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Lecture de la sourate 18

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Mohammed Arkoun*
Affiliation:
Sorbonne Nouvelle (Paris III)

Extract

« Wa idhà qara'ta-l-qur'àn ja'alnà baynaka wa bayna-lladhina là yûminùna bi-l-àkhirati hijâban mastûran. »

Coran, 17, 45)

« Wa idhà quri'a-l-qur'àn fa-stami'ù lahu wa ansitù la'allakum turhamûna. »

(Coran, 7, 204)

« Un langage est d'abord une catégorisation, une création d'objets et de relations entre ces objets. »

(É. Benvéniste, PLG, I, p. 83)

« L'activité scientifique n 'est pas une accumulation aveugle de vérités ; la science est sélective et recherche les vérités qui comptent le plus soit par leur intérêt intrinsèque, soit comme outils pour affronter le monde. »

(W. Van O. Quine, Méthodes de logique, p. 11)

Ces quatre citations définissent très exactement le sens de notre entreprise ainsi que les principes épistémologiques de sa réalisation. Le verset 17, 45* parle d' « un voile invisible » — donc une séparation — entre le Prophète récitant la Prédication ( = la Parole révélée) et « ceux qui ne croient pas en l'Autre vie » ; le verset 7, 204 nous apprend que la Prédication est récitée (non lue) et qu'elle doit être écoutée attentivement dans le silence. La portée religieuse de ces indications ne nous intéresse pas ici ; il s'agit d'attirer l'attention, dès le départ, sur les opérations arbitraires qu'entraîne toute décision de lire un énoncé qui se présente explicitement comme une parole destinée à l'écoute d'une assemblée dans des conditions extérieures et des dispositions intérieures très précises.

Summary

Summary

In this article, the author analyses the methods and evaluates the results of the classical exegesis as applied to surah 18 of the Qur'an. He then proposes new strategies for approaching quranic speech.

Type
L'Orientalisme Aujourd'Hui
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

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References

Notes

1. R. Blachère parle souvent d'introduction et de conclusion, ce qui implique une projection de normes rhétoriques aristotéliciennes sur un discours dont il reste justement à définir la rhétorique. Le texte de la sourate est trop long pour être cité entièrement ; il est indispensable que le lecteur en prenne connaissance de préférence dans l'original arabe et, pour les non-arabisants, dans la traduction de R. Blachère, t. I, p. 327 ss, qui comporte d'utiles indications sur la chronologie.

2. Sur les problèmes de chronologie, cf. Blachère, R., Introduction au Coran, 2e éd., Paris, 1959 Google Scholar et Traduction selon un essai de reclassement des sourates, t. I et II, Paris, 1949. Deux ouvrages récents ont repris la discussion de ces problèmes : Wansbrough, J., Qur'ànic studies. Sources and methods of scriptural interprétation, Oxford University Press, 1977 Google Scholar et Burton, J., The collection of the Qur'àn, Cambridge University Press, 1977 Google Scholar.

3. Nous reprenons cette heureuse expression non pas dans son sens théologique, d'ailleurs jamais admis par les juifs et les chrétiens, mais en tant que concept socio-culturel. 4. Nous pensons non seulement aux normes éthico-juridiques et rituelles, mais à toutes les réalisations culturelles qui caractérisent le climat de vie islamique.

5. Expression de G. Duby.

6. Une nouvelle édition du Tafsir est en cours de publication au Caire grâce à Mahmûd Muhammad Châkir (16 vols parus depuis 1954). L'éditeur annonce dans le volume 16, un ouvrage d'ensemble sur l'histoire du Mushaf d'après, notamment, une exploitation minutieuse des chaînes de garants (isnàd) utilisées par fabarî : cf. t. 16, pp. 452-454. Déjà, par les abondantes notes qui accompagnent le texte dans les 16 volumes parus, on peut se faire une idée de la méthode de Tabarî. Le commentaire de la sourate 18 se trouve dans la vieille édition de Bûlâq, t. 15 et 16, 1905.

7. De ‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî (1849-1902) à notre contemporain Mustafâ Mahmûd, la liste est longue des auteurs qui « démontrent » que les découvertes scientifiques modernes sont toutes annoncées dans le Coran. Récemment, un médecin français a obtenu un grand succès de librairie en jouant sur cette corde très sensible du public musulman : cf. Bucaüle, M., La Bible, le Coran et la science, Seghers, 1976 Google Scholar.

8. Retenons déjà deux traits qui maintiennent la fonction révélante pour l'existence du discours narratif : le locuteur-auteur réapparaît explicitement en tant que narrateur pour attester la véracité et l'exemplarité des choses racontées ; de ce fait, les événements choisis ne sont pas de simples péripéties ordonnées par la logique interne du récit : ils révèlent une transcendance, la trace de Dieu dans l'histoire du Salut. Et cela est confirmé par les enseignements que les exégètes en tirent pour l'éthique du comportement, l'organisation du culte, le droit.

9. Sur l'importance de ce cadre, cf. J. Wansbrough, op. cit., p. 119 ss.

10. L'utilisation liturgique du texte coranique a sûrement contribué assez tôt à sa stabilisation ; mais cette utilisation a elle-même une histoire qui nous échappe.

11. Cf. le texte de Muqâtil cité par J. Wansbrough, op. cit., p. 122.

12. Cette indication, si elle n'est pas due au copiste, souligne l'intervention de l'auteur.

13. L'oeuvre de Jâhiz (m. 256/869) représente une des premières interventions critiques dans la littérature des akhbàr : Souami, cf. L., La critique des traditions (akhbàr) chez Jâhiz, thèse de 3e cycle inédite, Paris IV, 1977 Google Scholar.

14. Cf. M. Arkoun, « Profil de la conscience islamique », dans Cultures, Unesco, 1977, IV, I, p. 67 ss.

15. Répétons que la mise par écrit ne signifie pas nécessairement la fin de la transmission orale : cf. supra, note 12.

16. Il s'agit de tout « le territoire » que les historiens commencent à prospecter sous le nom de psychologie historique ; pour celle-ci, la documentation est incomparablement plus riche que pour l'histoire sociale et économique.

17. Cette opposition, mise en évidence par l'analyse du récit, est déjà exprimée par les termes arabes utilisés par une vieille tradition : les partisans de Muhammad à Médine sont nommés ansàr = auxiliaires, ses opposants mekkois sont des a'dd’ = ennemis.

18. La distinction entre fables, contes gratuits et histoires vraies ou exemples élevés de conduite est présente dans le Coran où les Mekkois traitent de contes des Anciens = asàtir al-crwwalin les récits comme ceux de la sourate 18 ; quels que soient l'origine et le sens du pluriel asàtir , l'expression « contes des Anciens » est utilisée 9 fois pour disqualifier le Prophète et la Révélation. Cette attitude explique l'insistance du Coran sur la véracité et l'exemplarité des récits (qissa) et des Exemples ou paraboles (amthâl) . Cf. Arkoun, M., « Peut-on parler de merveilleux dans le Coran? », dans L'étrange et le merveilleux dans l'Islam médiéval, Paris, Jeune Afrique, 1978, pp. 124 Google Scholar.

19. Il en va différemment pour le ta'wil ou interprétation qui, chez les chî'ites notamment, se développe en une gnose initiatique : cf. H. Corbin, Avicenne et le récit visionnaire, t. I, Téhéran- Paris, 1954.

20. Pour une première mise en oeuvre de ces concepts, cf. M. Arkoun, « Modes de présence de la pensée arabe en Occident musulman », dans Diogène, \91bl91* . Il va de soi que le Discours coranique n'est pas le seul facteur qui pesa sur le rapport pensable/impensable/impensé ; il intervient dans le jeu complexe des facteurs qui ont produit les sociétés dites musulmanes.

21. Cf. Miquel, A., La géographie humaine du monde musulman jusqu'au milieu du IIe siècle , t. II, Paris-La Haye, 1975 Google Scholar, index s.v. mer.

22. Sur le vocabulaire du merveilleux dans le Coran, cf. M. Arkoun, « Peut-on parler… », op. cit .

23. La lecture philologique et historiciste a déjà corrigé les « fausses » identifications et explications de l'exégèse classique en référant, notamment, à l'épopée de Gilgamesh et au roman d'Alexandre dont les différentes recensions ont été nommées le Pseudo-Callisthène : cf. Abei, A.., Le Roman d'Alexandre, Bruxelles, 1955 Google Scholar et Encyclopédie de l'Islam, 2e éd., s.v. Khadir . En fait, le Coran ne puise pas directement dans la vieille combinaison de mythes mésopotamiens, hittites, anatoliens, ugaritiques, cananéens et égyptiens, comme ce fut le cas pour l'Ancien Testament ; comme me l'écrit F. Smith-Florentin, il faut plutôt penser « à une autre mouture de l'héritage moyen-oriental que représentait la conjugaison d'un judaïsme un peu fantaisiste… qui s'exprimait dans le Midrash “ sauvage “ des relectures populaires de la Loi prise comme une histoire, et de cet étrange vocabulaire chrétien — lui aussi bientôt “ scolarisé “ — de la piété monastique… ». Ajoutons que la reconstitution la plus fine des « influences » ne parviendra pas à rendre compte du fonctionnement sémiotique du Discours coranique qui utilise des noms propres, des épisodes, des mots rares pour mettre en place un nouveau départ de code logico-sémantique en langue arabe. Nous y reviendrons.

24. Dès les débuts de l'expansion islamique, les sermonnaires populaires (qâss, qussàs) ont joué un rôle de premier plan dans la diffusion des croyances et des connaissances « religieuses » ; à partir du xie-xne siècle, les marabouts-missionnaires, les chefs de confréries ont renforcé et élargi l'action des qussàs : cf. Encyclopédie islamique, 2e édition, s.v. Kâss .

25. « La pensée mythique bâtit ses palais idéologiques avec les gravats d'un discours social ancien », Lévi-Strauss, Cl., La pensée sauvage, Paris, Pion, 1962, p. 32 Google Scholar.

26. On notera que même ces développements sont présentés dans le cadre narratif de l'isnàd ou chaîne de garants.

27. Cf. Arkoun, M., « Révélation, Vérité et Histoire d'après l'oeuvre de Ghazâli », dans Essais sur la pensée islamique, Paris, 1977, p. 233 ss.Google Scholar

28. Cf. M. Arkoun, « Pour un remembrement de la conscience islamique », dans Mélanges H. Corbin, Téhéran, 1977. p. 191 ss.

29. Titre de la thèse de G. Durand, 2e édition, Paris, PUF, 1968.

30. K. Gschwind, cité par Massignon, L., « Le culte liturgique et populaire des vu Dormants, martyrs d'Éphèse : trait d'union Orient-Occident entre l'islam et la chrétienté », dans Opéra minora , Beyrouth, 1963 Google Scholar, t. III, p. 117.

31. Cf. l'édition du Livre des songes par T. Fahd, Damas, 1964.

32. Cf. L. Massignon « Les ‘ Sept Dormants ‘, apocalypse de l'islam », op. cit., pp. 111-112. 33. Ibid., p. 115.

34. Cf. nos réflexions sur l'aire culturelle gréco-sémitique dans L'Islam, hier, demain, Buchet- Chastel, 1978, p. 120ss.

35. Sur « les origines de l'arabe classique », cf. la discussion en cours dans J. Wansbrough, op. cit., p. 85 ss.

36. Je vise les différents discours manifestés dans les multiples langues islamiques et d'abord, l'arabe classique : discours juridique, théologique, éthique, philosophique, mystique, historiographique…

37. Il serait intéressant d'interroger, sous cet angle, les oeuvres de Jâhiz, Ibn Qutayba, Tawhîdî, Ghazâli, Ibn al-Jawzî, Suyutî… Il reste beaucoup à faire pour sortir de la confusion et rendre tant soit peu opératoires ces quatre concepts si souvent employés de nos jours. Les interrogations introduites par J.-P. Vernant pour la pensée grecque y aideraient considérablement à travers l'exemple de la pensée islamique. Malheureusement, les « islamologues » restent généralement à l'écart de telles curiosités historiques et épistémologiques.

38. C'est tout le passage de « la métaphore vive » à la dénotation rigide, du symbole au signe et au signal qu'il faudrait suivre dans le développement de la culture islamique jusqu'à nos jours.

39. J. T. Desanti, Le concept de temps et le temps dans l'histoire, communication inédite au colloque sur « Nature et fonction de l'histoire en relation avec la diversité des cultures », Dakar, UNESCO, 1978.