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La construction d'une référence culturelle allemande en France : genèse et histoire (1750-1914)
Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
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L'étude des échanges culturels franco-allemands est un domaine qui, bien que ponctuellement exploré, trahit une certaine absence de coordination méthodologique des recherches. Or il est temps de considérer, fût-ce à titre simplement programmatique, les phénomènes de transfert culturel comme un object historique, qui s'est concrétisé dans des textes, des documents, puis dans un discours idéologique collectif participant à ce que nous appelons la construction d'une référence allemande en France.
Nous nous proposons de dégager quelques schémas et concepts opératoires pour l'étude de cette construction. En ce sens, notre projet se situe à mi-chemin entre la démonstration par l'exemple et la généralité théorique.
Summary
Franco-German cultural exchange must be redefined as a specific object of historical research concretized in texts, manuscript documents, and a collective ideological discourse which participates in the construction of a German reference. Many different approaches can be envisioned the hermeneutic approach is based on stable paradigms, the analysis of conjunctures corrects it in emphasizing the momentary situation of the host culture, and sociological vectors of exchange can often be described in terms of institution analysis. The German reference, as a discourse, invites genetic reconstruction allowing one to update matrix networks and German cultural memory in France.
- Type
- Contacts Culturels
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1987
References
Notes
1. Sur la notion d'introduction voir Conry, Yvette, L'introduction du darwinisme en France au XIXe siècle, Paris, Librairie philosophique Vrin, J., 1974, 480 p.Google Scholar Le premier chapitre de ce travail est l'une des études les plus poussées des implications de la notion d'introduction. Yvette Conry arrive à la conclusion paradoxale selon laquelle le darwinisme n'a jamais été introduit en France au xixe siècle. La généralisation de tels constats de carence et d'incommunicabilité risquerait toutefois de laisser supposer une fermeture des paradigmes culturels.
2. Elle a fait en 1984-1985 l'objet d'un séminaire de recherche CNRS/ENS.
3. Voir Literatur im Epochenumbruch. Funktionen europàischer Literaturen im 18. und beginnenden 19. Jahrhundert,G. Klotz, W. SchrÔDer et P. Weber éds, Berlin-Weimar, 1977.
4. Morin, Edgar, Sociologie, Paris, Fayard, 1984, 464 p.Google Scholar (p. 341 ss).
5. Cette idée est déjà présente en germe dans les travaux de Jakob Burckhardt.
6. Il serait également intéressant d'analyser comment les différentes « cultures de la vie quotidienne », les cultures populaires, etc., qui, à l'époque, sont définies essentiellement sur un plan régional, voire local, se comportent vis-à-vis de l'expansion idéologique de la culture nationale et comment elles se situent par rapport aux limites nouvelles que celle-ci impose.
7. Cela ne veut pas dire que les cultures nationales aient assimilé des idées nationalistes virulentes. Nous observons simplement que le sentiment d'appartenance à une communauté nationale possédant une identité culturelle spécifique s'est substitué chez les acteurs culturels à la tradition des humanités. C'est à cette évolution que correspond en Allemagne la vision romantique de l'État-nation.
8. Blumenbero, Hans, Der Prozefi der theoretischen Neugierde, Francfort, Suhrkamp Verlag, 1973 (1966), 309 p.Google Scholar, a fourni un exemple classique de l'historisation de la perspective herméneutique. Sa faiblesse est de déconnecter l'histoire idéologique de l'histoire économique et sociale.
9. Petitmengin, Pierre, « Deux têtes de pont de la philologie allemande en France : le Thésaurus Linguae Graecaeet la Bibliothèque des auteurs grecs (1830-1867) », dans Philologie und Hermeneutik im 19. Jahrhundert 2, Bollack, Mayotte et Wismann, Heinz éds, Gôttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1983, 529 p.Google Scholar (pp. 76-98).
10. Voir par exemple la lettre à Cousin du 12 janvier 1836 ainsi qu'une autre non datée (sans doute de 1824) dans laquelle Brandis expose à Cousin ses objections contre la logique hégélienne (Bibliothèque Victor Cousin, Paris, Sorbonne, vol. 219, n° 901).
11. Lettre à Cousin du 21 mars 1828 (Bibliothèque Victor Cousin, Sorbonne) ; traduction française Saint-Hilaire, J. Barthélémy, M. Victor Cousin, sa vie et sa correspondance, Paris, 1895, t. I, p. 232 Google Scholar ss.
12. Les manuscrits de ces cours sont conservés à la bibliothèque de l'Ens.
13. Lettre du 23 mars 1823 (Bibliothèque Victor Cousin, Sorbonne).
14. Saint-Hilaire, J. Barthélémy, Victor Cousin, sa vie et sa correspondance, Paris, 1895, t. I, p. 337 Google Scholar.
15. Voir Bollack, Jean, « M. de W[ilamowitz]-M[oellendorff] (en France). Sur les limites de l'implantation d'une science », dans Wilamowitz nach 50 Jahren, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchges, 1985, 802 p.Google Scholar (pp. 468-512) ; Heinz Wismann, « Modus interpretandi. Analyse comparée des études platoniciennes en France et en Allemagne au 19e siècle », dans Philologie und Hermeneutik 2, op. cit.,pp. 490-512.
16. Nous empruntons à H. Wismann la théorie herméneutique de paradigmes culturels fondés sur des modes d'interprétation concurrents.
17. Koselleck, Reinhart, Kritik und Krise, Munich, Suhrkamp, 1959, 247 p.Google Scholar
18. Wachtel, Nathan, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, Paris, Gallimard, 1971, 399 p.Google Scholar ; cf. également” L'acculturation », dans Faire de l'histoire, Jacques LE Goff et Pierre Nora éds, Paris, Gallimard, t. I, 1974, 234 p. (pp. 124-146).
19. De Villers, Charles, Philosophie de Kant ou Principes fondamentaux de la philosophie transcendantale, 2 vols, Metz, 1801 Google Scholar.
20. Duchet, Michèle, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Maspéro, 1971, 567 p.Google Scholar
21. L'étude de cette mode allemande fait l'objet d'un travail en cours qui s'appuie sur les correspondances du graveur Jean-Georges Wille.
22. Pour des raisons pratiques, nous laissons de côté les tous premiers transferts franco-allemands qui datent du milieu du xvme siècle et qui répondent à une conjoncture différente. Nous empruntons nos informations sur l'introduction du kantisme en France à deux conférences encore inédites d'Alain Ruiz et de Pierre Macherey sur Kant et la révolution française (prononcées à l'ENS le 12 janvier 1985) ; voir également Alain Ruiz, « A l'aube du kantisme en France. Sieyès, Karl Friedrich Reinhard et le traité vers la paix perpétuelle (hiver 1795-1796) », dans Cahier d'études germaniques,1980, pp. 147-193.
23. Dans son ouvrage très largement documenté et très sensible aux besoins de la culture d'accueil, La crise allemande de la pensée française, 1870-1914(Paris, 1959), Claude Digeon simplifie beaucoup la période avant 1870 en la qualifiant globalement de « staëlienne ». Relevons également que la notion de « pensée française » est à notre sens trop coupée des conditions politiques, scientifiques, et en général culturelles de son expression.
24. Pierre Leroux, « Du cours de philosophie de Schelling », Revue indépendante,1843. Irrité par cette conjoncture française, Karl Marx a tenté d'inviter Feuerbach à démasquer Schelling.
25. Cf. Werner, Michaël, « A propos de la réception de Hegel et de Schelling en France pendant les années 1840. Contribution à une histoire sociale des transferts interculturels », dans De Lessing à Heine. Un siècle de relations littéraires et intellectuelles entre la France et l'Allemagne, Moes, Jean et Valentin, Jean-Marie éds, Paris, Didier, 1985, pp. 277–291 Google Scholar.
26. Voir Rms, Charles, L'école des jeunes hégéliens et les penseurs socialistes français, Paris, Anthropos, 1978, 655 p.Google Scholar Ce livre, qui donne une information très synthétique, doit cependant être utilisé avec prudence quant aux détails de la base documentaire.
27. Un commentaire des traductions de l'allemand par d'Holbach se trouve déjà Naville, chez Pierre, Paul Thiry d'Holbach et la philosophie scientifique au XVIIIe siècle, Paris, 1943 Google Scholar. Sur les mineurs allemands en France on peut encore consulter J. Mathorez, Les étrangers en France sous l'Ancien Régime,Paris, 1921.
28. Voir en particulier, Schieder, Wolfgang, Die Anfànge der deutschen Arbeiterbewegung. Die Auslandsvereine im Jahrzehnt nach der Julirevolution 1830, Stuttgart, Klett, 1963 Google Scholar. Jacques Grandjonc, « Les étrangers à Paris sous la monarchie de Juillet », Population. Revue de l'Institut national d'étude démographique,numéro spécial : Migrations,mars 1974, pp. 61-68. Id., Vorwàrts ! Marx et les communistes allemands à Paris, 1844,Paris, Maspero, 1974. Id., « Deutsche “Binnenwanderung” in Europa 1830 bis 1848 », dans Die frùhsozialistischen Blinde in der Geschichte der deuschen Arbeiterbewegung. Vom « Bund der Gerechten» zum « Bund der Kommunisten », 1836-1847,Berlin, 1975, pp. 3-20. Jacques Grandjonc, Michael Werner, Wolfgang Stràhls « Briefe eines Schweizers aus Paris» 1835. Zur Geschichte des Bundes der Geràchteten in der Schweiz und zur Rezeption Heines unter den deutschen Handwerkern in Paris, Trêves, 1973 (Schriften aus dem Karl-Marx-Haus 21).
29. La série F 7 des Archives nationales, pour la partie qui concerne les registres de passeports et les mouvements de voyageurs, permettrait une analyse statistique sur des échantillons chronologiques et servirait notamment à définir comment les relations culturelles se sont greffées sur des relations commerciales.
30. Certaines correspondances (Marie d'Agoult, Madame de Récamier, Edgard Quinet, Guizot, etc.) mériteraient d'être étudiées non pour les renseignements qu'elles livrent sur tel ou tel Allemand illustre, mais pour les réseaux de relations qu'elles esquissent.
31. Les relations entre pénétration économique et culturelle ont déjà été mises en valeur par Leroux, Alfred, La colonie germanique de Bordeaux, Bordeaux, 1913 Google Scholar. La compréhension qu'on en a s'affine à mesure que progressent les études sur le commerce bordelais. Voir Butel, Paul, Les négociants bordelais, l'Europe et les îles au XVIIIe siècle, Paris, Aubier, 1974, 431 p.Google Scholar, et les recherches en cours de Pierre Jeannin.
32. Delinière, J., K. F. Reinhard (1761-1837). Un intellectuel allemand au service de la France, thèse de doctorat d'État, Paris IV, 1983 Google Scholar.
33. Adolf Beck, « Zu Hôlderlins Rùckkehr von Bordeaux », dans Hôlderlin-Jahrbuch,1950, pp. 72-94.
34. Les libraires et les imprimeurs allemands ont joué un rôle important dans la diffusion de la culture allemande. L'étude de leurs activités (travail en cours d'Helga Jeanblanc) peut être conduite à partir de trois types de documents : — la BN a conservé une collection volumineuse des catalogues de librairies et de cabinets de lecture qui permet de se faire une idée précise de la diffusion du livre et des revues allemands en France ; — la série F 18 des Archives nationales (pour les libraires et les imprimeurs installés officiellement en France) ; — la Bibliographie de la France (pour la statistique des publications effectives, leur distribution chronologique, etc.). Voir la thèse de F. Barbier, Livre, économie et société industrielle en Allemagne et en France au xixe siècle (1840-1914),Univ. Paris IV, 1987.
35. Furet, François, « La naissance de l'histoire », dans François Furet, L'atelier de l'histoire, Paris, Flammarion, 1982, 316 p.Google Scholar (pp. 101-127).
36. Maurice Jacob, « Étude comparative des systèmes universitaires et place des études classiques au 19e siècle en Allemagne, en Belgique et en France », dans Philologie und Hermeneutik im 19 Jahrhundert 2, op. cit.,pp. 108-143.
37. On ne songera toutefois à rendre obligatoire l'enseignement des langues qu'à partir de 1838 et c'est en 1853 qu'apparurent les premières épreuves de langue au baccalauréat. L'agrégation de langue, créée en 1848, supprimée en 1852, ne fut rétablie qu'en 1864. Voir Lévy, Paul, La langue allemande en France, Paris, 1952 Google Scholar, complétée par Trouillet, Bernard, Das deutsch-franzôsische Verhàltnis im Spiegel von Kultur und Sprache, Francfort, 1981 Google Scholar. Ces ouvrages se contentent toutefois d'étudier le cadre juridique de l'enseignement et négligent d'observer son fonctionnement sur la base des archives.
38. On trouvera des indications sur l'itinéraire d'Alexandre Bùchner dans Pichois, Claude, L'image de Jean-Paul Richter dans la littérature française, Paris, Corti, J., 1963, 496 p.Google Scholar (pp. 309-348).
39. Sur Hillebrand, voir Bollack, Jean, « Critique allemande de l'université de France (Thiersch, Hahn, Hillebrand) », Revue d'Allemagne, 9, 1977, pp. 642–666 Google Scholar.
40. Notons qu'en Allemagne le passage des sciences concrètes (au pluriel, dans le sens de connaissances) à la notion abstraite de science et de scientificité s'opère au tournant du xvme siècle. Voir Wolfgang Hardtwig, « Die Verwissenschaftlichung der Historié und die Àsthetisierung der Darstellung », dans Koselleck, Reinhart, Lutz, Heinrich, Rusen, Jôrn éds, Formen der Geschichtsschreibung, Munich, 1982, pp. 147–191 Google Scholar.
41. Conférence de Philippe Régnier du 2 février 1985 à l'ENS, « Les saint-simoniens et la philosophie allemande » et conférence de Pierre Pénisson du 16 mars 1985, « La transmission de la philosophie de l'histoire de Herder en France ».
42. Recherche en cours de Philippe Régnier.
43. On pourrait aussi en attendre un renouvellement des réflexions sur la sacro-sainte notion d'auteur.
44. La correspondance de Wille est conservée aux Archives nationales ; son journal a fait l'objet d'une édition en deux volumes établie par Georges Duplessis (Paris, 1857).
45. Conservée à la Bibliothèque Victor Cousin, la correspondance générale de Victor Cousin, encore largement inédite, n'a jamais donné lieu aux études qu'elle mériterait.
46. Correspondance conservée à la Bibliothèque nationale.
47. Une recherche sur les activités politiques des premiers traducteurs de la philosophie allemande et leur fonction de médiateurs est menée par J.-P. Lefebvre.
48. Pour une rapide orientation sur les méthodes de la critique génétique, voir Essais de critique génétique,éditée par Louis Hay, Paris, Flammarion, 1979, 236 p. Littérature,28, 1977, numéro consacré à la « genèse du texte ». Leçons d'écriture. Ce que disent les manuscrits,Almuth GRÉSillon et Michaël Werner éds, Paris, Lettres modernes, 1985, 361 p.
49. Gilli, Marita, Georg Forster, L'oeuvre d'un penseur allemand réaliste et révolutionnaire (1754-1794), thèse Paris X, 1974 et Lille, Service de reproduction des thèses, 1975, 701 p.Google Scholar
50. François Furet, « De l'histoire-récit à l'histoire-probleme », dans Furet, F., L'atelier de l'histoire, Paris, Flammarion, 1982, 316 p.Google Scholar(pp. 73-90).
51. Pomian, Krzysztof, L'ordre du temps, Paris, Gallimard, 1984, 365 p.Google Scholar, fournit dans son étude théorique des rythmes, cycles et périodisations de l'historien de nombreux indices des parallélismes structurels entre le temps de l'historiographie et le temps de l'écriture. De même que la génétique ne fait pas disparaître le texte, de même « l'histoire-probleme » tend-elle à retrouver l'événement sous forme de rupture dans une courbe. 992
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- Cited by