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Published online by Cambridge University Press: 25 May 2018
Ce qu'il y a de commun entre tous les fondements, c'est d'être le premier à partir duquel il y a soit de l'être, soit du devenir, soit de la connaissance (Aristote, Métaphysique, Δ 1, 1013a).
Je voudrais soumettre à l'attention du lecteur certaines observations que j'ai été amené à développer à propos des procédures rituelles auxquelles j'ai assisté comme ethnographe en Mélanésie. Mon intention est de compléter et d'élargir ainsi l'analyse à laquelle j'ai soumis ces procédures dans un ouvrage consacré aux rites funéraires des Fataleka, un groupe d'environ 4 000 personnes, localisé dans le nord de Malaita, aux îles Salomon.
J'ai déjà eu l'occasion de présenter et d'interroger cette culture traditionnelle dans quelques articles. Deux en particulier s'efforçaient de définir certains éléments symboliques que cet article reprend et développe. L'un était consacré à ce qu'on pourrait appeler « le paradigme de l'altérité », s'agissant d'une description et d'une interprétation des pratiques cannibales (aujourd'hui disparues) inhérentes, dans cette culture du moins, au travail rituel rattaché au culte des morts. Pour les conclusions provisoires auxquelles j'avais abouti, je renvoie le lecteur à ce texte.
Theories of ritual exist: Durkheim, Mauss, Hocart, Van Gennep. But their explanations are based upon a priori descriptions which are either weak or inadequate. Before interpreting a ritual, a valid approach must befound. Having put forth this observation and made this reservation, the author enters into a description of rituals belonging to an archaic culture which, acting in a context of the ancestral dead, accomplishes these rituals and thinks in terms of them.
First, the author examines the categories of the empirical word and action (speaking, proclaiming, acting, causing) in contrast to the single category of the ritual Word and Act. He then proposes a reading of propitiary and expiatory rites which concludes with a presentation of the forces implicit in these processes. The article ends with a study of the symbolic necessity of the notions contained in the relations between the sexes and the rapport with the dead: impure, not impure, sacred.
Une première version de ce texte a été présentée en mars 1974 au Séminaire dirigé par MM. Marcel Détienne, J.-P. Vernant, P. Vidal-Naquet à la VIe Section de l'E.P.H.E. Je tiens à remercier Marcel Détienne, Dan Sperber, Tzvetan Todorov, J.-P. Vernant et, en particulier, Danièle Van de Velde (qui a relu et corrigé le manuscrit) pour leurs remarques. Elles m'ont servi à préciser certains points de mon argumentation.
1. La route des morts, Éditions du Seuil, « Recherches anthropologiques », à paraître. Dans la mesure où les cérémonies mortuaires conformes au calendrier liturgique se déroulent à Malaita (et plus généralement en Mélanésie) dans un cadre idéal (le site funéraire) unique, surdéterminé, et qui constitue le seul théâtre possible pour les interventions autoritaires de certains des participants, dans la mesure où certaines figures liturgiques se chargent aussi de fonctions normatives et coercitives, je m'efforce de définir autrement qu'en termes institutionnels (c'est-àdire manifestes) les relations (les « connexions symboliques ») entre l'instance politique et la pratique rituelle, étant entendu que dans la pratique liturgique l'instance politique est déjà posée et agissante quoique tacite. Dans cet article, la forme que ces relations peuvent acquérir n'est qu'esquissée à partir des programmes liturgiques distincts de « l'évocateur » (fataa abu) qui nomme les Interdits pour restaurer l'ordre brisé par une transgression, et du « sacrificateur » (fo'o'nikali) qui profère les Noms (des morts) et tue des êtres (humains, animaux) pour rétablir une chaîne de Noms et préserver une continuité brisée par une mort.
2. « Pères et fils », dans Nouvelle Revue Française de Psychanalyse, IV, 1972, « Destins du cannibalisme », pp. 87-109.
3. Ibid., notamment pp. 107-109. A propos du statut de fantasme attribué à la figure autochtone de Y entité-ancêtre (akalo), je dirai que ce statut, ici approximativement décrit (ou hâtivement proposé), est longuement interrogé dans mon livre, car je le tiens pour crucial. Afin de rendre moins arbitraire la définition succincte que j'en donne, je me limiterai à signaler quelques thèmes liés à cette hypothèse. Tout d'abord, la question de l'autorité dans une société qui ne lui attribue pas de statut (sinon de manière transitoire) et qui occulte l'exercice du pouvoir, lequel, pourrait-on dire, se présente en pointillé : innommable, placé dans l'absence et posé comme visée, et non pas comme contrainte institutionnelle, comme responsabilité magnifiée et distante. Je pense que la nature fantasmatique de l'autorité est l'âme du pouvoir lui-même ; dans l'exemple mélanésien, cette nature est simplement affirmée : d'abord, le lieu de l'autorité — car elle en a un — est un ailleurs institué par une rupture, la mort, et par le travail que cette rupture impose, le deuil. L'ancêtre, figure de l'autorité post-mortem, déploie une force qu'on doit, croiton, endiguer par une liturgie qui, en fait, la réitère et l'amplifie ; ses attributs, indéfinissables parce qu'autoritaires, sont octroyés aux vivants, mais ceux-ci reconnaissent qu'ils ne sont guère maîtrisables et seulement partiellement transmissibles : les Maîtres du rituel, dépositaires de la parole de l'autorité absente, n'acquièrent pas eux-mêmes ces pouvoirs puisqu'ils ne sont pas conquis mais donnés en gage par le défunt. Enfin, marquée par la mort et l'absence, l'autorité possède tous les caractères du simulacre : appât et piège, statue et faux-semblant. On verra mieux, je l'espère, qu'en privilégiant la figure de l'ancêtre, non seulement je respecte les arguments malaitais mais je cherche à en tirer parti dans la lecture que je propose des faits liturgiques mélanésiens.
4. « La route des morts », Journal de la Société des Océanistes, 37, XVIII, 1972, pp. 323-335.
5. Je me réfère aux considérations qui occupent une grande place dans le Final de L'Homme nu, Paris, 1973. Ces remarques, ici résumées, ont déjà fait l'objet (pour ma part) d'une première mise au point dans une communication au Séminaire sur le Symbolisme (Chantilly, 1973), organisé par le Laboratoire d'Ethnologie de l'Université de Nanterre, où j'avais abordé les « silences » et les dernières propositions sur le rituel dont Lévi-Strauss a parsemé son oeuvre. Cf. mon manuscrit de 1973 : Midi-Minuit : rituel sans mythe et légendes sans rituel.
6. Codrington, R. H., The Melanesians and their Folk-lore, Londres, 1891 et, plus particulièrementGoogle Scholar, Ivens, W. G., The Melanesians of the South-East Solomon Islands, Londres, 1924 Google Scholar donnent des aperçus fort éclairants sur l'autorité politique et les formes nettement polynésiennes des chefferies de Maramasike, Sa'a (dans la Petite Malaita) et, à l'est de cette région, dans l'île de Ulawa. Lors d'un court séjour que je fis en 1969, j'ai pu avoir confirmation de l'existence de ce type d'organisation, lequel contraste nettement avec celui présent au nord de l'île ainsi que, semble-t-il, dans la partie sud-ouest de Malaita (Districts ‘Are'Are). Ces contrastes, dans une aire au demeurant restreinte, demandent à être interrogés, ainsi que la présence de « traits » polynésiens (statuts liturgiques héréditaires) dans un socius par ailleurs typiquement mélanésien. J'ai abordé ces problèmes dans un article récent, « Enclos et clôtures. Remarques sur les discontinuités et les segmentations océaniennes», Journal de la Société des Océanistes, XXI, 1975, p. 47.
7. Il est en effet aisé de relever dans la petite île de Tikopia (géographiquement proche de Malaita) l'imbrication étroite entre la suprématie politique (exprimée dans une supériorité de rang) et les prérogatives rituelles d'un clan sur d'autres clans, bien que cette supériorité ne soit ni reconnue généalogiquement ni constante (cf. Firth, R., The Works of the Gods, Londres, 1940 ;Google Scholar Rank and Religion in Tikopia, Londres, 1972 ; ainsi que mon manuscrit, Les allées du Panthéon : la mythologie tikopienne, 1972).
8. La définition des règles liturgiques ainsi que la représentation d'ensemble du calendrier liturgique et du « faire » rituel tournent autour des trois concepts majeurs : cycle ; répétition ; complétude ; c'est-à-dire : ordre et progression dans le faire ; similarité des actions accomplies ; achèvement de ces mêmes actions obtenu à travers la répétition et dans un cycle (cf. « La route des morts », art. cit.).
9. Hubert, H., Mauss, M., « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », dans L'Année Sociologique, t. II, 1899 Google Scholar (reproduit dans Mauss, M., Œuvres, I, Paris, 1968, pp. 193–307 Google Scholar) ; Van Gennep, A., Les rites de passage, Paris.Google Scholar
10. Wittgenstein, L., Lectures and Conversations, Londres, 1966 Google Scholar (éd. française : Leçons et conversations sur l'esthétique, la psychologie et la croyance religieuse, Paris, 1971)..
11. Benveniste, E., Essais de linguistique générale, Paris, 1965.Google Scholar
12. Austin, J.-L., How to do things with words, Oxford, 1962 Google Scholar (éd. française : Quand dire c'est faire, Paris, 1970), notamment la Première et la Cinquième Conférence.
13. Benveniste, E., op. cit.; Ruwet, N., « Les constructions factitives », dans Théorie syntaxique et syntaxe du français, Paris, 1972, pp. 126–180.Google Scholar
14. Deck, N. G., « A Grammar of the Language Spoken by the Kwara'ae. People of Mala, British Solomon Islands », dans Journal of Polynesian Society, 1933, 42, pp. 33–48 ; 133-144 ; 241-256 et 43, pp. 1-15 ; 85-100 ; 163-170 ; 246-257 ;Google Scholar J. Fox, Lau Grammar, Manuscrit, 1950 ; Ivens, W. G., Grammar and Vocabulary of the Lau Language, Washington, Carnegie Institution of Washington, 1921.Google Scholar
15. Cf. note ci-dessus.
16. Je reprends le propos de Mauss dans son étude inachevée consacrée à La Prière, Paris, Alcan, 1909; reproduit dans Mauss, M., Œuvres, I, Paris, 1968, pp. 357–414.Google Scholar
17. Sur la notion de complétude (ruuloulou) des choses, des actes et de la pratique rituelle en particulier, j'ai longuement exposé les notions qui l'entourent dans La route des morts, art. cité, 1972.
18. L. Wittgenstein, op. cit. (éd. française), p. 111.
19. Dans une perspective nettement comparative et s'étendant en particulier aux régions occidentales de la Mélanésie, j'ai traité ce thème dans mon article « Note sur le rapport mâle/femelle en Mélanésie», dans L'Homme, IX, 2, 1975.
20. On touche là un aspect crucial du rapport Père-Fils dans la chaîne généalogique qui est, comme j'ai eu à l'indiquer dans le texte, une chaîne de Noms. C'est donc un rapport qui passe à travers des entités référentielles, irréductibles en ce qu'elles figent l'individu dans son identité. Toutefois, dans le cas que l'on examine, ce rapport est indirect puisque les entités désignent en réalité des faux-noms car dans la mort le nom vrai du défunt est occulté derrière des pseudonymes. Seuls les sacrificateurs connaissent le vrai nom.
21. Cf. note 19.