Hostname: page-component-78c5997874-dh8gc Total loading time: 0 Render date: 2024-11-07T20:17:03.387Z Has data issue: false hasContentIssue false

Ars moriendi : Quelques notes sur le problème de la mort à la fin du XVe siècle*

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

Alberto Tenenti*
Affiliation:
Centre National de la Recherche Scientifique

Extract

Au sein de la vaste enquête, si souvent préconisée par les Annales, sur la sensibilité humaine, ses modes et ses formes changeantes à travers les siècles, nul doute que des études sur le sentiment de la mort ne puissent donner d'importants résultats. Et notamment s'agissant du XVIe siècle, ou, de façon plus large, de la période 1450-1650. Non certes que cette période puisse être placée sous le signe exclusif du Squelette ! Mais il est bien vrai que, tout au long de ces deux cents ans, la mort ne cesse d'être présente dans l'art, la littérature, l'action pratique, l'économie même — et cela, d'une façon qui demande à être expliquée. Les attitudes divergentes, les changements progressifs comme les cristallisations et les retours aux vieilles attitudes ; autant de prises de positions dont la diversité se rapporte toujours à un point fixe : l'au-delà et la mort.

Type
Études
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1951

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

Footnotes

*

[Nous accueillons d'autant plus volontiers ici la substantielle étude de M. Tenentï qu'elle annonce en fait toute une suite d'autres travaux orientés dans la même direction — et notamment un livre du même auteur à paraître prochainement, au compte de la Société March-Bloch, sur la représentation de la mort du XIVe au XVIe siècle. — N. de la R.]

References

1. Pour la France, voir Dimier, L., Les danses macabres et l'idée de la mort dans l'art chrétien (Paris, 1902)Google Scholar ; — pour l'Allemagne, Seelmann, W., Die Totentänze des Mittelalters (Leipzig, 1893)Google Scholar, et Fehse, , Der Ursprung des Totentänzen (Halle, 1907)Google Scholar ; — pour l'Espagne, White, FL., The dance of death in Spain and Catalonia (Baltimore, 1931)Google Scholar ; — pour l'Italie, Vigo, P., Le danze macabre in Italia (Livourne, 1878)Google Scholar, et F. Neri, Fabrilia (Turin, 1930).

page 435 note 1. de Vinci, Léonard, Œuvres, Oxford, Richter, 1939, vol. II, p. 234 Google Scholar.

page 435 note 2. « O huomo, il diavolo giuoca ad scacchi con teco, e guarda di giugnerti, et darti scaccho matto ad quel puncto : et pero sta preparato, pensa bene ad quel puncto : che se tu vinci quel puncto tu hai vincto ogni cosa : ma se tul perdi tu non hai facto nulla. » J. Savonarole, Predica dell'arte del bene morire (Florence, s. d.), B. N. P. Rés. 9798, fol. Av.

page 435 note 3. Michault, P., Danse des Aveugles, Bréhant-Louedac, vers 1485 (B. N. P. Rés. p. Ye 230, fol. Fii)Google Scholar.

page 435 note 4. Entre 1480 et 1488, on remarque quelques éditions en France (Paris) et en Espagne (Saragosse), pays qui n'avaient pas encore connu l'ouvrage. La pause entre 1480 et 1488 se retrouve, soit dansées centres les plus importants (Cologne, Florence), soit dans les centres mineurs (Milan).

page 436 note 1. Schreiber, W. L., dans son vieux mais précieux Manuel de l'amateur de la gravure sur, bois et sur métal au XVe siècle (Leipzig, 1902, t. IV)Google Scholar, pense que l'ouvrage était d'abord destiné aux jeunes ecclésiastiques pour leur apprendre à assister les mourants ; il aurait été ensuite traduit dans les langues vulgaires pour permettre aux laïques de les remplacer.

page 436 note 2. Peut-on voir en cela un indice de l'origine franciscaine de l' Ars moriendi ? Rappelons que, depuis la moitié du siècle précédent, le franciscain anglais Guillaume d'Occam avait réduit à rien les démonstrations théologiques de plusieurs dogmes, laissant à la croyance l'unique base de la foi.

page 437 note 1. « Sed ut omnibus ista materia sit fructuosa et nullus (sic) ab ipsius speculatione secludantur, sed inde mori salubriter discant. tam lustris tantum litterato de servientibus quam ymaginibus laico et literato simul deservientibus cunctorum oculis obiicitur. Quae duo se mutuo correspondantes habent se tanquam speculum in quo praeterita et futura tanquam praesencia speculantur. » Ars moriendi, s. 1. n. d. F° Aii (B. N. P. Rés. Xyl. 24).

page 437 note 2. Male, Émile, L'art religieux de la fin du moyen âge, Paris, A. Colin, 1908 CrossRefGoogle Scholar, et L'art religieux du XIIe au XVIIIe siècle, Paris, A. Colin, 1945, p. 146-152.

page 437 note 3. Le sens du macabre du XVe siècle est sans doute une déviation de la conception catholique, mais l'appeler païen, c'est commettre une inexactitude. Non seulement il n'y a aucun lien entre l'antiquité classique et le sens morbide de la putréfaction, mais celui-ci constitue, à n'en pas douter, un égarement et une crise qui se sont produits à l'intérieur de la conscience chrétienne.

page 437 note 4. L'Artis bene moriendi perutilis tractatus, reprenant une pensée de Duns Scot, affirme que si le mourant « vult mori et plane consentit in mortem ac si eam per se elegisset, satisfacit pro omnibus venialibus peccatis, immo confert aliquid ad satisfaciendum pro peccatis mortalibus ». Paris, 1499, f° Avii verso-Aviii (B. N. P. Rés. D. 53.463).

page 438 note 1. A la masse d'anges et de bienheureux qui apparaît dans ces gravures correspond le nombre imposant de saints et d'anges invoqués nominalement dans les testaments de cette période ; nous citons seulement celui de la duchesse Marguerite de Bretagne (du 22 septembre 1469), où elle invoque saint Michel en tant que représentant de tous les anges ; saint Pierre en tant que représentant de tous les apôtres ; les 4 évaugélistes et 24 autres saints, nommés un à un.

page 438 note 2. En effet, les familiers prennent les images sacrées qu'ils ont à portée de leurs mains, quand ce ne seraient que celles de l'Ars moriendi, et les lui placent sous les yeux, comme l'Ars le recommande : « Si agonisans loqui et usum rationis habere potuerit fundat orationes, Deum primo invocando ut ipsum per ineffabilem misericordiam suam et virtutem passionis suae suscipere dignetur. Secundo, diligenter invocet gloriosam Virginem Mariam pro sua mediatrice ; deînde omnes angelos et praecipue angelum pro sua custodia deputatum ; deinde Apostulos, martires, confessores atqua virgines, specialius tamén illos quos aut quas prius sanus in veneratione habuit et dilexit, quorum ymagines cum ymagine Crucifixi et beatae Mariae Virginis ei praesententur » (Xyl. 24 f” Bv).

page 439 note 1. Autour de 1470-1480, on rencontre souvent la narration de la mort d'un pape qui passa directement de ce monde à la béatitude céleste, grâce à trois Pater récités par son aumônier en se référant à trois moments de la Passion du Christ.

page 439 note 2. « Item dicat pluries sepe repetens istum versum ter ad minus : Dirupisti, Domine, vincula mea tibi sacrificabo hostiam laudis. Nam iste versus secundum Cassiodorum tantae virtutiscreditur ut peccata hominum dimittantur si in fine trina repetitione dicatur. » Artis bene moriendi…, fol. B. iii, recto.

page 439 note 3. « Quicumque autem ad praedictas interrogationes ex conscientia bona et flde non ficta vere poterit affirmative respondere, satis evidens argumentum habet, si sic decesserit, quod de numero salvandorurh erit. » Ibid., fol. B. i, verso.

page 439 note 4. « O quam saluberrimum est habere hanc gratiam plenariae remissionis in articulo mortis et bene ea uti cum pleno usu rationis et integra omnium suorum peccatorum confessione : vere tocius mundi opes in comparatione tanti beneficii pro nihilo computantur. » De arte bene moriendi, Leipzig, 1495, ch. IX, fol. B. v, verso (B. N. P., Rés. D 4713 [3] : l'ouvrage avait déjà paru en 1480.

page 439 note 5. Savonarole, Érasme, Montaigne parlent aussi de cet ami, chacun avec une attitude différente.

page 439 note 6. Dans la gravure, le malade lève réellement le pied contre le plus proche de ses familiers.

page 439 note 7. « O miser, tu jam relinques omnia temporalia quae sollecitudinibus et laboribus maximis sunt congregata, etiarn uxorem.,.. » (Ars moriendi, Xyl. 24, f° BUi.).

page 440 note 1. Elles sont un lieu commun de tous les Artes moriendi, même au delà de 1500 ; de la Complainte de l'âme damnée, etc.

page 440 note 2. Dans certains exemplaires tardifs (comme celui qui parut à Lyon vers 1488), ces démons prennent l'allure d'esprits follets. Ils ont l'air de profiter des tentations comme d'un amusement ou d'une exhibition ; ils sourient au mourant, ou lui font des grimaces ; quand l'ange emporte l'âme dans son domaine, ils n'ont pas l'air d'en éprouver beaucoup de peine. Le sens du grotesque et de l'extravagant affaiblit l'inspiration primitive.

page 440 note 3. Naturellement, les milliers d'exemplaires imprimés ou gravés restent dans les maisons des acheteurs, dans les bibliothèques, etc., continuant à agir sur la sensibilité du siècle suivant.

page 441 note 1. Francesco di Dino à Florence, P. Hurus à Saragosse et Peter van Os en Flandre méritent aussi une mention.

page 441 note 2. Y compris les reproductions xylographiques : voir le Gesamtkatalog der Wiegendrucke, Leipzig, 1926, Bd II.

page 441 note 3. Les marchands libraires parisiens avaient dans les foires de Troyes un des meilleurs marchés pour leurs exemplaires.

page 441 note 4. Artis bene moriendi perutilis tractatus, op. cit., f° F iii verso.

page 442 note 1. « Appetens bene mori amplectetur prius bene vivere » (Ch. II, fol. A. iii), et plus bas : « Ars haec bene moriendi primum vult habere artem bene vivendi et unum est introductivum alterius, neque enim speranda est mors bona quam non praecessit vjta bona. » (Ch. XV, fol. C. iv, verso.)

page 442 note 2. Ce Livre de bien vivre est très intéressant parce qu'il présente la doctrine sous la forme la plus acceptable pour les contemporains : on y trouve ainsi des discussions et des justifications théologiques fondées sur les critères de la raison, de la décence et de la convenance.

page 442 note 3. « … La fantaisie, fixée avec force, pousse avec véhémence l'homme où elle veut », op. cit., B. i, verso.

page 443 note 1. A ce sujet, on trouve souvent dans les testaments des expressions intéressantes, par exemple dans celui de Jean Cossa, comte de Troia (15 septembre 1476) : «… Evidenter pateat et sit notum atque manifestum quod cum humana conditio, in omnibus fere quae sua sunt, caduca et fragills naturae ac omnia subito capi ruina ; homo nempe ut flos eggreditur et fugit velut umbra quae numquam in eodem statu permanet sed repletus multis miseriis et langoribus brevi vivens tempore efflcitur. quasi putredo quae consumitur. » (B. N. P. Mss. fonds français, 4.332, f° 26.)

page 443 note 2. Crainte qui finit par prévaloir même dans la circonstance très délicate de l'agonie d'un pécheur, où on a raison de craindre une repentance très peu sincère. L'Artis bene moriendi perutilis tractatus, tout en affirmant que, en général, la contrition doit naître « non solum timoré mortis vcl poenac cuiusdain, sed magis ex amore Dei et iustitiae et ex cantate qua tenemur Deum super omnia diligere » (fol. B. I, recto), spécifie ensuite : « Iustum est enim ut cum terrore salubri compurgatur et salvetur quandoque cum blanditiis et dissimulatione nocius condemnetur. Absurdum quippe nimis est, et christianae religioni contrarium, immo diabolicum, ut homini christiano morituro mortis et animae periculum ex humano timoré ne conturbetur abscondatur » (fol. B. v, verso).

page 443 note 3. « Non dico de vagis opinionibus habsntium parietibus ecclesiarum descriptis, sed de quibus constat per autenticas litteras quibus merito fldes est adhibenda. » (De arte… bene moriendi, ch. IX, fol. B. v, recto).

page 443 note 4. Citons, s'il faut citer un exemple parmi tant d'autres, le testament de François Ier duc de Bretagne (22 janvier 1449): «… Savoir faisons que nous, sain de corps et de pensée (grâce à N. S.) considérants qu'il n'est chose plus certaine que la mort, ne plus incertaine que l'heure d'icelle, voulants prévenir l'angouesse douloureuse de maladie mortelle et l'aspresse d'icelle qui tellement offusque l'entendement de homme mortel, que par destresse de peine ne peust (comme mestier seroit) penser du sauvement de son âme…. », Morice, Dom, Mémoires pour servir…, Paris, 1743, t. II, p. 1517 Google Scholar. Formules analogues dans les testar ments d'Alain IX vicomte de Rohan (22 février 1461), de Louis du Maine (19 mars 1489), de Jeanne de Sicile (1498), de Marquise Forget (9 avril 1505), etc.

page 444 note 1. Rappelons que le testament d'Henri de Beaufort (11 avril 1447) demande trois messes journalières pour le repos de son âme et 10 000 autres (3 000 de requiem, 3 000 rorate coeli, 3 000 du Saint-Esprit et 1 000 de Trinité) à célébrer le plus tôt possible après son décès ; Françoise de Dinan (31 décembre 1499) en demande 6 000, et Cristophe de Penmarch (6 décembre 1505) laisse un revenu pour plusieurs messes quotidiennes perpétuelles, etc.

page 444 note 2. « … Et eamdem pro re notata habere ex tune firmiter intendit prout in protestationibus actuum theologicorum in scolis theologiae consuetum est fleri, sicut etiam aliquos insignes viros audio fecisse » (De arte bene moriendi…,, ch. XVIII, fol. Deiv, recto).

page 444 note 3. « Non est enim dubium exteriora facta multum conferre interioribus…. Scripturam vero talem et protestationem semper prae oculis habere debet, ut per hanc omnium errorum rivulos conculcare possit, praesertim quia deliberatione et non impedita ratione eam flrmavit, nulla firmiore tune occurente. » (De arte bene moriendi,.., ch. XVIII, fol. D. iv, recto). A partir de la deuxième moitié du XVe siècle, on remarque, en effet, dans les testaments des déclarations comme celle de Jeanne de Sicile (1498) : « Toute personne catholicque, de quelque estat, segneurie, dignité et prééminence qu'elle soit, désirant faire bonne fin et de terminer ces jours de cette vie mortelle en paix de sa conscience, doit au temps que Dieu luy donne santé et prospérité, tellement disposer de son estât et prouvoir à ce qu'elle veult faire et ordonner par son testament… Nous recommandons nostre âme à Dieu et à la benoiste Vierge Marie et à tous les sainetz de Paradis, protestant que voulions vivmet mourir en la vraye confession de la saincte foy catholicque et chacun des articles d'icelle, tant de la benoiste Trinité que de l'incarnation du benoist fils de Dieu nostre sauveur Jésus Christ — et sy, par aucune passion ou altération de maladie ou autrement (que Dieu ne veuille), il nous advenoit, de rechef nous protestons que ne voulions et n'entendons disceder ne départir de ladite confession, etc. » (B. N. P., Mss. fonds français, n. 4 507, f° 115-116). Voir aussi Françoise de Dinan (3 décembre 1499), etc.

page 444 note 4. On a nettement l'impression que la tendance au gain et la recherche de l'utile mondain sont délibérément employées à des buts pieux, ou présentées comme tels.

page 445 note 1. Comme Louis XII dans son château de Blois, faisant reproduire la Danse macabre.

page 445 note 2. Predica, fol. B. ii, verso.

page 445 note 3. Ibid., fol. A. v, recto.

page 445 note 4. « Horsù io mi ricordo che io altra volta faccendoti simile predica, ti dissi che volendoti tu preparare bene alla morte, tu ti facessi dipingere in una carta il paradiso disopra e lo inferno di sotto e tenessila in camera tua in loco cheti fussi spesso inanzi agli occhi, ma non pero tu ne facessi uno habito di vederla e che pol la non ti movessi nulla. E dissiti che tu pensassi sempre, e dicessi : forse hoggi morrô et guardassi molto bene questa figura, e che la morte tista sempre incontro perlevarti di questa vita… ». (Ibid., fol. A, vi, recto.)