent à un statère d’Ionie », datéede 343 av. J.-C., Papyrus Berlin 23805, éd. dans Zauzich, Karl-Theodor, «Ein demotisches Darlehen vom Ende der 30. Dynastie », Serapis: The American Journal of Egyptology, 6, 1982, p. 241243 Google Scholar ; S. P. VLEEMING, The Gooseherds of Hou…, op. cit., p. 88, n. 73.

39 Pestman, Pieter W., «La femmes enḫ (gunè trophitis) à Pathyris et à Krokodilopolis », in Boswinkel, E. et Pestman, P. W. (éd.), Textes grecs, démotiques et bilingues, Leyde, Brill, 1978, p. 206213 Google Scholar.

40 O.Man. 4149, l. 6 : « Si je me soustrais aux accords écrits ci-dessus, je te donneraideux débens d’argent du Trésor de Ptah. » O.Man. 3928 vo, l. 3-4 : « Si je n’accomplis pas les accords écrits ci-dessus, je devrai te donner cinq statères d’argent qui font undében d’argent qui font à nouveau cinq statères d’argent. » Voir aussi O.Man. 5437.

41 O.Man. 3928. Pour une analyse complète de ce document, Chauveau, Michel, « Irri-gation et exploitation de la terre dans l’oasis de Kharga à l’époque perse », CRIPEL, 25, 2005, p. 157163 Google Scholar.

42 O.Man. 5462, 5494, 5555 et 5578.

43 On trouve par ailleurs deux débens de pénalité pour 1/6 de journée d’irrigation(O.Man. 5462) ou encore 1 dében pour une demi-journée (O.Man. 5578).

44 O.Man. 5493. L’orge sert aussi de monnaie marchandise dans la Babylonie duIer millénaire, Jursa, Michael et al., Aspects of the Economic History of Babylonia in the First Millennium BC: Economic Geography, Economic Mentalities, Agriculture, the Use of Money and the Problem of Economic Growth, Münster, Ugarit-Verlag, 2010, p. 504 Google Scholar.

45 Ce type de conversion est discuté par S. P. VLEEMING, The Gooseherds of Hou…,op. cit., p. 185 (ll).

46 O.Man. 5486 ; Michel CHAUVEAU, «Les archives démotiques du temple de ‘AynManâwir », ARTA, 2011.002, 2011, http://www.achemenet.com/document/2011.002-Chauveau.pdf.

47 Le Rider, Georges, La naissance de la monnaie. Pratiques monétaires de l’Orient ancien, Paris, PUF, 2001 Google Scholar.

48 On trouvera les éléments essentiels de la bibliographie sur cette question dansP. VARGYAS, «The Alleged Silver Bars of the Temple of Ptah… », art. cit., p. 171-172.

49 Comme le suppose, par exemple, O’Rourke, Paul F. à partir d’une analysepar ailleurs caricaturale de l’économie de l’Égypte pharaonique, « Coinage », in Redford, D. B. (dir.), The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt, New York/Oxford, Oxford University Press, 2001, vol. I, p. 228291 Google Scholar, ici p. 288 : « For most of its history,the Egyptian economic structure was essentially homogeneous, with little private enterprise and a population that, for the most part, had marginal economic status. Giventhese circumstances, there was little pressure for the development of a systeme of coinage before the Ptolemaic and Roman Periods. »

50 Agut-Labordère, Damien, « ‘Les petites citadelles’. La sociabilité du tmy ‘ville’,‘village’ à travers les sagesses démotiques », in Gorre, G. et Kossmann, P. (dir.), Espaceset territoires de l’Égypte gréco-romaine. Cahier de l’Atelier Aigyptos I, Paris, Droz, 2013,p. 107121 Google Scholar.

51 Pour une demi-journée d’irrigation, voir O.Man. 4980, 5432 et 5485 ; pour un quartde journée, O.Man. 5504, 3975, 3974 et 6855.

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