Hostname: page-component-78c5997874-j824f Total loading time: 0 Render date: 2024-11-05T05:14:02.780Z Has data issue: false hasContentIssue false

Gouverner les eaux courantes en France au XIXe siècle

Administration, droits et savoirs

Published online by Cambridge University Press:  20 January 2017

Alice Ingold*
Affiliation:
EHESS-Centre de Recherches Historiques

Résumé

Cet article analyse comment s’élabore le gouvernement des eaux courantes dans la première moitié du XIXe siècle, en combinant leur inscription dans la catégorie des choses communes, une extension du droit de police de l’administration et des garanties nouvelles apportées aux usages. L’enquête porte sur la tentative des ingénieurs des Ponts et Chaussées de concevoir une « gestion intégrée » des eaux d’une vallée. Comment cette politique ouvret- elle une réflexion sur le droit qui pourrait la soutenir, sur le rôle de l’administration dans sa mise en oeuvre et sur les savoirs qui pourraient la fonder ? La conflictualité de cette politique est observée à partir de l’analyse d’une controverse scientifique et technique qui se déploie en Roussillon puis enrôle l’Académie des sciences et la Société centrale d’agriculture. On y observe comment l’administration tente de faire prévaloir une définition unifiée du cours d’eau, visant à la fois à hiérarchiser les différents acteurs d’un bassin, particulièrement les anciens usagers et les nouveaux entrants, et à défendre un espace d’intervention indépendant de celui de la justice. La mesure des eaux occupe une place centrale, au travers de la discussion de la notion de pénurie, et engage des conflits entre administration et justice pour la régulation des eaux. Les savoirs déployés par les ingénieurs, savoirs naturalistes et savoirs de la mesure, renvoient à leur capacité à rendre compatibles des usages, des pratiques et des savoirs concurrents de la rivière. Ils se heurtent en même temps à la capacité pratique du droit à trancher des conflits.

Abstract

Abstract

This article analyses how a government of running waters was constructed in France in the first half of the 19th century by declaring them a “common property”, regulated under the administration's police powers offering new guarantees for access and use. The investigation focuses on the attempt by state engineers to conceive an “integrated management” of the running waters of a whole valley. It opened up a reflection on the legal framework necessary, on the role of the state administration, and on the scientific knowledge it could be based on. Yet such a policy could but spark controversies, as in the Roussillon where a local dispute reached national proportions, with the interventions of the Académie des sciences and the Société centrale d’agriculture. State administrators pushed for a unified vision of rationalised management of the waters of the whole basin, with a hierarchy between old and new users, and tried to keep it outside of the judiciary's purview. Scientific knowledge, based on measure, was key in their argument: they claimed a better capacity especially to determine shortage, and thus to regulate water consumption between the many uses of the river. But the justice system proved much more apt to practically arbiter conflicts.

Type
Gouverner les resources
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2011

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

Footnotes

*

Je remercie Hélène Blais, Alain Mahé, Antonella Romano et Stéphane Van Damme pour leurs questions et commentaires, qui m’ont permis de préciser, élaguer ou clarifier des points de ce texte.

References

1- D’état, Conseil, Rapport public 2010. L’eau et son droit, Paris, La Documentation française, 2010, p. 44-48, 50-58 et 204214.Google Scholar

2- Bacquet, Jehan, Des biens qui n’appartiennent à personne(res nullius) et des biens dont l’usage est commun à tous les hommes (res communes), Paris, LGDJ, 1921;Google Scholar Chardeaux, Marie-Alice, Les choses communes, Paris, LGDJ, 2006.Google Scholar

3- Sur le renouvellement des agendas de recherche sur les communs, et les débats qui s’ouvrent sur les institutions et les règles de régulation qui leur seraient adaptées : Ingold, Alice, « Les sociétés d’irrigation : bien commun et action collective», Entreprises et Histoire, 50, 2008, p. 1935.CrossRefGoogle Scholar

4- Sur la filiation du droit de l’environnement avec le droit administratif, en se configurant comme un droit de police : Azimi, Vida, « Le préfet français, un protecteur ‘naturel’ de la nature ? », Jahrbuch für europäische Verwaltungsgeschichte, 11, 1999, p. 279306.Google Scholar

5- D’état, Conseil, Rapport public…, op. cit., p. 204214.Google Scholar Patrick Lavarde et Alexis Delaunay, « Science et élaboration du droit de l’eau », ibid., p. 537-549.

6- Jean-Louis Mestre, « Le renforcement des prérogatives de l’administration sous le Consulat et l’Empire », in Roussillon, H. (dir.), Mélanges offerts à Pierre Montané de la Roque, Toulouse, Presses de l’Institut d’études politiques, 1986, vol. 2, p. 607632;Google Scholar Mannori, Luca et Sordi, Bernardo, Storia del diritto amministrativo, Rome/Bari, Laterza, 2001, p. 250257.Google Scholar Pour l’étude des prérogatives de l’état dans les politiques de rationalisation urbaine et la « conquête du territoire » par le réseau ferré : Luigi Lacchè, L’espropriazione per pubblica utilità. Amministratori e proprietari nella Francia dell’Ottocento, Milan, A. Giuffrè, 1995 ; dans l’utilisation des forêts : Jean-Louis Mestre, « Les étapes et les objectifs du droit forestier du Moyen Âge au Code forestier de 1827 », Actualité juridique. Droit administratif, XXXV, 1979, p. 4-10, et dans celle du sous-sol : De Malafosse, Jehan, Le droit à la nature. Le droit de l’environnement, aménagement et protection, Paris, Montchrestien, 1973.Google Scholar

7- Mestre, Jean-Louis, « Les fondements historiques du droit administratif français », études et documents. Conseil d’état, 34, 1982-1983, p. 6380.Google Scholar

8- Parmi les travaux récents, je citerai ceux qui privilégient une approche institutionnelle : Margairaz, Dominique, « L’invention d’une catégorie administrative : la navigation intérieure, XVIIIe-XIXe siècles», Bibliothèque de l’école des Chartes, 166-1, 2008, p. 119144;Google Scholar thèse en cours d’éric Szulman sous sa direction pour une histoire globale de la politique de navigation intérieure en France de Colbert à la Révolution. Sur la place des ressources de l’environnement, et notamment des eaux, dans l’émergence d’un discours sur la « propriété publique » à partir du cas de la Russie à la charnière entre XIXe et XXe siècles : Ekaterina Pravilova, « Les res publicae russes. Discours sur la propriété publique à la fin de l’Empire », Annales HSS, 64-3, 2009, p. 579-609. Elle y envisage le « bien commun » au prisme de la seule propriété publique, et de la distinction entre état propriétaire et état gestionnaire.

9- Saluons le travail de Serge BenoÎT, « L’usage énergétique de l’eau : droit et pratique révolutionnaire », in Corvol, A. (dir.), La nature en révolution, 1750-1800, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 4658;Google Scholar et la thèse de géographie de Jean-Paul Haghe, « Les eaux courantes et l’état en France (1789-1919). Du contrôle institutionnel à la fétichisation marchande », thèse, EHESS, 1998.

10- C’est ce qui explique l’importance, et la dimension conflictuelle, des opérations de classification des cours d’eau, qui ont lieu dans différents pays européens dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sur les enjeux de ces inventaires et cartographies deseaux, à partir du cas italien : Alice INGOLD, « Cartografare le acque come risorse ‘naturali’ nell’Ottocento. La Carta Idrografica d’Italia e gli ingegneri delle miniere », Contemporanea, 1, 2010, p. 3-26 ; Id., « Cartographier pour naturaliser au XIXe siècle. Les ingénieurs des mines et la Carte hydrographique d’Italie », in Laborier, P. et al. (dir.), Les sciences camérales. Activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, PUF, 2011 Google Scholar (à paraître).

11- Lascoumes, Pierre, L’éco-pouvoir. Environnement et politiques. Les associations au risque de la démocratie participative, Paris, La Découverte, 1994;Google Scholar Latour, Bruno, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La Découverte, 1999;Google Scholar Callon, Michel, Lascoumes, Pierre et Barthe, Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001;Google Scholar Bourg, Dominique et Whiteside, Kerry, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, Paris, Le Seuil, 2010.Google Scholar

12- Joseph, Isaac, Météor. Les métamorphoses du métro, Paris, Economica, 2004,Google Scholar particulièrement chap. 2 ; Laurent DE SUTTER et Serge GUTWIRTH, « Droit et cosmopolitique. Notes sur la contribution de Bruno Latour à la pensée du droit », Droit et Société, 56- 57, 2004, p. 259-289 ; Bruno Bernardi, « L’opposition entre représentation et participation est-elle bien formée ? », 2008 : http://www.laviedesidees.fr/L-opposition-entre- representation.html.

13- Parmi ses nombreux écrits : Lefort, Claude, écrire à l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Lévy, 1992, p. 349.Google Scholar

14- Alice Ingold, « To historicize or naturalize nature: Hydraulic communities and administrative states in nineteenth-century Europe », French Historical Studies, 32-3, 2009, p. 385-417. Sur la naturalisation de la catégorie de « ressource » et la construction d’une « histoire naturelle » des cours d’eau : Id., « Cartografare le acque… », art. cit. ; Id., « Cartographier pour naturaliser… », art. cit.

15- Pour la France, j’ai recensé, portant spécifiquement sur les eaux courantes, une vingtaine de traités juridiques, plus de vingt thèses de droit soutenues à partir de 1866 et jusqu’au lendemain de la loi du 8 avril 1898, sans compter les développements dans les traités administratifs et les revues juridiques.

16- R.Kelley, Donald et G. Smith, Bonnie, « What was property? Legal dimensions of the social question en France (1789-1848) », Proceedings of the American Philosophical Society, 128-3, 1984, p. 200230.Google Scholar

17- Thèse soutenue par Proudhon, Jean-Baptiste-Victor, Traité du domaine public, ou de la Distinction des biens considérés principalement par rapport au domaine public, Dijon, V. Lagier, 1833 Google Scholar, et Rives, Armand, De la propriété du cours et du lit des rivières non navigables et non flottables, Paris, Firmin Didot frères, 1844.Google Scholar

18- Thèse soutenue notamment par Alfred DAVIEL, Traité de la législation et de la pratique des cours d’eau, Paris, C. Hingray libraire-éditeur, [1836] 1845 ; Paul LUCASCHAMPIONNIèRE, De la propriété des eaux courantes, du droit des riverains et de la valeur actuelle des concessions féodales, ouvrage contenant l’exposé complet des institutions seigneuriales, Paris, C. Hingray, 1846 ; Raymond-Théodore TROPLONG, De la prescription ou commentaire du titre XX, livre III du Code civil, Bruxelles, Société typographique belge, 1846.

19- Thèse soutenue notamment par M.DOYAT, « Mémoire sur la législation et la jurisprudence des cours d’eau non navigables ni flottables », Annales des Ponts et Chaussées, 326, 1837, p. 272-333 ; Lahaye Cormenin, Louis-Marie De, Droit administratif, Paris, Pagnerre, [1822] 1840;Google Scholar François-Xavier-Paul Garnier, Régime des eaux ou traité des eaux de la mer, des fleuves, rivières navigables et flottables, Paris, chez l’éditeur, 1851.

20- Thèse soutenue par les ingénieurs Jean-BernardTarbé Devauxclairs, Dictionnaire des travaux publics, civils, militaires et maritimes considérés dans leurs rapports avec la législation, l’administration et la jurisprudence, Paris, Carillan-Goeury, 1835 ; Nadault de Buffon, Benjamin, Des usines sur les cours d’eau, développements sur les lois et règlements qui régissent cette matière, à l’usage des fonctionnaires de l’ordre administratif et judiciaire ; des ingénieurs, des avocats, architectes et experts ; des propriétaires d’usines et des propriétaires riverains, Paris, Carillan-Goeury et Victor Dalmont, 1840-1841.Google Scholar

21- Alfred Picard, Traité des eaux, droit et administration, Paris, J. Rothschild, 1890-1895 ; Id., « Régime des eaux », Répertoire de droit administratif fondé en 1882 par M. Léon Béquet, Paris, Paul Dupont, 1897, p. 29-384 ; Paul FABREGUETTES, Traité des eaux publiques et des eaux privées, Paris, F. Pichon et Durand-Auzias, 1911 ; Albert TROTé, Traité des eaux non domaniales. La législation et l’action administrative, Paris, Imprimerie nationale, 1947-1952 ; Jean-Louis GAZZANIGA, Jean-Paul OURLIAC et Xavier LARROUY-CASTERA, L’eau, usages et gestion. Politique de l’eau, régime juridique, SDAGE et SAGE, police de l’eau, eau potable et assainissement, irrigation, énergie hydraulique, inondations, pollutions, Paris, Litec, 1998.

22- B. NADAULT DE BUFFON, Des usines sur les cours d’eau…, op. cit.

23- François-Pierre-Hardouin TARBé DE Saint-Hardouin, Notices biographiques sur les ingénieurs des Ponts et Chaussées, depuis la création du corps, en 1716, jusqu’à nos jours, Paris, Baudry, 1884, p. 243-244. Jean-Paul HAGHE et Bernard Barraqué, « Un ingénieur des Ponts et Chaussées hydraulicien : Nadault de Buffon (1804-1880) », communication au colloque international Phi-UNESCO-H2O-Histoire de l’hydrologie, Dijon, 9-11 mai 2001, repris dans Bernard BARRAQUé, « Aux origines du Génie rural et du droit moderne des cours d’eau : Benjamin Nadault de Buffon (1804-1880) », Pour mémoire. Revue du Comité d’histoire, 4, 2008, p. 26-47.

24- Dufour, Gabriel-Michel, Traité général de droit administratif appliqué, Paris, Delamotte aîné, 1843, vol.I, p. 10.Google Scholar

25- L’affirmation du principe régulateur de « libre écoulement des eaux » mettait aux prises une force agrarienne et un courant industrialiste : S. BenoÎT, « L’usage énergé- tique… », op. cit.

26- Alice Ingold, « Conflits sur les eaux courantes en France au XIXe siècle entre administration et justice. De l’enchevêtrement des droits et des savoirs experts », in Dubouloz, J. et Ingold, A. (dir.), Faire la preuve de la propriété. Droits et savoirs en Méditerranée (Antiquité-Temps modernes), Rome, école française de Rome, 2011 (à paraître).Google Scholar

27- La similitude de cet article du Code civil avec des dispositions de coutumes régionales comme en Normandie ou en Nivernais a déjà été soulignée : J.-L. Gazzaniga, J.-P. Ourliac et X.Larrouy-Castera, L’eau, usages et gestion…, op. cit.

28- Analyse des observations des tribunaux d’appel et du tribunal de cassation sur le projet de Code civil, rapprochées du texte, Paris, Imp. de Ve Hérault, 1802, p. 401 (Limoges) et 402 (Lyon).Google Scholar

29- Assier-Andrieu, Louis, Le peuple et la loi. Anthropologie historique des droits paysans en Catalogne française, Paris, LGDJ, 1986, p. 97114.Google Scholar

30- Article 645 du Code civil : « S’il s’élève une contestation entre les propriétaires auxquels les eaux peuvent être utiles, les tribunaux, en prononçant, doivent concilier l’intérêt de l’agriculture avec le respect dû à la propriété ; et dans tous les cas, les règlements particuliers et locaux sur le cours et l’usage des eaux doivent être observés. »

31- Analyse des observations des tribunaux…, op. cit., p. 403. C’est moi qui souligne.

32- Aberdam, Serge, Aux origines du Code rural : 1789-1900, un siècle de débat, Nantes/ Paris, INRA/S. Aberdam, 1982;Google Scholar Igor Moullier, « Le ministère de l’Intérieur sous le Consulat et le Premier Empire (1799-1814). Gouverner la France après le 18 brumaire », thèse de l’université de Lille 3, 2004, chap. 11, «La police rurale ».

33- Joseph Deverneilh-Puyraseau, Observations des commissions consultatives sur le Projet de Code rural, recueillies, mises en ordre et analysées, avec un plan de révision du même projet… par M. Deverneilh, vol. 3, Analyse raisonnée, précédée de plusieurs mémoires particuliers adressés au Ministre, Paris, Imprimerie impériale, 1810-1814, p. 638 ; Louis RIBES, « Lois et usages sur les cours d’eau servant à l’irrigation des terres et au mouvement des usines dans le Département des Pyrénées-Orientales », in J. DE Verneilh-Puyraseau, Obser- vations des commissions…, op. cit., p. 638-678.

34- Cass. req. 10 avril 1838 : tenanciers de Caramany c. tenanciers de Rivesaltes et autres.

35- Vigan, M., « études sur les irrigations des Pyrénées orientales, et en particulier sur le phénomène, dit de la reproduction des eaux observé dans la vallée de la Têt », Annales des Ponts et Chaussées, 1866, p. 314372.Google Scholar Cette étude, fondée sur les opérations de jaugeages menées entre 1858 et 1861, constituait jusqu’à présent la seule version connue de la théorie, avant la découverte du manuscrit inédit dans les archives de l’Académie des sciences.

36- Pour une première présentation de ce corpus de « voyages hydrauliques », voir A. INGOLD, « To historicize or naturalize nature… », art. cit. La fortune exceptionnelle de cette théorie conduit jusqu’à sa reformulation dans des débats contemporains sur la capacité de rechargement des nappes et de restitution au milieu des irrigations gravitaires : Riaux, Jeanne, « ‘La reproduction des eaux par les arrosages’, historique et actualité d’une théorie », Conserveries mémorielles, 2, 2007, p. 117:Google Scholar http://cm.revues.org/61.

37- L. Assier-ANDRIEU, Le peuple et la loi…, op. cit., repris chez J.-P. HAGHE, « Les eaux courantes et l’état… », op. cit. ; J.RIAUX, « ‘La reproduction des eaux…’ », art. cit.

38- Je renvoie à une publication prochaine une analyse comparée des associations syndicales et de leur réforme, dans plusieurs pays d’Europe au cours des années 1860-1890, sous une tutelle administrative toujours plus étroite. Pour de premières analyses sur la réforme conflictuelle de ces associations en milieu urbain : Ingold, Alice, Négocier la ville. Projet urbain, société et fascisme à Milan, Paris, éd. de l’EHESS, 2003, chap. 4.Google Scholar

39- Dans son étude de l’association de Prades, Thierry RUF, « Droits d’eau et institutions communautaires dans les Pyrénées-Orientales. Les tenanciers des canaux de Prades (XIVe-XXe siècle) », Histoire et Sociétés Rurales, 16, 2001, p. 11-44, opte pour une reconstruction généalogique des droits d’eau, au risque cependant de ne pas mettre au jour les moments d’écriture de cette mémoire, ni ceux de transformations matérielles des canaux et institutionnelle du syndicat. Il a conduit son étude dans un dialogue avec les travaux d’Elinor Ostrom, qui ont contribué à reconsidérer les territoires de longue tradition hydraulique comme des exemples de réussite durable de gestion d’une ressource par des communautés locales, et comme des « alternatives empiriques » à la « tragédie des communs » (A. Ingold, « Les sociétés d’irrigation… », art. cit.). C’est ce qui explique que son enquête tende à envisager l’état comme une entité homogène, sans prendre en compte ce noeud de conflits entre autorité administrative et autorité judiciaire, pourtant essentiel à cette période.

40- Archives de l’Association syndicale de Prades (dorénavant AS Prades), Registre des délibérations des tenanciers (1773-1864), assemblée générale du 20 juin 1830.

41- Mémoire pour les sieurs Romeu, Tolra, Felip, Clastres et Selva, propriétaires, domiciliés à Prades, assignés tant en leur nom, qu’en qualité de syndics des propriétaires intéressés au prolongement du canal d’arrosage, dit ruisseau de Dalt, intimés ; contre la ville de Perpignan, appelante, Montpellier, Imprimerie de L. Cristin, s. d. [1847], p. 148.Google Scholar

42- Archives de l’Académie des sciences, Mémoire de M. Felip, Observations sur la reproduction des eaux par l’effet des irrigations dans le département des Pyrénées Orientales, adjoint au procès-verbal de la séance du 9 janvier 1843.

43- AS Prades, Délibérations des tenanciers 1773-1864, assemblée générale du 5 septembre 1819, et Délibérations et conventions du canal de Baix et Dalt, assemblée générale du 15 avril 1849. Les « auditeurs des comptes », au nombre de trois pour le canal de Prades, sont chargés de veiller au recouvrement des contributions que chaque tenancier doit verser au « receveur » de l’association syndicale.

44- Il s’agit de l’extension de Peyrefitte réalisée en 1819 et de celle dite de la Branche nouvelle en 1839, qui sera elle-même étendue encore en 1869. L’utilisation des eaux supplémentaires portées par le canal pour une extension du périmètre irrigué s’inscrit dans des litiges avec des usiniers, qui auraient souhaité utiliser le surplus d’eau ; je ne peux m’y arrêter ici.

45- AS Prades, Registre des Règlements, rapport sur la confection du Règlement pour la distribution de l’eau des canaux d’arrosage des terroirs de Prades, Codalet et Ria, 19 janvier 1829 et registre des mandats de l’an IX au 4 mars 1855 : en 1831, une dépense extraordinaire est votée pour indemniser le travail de Felip à hauteur de 500 F. Par comparaison, le salaire annuel du bannier, ou garde-vanne du canal, est de 540 F cette même année.

46- Archives départementales des Pyrénées-Orientales (dorénavant ADPO), 14SP 159, assemblée générale de la Branche nouvelle du 26 janvier 1840.

47- AS Prades, documents non classés, lettre de Felip au sous-préfet de l’arrondisse- ment de Prades, 13 octobre 1843. 48 - ADPO, 1933W180, lettre du préfet au procureur général de la cour de Montpellier, 12 juin 1847.

49- Sur le rôle de l’Académie comme « tribunal de la science », voir Maurice CROSLAND, Science under control: The French Academy of Science 1795-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1992 ; Hughes CHABOT, « Enquête historique sur les savoirs scientifiques rejetés à l’aube du positivisme 1750-1835 », thèse de l’université de Nantes, 1999.

50- Archives de l’Académie des sciences, Mémoire de M. Felip, Observations…, op. cit.

51- Sur le registre manuscrit des envois à l’Académie, le nom d’Arago a été ajouté. L’hypothèse est confirmée par la publication des Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, XVI, 1843, p. 8081 Google Scholar, qui indique une commission formée par élie de Beaumont, Jean-Baptiste Boussingault et Adrien de Gasparin.

52- Mcphee, Peter, Les semailles de la République dans les Pyrénées-Orientales, 1846-1852. Classes sociales, culture et politique, Perpignan, Publ. de l’Olivier, 1995;Google Scholar Gérard BONET, L’Indépendant des Pyrénées-Orientales. Un siècle d’histoire d’un quotidien 1846-1950 : l’entreprise, le journal, la politique, Perpignan, Publ. de l’Olivier, 2004.

53- Cass. req. 10 avril 1838, tenanciers de Caramany c. tenanciers de Rivesaltes et autres ; Henry BATAILLE, Le régime des eaux dans le département des Pyrénées-Orientales, Montpellier, Imprimerie du Progrès, 1932.

54- André-Jean Tudesq, « Parlement et administration sous la monarchie de Juillet », in Bruguière, M. et al., Administration et Parlement depuis 1815, Paris/Genève, Champion/ Droz, 1982.Google Scholar

55- Les termes de concession et de concessionnaire, bien qu’ils soient fréquemment employés dans les archives, sont impropres puisqu’ils renvoient aux eaux du domaine public, il s’agit d’autorisation de dérivation et de permissionnaire.

56- Archives nationales, dorénavant AN, F10 3555, lettres des frères Escanyé au préfet, 20 février et 2 mai 1842.

57- AN, F10 3555, rapport de la commission d’enquête pour utilité publique, 1847.

58- Ibid.

59- Laurent GRAU, « Aspects de la notabilité ‘politique’ en Roussillon sous la monarchie de Juillet (1830-1848) », mémoire de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, 1984.

60- Antoine Tastu, né à Perpignan en 1818, est en poste dans les Pyrénées-Orientales dès sa seconde année d’affectation en 1840. Il choisit d’y faire l’ensemble de sa carrière, en dehors d’une année passée en Lozère en 1865, au prix de certaines lenteurs dans son avancement (AN, F14 2328). Devenu ingénieur en chef, il présidera à la politique hydraulique du département sous l’Empire et la IIIe République.

61- AN, F10 3555, pétition des habitants d’Escaro, 2 avril 1846 et lettre du sous-préfet de l’arrondissement de Prades au préfet des Pyrénées-Orientales, 8 septembre 1848.

62- ADPO, 14SP 173, lettres de Jean-Jacques Escanyé au préfet, 23 novembre 1844 et 3 janvier 1846. César Escanyé est maître des forges à Nyer, Jean-Jacques notaire à Vinça. C’est le troisième frère, Ferdinand, officier d’état-major, qui a joué un rôle d’intermédiaire avec le préfet. Il a été député de l’arrondissement de Prades de 1831 à 1834 et, bien que proche de la gauche, il ne participa pas aux menées d’opposition au gouvernement exercées par la Chambre.

63- Mémoires d’agriculture, d’économie rurale et domestique, année 1848-1849, partie II, p. 477 et 488.

64- Après des études de droit à Paris, Jaubert de Passa fait une carrière administrative locale, essentiellement sous la Restauration, mais continue malgré les changements de régime : sous-préfet à Perpignan de 1813 à 1815, conseiller de préfecture de 1815 à 1822, il est élu au conseil général de 1830 à 1845 et de 1848 à sa mort en 1856. Ce notable local, qualifié de légitimiste, membre de nombreuses sociétés savantes, est un acteur engagé directement dans la gestion des eaux, au travers de ses propriétés agricoles et des associations syndicales d’arrosage dont il fait partie. Jacques SAQUER, « François Jaubert de Passa (1785-1856). Pour une nouvelle approche d’un grand méconnu de l’histoire roussillonnaise », Bulletin de la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées Orientales, 93, 1985, p. 43-72.

65- Jaubert De Passa, François-Jacques, Mémoire sur les cours d’eau et les canaux d’arrosage des Pyrénées-Orientales, Paris, impr. de Mme Huzard, 1821.Google Scholar

66- Jaubert De Passa, François-Jacques, Voyage en Espagne dans les années 1816, 1817, 1818, 1819 ou Recherches sur les arrosages, sur les lois et coutumes qui les régissent, sur les lois domaniales et municipales, considérées comme un puissant moyen de perfectionner l’agriculture française. Précédé du rapport fait à la société royale et centrale d’agriculture, Paris, impr. de Mme Huzard, 1823;Google Scholar Jaubert De Passa, François-Jacques, Recherches sur les arrosages chez les peuples anciens, Paris, Vve Bouchard-Huzard, 1846-1847.Google Scholar

67- A. INGOLD, « To historicize or naturalize nature… », art. cit.

68- Cette interprétation a notamment été relayée par les premières thèses académiques du début du XXe siècle, qui ont trouvé dans cette littérature une somme d’archives, de documents, de traductions et d’observations leur ayant servi de matériel, comme celle de Bruhnes, Jean, étude de géographie humaine. L’irrigation, ses conditions géographiques, ses modes et son organisation dans la péninsule ibérique et dans l’Afrique du Nord, Paris, C. Naud, 1902.Google Scholar

69- Jaubert De Passa, F.-J., Recherches sur les arrosages…, op. cit., vol. 2, p. 299.Google Scholar

70- Jalabert, François, Géographie du département des Pyrénées-Orientales, Perpignan, A. Tastu, 1819;Google Scholar Antoine Jaubert-Campagne, De l’arrosage dans le département des Pyrénées orientales et des droits des arrosants sur les eaux, Paris, impr. deMme Huzard, 1848 ; Maxence Pratx, « Le régime des eaux en Roussillon », Bulletin de la Société Agricole, Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales, XVIL, 1903, p. 115-200 ; H.BATAILLE, Le régime des eaux…, op. cit. Pour leur analyse : A. Ingold, « To historicize or naturalize nature… », art. cit.

71- ADPO, 1 N 20, séance du 2 décembre 1848 du conseil général des Pyrénées- Orientales. La mémoire de cet épisode s’appuie sur les écrits de Jaubert de Passa, qui avait salué Ribes et les magistrats de Montpellier : Jaubert De Passa, F.-J., Mémoire sur les cours d’eau…, op. cit., p. 262:Google Scholar « l’article 644 de ce code était l’ouvrage du droit français, l’article 645 fut celui du jurisconsulte catalan ».

72- Jaubert De Passa, F.-J., Mémoire sur les cours d’eau…, op. cit., p. 301.Google Scholar

73- Macherey, Pierre, « Aux sources des rapports sociaux : Bonald, Saint-Simon, Guizot », Genèses,9, 1992, p. 2543.CrossRefGoogle Scholar Analyse reprise et développée par Bruno Karsenti, « Autorité, société, pouvoir : la science sociale selon Bonald », in Kaufmann, L. et guilhaumou, J. (dir.), L’invention de la société, Paris, éd. de l’EHESS, 2003, p. 261285.Google Scholar

74- AN, F10 3555, mémoire des frères Escanyé au préfet, 20 mars 1845, et pétition des habitants d’Escaro au ministre des Travaux publics, 2 avril 1846. Les nouveaux entrants au partage de l’eau disqualifieront politiquement ces communautés d’irrigants, en les renvoyant à cette dimension de « corporations ».

75- Pour une analyse des rapports ambivalents entre état et communautés d’irrigants : A. INGOLD, « To historicize or naturalize nature… », art. cit. Mes enquêtes en cours sur les associations syndicales (note 38) se rattachent aux travaux récents interrogeant la place des « corps intermédiaires » dans l’histoire des états du XIXe siècle : L.Kaplan, Steven et Minard, Philippe (dir.), La France, malade du corporatisme ? XVIIIe-XXe siècles, Paris, Belin, 2004;Google Scholar Rosanvallon, Pierre, Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2004.Google Scholar

76- AN, F10 3555, mémoire des frères Escanyé au préfet, 20 mars 1845.

77- Ibid.

78- AN, F10 3555, lettre des frères Escanyé au préfet, 20 février 1842.

79- Ribes, L., Lois et usages…, op. cit., p. 678.Google Scholar

80- Jaubert-Campagne, A., De l’arrosage…, op. cit., p. 61.Google Scholar

81- Ribes, L., Lois et usages…, op. cit., p. 641.Google Scholar

82- Jaubert-Campagne, A., De l’arrosage…, op. cit., p. 61.Google Scholar

83- Cette lecture en termes de violences hydrauliques est adoptée par l’historien Michel Brunet, qui considère que la « dimension symbolique de l’affrontement [pour l’eau] l’emporte largement sur le partage contesté des ressources naturelles » : Brunet, Michel, Les pouvoirs au village. Aspects de la vie quotidienne dans le Roussillon du XVIIIe siècle, Perpignan, Llibres del trabucaïre, 1998, p. 136;Google Scholar Id., « La guerre de l’eau (du milieu du XVIIe au milieu du XIXe siècle) », in N. BROC et al. (dir.), De l’eau et des hommes en terre catalane, Perpignan, Llibres del trabucaïre, 1981, p. 111-165 ; Id., Le Roussillon. Une société contre l’état, 1780-1820, Perpignan, Llibres del trabucaïre, [1986] 1990 ; Id., « À propos de T.Ruf, ‘Droits d’eau et institutions…’ », art. cit.

84- M. Pratx, «Le régime des eaux… », art. cit., p. 123.

85- Ribes, L., Lois et usages…, op. cit., p. 664.Google Scholar

86- Ibid., p. 663. C’est lui qui souligne.

87- Sur les débats autour des formes expertes et des savoirs ordinaires pour la mesure de l’eau : A. INGOLD, « To historicize or naturalize nature… », art. cit.

88- Ribes, L., Lois et usages…, op. cit., p. 678.Google Scholar

89- AN, F10 3555, mémoire de la ville de Perpignan au préfet, 17 janvier 1846.

90- AN, F10 3555, lettre des frères Escanyé au préfet, 20 février 1842 et pétition des habitants d’Escaro au ministre des Travaux publics, 2 avril 1846.

91- ADPO, 14SP 303, lettre du maire de Caramany au préfet, 3 mars 1815.

92- AN, F10 3555, mémoire de la ville de Perpignan au préfet, 17 janvier 1846.

93- AN, F10 3555, mémoire de la ville de Perpignan au préfet, 19 avril 1845.

94- AN, F10 3555, rapport de la commission d’enquête pour utilité publique, 1847.

95- Archives de l’Académie des sciences, Mémoire de M. Felip, Observations…, op. cit.

96- AN, F10 3555, lettre des frères Escanyé au préfet, 20 février 1842.

97- A. Jaubert-Campagne, De l’arrosage…, op. cit., p. 59.

98- Au regard de la situation italienne : Conte, Emanuele, « Il diritto delle acque tra antico regime e codificazioni moderne », Acqua agricoltura ambiente. Atti del Convegno, Siena 24-25 novembre 2000, Milan, A. Giuffré, 2002, p. 1132.Google Scholar

99- Koechlin, H.-François, Compétence administrative et judiciaire de 1800 à 1830. étude de jurisprudence, Paris, Rousseau, 1950, p. 133138.Google Scholar

100- AN, F10 3555, rapport de l’ingénieur ordinaire Tastu pour le canal de Nyer, 25 juillet 1845.

101- ADPO, 14SP 219 et AN, F10 3566, le modèle de cette répartition est donné par une « règle » attribuant un volume fixe à chaque prise d’eau selon ses besoins, c’est-àdire ici le périmètre irrigué. Cette « règle » du demi-litre par hectare sera adoptée dans l’ensemble du département pour les nouvelles prises d’eau, tout en suscitant un grand nombre de débats et de comparaisons avec d’autres irrigations méditerranéennes.

102- AN, F10 3555, lettre des frères Escanyé au préfet, 13 septembre 1844.

103- AN, F10 3555, rapports de l’ingénieur ordinaire Tastu, 26 avril 1848 et AN, F10 3552, 14 décembre 1848.

104- Jean-Laurent ROSENTHAL, The fruits of Revolution: Property rights, litigation, and French agriculture, 1700-1860, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. Sur la mise en place par l’état d’une forme de pédagogie de l’action collective avec la loi de 1807 sur le dessèchement des marais : Marcel RONCAYOLO, « Le droit et son application : propriété, intérêt public, urbanisme après la Révolution. Les avatars de la législation impériale », Annales de la recherche urbaine, 43, 1989, p. 85-94 ; A. INGOLD, « Les sociétés d’irrigation… », art. cit.

105- Projets présentés dans les Pyrénées-Orientales en 1846 à l’initiative de l’ingénieur ordinaire Tastu. Numa BROC, « L’hydraulique agricole en Roussillon : aspects histori- ques », Bulletin de la société languedocienne de géographie, 14, 2-3, 1980, p. 299-323.

106- Jaubert-Campagne, A., De l’arrosage…, op. cit., p. 71.Google Scholar

107- White, Richard, The organic machine: The remaking of the Columbia River, New York, Hill and Wang, 1995, p. 110113.Google Scholar