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Le français et le latin aux XIIIe-XIVe siècles : pratique des langues et pensée linguistique
Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
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Il n'est plus à démontrer que le domaine linguistique fut, dans tous les sens du terme, l'un de ceux où se manifesta magistralement la fécondité de la culture médiévale. Lorsqu'on arrive à cette période où les historiens choisissent habituellement de clore le Moyen Age, les langues vernaculaires occidentales ont atteint un niveau avancé de développement. Outre le fait qu'elles occupent presque tout le champ de la communication orale, la plupart ont déjà accédé à l'écrit et ont fourni à l'histoire leurs premiers grands monuments littéraires. Elles ont aussi envahi les champs scripturaires de l'administration publique et, parfois, se sont essayées à l'expession du savoir. Des langues vernaculaires commencent à étendre leur domination qui les fera occulter lentement certaines autres. En même temps, ces langues servent dans quelques cas de ferment de définition d'États-nations en train de naître, et de façon générale de symbole d'appartenance à une collectivité plus large que la ville ou le pagus. Non moins créatrice fut la performance du latin médiéval. Langue de poésie à certaines époques privilégiées, ce latin se forme comme un instrument remarquable de l'expression savante et religieuse. Bien longtemps encore, il demeurera la langue de l'École et de l'Église. Bref, à la fin du Moyen Age, la civilisation occidentale a déjà acquis bon nombre de traits de sa physionomie linguistique
Summary
In this article, we try to isolate the type of grammatical consciousness 13th and 14th century intellectuals were able to develop concerning northern French (la langue d'oïl). Though reflection in the Middle Ages upon the vernacular never gave rise to a systematized body of knowledge, scholarly Latin literary texts manifest their authors' ability to grammatically comprehend French. Medieval conditions concerning the learning of Latin, a second language for everyone, suggest that academic training necessarily led to a serious changes in people's relation to their mother tongue. This hypothesis is confirmed by the few elementary prinners used in the teaching of Latin which have come down to us as well as by English treatises used for learning French. But the vernaculars performance in the Middles Ages remained tied practices, and its rules to operational knowledge. On an epistenological level, grammatical knowledge of French resembled that of a mechanical art or of the language's statute law, which in the end justified its remaining a spoken, not a written language.
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- Contacts Culturels
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- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1987
References
Notes
1. P. Wolff, Les origines linguistiques de l'Europe occidentale,2e éd. revue et mise à jour, Toulouse, 1982. Le présent article approfondit la réflexion sur un problème historique dont nous avons analysé en détail les articulations dans notre ouvrage Parler vulgairement. Les intellectuels et la langue française aux XIIIe et XIVe siècles,Montréal-Paris, Presses de l'Université de Montréal et J. Vrin, 1986. Nous renvoyons à cet ouvrage pour une bibliographie plus élaborée sur la question, nous contentant ici de signaler quelques références clés.
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5. Le Moyen Age ne nous a laissé qu'un seul véritable traité théorique sur la langue vernaculaire et il s'agit évidemment du De vulgari eloquentia(A. Mariqo éd., Florence, 1938). Nous croyons avoir démontré dans notre livre que plusieurs idées avancées par Dante au sujet de l'italien sont éclairantes pour la question du français.
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7. Eadem enim sunt constructibilia et idem modi significandi et idem modi construendi apud Latinos et Grecos saltem secundum speciem. Ergo grammatica est eadem apud omnes homines in omni ydiomate.Jean LE Danois, Summa grammatica,A. Otto éd., Copenhague, 1955, p. 54. Sauf indication contraire, les traductions des citations latines sont les nôtres.
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9. Multi vero inveniuntur, qui sciunt loqui Graecum, et Arabicum, et Hebraeum, inter Latinos, sedpaucissimi sunt qui sciunt rationem grammaticae ipsius, nec sciunt docere eam : tentavi enim permultos.Roger Bacon, Opus tertium,J. S. Brewer éd., Rolls Séries XV, 1859, p. 34.
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13. Videntes enim Philosophi nullum idioma vulgare esse completum etperfectum, per quod perfecte exprimere possent naturas rerum, et mores hominum, et cursus astrorum, et alia de quibus disputare volebant, invenerunt sibi quasi proprium idioma, quod dicitur latinum, vel idioma literale : quod constituerunt adeo latum et copiosum, ut per ipsum possent omnes suos conceptus sufficienter exprimere.Gilles DE Rome, De regimineprincipum,II, II, 7, réimpression de l'édition de Rome 1607, Aalen, 1967.
14. Dante, op. cit.,I, 1, 2.
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16. Et ideo cum vadunt per mundum, non debent dimittere linguam coelestem propter linguam mundi, sicut Gallicus, quocumque vadat, non de facili dimittit linguam propter aliam, et propter nobilitatem linguae suae, et patriae suae.Humbert DE Romans, De eruditione praedicatorum, liber I,dans Opéra de vita regulari,J. J. Berthier éd., t. II, Rome, 1889, p. 465.
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18. Si enim dicatur « maistre », adhuc confusum est respectu casuum et respectu diversarum ordinum in oratione. Si enim dicitur « li maistres », determinatur ei nominativus et determinatur ei ratio ordinis, ut ab eo potest sic egredi actus, quod patet sic dicendum« li maistres lit ». Si autem dicatur « le maistre », determinatur ei accusativus et ratio ordinationis, ut recipiat actum sic : « je voi le maistre ».Paris, B. N., Latin 16221,6va.
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20. Nam hoc est de proprietate articuli ut veritatem rei designet. Sed hoc non apparet in Latino, quia Latini non habent articulum. Nam satis innotescit in Gallico. Unde cum dicitur Parisius Li reis vent, iste articulusli désignât proprium et verum regem talis loti, quasi régis Frantiae. Et non sufficeret hoc ut denotaret adventum régis Angliae. Nullus enim diceret de rege Angliae veniente Parisius,Li reis vent, sed adjungeret aliud dicens,Li reis de Engletere vent. Et ideo articulus solus sufficit ad veritatem et proprietatem rei de qua sermo designandum.Roger Bacon, Opusmajus,III, J. H. Bridges éd., Oxford, 1897, p. 77.
21. The Greek Grammar of Roger Bacon and a Fragment of his Hebrew Grammar,E. Nolan et S. A. Hirsch éds, Cambridge, 1902, p. 10. D'autres exemples d'analyses grammaticales du français sont cités par Fredborg, K. M., « Universal Grammar According to some 12th Century Grammarians », Studies in Médiéval Linguistic Thought Dedicated to G. L. Bursill-Hall, Koerner, E. F. K. éd., Amsterdam, 1980, pp. 69–84 Google Scholar.
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23. Item de norma generali que non est omitenda debent enim omnes tenere silencium nec loqui in romancio.H. Chobaut, « Un document sur les écoles de grammaire de Carpentras au xive siècle », Annales d'Avignon et du Comtat Venaissin,1924, pp. 5-12.
24. Si enim propter praedicationem primitivis praedicatoribus data sunt gênera linguarum, ut abundarent verbis ad omnes, quam incidens est cum praedicator habet interdum defectum in verbis, vel propter defectum memoriae, vel propter defectum latinitatis, vel propter defectum vulgaris loquutionis, et huiusmodi ?,Humbert DE Romans, op. cit.,p. 402.
25. Circa primum sciendum est, quod iudicio illius standum est, utrum aliquis bene opèretur in aliqua arte, qui est expertus in arte illa : sicut an aliquis bene loquitur gallice, standum est iudicio eius qui est peritus in lingua gallica.Thomas D'Aquin, Super Evangelium Sancti Ioannis Lectura, VII, II, 5, Marietti éd., 1952.
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27. Ergo grammaticus, quiper viam narrationis laborat, cui demonstratio non pertinet, non dabit causas istorum, sed solum quia sic sunt, et sic habent fieri. Ergo grammaticus se habet ad musicum, sicut carpentor ad geometricum. Et ideo grammaticus est mechanicus in hac parte, et musicus est artifex principale.Roger Bacon, Opus tertium,LIX, p. 231.
28. Pour la typologie de ces traités, C. Marchello-Nizia, op. cit.,pp. 34-39.
29. Meyer, P., La manière de langage qui enseigne à parler et écrire le français, Paris, 1873, p. 382 Google Scholar. L'argument qui suit doit beaucoup aux suggestions de Caroline Bourlet de l'Institut de recherche et d'histoire des textes à Paris.
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