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Les aventures démographiques comparées de la France et de l'Irlande (XVIIIe-XXe siècle)

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Jacques Dupâquier*
Affiliation:
Laboratoire de Démographie historique, E.H.E.S.S.

Extract

Dans le tableau démographique qu'offre l'Europe occidentale aujourd'hui, la France ne se distingue guère que par une énorme différence entre la mortalité des hommes et celle des femmes. La fécondité légitime y est déclinante, mais moins que dans les deux Allemagnes, la mortalité infantile y est basse, mais moins qu'en Suisse ou aux Pays-Bas, la proportion des étrangers élevée, mais moins qu'en Suisse, la nuptialité assez forte, mais moins qu'au Portugal, la proportion des vieillards considérable, mais moins qu'en Allemagne de l'Est.

Summary

Summary

In the nineteenth century, France and Ireland differed from the rest of Western Europe due to the exceptional character of their demographic history. As early as the first decade of the century, France experienced a major reduction infertility — to such a degree that its share in the European total fell from 15% to 7%. And starting in 1850, Ireland adopted an ultra-Malthusian regime which, combined with an enormous emigration (9 million people in all), reduced its population from 8 500 000 to 4 400 000 inhabitants.

In both cases this divergent evolution originated in a crisis resulting from demographic pressure; but the social structures of the two countries gave a different orientation to their respective destinies. During the Ancien Régime, the social structure tended to hold the French population within certain limits; when these broke down in the Revolution, the French began to regulate their problems by the voluntary restriction of births. In contrast, the English landlords, who controlled the distribution of land in Ireland, encouraged population growth at first. When they sought to check it, it was too late; due to the inertia of demographic phenomena, Ireland was unable to avoid catastrophe. The Great Famine seems to have entailed a loss of 2 400 000 persons: 600 000 through excess mortality, 300 000 as a resuit of a diminished birth rate, and 1 500 000 through excess emigration. It was then that the Irish adopted a strictly Malthusian system: the rate of definitive celibacy in the population rose to 25% among the women and to 29,5% among the men; and the average age at marriage rose to 29 years among the women and to 32 years among the men. On the other hand, the first signs of the voluntary restriction of births do not appear until the end of the nineteenth century.

It is only in the twentieth century, and more particularly in the course of the last twenty years, that the convergence of the two demographic systems becomes evident: the exceptional situation of France ended first and then that of Ireland.

Type
Démographie et Société
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1978

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References

Notes

1. L'espérance de vie des hommes est de 68,7, celle des femmes de 76,8, alors qu'en République Irlandaise, l'écart est seulement de 4 ans et 3 mois.

2. Taux de fécondité légitime par groupes d'āges :

3. 29 millions d'habitants en 1800 ; 40 millions, avec l'Alsace-Lorraine, en 1900.

4. Population, n° spécial, « Démographie historique ».

5. 1672: 1 100 000 hab. selon W. Petty

1725 : 1 669 000 hab. selon Dobbs

1754 : 2 373 000 hab. selon un dénombrement des feux

1778: 3 000 000 hab. selon A. Young

1804: 5 400 000 hab. selon Newenham.

Voir T. Newenham, A statistical and political inquiry into the progress and magnitude of the population of Ireland (1805), réimprimé avec d'autres par R. Lee Sous le titre : The population of Ireland before the 19th century, Collection Pioneers of Demography, Gregg Press, 1973.

6. Les coefficients utilisés pour passer du nombre des maisons à la population varient de 4,36 (Dobbs, 1725) à 6,25 (Bushe, 1788). Les recensements indiquent 5,95 en 1821 ; 6,2 en 1831 ; 5,9 en 1841.

7. Connell, K. H., The Population of Ireland 1750-1845, Oxford, Clarendon Press, 1950 Google Scholar.

8. K. H. Connell, « Land and population in Ireland 1780-1845», The Economic History Review, 2e série, 1950, pp. 278-289.

9. Sir Henry Parnell déclarait en 1826 devant une commission parlementaire d'enquête : « Là où la terre est de qualité inférieure, peu propre à l'élevage laitier, à l'engraissement des bovins, ou dépourvue de bons pāturages à moutons, l'intérêt du landlord est à l'expiration des baux, de relouer en petites fermes plutôt qu'en grandes exploitations† Dans ces régions, la terre rapporte plus, si elle est louée, en surface réduite, à un pauvre homme, que si elle est partagée en grandes fermes. » Select Committee on émigration from the United Kingdom, cité par J. Verrière, La Population de l'Irlande, p. 658.

10. E. Wakefield estimait en 1812 que « le fait de savoir que la pomme de terre est facile à produire, ajouté au défaut d'intérêt pour toute autre forme d'habitation que la hutte de mottes (mud cabin)† constitue le principal encouragement au mariage parmi les catholiques” ( Wakefield, E., An account of Ireland, statistical and political, Londres 1812, 2e vol., p. 579 Google Scholar, cité par J. Verrière, p. 604). Voir aussi T. Newenham, op. cit., section 2.

11. Drake, M., « Marriage and population growth in Ireland 1750-1845», The Economic History Review, vol. xvi, 1963, pp. 301-313 Google Scholar.

12. En fait, pour les premiers mariages féminins de 1838-1840, la répartition des āges au mariage confirme l'hypothèse d'une nuptialité assez précoce :

13. Sir W. Petty observe que les Irlandais se marient habituellement «dès l'āge de la puberté » (Treatise of Ireland, 1687). D'ailleurs, cette notion de mariage précoce mérite d'être examinée de près : entre le mariage pubertaire tel qu'il est pratiqué aux Indes ou en Algérie, et le mariage tardif de l'Europe classique, il y a place pour bien des systèmes : les proportions indiquées à la note 12 impliquent un āge moyen au mariage de l'ordre de 22 ans.

14. J. Stanley, The Injustice of assessing landlords and the impractibility of assessing landholders, Dublin, 1809, cité par J. Verrière, op. cit., p. 633.

15. J. Verrière, La Population de l'Irlande. Étude géographique. Thèse de doctorat d'État présentée le 9 juin 1973 devant l'université de Caen, manuscrit dactylographié.

16. Graham, J. M., «Transhumance in Ireland », British Association for the Advancement of Science, vol. x, 1953-54, pp. 74-79 Google Scholar.

17. J. Verrière, op. cit., p. 619. Cet auteur cite ici le témoignage de Demis Browne, membre du Parlement, au Select Committee de 1823 : « Nous vivons sous un système de location en commun. Cinquante ou cent acres de terre (1 acre = 40 ares) sont loués à un groupe de personnes qui obtiennent un bail pour un temps donné, chacune d'elles exploitant cinq à six acres. Quand un des tenanciers vient à marier sa fille, il lui donne un acre de sa terre ; de même lorsqu'il marie un fils. En conséquence, la population s'accroît de la façon la plus catastrophique. »

18. Dans son remarquable ouvrage (cité en note 5), T. Newenham consacre un chapitre aux « causes qui semblent avoir joué en faveur de la croissance de la population irlandaise au cours du siècle passé ». Après avoir rappelé les malheurs subis par l'Irlande au XVIIe siècle (la population aurait diminué de 689 000 habitants à la suite des massacres de 1641, de la peste et de la famine subséquentes), il affirme que, durant presque tout le XVIIIe siècle, « l'abondance de la nourriture et la fréquence des mariages, puissamment secondés par un climat fort salubre, ont provoqué, de façon remarquable, la multiplication du peuple en Irlande, et que leurs effets ne furent neutralisés ni par les pestes, les épidémies, les famines, les catastrophes naturelles, ni même à un degré important, par les guerres», (pp. 10-11).

19. Latocnaye, De, A Frenchman's Walk through Ireland (1796-1797), Londres, 1917 Google Scholar.

20. J. verrière, op. cit., p. 622.

21. Crotty, R. D., Irish Agricultural Production, its volume and structure, Cork, 1966 Google Scholar.

22. Colum, P., The Road round Ireland, New York, 1926 Google Scholar.

23. Smith, Woodham, The Great Hunger, Four square édition, Londres, 1965 Google Scholar. L'affaire fut menée avec l'aide de la police et d'un détachement d'infanterie. « Les tenanciers furent sommés de libérer les lieux et les maisons furent alors démolies — toits arrachés et murs enfoncés. Le spectacle était horrible. Les femmes, hurlantes, couraient de toutes parts, pour sauver quelques bribes de leur avoir ou s'accrochaient aux chambranles des portes, d'où il fallait les arracher de force ; les hommes maudissaient et les enfants criaient d'épouvante. La nuit suivante, tous dormirent dans les ruines ; mais le lendemain ils furent chassés, les maisons furent rasées jusqu'aux fondations, et personne ne fut autorisé à prendre la moindre pierre. »

24. J. vâerrière, op. cit., p. 95. A notre avis, cet auteur surestime considérablement la natalité et la mortalité infantile pendant la Famine. Ses calculs sont fondés sur le nombre des enfants de moins de 5 ans survivants en 1851, soit 644 000 ; et sur l'hypothèse gratuite d'un quotient de mortalité infantile de 350 %o. Il aboutit ainsi à calculer un indice pondéré de fécondité légitime de 4 530 en 1851, au lieu de 3 130 en 1841 et 3 415 en 1861. L'erreur est évidente, même dans le calcul : si le nombre des naissances vivantes avait atteint 1315 000 (cf. tableau II, p. 485 bis) entre 1846 et 1850, et la mortalité infantile 350 %o, on aurait dū trouver à la fin de la période environ 820 000 enfants de moins de cinq ans, et non 644 000. Même l'émigration, généreusement évaluée à 10 % des survivants, ne pourrait rendre compte de cet écart. D'ailleurs, J. Verrière est ici en contradiction avec S. H. Cousens, qui signale que le déficit des baptêmes enregistrés en 1847 atteint 40 à 50 % dans certaines paroisses de l'Ouest, et 10 % dans l'Est.

25. Cette hypothèse suppose un indice pondéré de fécondité légitime de l'ordre de 3 000, selon la définition de J. Verrière (au lieu de 3 130 en 1840), un quotient de mortalité infantile de l'ordre de 220 960, et l'émigration de 6 % des nouveau-nés survivants. A l'appui de notre hypothèse, rappelons que la famine de 1921-1922, en Union soviétique entraîna une baisse de 20 % environ du taux de natalité (35 %o en 1921, 36 %o en 1922, 44 %o en 1923).

26. Cousens, S. H., « Régional Death Rates in Ireland during the Great Famine », Population studies, vol. XIII, pp. 55-74 Google Scholar.

27. J. Verrière (op. cit., p. 121 bis) évalue le nombre d'émigrants à 320 000 pour la période 1840/44 ; 1 070 000 pour la période 1845/49 ; 1 205 000 pour la période 1850/54 ; 445 000 pour la période 1855/59. Ceci semble correspondre à une surémigration d'un million et demi de personnes du fait de la Famine.

28. 1 372 000 mariages ont été célébrés en 1790-1794, au lieu de 1 200 000 dans les cinq années 1785-1789.

29. L'āge des filles au premier mariage s'est abaissé un peu, mais il était encore de 24,6 ans en 1938 ; et la proportion des célibataires est restée supérieure à 11 % jusqu'à la génération 1901-1905.

30. Dans l'Irlande d'avant la Famine, on les accusait au contraire d'encourager excessivement les mariages. Cf. les témoignages de T. Newenham et d’ E. Wakefield, cités par J. Verrière, op. cit. p. 644. Sur ces problèmes, voir Connell, K. H., « Catholicism and Marriage in the Century after the Famine », dans Irish peasant society, Oxford, Clarendon Press, 1968 Google Scholar.

31. Dans la 3e partie de sa thèse, au chapitre 7, J. Verrière revient sur cette évaluation. Se fondant sur la mesure de l'émigration nette dans les groupes de générations de 1806 à 1945, il estime finalement l'émigration définitive nette à 8 000 000.

32. Voir note 27.

33. J. Verrière, op. cit., p. 686.

34. R. E. Kennedy, The Persistence of a large idéal family size in Ireland (communication au Congrès de l'American Sociological Association, San Francisco, aoūt 1967) : « Les personnes qui étaient en désaccord avec la doctrine catholique favorable à la famille nombreuse, et celles qui aspiraient le plus fortement à un niveau de vie amélioré avaient de grandes chances de se retrouver parmi les émigrants, les célibataires ou les tard-mariés. »

35. Selon J. Verrière, l'āge médian aurait atteint 30 ans pour les hommes dans les générations 1816-1825, et 28 pour les femmes dans les générations 1826-1835. Ensuite il aurait diminué (par suite de la brusque décompression démographique après la Famine ?) pour remonter progressivement jusqu'à des niveaux records : 32 ans pour les hommes dans la génération 1876-1885, et 29 ans pour les femmes dans la génération 1886-1895. Tous ces calculs sont à reprendre.

36. J. Verrière, op. cit., p. 611.

37. Connell, K. H., « Catholicism and Marriage in the Century following the Famine », dans Irish peasant society, Oxford, Clarendon Press, 1968 Google Scholar et, du même: «Peasant Marriage in Ireland : its structure and development since the Famine, dans The Economic History Review, 2e série, vol. xiv, 1962, pp. 502-523. Voir aussi Mac Namara, B., The Smiling face and other stories, Londres, 1929 Google Scholar, et Donagh, Mac, Irish Life and Character, Londres, 1898 Google Scholar.

38. J. Verrière, op. cit., p. 636. On voit à quel point certains historiens se font illusion en caractérisant des pratiques analogues dans la France du XIXe siècle comme celles du « mariage bourgeois ».

39. Pendant cette période, les statistiques de l'état civil irlandais restent suspectes : il y a encore sous-enregistrement des naissances et des décès de jeunes enfants. Toutefois, comme la qualité des données n'a fait que s'améliorer, la lente baisse de fécondité signalée par J. Verrière n'en est que plus évidente.

40. J. Verrière, op. cit., p. 481 bis.