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Hommes de religion et pouvoir dans la Tunisie de l'époque moderne

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

M.-H. Cherif*
Affiliation:
École normale supérieure, Tunis

Extract

L'Islam est à la fois religion et cité (din wa dawla). L'intrication intime du temporel et du spirituel est donc commune à toutes les sociétés qui le professent. C'est là un fait communément admis par ceux, historiens ou sociologues, qui ont étudié l'organisation politique et sociale musulmane. Quelle part de vérité cette constatation, appuyée sur l'étude des sources de la religion musulmane, valable au mieux pour les époques classiques de son histoire, recèle-t-elle, plus d'un millénaire après son apparition, et dans un secteur aussi éloigné du berceau de l'Islam que l'est le Maghreb ?.

Summary

Summary

That Islam is both dîn and dawla (religion and state) is a commonly held view. This notion, as applied to the case of XVIIth and XVIIIth century Tunisia, is discussed and partially refuted in this article, through the study of the relation of the state with the scholars, on the one hand, and the saints on the other.

Type
L'Islam et le Politique
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

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References

Notes

1. Peu après l'achèvement de cet article, a paru un ouvrage capital sur la question de l'islam — et de la société en général — dans le Maghreb de l'époque moderne : Berque, J., L'intérieur du Maghreb. XVe-XIX siècle, Paris, 1978 Google Scholar. Nos développements sur les phénomènes proprement religieux paraîtront bien légers et bien schématiques à côté de l'apport si riche de cet ouvrage auquel nous ne pouvons que renvoyer le lecteur en la matière. Mais l'essentiel de notre propos n'est pas là : ainsi que l'indique le titre de ce travail, nous nous préoccupons surtout des rapports entre le politique et le religieux, et là le champ est en friche… ou presque.

2. La présente étude se place dans le cadre d'une plus vaste enquête que nous menons sur les rapports de l'État et de la société dans la Tunisie précoloniale ; elle a déjà donné lieu à une thèse de doctorat d'État que nous avons soutenue devant l'université de Paris-Sorbonne, en juin 1979 : Pouvoir et société dans la Tunisie de H'usayn bin ‘Ali .

3. Il va de soi que la notion de « Moyen Age » n'a pas grande signification en histoire islamique. Il n'en reste pas moins que les débuts des temps modernes marquent une césure même dans les pays musulmans : les Tunisois l'ont bien senti, eux qui taxaient de « hafside » ce qui leur paraissait archaïque, d'un autre temps.

4. Bachrouch, T., Formation sociale barbaresque et pouvoir à Tunis au XVIIe siècle, Tunis, 1977 Google Scholar ; J. M. Abun-Nasr, « The beylicate in seventeenth-century Tunisia », International journal of Middle East studies, 6, 1975, pp. 70-93 ; Abdesselem, A., Les historiens tunisiens des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Essai d'histoire culturelle, Paris, 1973, pp. 2158 Google Scholar ; notre thèse, dactylographiée, déjà mentionnée.

5. Gardet, L., L'Islam, religion et communauté, Paris, 1970, pp. 287297 Google Scholar ; H. A. R. Gibb et Bowen, H., Islamic society and the West, Oxford Univ. Press, 1957, vol. I Google Scholar, part II, pp. 81-113 ; N. R. Keddie éd., Scholars, saints and sufis. Muslim religious institutions since 1500, Univ. of California Press, 1972, pp. I-14 ; enfin et surtout voir J. Berque, op. cit., pp. 126-127, 183-190, etc.

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8. Q. ‘AZ'Z'ÛM, Ajwiba (recueil de consultations juridiques) ; cf. J. Berque, op. cit., pp. 104-141. 9. KHÛJA, op. cit., pp. 167-305 ; A. Abdesselem, op. cit., pp. 38-53.

10. Les biographies des ‘ulama turcs du xvnc siècle fournissent d'amples détails sur le crédit politique (et les abus de pouvoir) de ces personnages, ainsi que sur les grandes richesses qu'ils accumulaient par toutes sortes de moyens.

11. AI.-Wazîr AI.-Sarrâj, Al-H'ulal al-sundûsiyya fî l-akhbàr al-tûnisiyya, Tunis, 1973, vol. II, lre partie, pp. 227-234, 309-312 ; H. KHÛJA, op. cit., pp. 172-174 et 181.

12. Voir à ce propos les travaux de Massignon, L. et en particulier : La passion d'al-Hallàj, martyr mystique de l'Islam, Paris, 2e édition, 1975 Google Scholar ; Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, 3e édition, 1968. Voir également, pour une vue plus rapide, Corbin, H., Histoire de la philosophie islamique, Paris, 1964 Google Scholar.

13. Il existe sur le sujet une abondante littérature datant surtout de l'époque coloniale. Nous nous contenterons de signaler les récentes mises au point que nous avons relevées dans Laroui, A., Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912), Paris, 1977, pp. 131 154 Google Scholar ; J. Berque, op. cit., pp. 53-61, 240-282… et bien d'autres passages de cet inépuisable ouvrage.

14. Gibb-Bowen, op. cit., t. II, pp. 196-203 ; N. R. Keddie, op. cit., pp. 3-5.

15. Cf. pour la Turquie, Gibb-Bowen, op. cit., pp. 185 et 201 et R. Mantran, Istanbul dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Paris, 1962, pp. 117-1 18 ; pour l'Egypte, voir A. Raymond, Artisans et commerçants du Caire au XVIIIe siècle, Damas, 1973, t. II, p. 434 ss.

16. A. Miquei., L'Islam et sa civilisation, VIIe-XXe siècle, Paris. 1965, p. 294 ss.

17. Nous songeons plus particulièrement à Xhinterland tribal et au triomphe des formes et « institutions » segmentaires dans ce monde.

19. E. Gellner, « Doctor and saint », dans N. R. Keddie éd., Scholars…, op. cit., 'pp. 325-326.

20. Geertz, C., Islam observed. Religion's development in Morocco and Indonesia, Chicago, Univ. of Chicago Press, 1971, p. 48.Google Scholar

21. E. Gellner, « Political and religious organization of the Berbers of the central High Atlas », dans E. Gellner et Micaud, C. éds., Arabs and Berbers, Londres, 1973, pp. 5966 Google Scholar.

22. L'omniprésence des marabouts — ou plutôt de leurs zaouïas — se révèle à la lecture des actes de propriété (dont un grand nombre repose dans les divers fonds d'archives des biens habous — de mainmorte) : la zaouïa est presque toujours là, soit comme bénéficiaire du habous, soit comme voisin du bien-fonds, ou encore comme élément signalétique.

23. Comme pour les ‘ ulamâ ‘, peu de grands noms de marabouts émergent de la sévère époque du xvie siècle, du moins à Tunis. Dans les campagnes, la situation doit être différente : notons la constitution de l'immense habous de Sîdî Mhaddab dans les steppes du centre du pays, au cours de la deuxième moitié du xvie siècle ; il s'agit d'une sorte de « fief », révélateur d'un climat d'insécurité et de repli.

24. AI.-WazîR, op. cit., t. II, lre partie, pp. 212-221.

25. Khûja, op. cit., pp. 287-302.

26. AI.-WazîR, op. cit., vol. III (manuscrit), f°s 160-162 ; IçHûja, pp. 130-133 ; A. Abdessei.EM, op. cit., pp. 45-46.

27. La politique mouradite d'encouragement au malikisme est présentée par R. Brunschvig : «Quelques remarques historiques sur les médersas de Tunisie», Revue tunisienne, t. II, 1931, pp. 261-285.

28. Les chroniqueurs lettrés, généralement liés au monde des ‘ulama et des notables, ignorent ces saints populaires ou n'évoquent que le cas de ceux qui ont « réussi » socialement. A l'exception de Bin Yûsuf, propriétaire de Béja et kouloughli éloigné du monde des ‘ulama , qui nous campe certains saints populaires — non sans quelque pointe de malice. Autrement précieuses sont les vies de saints — manâqib — relatées d'une façon candide par de pieux dévots : cf., dans le genre, M. bin Sâlah’ ‘îsâ al-Kinânî, Takmîl al-çulah'a wa l-a'yân li-ma'àlim al-imân fi awliyà’ l-qayrawàn , Tunis, 1970.

29. AI.-WazîR, op. cit., vol. II, 2e partie, f°s 135-136 (partie manuscrite).

30. Ramadhân bey (1696-1699) fit exécuter l'un des plus éminents «savants» de Tunis, Muh'ammad-H'ammûda Ftâta, et Murâd III (1699-1702) soumit les hautes autorités religieuses à rude épreuve, en les humiliant et en leur faisant avaliser ses capricieuses et sanglantes décisions. Ibrâhîm al-Sharîf ( 1702-1705) était un officier turc, soucieux de gagner les suffrages de la milice, mais peu ceux des hommes de religion.

31. Abun-Nasr, J. M., « Religion and politics in eighteenth-century Tunisia », Zeitschrift der deutschen Morgenldndischen Gesellschaft, supplément III, 1, Wiesbaden, 1977, pp. 304305 Google Scholar.

32. Archives nationales, Paris, A.E.B1 1127, lettres des 12-7, 9, 16 et 29-8-1708 ; AI.-Wazîr, op. cit., vol. III (manuscrit), f°s 150-151 ; BIN ‘ABD AI.-'aziîz, Al Kitâb al-bâshi (manuscrit Lammûshî), pp. 305-306.

33. Muh'ammad Bin YÛSuf, al-Mushra’ ul-mulki (mss), f°s 26 et 35.

34. Bin YûSuf, f°” 117-118.

35. A cette oeuvre de légitimation du pouvoir du bey H'usayn, est consacrée une bonne partie des ouvrages d'Al-Wazîr al-Sarrâj et de H'usayn Khûja, déjà cités, ainsi que le panégyrique de Muh'ammad Sa'âda, Qurrat ul-'ayn bi-dhâ'il al-malik H'usayn (mss de la BN de Tunis).

36. Gervais, Saint, Mémoires historiques…, Paris, 1736, p. 102 Google Scholar.

37. Bin Yûsuf, f°s 95-100 et 105-1 12 ; KHÛJA. pp. 257-260.

38. Archives nationales. Paris, A.E.B1 1130, 1. du 17-4-1724 et B’ 1133, 1. du 13-2-1731 et du 23-7-1731.

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40. Le nàsri ou aspre est une petite pièce de billon, qui constituait la cinquante-deuxième partie du ryâl (ou piastre) ou la trente-deuxième partie du dinar . Un litre de blé valait entre un demi-nâsrî et un nâsrî, à l'époque de H'usayn bin ‘Ali.

41. Bin “Abd AI.-'AZÎZ. op. cit., f° 502 ; Bin Dhyâf, Ith'àf…, t. IV, pp. 34-35.

42. Archives du Gouvernement tunisien (AGT), registre n° 3, pp. 174, 202, 210, etc.

43. Ces cadis, ainsi que les autres hommes de religion de quelque importance, avaient des biens au soleil, souvent assez étendus : c'est ce que nous apprennent les sources fiscales qui consignent les exemptions d'impôts dont jouissaient les hommes de religion.

44. AGT. reg. n° 3. pp. 174 et 202.

45. KHÛJA, p. 143.

46. AGT. reg. n° 3, p. 265.

47. Ihid., p. 206.

48. Nos comptes portent, à la date de 1710-1712, sur les seules dépenses effectuées par imputation directe sur les recettes des différentes régions et populations de province. Les opérations des caisses centrales ne nous sont pas connues à cette date.

49. AGT, reg. n° I 1, pp. 46-155 : comptes de la caisse centrale du Khaznudùr .

50. Archives nationales, Paris, A.E.B1 1130,1. du 27-4-1724 ; Saint Gervais, op. cit., p. 121.

51. Brunschvig, R., « Justice religieuse et justice laïque dans la Tunisie des deys et des beys au milieu du xixc siècle ». Études d'islamologie, Paris, 1976, t. IL pp. 219269 Google Scholar.

52. R. Brunschvig, art. cité, p. 230.

53. Bin Ycsuf, p. 96, et Saint Gervais, pp. 101-102.

54. Bin Yûsuf. p. 101.

55. Agt. reg. nos 3, 8, I I , 12 et 14.

56. Ibid., reg. n° 3, pp. 129-130 et n° 14, p. 69.

57. Khûja, pp. 303-305 ; Bin Yûsuf, p. 15.

58. Sarraj. vol. III (manuscrit), f° 162 ; KHÛJA, 132.

59. B. YÛSuf, p. 15.

60. AI.-WazÎR, t. Iii (mss), f°s 162-164, 168. 171… ; KHÛJA, pp. 117-159… ; par ailleurs, de multiples indications sur les travaux entrepris dans des zaouïas aux frais du beylik peuvent être relevées dans ses documents comptables (AGT, reg. nos 3, 8, 11, etc.).

61. KHÛJA. p. 286.

62. AGT, reg. n° 11. p. 81.

63. KHÛJA, pp. 236-237 et B. Yûsuf, pp. 100-105.

64. AGT. reg. n° 11. pp. 81-82.

65. KHûja. pp. 253-254 ; AGT, reg. n° 3, p. 154 et n° 1 I, pp. 77-78.

66. Ibid., reg. n° 14, p. 69. Rappelons que le traitement (râtib) annuel d'un cadi ne dépassait guère, à l'époque (1734-1735). 89 ryàl .

67. Ibid., reg. n° 11. p. 79.

68. Archives du ministère de la Guerre (Vincennes), Service historique. Tunisie, carton 29, dossier 10.

69. Khûja. p. 270.

70. AGT, reg. n° 12. p. 82.

71. AGT, reg. n° 12, p. 57.

72. L'ouvrage de J. Berque, signalé dès le début de ce travail, infirme en partie notre remarque ; il ouvre en tout cas une voie féconde.