Hostname: page-component-cd9895bd7-dk4vv Total loading time: 0 Render date: 2024-12-23T11:02:40.768Z Has data issue: false hasContentIssue false

Les paysans et l'emploi industriel dans l'Inde contemporaine

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Gérard Heuzé*
Affiliation:
CNRS

Extract

L'Asie du Sud n'est pas surpeuplée de manière absolue, malgré son bon milliard d'habitants. Si elle s'est trouvée durant deux siècles hantée par l'improductivité de son agriculture et l'insuffisance de son système de stockage et de distribution, ces cauchemars sont terminés depuis une quinzaine d'années. C'est l'emploi qui paraît devoir constituer le grand problème de la décennie à venir. La population active de la seule république fédérale indienne devrait approcher les 350 millions de personnes cette année selon les projections des économistes.

Summary

Summary

Singrauli is a very specific spot of developing India, with its open cast mines, power plants and other heavy industries. It is also becoming a characteristical one, in a country where hundred of thousands of farmers and agricultural labourers are annually displaced by dams, industries and expanding towns. Confronted with an offensive of centralised, and highly technicised development in the public sector, the local populations seem at first sight totally crushed or marginalised. The situation is nevertheless a bit more complicated. The rural local people would be in a hopeless position if the so-called labour market were reigning supreme. They have no skills and little education. Indeed, they have been able to develop strategies of their own to cope with the situation and to get a part of the jobs. In some cases, and especially regarding the public sector projects, it is possible to invoke a continuity between land and jobs, and to receive political support at this level. This is only a part of a global process of politisation of the employment scene...

Type
Sociétés Asiatiques
Copyright
Copyright © Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1991

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Notes

1. Les estimations de population active sont menées entre deux recensements décennaux (le dernier date de 1981) dans le cadre des Enquêtes nationales par sondage (National Sample Survey) de l'Organisation centrale de la statistique (CSO). Les résultats de ces enquêtes sont malheureusement connus avec plusieurs années de retard et il faut procéder à des estimations. A propos de la statistique en Inde, cf., Auteur, du même, Problèmes de méthodologie statistique et de catégorisation dans l'Inde contemporaine, Paris, Amira, 1986 Google Scholar.

2. La gravité des problèmes de déplacement de population et la nature inadéquate des opérations de réhabilitation sont bien expliqués dans le numéro 3 du volume 38 du périodique Social Action, paru en 1988 en Inde ; un article est consacré à la situation de Singrauli. Cf. aussi, de S. Sarangi et R. Billorev, « The Nightmare Begins, Oustees of Indira Sagar Project », Economie and Political Weekly, vol. XXIII, n° 17, 1988, ou, de Savant, P. R., River Dam Construction and Resettlement ofaffected Villages, New Delhi, Inter India Publications, 1985 Google Scholar.

3. La notion de «Secteur organisé est née dans les années 1920, quand les administrateurs, suivis par les syndicalistes et les hommes politiques, ont commencé à différencier les entreprises qui tombaient dans le champ des premières lois du travail, comme le Workmen Compensation Act de 1923 et les nombreuses autres qui ont suivi. Le seuil s'établissait à l'époque à cent travailleurs employés de manière permanente. Il est tombé aujourd'hui à 20 (sans utilisation d'énergie dans le processus de production) ou à 10 dans le cas contraire.

4. En 1981, 22,9 millions de personnes étaient déclarés comme salariés du «secteur organisé», 7,4 millions travaillant dans les entreprises privées et 15,6 millions dans les administrations et les entreprises de l'État. En 1986 l'ensemble des employés du « secteur organisé » s'élevait à 25,6 millions de personnes, mais la part du secteur privé était tombée à 7,4 millions. Le nombre de travailleurs déclarés dans les grandes entreprises du secteur public était en revanche passé de 1,5 millions à 1,8 millions.

5. Il s'agit seulement d'estimations, qui sont surtout reprises par des chercheurs non indiens comme V. Petrov, « Soviet Study Disputes Indian Census Figures », Telegraph, 9 sept. 1986. On peut lire à ce sujet : J. J. Boiixot, « Combien d'emplois en Inde ? », Aller Eco, n° 5 ; K. N. Shrinivasan, « Employment and Unemployment », Economie and Political Weekly, vol. XVII, n° 38 ; Paul Satya, «Unemployment and Underemployment in Rural India», Economie and Political Weekly, vol. XXIII, n° 29 ; R. Mohan, «Industry and Urban Employment, 1961-1981 », idem, vol. XXIV, n° 44 et 45. Cf. aussi Sudipto Mundle, « Labour Absorption in Agriculture and Restricted Market for Manufacturing Industry in Asia », idem, vol. XVI, n° 19-20-21.

6. Ces projets commencent à poser beaucoup de problèmes aux dirigeants indiens. Les grandes transformations qui affectent Singrauli et sa région sont partiellement financées par la Banque mondiale et d'autres organismes de crédits étrangers. Ils n'ont pu ignorer les plaintes d'une partie de la population locale et les dénonciations venant d'organisations non gouvernementales indiennes. La Banque mondiale a poussé le gouvernement de l'Inde à faire effectuer une étude d'impact d'environnement dont le marché a été enlevé par EDF International. C'est dans le cadre des recherches socio-économiques faites au cours de cette enquête, avec la collaboration de D. Duclos, H. Meynaud et K. Mankodi, que les éléments de cette étude ont pu être réunis.

7. On pourra lire, du même auteur et à propos de proches, sujets, « Les deux classes ouvrières du “ Pays d'entre les deux rivières ” », Annales ESC, n°2, 1987 ; Ouvriers d'un autre monde, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1989 Google Scholar. Il existe un seul ouvrage (en hindi) publié sur les problèmes sociaux de la région de Singrauli : Lokit Samiti, Vikas ke Kimat (Le coût du progrès), Baidhan, édition spéciale, 1985.

8. Ces tâcherons sont des sortes de recruteurs de main-d'oeuvre qui disposent à la fois d'une compétence de métier et de réseaux de relations qui leur permettent de constituer « à la demande » des équipes de travailleurs manuels dans des secteurs ou l'instabilité de la production est la règle. Ils ont été très répandus dans le bâtiment en France au xixe siècle. Lire à ce Mottez, sujet B., Systèmes de salaires et politiques patronales, Paris, CNRS, 1966 Google Scholar, texte qui met très bien en relation ce type d'organisation du travail et les pratiques entrepreneuriales. Les tâcherons sont répandus dans toutes les zones industrialisées du tiers-monde, particulièrement en Amérique du sud (gatos); On les appelle jamadar dans l'Inde du nord, mukadam à l'ouest, et kangani au sud. A ce propos, lire aussi, du même auteur, « Unité et pluralité du monde ouvrier indien », dans Caste et classes en Asie du sud, Collection Purusartha, nc 6, 1982.

9. Les grandes lois du travail datent du début de l'Indépendance et des années 1960 et 1970 : Loi sur les conflits industriels (1947), définissant le rôle des syndicats, Loi sur les salaires minimum de 1948, Loi sur les mines de 1952…

10. L'embauche permanente est obligatoire après 240 jours de présence continue, sauf si l'on dépend d'un sous-traitant qui emploie moins de vingt travailleurs (moins de dix s'il y a utilisation d'énergie).

11. Lire, auteur, du même, une approche des villes nouvelles de la région de Singrauli : «Les nouvelles villes industrielles en Inde», cta geographica, vol. III, 1990 Google Scholar, n° 83.

12. Dans son ouvrage Homo Hierarchicus, publié en 1967 (Paris, Gallimard), Louis Dumont explique très bien que le système de caste ne peut être analysé comme une forme, même très particulière, de système corporatif.

13. Le concept de caste dominante a été forgé à l'origine pour désigner des communautés éminentes au niveau de la possession du patrimoine terrien, ce qui leur confère une importance politique décisive. On peut lire à ce sujet le livre de Srinivas, M. N., The Dominant Caste and Other Essays, New Delhi, Oxford Univ. Press, 1987 Google Scholar. S'il existe une liaison directe, et pas seulement idéologique, entre les anciens patrimoines et les emplois permanents dans le secteur public, Considérés comme un nouveau type de patrimoine, l'expression a toujours sa place dans l'univers industriel.

14. Le système de réservations d'emplois d'État est né sous la domination des Britanniques qui s'en sont d'abord servi pour favoriser les groupes qui leur étaient loyaux (anglo-indiens). En ce qui concerne les plus basses castes hindoues et les aborigènes, il est devenu aujourd'hui une institution d'importance, complétée par des réservations de places dans l'enseignement général et les instituts de formation professionnelles et par des réservations de sièges aux assemblées. Une tendance importante est l'extension des réservations vers des groupes de statut moins dégradé (backward castes, piché anévalori). Un autre aspect du problème est le refus croissant du système par la jeunesse de haute caste. Deux mouvements très violents déclenchés contre les réservations ont embrasé le Gujarat depuis 1980 et deux autres campagnes d'agitation viennent d'ébranler toute l'Inde du Nord (fin 1989 puis été 1990).

15. L'ensemble des représentations sociales qui touchent à l'emploi est bien plus complexe que celui que nous avons déjà étudié dans la région du bassin minier de Dhanbad. Ce dernier est dominé par l'opposition de l'emploi véritable et de la précarité, et les nuances sont rares. La bassin charbonnier est situé dans une région de culture bengalie, où les considérations de statut ont sans doute plus d'importance qu'à Singrauli et où le contenu concret des tâches en a encore moins. Le travail non permanent est rejeté dans une non-identité que la plupart des acteurs ne jugent pas utile de commenter.

16. Les tensions les plus terribles se manifestent au Bihar, marqué par les luttes agraires, les conflits de caste-classe pour la terre, l'emploi et la prééminence, l'extension du grand banditisme et une décomposition avancée de l'appareil d'État. Les conflits sociaux y font au moins deux milliers de victimes par an depuis 1980.

17. Au sein de cet univers les soucis de la production et ceux de la reproduction de l'ensemble social sont intimement liés et en perpétuelle interférence. Lire ce qu'écrit à ce sujet, et à propos d'une autre région du monde, Meillassoux, C., Femmes, greniers, capitaux, Paris, Maspero, F., 1975 Google Scholar.

18. Ce sont les formes particulières de socialisation infantile, les structures de la parenté et les particularités de l'idéologie hiérarchique qui permettent d'expliquer comment le père en titre peut apparaître comme une figure plutôt impuissante au sein d'un univers patriarcal alors qu'il dispose du plus grand prestige. Cf. Louis Dumont, op. cit., G. Heuzé, op. cit., 1989, et aussi Kakar, Sudhir, Moksha, le monde intérieur, Paris, Les Belles Lettres, 1985 Google Scholar.

19. Lire, à ce sujet, le numéro 4/1980 de la revue Purusartha, « La dette », publié par le Centre d'études de l'Inde et de l'Asie du sud, sous la direction de Charles Malamoud.

20. Les taux d'indemnisation varient selon les périodes et les provinces et ils sont définis par l'administration provinciale. La plupart des terres saisies entre 1977 et 1985 l'ont été à des taux variant de 7 700 à 13 000 roupies par acre. La terre est très chère en Inde et ces indemnités, basées sur le taux officiel des transactions, ont toujours paru insuffisantes. Une roupie équivaut à 40 centimes au cours du change, mais le taux de change est sous-évalué. Il est par ailleurs illusoire de comparer les pouvoirs d'achat en comparant les revenus monétaires, au sein de sociétés différentes.

21. Les habitants de la région, et tout d'abord les expulsés, ont été depuis le début la cible d'une véritable surenchère de promesses que leurs auteurs n'avaient ni les moyens ni l'intention de tenir. L'exemple vient de très haut comme on peut le constater. Le ministre de l'Énergie du dernier gouvernement Gandhi, Vasant Sathé, s'est illustré avec le même genre de propos au printemps 1990.

22. La corruption est un phénomène à facettes multiples qui met en jeu des niveaux qui ne sont pas tous reliés entre eux. Elle n'est pas un mythe mais il en existe une dimension mythologique qui est celle qui sert le plus dans le discours populaire. L'économie parallèle est un phénomène distinct et il est certain qu'elle s'est accrue de manière importante au cours de la décennie. Cf. Chuoh, R. L. et Uppal, J. S., Black Economy in India, New Delhi, Tata Mac Graw-Hill, 1986 Google Scholar.

23. Cf. les entretiens avec les directeurs du personnel des centrales de Shaktinagar et de Vindhyachal.

24. Cf. Pouchepadass, J., Planteurs et paysans dans l'Inde coloniale, Paris, L'Harmattan, 1986 Google Scholar.

25. Loi sur le Fonds de prévoyance (Provident Fund Act), 1952.

26. Lire, du même auteur, Informel, disiez-vous ?, texte consacré aux petites entreprises et aux problèmes de main-d'oeuvre qui leur sont liés dans le cadre de l'Inde actuelle, à paraître aux Éditions de l'Orstom.

27. Cf. B. Mottez, 1966.