Article contents
Avocat sous Staline
Profession accessoire, profession témoin (1945-1953)
Published online by Cambridge University Press: 20 January 2017
Résumé
Fondé sur une recherche dans les archives russes et ukrainiennes, cet article étudie la profession d’avocat en URSS à la fin de la période stalinienne (1945-1953). Les différentes dimensions du métier – trajectoires sociales et pratiques quotidiennes – sont abordées à propos d’une période qui vit le nombre d’affaires traitées par les tribunaux considérablement augmenter et le discours sur la réhabilitation d’une « légalité socialiste » se renforcer. Si leur influence demeura faible et peu fondée sur le maniement du droit, les avocats soviétiques développèrent des compétences économiques et relationnelles leur permettant à la fois de préserver leur autonomie et de participer pleinement aux dynamiques sociales propres à la société soviétique telle qu’elle se dessine au sortir de la guerre. Malgré leur faiblesse et les purges dont ils firent l’objet, les avocats surent aussi s’informer des affaires et certains jouèrent un rôle d’intermédiaire entre l’appareil répressif et les notables soviétiques, notamment en participant au système d’échanges de pots-de-vin et de relations clientélistes. Leur action est exemplaire de la manière dont les Soviétiques se sont accommodés de la dictature stalinienne, en tentant de faire évoluer les règles et de constituer des poches de protection, d’entraide et d’échanges situées au coeur de l’État et du parti.
Abstract
Drawing on research in Russian and Ukrainian archives, this article explores the legal profession in the Stalin-era USSR, with a focus on the years following the Second World War. During this period, the number of cases dealt with in the courts grew considerably, and calls to rehabilitate “socialist legality” became more pressing. It is against this backdrop that the article details the different professional aspects—social trajectories and daily practices— of the criminal lawyer’s craft. It concludes that while their influence remained relatively weak and was rarely anchored in their legal capabilities, Soviet lawyers did develop economic and networking capacities that enabled them to maintain their autonomy and to fully participate in the dynamics of the Soviet society that emerged in the aftermath of the war. Despite their weak position and the purges they had suffered, lawyers found ways to gain privileged information about ongoing cases and some of them played an intermediary role between the apparatus of repression and Soviet notables—particularly by participating in the system of bribery and clientelism. Their actions exemplified the ways that Soviets maneuvered under Stalinist dictatorship, working to bend and improve the rules while also using mutual assistance and exchange to create safe spaces at the heart of the state and the party.
- Type
- Avocats soviétiques
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2016
References
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3 La sociologie des professions est abondante. L’ouvrage d’ Abbott, Andrew, The System of Professions: An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, University of Chicago Press, 1988,Google Scholar notamment sa notion de lutte pour l’extension de la jurisdiction d’une profession, a ete particulierement utile pour comprendre comment les avocats sovietiques surent asseoir leur position institutionnelle sous le stalinisme tardif.
4 Sur la pratique des avocats en contexte de repression etatique, voir Israel, Liora, Robes noires, années sombres. Avocats et magistrats en résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2005;Google Scholar Osiel, Mark J, « Dialogue with Dictators: Judicial Resistance to Authoritarianism in Brazil and Argentina », Law and Social Inquiry, 20–2, 1995, p. 481–560;CrossRefGoogle Scholar Liu, Sida et Halliday, Terence C., « Political Liberalism and Political Embeddedness: Understanding Politics in the Work of Chinese Criminal Defense Lawyers », Law and Society Review, 45–4, 2011, p. 831–865;CrossRefGoogle Scholar Liu, Sida, « Lawyers, State Officials, and Significant Others: Symbiotic Exchange in the Chinese Legal Services Market », China Quarterly, 206, 2011, p. 276–293;CrossRefGoogle Scholar Michalowski, Raymond, « All or Nothing: An Inquiry into the (Im)Possibility of Cause Lawyering under Cuban Socialism », in Sarat, A. et Scheingold, S. (dir.), Cause Lawyering: Political Commitments and Professional Responsibilities, New York, Oxford University Press, 1998, p. 523–543.Google Scholar
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6 P. H.Solomon, Jr., Soviet Criminal Justice…, op. cit., p. 349, utilise l’expression d’« ethos legaliste » (legal ethos) qui implique une croyance en l’autonomie et la nature scientifique du droit, un respect des procedures et des regles legales, une vision des processus legaux comme distincts des autres forMes de gouvernance.
7 Kaminskaya, Dina, Avocate en URSS. Des innocents aux dissidents, trente-sept ans au service des causes désespérées, trad. par Theil, J. Du, Paris, Robert Laffont, [1982] 1983;Google Scholar Simis, Konstantin M., USSR: Secrets of a Corrupt Society, trad. par Edwards, J. et Schneider, M., Londres, Dent, 1982;Google Scholar Pechuro, E. (dir.), Zastupnitsa. Advokat S. V. Kallistratova, Moscou, Zven’ia, 1997;Google Scholar Abram L’vonich Move, Za kulisami zashchity, 5 t., Moscou, Mezhdunarodnyi Soiuz (Sodruzhestvo) advokatov, 1993-1994 ; Semen L’vovich Ariia, Zhizn’ advokata, Tula, Avtograf, 2003 ; Nathans, Benjamin, « The Dictatorship of Reason: Aleksandr Vol’pin and the Idea of Rights under ‘Developed Socialism’ », Slavic Review, 66–4, 2007, p. 630–663.CrossRefGoogle Scholar
8 E. Huskey, Russian Lawyers and the Soviet State…, op. cit. Sur la justice penale en URSS, voir P. H. Solomon, Jr., Soviet Criminal Justice…, op. cit. et Khlevniuk, Oleg V., The History of the Gulag: From Collectivization to the Great Terror, trad. par Staklo, V. A., New Haven, Yale University Press, 2004.Google Scholar
9 Khlevniuk, Oleg V., Stalin: New Biography of a Dictator, trad. par Favorov, N. S., New Haven, Yale University Press, 2015;Google Scholar Gorlizki, Yoram, « Theft under Stalin: A Property Rights Analysis », The Economic History Review, 69–1, 2015, p. 1–26;Google Scholar Gorlizki, Yoram et Khlevniuk, Oleg V., Cold Peace: Stalin and the Soviet Ruling Circle, 1945-1953, New York, Oxford University Press, 2004, p. 125.CrossRefGoogle Scholar
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11 E. Huskey, Russian Lawyers and the Soviet State…, op. cit. Lenine avait defendu l’idee de preserver le droit et la justice traditionnelle et avait ete attentif a la redaction des codes au debut de la nouvelle politique economique (NEP). A la suite, Staline prit justement pretexte de l’attachement du peuple a la justice traditionnelle et au droit (« le mouzhik aime la legalite ») pour stabiliser l’appareil judiciaire : Cohen, Yves, « Des lettres comme action. Stalin au debut des annees 30 depuis le fonds Kaganovic? », Cahiers du monde russe, 38–3, 1997, p. 307–345.Google Scholar Dans les faits, la repression penale des annees 1930 fut tres largement exercee, meme pour des affaires dites « de droit commun », par la police politique. L’etude de la population detenue au Goulag en 1935 montrait qu’elle etait composee de personnes condamnees pour 35% a 40% d’entre elles par les « tribunaux » de la police politique : O. V. Khlevniuk, The History of the Gulag…, op. cit., p. 293-302.
12 Archives d’Etat de la Federation de Russie (Gosudarstvennyi Arkhiv Rossiiskoi Federatsii, ci-apres Garf), f. 374, op. 27, d. 664, p. 3, 7, 11, 14a, 19 et 31. Il est finalement decide de prelever 25% des honoraires d’avocats communistes ayant recu des somMes superieures au plafonnement existant pour les membres du parti afin de les dedier au fonds d’entraide du parti.
13 V. Valerin, Volch’ia staia. Zapiski chlena kollegii zashchitnikov, Moscou, Sovetskoe Zakonodatel’stvo, 1931 ; Nicolai F. Pogodin, Lodochnitsa [1944], Sobranie dramaticheskikh proizvedenii, t. 3, Moscou, Iskusstvo, 1960.
14 Il’ia Braude etait un avocat en vue du barreau de Moscou qui a publie dans ses memoires les recits d’affaires de droit commun ou de collaborateurs nazis qu’il avait defendu : Il’ia Davidovich Braude, V sovetskom sude. Iz zapisok zashchitnika, 1922-1928, Riga, Izdatel’stvo « Kniga dlia vsekh », s. d. ; Id., Zapiski advokata, Moscou, s. n., 1974.
15 Andrei Ianiurevich Vyshinskii, Revoliutsionnaia zakonnost’ i zadachi sovetskoi zashchity, Moscou, s. n., 1934 ; Akulov, Ivan A. et Vyshinskii, Andrei Ianiurevich, Za perestroiki i ulutschenie raboty suda i prokuratury, Moscou, Gosudarstvennoe izdatel’stvo « Sovetskoe Zakonodatel’stvo », 1934, p. 50–51;Google Scholar Vyshinskii, Andrei Ianiurevich, Sovetskii ugolovnii protsess, Moscou, Iuridicheskoe izdatel’stvo NKIu Soiuza SSR, 1938.Google Scholar
16 Men’shagin, Boris Georgievich, Vospominaniia. Smolensk–Katyn’–Vladimirskaia tjur’ma, Paris, YMCA Press, 1988.Google Scholar Son temoignage est accessible en ligne, http://www.sakharov-center.ru/asfcd/auth/?t=author&i=463; Palibin, Nikolai Vladimirovich, Zapiski sovetskogo advokata : 20e-30e gody, YMCA Press, 1988;Google Scholar Konstantinovsky, Boris A., Soviet Law in Action: The Recollected Cases of a Soviet Lawyer, ed. par Berman, H. J., Cambridge, Harvard University Press, 1953.Google Scholar Les entretiens menes au debut des annees 1950 par Raymond Bauer et Alex Inkeles avec des refugies sovietiques dans le cadre du « Harvard Project on the Soviet Social System » constituent une source d’informations sur la position de l’avocat durant la Grande Terreur, en ligne, http://hcl.harvard.edu/collections/hpsss/index.html (keyword : Lawyer). Voir aussi Wyle, Frederick S., « Soviet Lawyer: An Occupational Profile », in Inkeles, H. et Geiger, K. (dir.), Soviet Society: A Book of Readings, New York, Houghton Mifflin, 1961, p 210–218.Google Scholar
17 B. G. Men’shagin, Vospominaniia…, op. cit.
18 Les affaires impliquant la police politique etaient traitees au sein d’un college special du tribunal ; seuls les avocats ayant recu l’accord de la direction de leur barreau, avec l’aval de la police politique, avaient le droit d’y sieger. Luryi, Yuri, « The Role of Defence Counsel in Political Trials in the U.S.S.R. », Manitoba Law School, 7–4, 1977, p. 307–324.Google Scholar
19 Il existait deux forMes de recours ou d’appel en URSS : un recours en cassation, en fait un appel du jugement par le condamne, ou un renvoi en cassation par le parquet aupres d’une cour superieure, sous la forme d’une plainte (zhaloba) de l’accuse, avant que le verdict ne soit entre en application. L’appel pouvait aussi se faire dans une phase ulterieure par un pourvoi en protestation extraordinaire de supervision (protesty v poriadke nadzora) aupres des cours supreMes, a la demande d’un procureur ou d’un juge des cours superieures, une fois que le condamne etait deja en train de purger sa peine. Tager, Aleksandr Semenovich, « Osnovnye problemy kassatsii v sovetskom ugolovnom protsesse », Problemy ugolovnoi politiki, 4, 1937, p. 67–86.Google Scholar
20 Favarel-Garrigues, Gilles, La police des moeurs économiques. De l’URSS à la Russie (1965-1995), Paris, CNRS Editions, 2007,Google Scholar analyse en detail les campagnes de repression et leur temporalite pour la fin de l’URSS.
21 Sur le deroule de la Grande Terreur, voir Werth, Nicolas, L’ivrogne et la marchande de fleurs. Autopsie d’un meurtre de masse, 1937-1938, Paris, Tallandier, 2009.Google Scholar
22 Sergei A.Krasil’nikov et al., Intelligentsii Sibiri v pervoi treti XX veka. Status i korporativnye tsennosti, Novossibirsk, ID « Sova », 2007, p. 245-247. Par exemple, l’avocat Evsiovich est repere apres avoir mis en doute les conclusions de l’instruction prealable de la police politique et ses methodes.
23 Le NKVD (Narodnyj Komissariat vnutrennikh del) fait des demandes nominatives d’expulsion. Par exemple pour 1941, Garf, f. 9492, op. 1, d. 1008, l. 57.
24 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1008, l. 154-155.
25 E. Huskey, Russian Lawyers and the Soviet State…, op. cit.
26 Afanas’ev, Iurii N. (dir.), Istoriia stalinskogo Gulaga. Konets 1920-kh-pervaia polovina 1950-kh godov : sobranie dokumentov, t.1, Massovye repressii v SSSR, Moscou, Rosspen, 2004, p. 610, 613 et 632-635;Google Scholar Werth, Nicolas, « Les lois sur le vol du 4 juin 1947. L’apogee de la ‘repression legale’ stalinienne », in Studer, B. et Mann, H.Hau (dir.), Sujets staliniens. L’individu et le système en Union soviétique et dans le Comintern, 1929-1953, Zurich, Chronos, 2006, p. 153–172.Google Scholar
27 P. H.Solomon, Jr., Soviet Criminal Justice…, op. cit., p. 337-445 ; Shearer, David R., Policing Stalin’s Socialism: Repression and Social Order in Soviet Union, 1924-1953, New Haven, Yale University Press, 2009, p. 405–437.Google Scholar
28 Les avocats avaient donc 7 a 8 affaires penales par mois et 4 a 5 affaires au civil. En 1949, ils participerent en tout a plus d’un million d’affaires au penal et 210 000 au civil. En 1952, le chiffre annuel par avocat etait descendu a 47 affaires penales, et toujours 17 affaires civiles : Garf, f. 9492, op. 1, d. 1232, l. 16.
29 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1232, l. 16.
30 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1245, l. 1.
31 Kodintsev, Aleksandr Ia., Gosudarstvennaia politika v sfere iusticii v SSSR. 30-50e gody XX veka, Kourtamych, Ural’skaiaGosudarstvennaia Iuridicheskaia Akademiia, 2008, p. 499.Google Scholar
32 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1232, l. 18.
33 Michel Tissier, « L’education aux libertes. Culture juridique et changements sociopolitiques en Russie des annees 1890 a 1917 », these de doctorat, Universite de Paris 1 Pantheon-Sorbonne, 2009.
34 Ibid., p. 26-27.
35 Archives centrales d’Etat des organes de pouvoir et de gouvernement d’Ukraine (Tsentral’nyi derzhavnyi arkhiv vyshchykh orhaniv vladii ta upravlinnia Ukrainy, ci-apres TsDAVO), f. 8, op. 1, d. 8, l. 1.
36 Garf, f. 9415, op. 1, d. 1000, l. 60.
37 Garf, f. 9415, op. 1, d. 1000, l. 112.
38 Hirsch, Francine, « The Soviets at Nuremberg: International Law, Propaganda, and the Making of the Postwar Order », American Historical Review, 113–3, 2008, p. 701–730.CrossRefGoogle Scholar
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40 S’il n’existe pas a notre connaissance d’etudes sur l’enseignement du droit en URSS, cette question est cependant rapidement analysee par P. H. Solomon, Jr., Soviet Criminal Justice…, op. cit., chap. 10, et Jean-Guy Collignon, Les juristes en Union soviétique, Paris, Ed. du CNRS, 1977.
41 Garf, f. 9492, op. 1, d. 994, l. 2, 3 et 132.
42 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1110, l. 3.
43 Archives d’Etat de Russie de l’histoire sociale et politique (Rossiiskii Gosudarvennyi arkhiv sotsial’no politisheskii istorii, ci-apres RGASPI), f. 17, op. 136, d. 439, l. 106.
44 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1245, l. 1.
45 En 1948, 21,4% des juges avaient recu une formation juridique (niveau superieur dans 6,2% des cas et secondaire – comprenant deux ou trois annees d’etudes dans une ecole juridique ou une ecole du parquet – dans 15,2% des cas). En 1951, la proportion atteignait les 57,6%(etudes superieures dans 20,2%des cas et secondaires dans 37,4 %) : P. H. Solomon, Jr., Soviet Criminal Justice…, op. cit., p. 343. En janvier 1951, au niveau des villes et des districts de RSFSR, seuls 12,2% des procureurs et 20,2% des juges d’instruction du parquet avaient une formation juridique superieure ; au niveau des parquets regionaux, 40,3% du personnel avaient une education juridique superieure (Yoram Gorlizki, « De-Stalinization and the Politics of Russian Criminel Justice, 1953- 1964 », Ph. D., Oxford University, 1992, chap. 6, p. 13). En janvier 1954, sur les 12 516 procureurs de la seule RSFSR, 85,1% d’entre eux avaient recu une education juridique secondaire ou superieure. 57,8% d’entre eux etaient au parti en 1945, 73,7% en 1949 ; un examen attentif de leur composition montre que, en 1953, seuls les vice-procureurs, procureurs-assistants ou juges d’instruction pouvaient n’etre ni au parti, ni au Komsomol (ibid., chap. 6, p. 2. et 5-6). En RSFSR, les juges des cours de province avaient, en 1948, une formation juridique secondaire et superieure dans 58% des cas ; en 1954, ce pourcentage etait passe a 89% (ibid., chap. 4, p. 13). Au moment des premieres elections des juges du peuple en 1948, seuls 47 % d’entre eux etaient membres du parti (ibid., chap. 6, p. 5).
46 P. H. Solomon, Jr., Soviet Criminal Justice…, op. cit., p. 337.
47 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1167, l. 6-13, 101 et 105.
48 Sur les debuts de la guerre froide, Esakov, Vladimir D. et Levina, Elena S., Delo KP. Sudy chesti v ideologii i praktike poslevoennogo stalinizma, Moscou, Int rossiiskoii istorii RAN, 2001.Google Scholar
49 RGASPI, f. 17, op. 136, d. 67, l. 7-38, lettre adressee a la section d’agitation et de propagande du Comite central (CK), 17 mai 1949, et Garf, f. 9492, op. 1, d. 1151, l. 143 ; Goliakov, Ivan T., Zashchita po ugolovnym delam, Moscou, Iuridicheskoe izdatel’stvo, 1948.Google Scholar La revue de droit Sotsialisticheskaia zakonnost’ critiqua durement ce recueil d’articles, ecrit par d’eminents juristes. Au-dela d’un contexte politique particulier – le refus des influences etrangeres, une campagne d’epuration des dirigeants des grandes institutions de justice, dont Goliakov fut une des victiMes – la critique de l’ouvrage permit de reaffirmer l’originalite de la position de l’avocat sovietique au penal. Tenu de defendre son client, il ne devait pas saper l’edifice accusatoire et prendre le parti de l’accuse : il s’agissait d’aider l’Etat (represente par le ministere public) dans sa recherche de verite. Les intenses discussions en cours a la tete du gouvernement sovietique sur la reforme du code penal et du code de procedure penale, qui envisageaient de renforcer le proces contradictoire et donc la place de l’avocat, entamees des la fin des annees 1930, ne deboucherent finalement pas sur la publication de nouveaux reglements sous Staline mais, de maniere limitee, sous Khrouchtchev.
50 D. Shearer, Policing Stalin’s Socialism…, op. cit. ; Hagenloh, Paul, Stalin’s Police: Public Order and Mass Repression in the USSR, 1926-1941, Washington/Baltimore, Woodrow Wilson Center Press/The Johns Hopkins University Press, 2009;Google Scholar Werth, Nicolas, La terreur et le désarroi. Staline et son système, Paris, Perrin, 2007.Google Scholar
51 En 1939, le procureur de l’URSS, Mikhail Pankrat’ev, justifiait aupres de Staline et Viatcheslav Molotov le fait que les proces pour criMes contre-revolutionnaires, quels que soient les tribunaux les organisant, cours supreMes, cours regionales, tribunaux militaires, des lignes de chemin de fer, des lignes fluviales et maritiMes, se fassent en l’absence d’avocats. Le parquet avait recu de nombreuses plaintes a ce sujet, mais dans la Mesure ou il s’agissait de « criMes contre-revolutionnaires » realises pendant la Grande Terreur, en 1937-1938, il lui semblait normal de ne pas impliquer d’avocat, d’autant, ajoutait-t-il, que les inculpes recusaient les aveux qu’ils disaient avoir fait (souvent sous la torture) pendant l’instruction. Cette derniere devenait de ce fait l’objet de la discussion. Il concluait enfin que le commissariat a la Justice n’avait pas encore fait le travail necessaire de purge des avocats, garantissant une loyaute suffisante au regime. Voir I. N. AFANAS’EV (dir.), Istoriia stalinskogo Gulaga…, op. cit., p. 334-335. Dans l’apresguerre, des proces pour crime contre-revolutionnaire (sabotage) se tinrent en presence d’avocats ; Galuzevyi derzhavnyi arkhiv. Sluzhby bezpeky Ukrainy (ci-apres GDA SBU), f. 5, d. 44303.
52 JaMes Heinzen, « ‘Pick the Flowers while They’re in Bloom’: Bribery in Courts and the Agencies of Law Enforcement in Late Stalinism », communication presentee a l’atelier, « The Practice of Law and Justice in Russia », Moscou, mai 2011.
53 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1160, l. 83.
54 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1160, l. 86.
55 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1151, l. 42.
56 D. Kaminskaya, Avocate en URSS…, op. cit., p.12 et 34.
57 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1140, l. 84.
58 TsDavo, f. 8, op. 7, d. 37, n. p.
59 Archives centrales d’Etat des organisations publiques d’Ukraine (Tsentral’nyi derzhavnyi arkhiv hromad’skykh ob’iednan’ Ukrainy, ci-apres TsDAHO), f. 1, op. 82, d. 71, l. 67-71.
60 TsDaho, f. 1, op. 82, d. 71, l. 74.
61 Ce fut, par exemple, le cas dans une affaire qui se deroula en 1952 a Kiev. Le dirigeant d’un depot, accuse de corruption et de vol, fut finalement condamne a mort pour sabotage avec ses deux associes. Au cours du proces, les avocats parlerent a peine, si ce n’est a la fin pour demander que leurs clients echappent a la peine de mort. Le principal accuse, Kh. Khain, refusa de prendre un avocat et accusa ceux des autres inculpes d’avoir cherche a le rendre responsable d’un ensemble de malversations, GDA SBU, f. 5, d. 44303, t. 8, l. 163-166.
62 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1160, l. 85.
63 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1160, l. 47.
64 RGASPI, f. 17, op. 136, d. 166, l. 134-136. La commission administrative du Comite central a demande a connaitre la composition et la biographie des nouveaux membres elus en 1950 du college d’avocats de Moscou. Le ministere de la Justice et la commission administrative de l’obkom de Moscou ont verifie leur parcours et accepte les possible ecarts.
65 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1160, l. 35-36.
66 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1160, l. 36-37.
67 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1160, l. 72.
68 Ces membres du presidium, bien qu’ayant largement prouve leur fidelite au regime, furent denonces par une lettre anonyme comme des agents antisovietiques (ils etaient tous juifs). RGASPI, f. 17, op. 136, d. 443, l. 20-30.
69 A. Ia. Kodintsev, Gosudartvennaia politika…, op. cit., p. 492-493. En Ukraine aussi, de nombreux avocats venaient des services de securite, TsDavo, f. 8, op. 7, d. 21, l. 49. D.Kaminskaya en parle d’ailleurs, rapidement il est vrai, dans Avocate en URSS…, op. cit., p. 28.
70 Viola, Lynne, « The Question of the Perpetrator in Soviet History », Slavic Review, 72–1, 2013, p. 1–23.CrossRefGoogle Scholar
71 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1179, l. 14.
72 RGASPI, f. 17, op. 136, d. 439, l. 116.
73 TsDAVO, f. 8, op. 7, d. 2, l. 1-8.
74 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1172, l. 68-70. Le document decrit les operations d’accreditation et les abus observes dans certaines regions dans lesquelles sont posees plus de 200 questions, dont par exemple une question sur les noms de familles des membres des gouvernements des pays bourgeois.
75 TsDAHO, f. 1, op. 82, d. 83, l. 24.
76 A. Ia. Kodintsev, Gosudartvennaia politika…, op. cit., p. 499.
77 J. Heinzen, « ‘Pick the Flowers…’ », art. cit.
78 Garf, f. 9474, op. 16, d. 396, l. 42-57v.
79 A. Ia. Kodintsev, Gosudartvennaia politika…, op. cit., p. 385-395.
80 Heinzen, James, « A ‘Campaign Spasm’: Graft and the Limits of the ‘Campaign’ against Bribery after the Great Patriotic War », in Furst, J., Late Stalinist Russia: Society between Reconstruction and Reinvention, Londres, Routledge, 2006, p. 123–141.Google Scholar
81 Garf, f. 8131, op. 37, d. 3410, l. 137-142.
82 Garf, f. 8131, op. 37, d. 3410, l. 143-160.
83 Garf, f. 8131, op. 37, d. 3410, l. 139.
84 Garf, f. 8131, op. 37, d. 3410, l. 143-160.
85 Le terme miksty abrege l’expression «maksimal’noe ispol’zovanie klientov sverh tarifa » : « utilisation maximale des clients au-dessus du tarif ».
86 Nove, Alec, An Economic History of the USSR, Londres, Allen Lane, 1969, p. 309.Google Scholar
87 RGASPI, f. 82, op. 2, d. 892, l. 113.
88 Garf, f. 8131, op. 37, d. 3410, l. 159.
89 RGASPI, f. 82, op. 2, d. 892, l. 99-105.
90 K. M.Simis, USSR…, op. cit., p. 75.
91 J.Heinzen, « ‘Pick the Flowers…’ », art. cit. ; Id., « The Art of the Bribe: Corruption and Everyday Practice in the Late Stalinist USSR », Slavic Review, 66-3, 2007, p. 389-412.
92 Garf, f. 9492, op. 1, d. 1167, l. 120-123.
93 RGASPI, f. 82, op. 2, d. 893, l. 35 et 86v.
94 Au sein de la Cour supreme de RSFSR regnait le nepotisme (semejstvennost’). D’apres le temoignage de Popov, cette situation provenait du fait qu’aucun directeur de la Cour supreme n’arretait les collegues qui venaient a lui avec differentes demandes sur des affaires judiciaires concernant leurs parents, leurs proches. L’ancien president du tribunal de la ville de Moscou, Vasnev, etait un proche ami de differents directeurs de magasins et de restaurants. Ils s’adressaient a lui pour les affaires penales visant leurs parents ou leurs proches. Selon l’enquete menee par le parquet, ce dernier buvait avec les prevenus et obtenait que leurs biens ne soient pas saisis, mais aussi forcait des jeunes femMes s’adressant a lui a des relations sexuelles. Dans un magasin de vin de la rue Gorki, le fils d’un inculpe georgien fut introduit aupres d’un membre de la Cour supreme de RSFSR. Le directeur du magasin demanda a ce dernier d’intervenir au profit du pere du premier. Garf, f. 7523, op. 65, d. 671, l. 5-16.
95 En aout 1948, 48 personnes avaient ete arretees pour l’affaire du tribunal de Moscou, 29 personnes a Kiev pour celle de la Cour supreme d’Ukraine, A. Ia. Kodintsev, Gosudartvennaia politika…, op. cit., p. 393.
96 RGASPI, f. 17, op. 136, d. 26, l. 197-204.
97 RGASPI, f. 17, op. 136, d. 27, l. 72-73.
98 Sur ces affaires, voir aussi les archives ukrainiennes sur les debuts des accusations, TsDAHO, f. 1, op. 23, d. 4954, l. 251-252. Les accusations contre Kamch et Isakovich furent ensuite controlees au Comite central dans le cadre de la verification des accusations sur la Cour supreme d’Ukraine et les tribunaux ukrainiens (l. 117-126).
99 TsDAHO, f. 1, op. 82, d. 83, l. 60. Le journal Pravda Ukrainy fit passer pour information au Comite central d’Ukraine un extrait d’un quotidien regional qui decrivait les mauvaises moeurs de Efimov et de sa femme. Le vice-redacteur du journal dit avoir voulu faire circuler cet article car les deux protagonistes avaient quitte la region et etaient en attente de pouvoir exercer a nouveau dans une autre province d’Ukraine.
100 Tsdaho, f. 1, op. 82, d. 71, l. 67-74 et 298-300.
101 Un juge de la Cour supreme d’URSS, de nationalite georgienne, fut condamne pour corruption apres avoir recu chez lui de nombreux Georgiens, venus avec des cadeaux ; JaMes Heinzen, « Thirty Kilos of Pork: Cultural Brokers, Corruption, and the ‘Bride Trail’ in the Postwar Stalinist Society », Journal of Social History, 46-4, 2013, p. 931-952.
102 Garf, f. 8131, op. 37, d. 3593, p. 5-7, 14 et 39-40.
103 Gregorii N. Safonov, Spravochnik po zakonodatel’stvo, Moscou, Gosudarstvennoe izdatel’stvo iuridicheskoi literatury, 1948, t. 1, p. 55-63.
104 La question de la corruption quotidienne en URSS a fait l’objet de differentes etudes concernant la periode brejnevienne notamment. Les archives judiciaires permettent de l’eclairer d’une maniere nouvelle, decrivant la dimension processuelle des transactions. Blundo, Giorgio, « Decrire le cache. Autour du cas de la corruption », in Blundo, G. et de Sardan, J.-P. Olivier (dir.), Pratiques de la description, Paris, Ed. de l’EHESS, 2003, p. 75–111.Google Scholar
105 Scott, James C., Weapons of the Weak: Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven, Yale University Press, 1985;Google Scholar Id., Domination and the Arts of Resistance: Hidden Transcripts, New Haven, Yale University Press, 1990.
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- Cited by
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Translation available: Accessory and Witness - The Profession of the Lawyer under Stalin (1945–1953)