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Le Japon à l'ère mégalopolitaine : éclatement de l'espace traditionnel et insularité culturelle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

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Comme toute communauté humaine, la société japonaise applique implicitement les notions de temps et d'espace définies par sa civilisation. Comme toute civilisation, celle des Japonais enseigne à chacun sa place dans l'espace et le temps en l'enfermant dans un réseau familier de symboles, de rites, de gestes grâce auxquels il recrée sans relâche ces coordonnées. Cette production continue de leur espace, les Japonais la poursuivent à travers des processus propres à notre espèce où l'analyse révèle, côte à côte, cinq modes opératoires distincts.

Summary

Summary

Like every other people, the Japanese have a perception of space which is defined by their civilization and perpetuated by it. It teaches them to perceive this space according to a simple opposition of “interior/exterior”, and to arrange, utilize, structure and integrate it along these lines. Since the increased contact with the West beginning during the Meiji period, but especially since the accelerated economic growth following the last war, this traditional space has tended to divide itself into four distinct areas : space for work, for the family, for the city and for the foreigner. However, a rather remarkable monolithic cultural System impedes traditional space from any further fragmentation ; and this will probably continue for a long time to come.

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Recherches en Cours
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Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1981

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References

Notes

1. Une bibliographie considérable en japonais a été mise à profit, que nous ne pouvons citer ici. La meilleure synthèse en français sur les relations actuelles des Japonais et de leur espace se trouve dans Bfrque, A., Le Japon, gestion de l'espace et changement social, Paris, Flammarion, 1976 Google Scholar (à compléter par « Espace et société au Japon : la notion de “fûdo” », Mondes asiatiques, hiver 1978- 1979) ; bien des idées développées ici ont leur origine dans cette étude. On a consulté en outre, Lebraetw, T. S.. Lebr.\, Japanese culture and behavior, Honolulu, The Univ. Press of Hawaii, 1974.Google Scholar Pour les aspects proprement économiques, Ch. Sautter, , Japon, le prix de la puissance, Paris, Éditions du Seuil, 1973 Google Scholar et, pour les problèmes d'ensemble que pose la notion d'espace, Heggett, P., L'analyse spatiale en géographie humaine, Paris. A. Colin, 1973 Google Scholar. On a utilisé enfin largement le souvenir de fructueuses conversations avec le regretté P. Mus ainsi que l'étude que lui a consacrée V. Lemieux dans les Cahiers Int. de Sociologie, LX-1976.

2. Nous en avons esquissé une brève présentation dans Pays et paysages d'Extrême-Orient, Paris, P.U.F., 1977. L'essentiel demeure, en français, les études de Gourou, P., La terre et l'homme en Extrême-Orient, Paris, Flammarion, 1972 Google Scholar, et le recueil de ses articles édité par la Soc. Royale Belge de Géog., Bruxelles, 1970.

3. Ces idées ont été éclairées par l'article fondamental de Gourou, P., « Civilisation et géographie humaine en Asie des moussons », Bull, de l'Éc. Franc. d'Extrême-Orient, t. XLIV, Hanoi, 1954.Google Scholar

4. Plusieurs études sur la langue japonaise ont paru dans Y Encyclopédie permanente du Japon (Publications Orientalistes de France). Nous nous aidons ici de B. Fujimori, « La langue japonaise et ses caractères spécifiques » et « La formation du japonais moderne ».

5. Cf. Berque, ouvr. cité n. 1, et la conclusion de notre étude sur « La maison japonaise : standardisation de l'espace habité et harmonie sociale », Annales E.S.C., n° 4, 1977, pp. 670-701.

6. L'opposition Endroit/Envers est classique dans tous les ouvrages traitant de la géographie japonaise (et jugée plus fondamentale que l'autre grande division du pays : Ouest/Nord-Est davantage imprégnée d'histoire). La croissance accélérée, depuis les années 1950, l'a accentuée d'une façon extrême en faisant pratiquement coïncider 1’ « Endroit » avec la Mégalopolis elle-même. Sur ce point encore, la lecture de Berque (n. 1 ) est particulièrement éclairante.

7. Sur ce thème, cf. notre étude : « Les régions du Japon. Aspects géographiques et historiques », Comité des Travaux hist. et scient., Bibliothèque nationale, 1966.

8. L'étude de l'environnement sensible et de son influence sur les comportements collectifs, l'une des plus séduisantes qu'offre la géographie, n'a tenté que peu de chercheurs. Elle suppose la connaissance d'innombrables facteurs d'appréciations et, notamment, celle de la littérature et de l'art. Elle est en outre guettée par le double écueil de la « littérature » et d'un déterminisme sans nuances. Elle offre pourtant un moyen d'accéder aux motivations profondes des comportements organisés, surtout dans la mesure où l'homme se donne un environnement agissant plus ou moins dans le sens de son action. Nous l'avons tentée à propos de la maison japonaise traditionnelle (” La maison japonaise : plaisir esthétique et harmonie sociale », Cahiers Int. de Sociologie, vol. LX V, 1978) mais elle pourrait être étendue à tous les éléments du cadre de vie, y compris les plus actuels, de la civilisation étudiée. Elle devrait se fonder, à notre sens, notamment sur les ouvrages de Bachelard (par exemple, La poétique de l'espace) et ceux de P. Francastei..

9. Nous reprenons dans ce paragraphe, en les systématisant, quelques-unes des idées de notre article : « La notion d'emprise sur le milieu géographique : l'exemple japonais », Annales ESC, n° 1, 1972, p. 97 ss. Sur les bases sociologiques de cette construction de son espace par une société politiquement cohérente, cf. les ouvrages de Lefebvre, H. (Critique de la vie quotidienne ; La révolution urbaine ; Espace et politique, et notamment La production de l'espace, Paris, Anthropos, 1974).Google Scholar Présentation plus synthétique et plus géographique de la question dans Labasse, J., L'organisation de l'espace, Paris, Hermann, 1966.Google Scholar

10. Ce cas a été brillamment analysé dans l'ouvrage classique de Gottmann, J., Mégalopolis, The MIT. Press, 1961.Google Scholar

11. Dans notre article « La maison japonaise… », op. cit.

12. Ce thème a été développé dans plusieurs ouvrages par l'architecte F. Maki. Il l'a résumé luimême dans un article, « La ville et l'espace intérieur », trad. en français dans Cahiers du Japon, n° I, Tokyo, 1979.

13. Les mécanismes de cette intégration sont analysés dans Berque, ouvr. cité n. 1. Cf. aussi son article, « Areolar and linear trends in territorial Systems, with spécial référence to Japan and France », The science reports of the Tohoku University, 7th Séries, Geography, 1975, 2. La bibliographie japonaise sur ce thème est considérable. En anglais, une synthèse claire quoiqu'un peu rapide dans Huddle, N., Reich, M. et Stiskin, N., Island ofdreams, New York, Autumn Press, 1975.Google Scholar Aperçus intéressants dans Dupuy, J.-P. et Robert, J., La trahison de l'opulence, Paris, P.U.F., 1976.Google Scholar

14. Rougemont, D. De, L'amour et l'Occident, Paris, Pion, 1939 Google Scholar, et L'aventure occidentale de l'homme, Paris, Albin Michel, 1957. On a mis ici à profit l'article de Ph. Ariès cité n. 18.

15. La croissance accélérée a trouvé au Japon une société déjà encadrée, hiérarchisée et habituée aux sacrifices par des siècles d'idéalisation de l'austérité. Elle a largement consolidé cet encadrement social préexistant (alors qu'en Occident, elle en créait un autre nettement démarqué de la structure sociale préindustrielle), en durcissant certaines tendances (cf. «L'espace du travail», II, 1) et n'accueillant des systèmes économiques de l'Occident que les éléments strictement techniques. La similitude de certaines conséquences de cette croissance intégrée de l'économie au Japon et en Occident (ségrégation fonctionnelle des quartiers urbains, concentration des entreprises, etc.) semble laisser intact ce substrat sociologique et il ne faut sans doute pas crier trop tôt à la disparition prochaine, par contagion et fusion, de l'originalité japonaise au sein des sociétés industrielles.

16. Sur ce point, cf., dans l'Encyclopédie permanente du Japon, D. Turcq, « La prise de décision dans l'entreprise » et « L'emploi à vie dans l'entreprise », ainsi que J. Esmein, « Le paradoxe du travail ».

17. L'ouvrage un peu ancien de Dore, R. P., City life in Japon, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1958 CrossRefGoogle Scholar, demeure fondamental. Sur la femme japonaise d'aujourd'hui, cf. dans YEncycl. perm. du Japon, O. Furusawa, « Une revue féminine, “Shufu no Tomo” », qui montre avec précision un des mécanismes de cette action féminine dans la société industrielle japonaise.

18. Cf. l'article de Ph. Ariès, « La famille et la ville », Esprit, janv. 1978. Sur les mouvements d'habitants, cf. outre l'ouvrage de Berque, O. Chegaray, « Les mouvements civiques » (Encycl. perm. du Japon), et Island of dreams cité n. 13.

19. Curieusement, la bibliographie en langues occidentales sur le monde fascinant des grandes villes japonaises est quasi inexistante ou anecdotique. Citons en français, M. Moreau, Tokyo, Paris, P.U.F., « Que-sais-je ? » n° 1612, et notre étude « L'agglomération de Tokyo », La Documentation française, Paris, 1974.

20. Sur l'interaction homme/paysage urbain, cf. Berque, ouvr. cité et Ledrut, R., Les images de la ville, Paris, Anthropos, 1973 Google Scholar. J. BEL a conduit, à partir de cette étude, une enquête sociologique dans plusieurs villes japonaises, dont il présente les résultats dans « Les catégories sémantiques du discours urbain au Japon », Cahiers Int. de Sociologie, vol. LX, 1976. Nettement polémique mais plein d'idées est le petit livre de Laborit, H., L'homme et la ville, Paris, Flammarion, 1971.Google Scholar Cf. aussi, Rimbert, S., Les paysages urbains, Paris, A. Colin, 1973.Google Scholar

21. Sur les contacts Japon/Occident, cf. les réflexions de J. Pigeot, « Le Japon aux prises avec l'autre », Critique, févr. 1974. « Peut-on, dans une culture, séparer la “technique” de 1’ “âme” ? » Si la réponse est oui, c'est sans doute le Japon qui en donne, de tous les pays, le plus parfait exemple, quelle que soit sa hantise actuelle de « perdre son âme » et bien qu'en ce domaine on ne craigne souvent de perdre que ce qu'on a déjà perdu. Sur l'évolution de cette crainte japonaise de « se » perdre depuis un siècle, on doit consulter toujours le recueil de textes traduits et commentés par Tsunoda, R., Bary, W. Th. De et Keene, D., Sources ofJapanese tradition, New York, Columbia Univ. Press, 1958.Google Scholar Cf. aussi n. 27.

22. On voudrait rappeler ici à l'attention des lecteurs curieux des sensibilités nationales le merveilleux petit livre de Hoveiaque, E., Le Japon, Paris, Flammarion, 1921 Google Scholar, auquel répond, dans un cadre d'idées plus actuel. L'empire des signes de R. Barthes. Cf. aussi n. 8.

23. Cf. notre article déjà ancien : « Hokkaido, étude géographique d'une région japonaise », Revue de Ge'og. de Lyon, XLIV, 1969, n° 3. La thèse de doctorat d'A. Berque est consacrée à cette région et a été publiée, dans une version raccourcie, sous le titre : La rizière et la banquise. Colonisation et changement culturel à Hokkaido, Paris, Publications Orientalistes de France, 1980.

24. Sur le cadre psychologique et socio-politique de cette période, cf. la dense synthèse de Vie, M., Le Japon contemporain, Paris, P.U.F. Google Scholar, « Que-sais-je ? » n° 1459, 1971 ; Silberman, B., Harootunian, H. D., Japon in crisis, Princeton Univ. Press, 1974.Google Scholar Pour le point de vue japonais : Sources of Japanese tradition, cité n. 21.

25. Tanizaki, J., Éloge de l'ombre, trad. R. Sieffert, Paris, Publications Orientalistes de France, 1977.Google Scholar « … Ce qu'on appelle le beau n'est d'ordinaire qu'une sublimation des réalités de la vie, et c'est ainsi que nos ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l'ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l'ombre en vue d'obtenir des effets esthétiques (…). C'est là que nos ancêtres se sont montrés géniaux : à l'univers d'ombre délimitant un espace rigoureusement vide, ils ont su conférer une qualité esthétique… il s'agit (plutôt) d'ajouter à l'ombre une dimension dans le sens de la profondeur… Pour moi, j'aimerais tenter de faire revivre, dans le domaine de la littérature au moins, cet univers d'ombre que nous sommes en train de dissiper. »

26. Sur ce nouveau localisme japonais, cf. A. Berque, « La renaissance de la province », Encycl. perm. du Japon.

27. Pour le Japonais de l'ère mégalopolitaine, la sérénité devant la vie ou la mort que procurait le sens aigu de l'impermanence, le bonheur inexprimé de se sentir en harmonie avec la terre et les hommes, les joies austères mais raffinées de la vie quotidienne de jadis ne satisfont plus, ne suffisent plus à se justifier à ses propres yeux. On ne se contente plus d'être Japonais et de vivre au jour le jour sa japonicité ; on veut encore savoir ce qu'elle est ; on désire sentir sa propre odeur, conscient peutêtre qu'elle a changé. On craint surtout de la perdre, de se muer en quelque chose d'indicible mais redoutable : une nation de non-Japonais. Nous préparons une étude sur cette crise d'identité et son expression littéraire ; cf. aussi n. 21.