Article contents
1942 et le sort des Juifs : quel tournant dans l'opinion ?
Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Extract
L'idée d'un virage de l'opinion, d'une mutation décisive ou même d'un renversement, régulièrement associée à 1942, recoupe et renforce une autre image traditionnelle, celle de l'année-charnière. Image à la fois juste et imprécise, trop largement utilisée pour ne pas l'être, parfois, de manière approximative, trop commode pour ne pas renforcer une vision schématique de l'évolution des attitudes dans la France de Vichy.
Face à la succession accélérée des événements et à la multiplicité des facteurs qui pèsent sur les esprits au cours de quelques mois de rebondissements exceptionnels, la généralité d'un jugement passe-partout favorise les amalgames et entretient des éléments de confusion.
Summary
After a long period of public silence and indifference, 1942 undoubtedly reflects a significant turning point in reaction to the Jews fate. The public was shocked by the summer roundups, and stimulated by the open protests of some religious authorities. With the Jews increasingly perceived as victims rather than criminals, operations targeted at rescuing the Jews became more efficient. Such operations should therefore be understood as part of a larger public opinion trend. Yet the many ambiguous perceptions and conflicting behaviors that persisted call into question the true significance of 1942.
- Type
- L'Opinion et les Victimes
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1993
References
1. Raccourci volontairement incomplet auquel on devrait ajouter, pour la seule situation intérieure, les exécutions d'otages, le marquage des Juifs, les déclarations gouvernementales en faveur de la victoire allemande, l'institution de la Relève, les rafles de l'été, les mesures sur l'« utilisation de la main-d'oeuvre » en septembre, la prise de conscience de la collusion objective entre l'Allemagne nazie et Vichy, l'arrestation de Weygand, le sabordage de la flotte à Toulon.
2. Michaël, Cf. Marrus, R. et Paxton, Robert O., Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Levy, 1981 Google Scholar et Pierre Laborie, « The Jewish Statutes in Vichy France and Public Opinion », Y ad Vashem Studies, vol XXII, Jérusalem, 1992, pp. 89-114.
3. L'interférence entre méthode et discours est constante quand on aborde l'étude des phénomènes d'opinion. C'est par pur artifice, et pour ne pas alourdir le texte, que cet aspect est écarté. D'autre part, sur le contenu du propos, et en raison de la contribution de Daniel Cordier, l'analyse des positions de la Résistance ne sera pas abordée. 4. Les positions des communistes, et en particulier des Juifs qui combattent au sein de la MOI, sont parmi les plus précoces et les plus affirmées, mais leur interprétation donne toujours lieu à débat. Adam Rayski, Cf., Le choix des Juifs sous Vichy, entre soumission et résistance, Paris, La Découverte, 1992 Google Scholar et Kriegel, Annie, Ce que j'ai cru comprendre, Paris, Robert Laffont, 1991.Google Scholar Dans la Résistance non communiste et au milieu des protestations qui deviennent plus nombreuses et plus fermes à partir du deuxième semestre 1941, on peut rappeler le retentissement exceptionnel du premier numéro du Cahier du Témoignage chrétien : « France, prends garde de perdre ton âme », rédigé en juillet 1941, diffusé à l'automne, et qui affirmait l'incompatibilité entre christianisme et antisémitisme. 5. La lettre au grand rabbin a été connue indirectement, après avoir été dénoncée par la presse antisémite (voir Au Pilori, du 21 août 1941). Elle sera reproduite dans la presse clandestine protestante. La lettre adressée à Darlan restera ignorée. Son existence ne sera révélée qu'en octobre 1945 par Marc Boegner. On peut ajouter que les lettres de René Gillouin au maréchal Pétain contre les lois antijuives datent des 23 et 29 août 1941 et que les Thèses dites de Pomeyrol (la septième condamne solennellement l'antisémitisme et le rejet des Juifs « hors des communautés humaines ») sont adoptées les 16 et 17 septembre 1941. Cf. les Carnets du pasteur Boegner, 1940-1945, présentés et annotés par Philippe Boegner, Paris, Fayard, 1992. 6. Hamon, Léon, Vivre ses choix, Paris, Robert Laffont, 1991.Google Scholar
7. Le Vélodrome d'Hiver, situé rue Nélaton, dans le XVe arrondissement de Paris.
8. Il n'est pas possible d'entrer ici dans le détail des arrestations et des transferts. On peut se référer à Klarsfeld, Serge, Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans la Solution finale de la question juive, 2 tomes, Paris, Fayard, 1983-1985 Google Scholar, à Kaspi, André, Les Juifs pendant l'Occupation, Paris, Le Seuil, 1991 Google Scholar et à Gérard Gobitz, 1942. Les déportations de zone libre, exemplaire dactylographié, chez l'auteur, mars 1992.
9. Cité par Klarsfeld, Serge, L'étoile des Juifs, Paris, L'Archipel, 1992.Google Scholar
10. Biélinky, Jacques, Journal, 1940-1942. Un journaliste juif à Paris sous l'Occupation, présenté, établi et annoté par Poznanski, Renée, Paris, Éditions du Cerf, 1992.Google Scholar
11. « 16 juin 1942 » dans Jean Guéhenno, Journal des années noires, 1940-1944, Paris, NRF, Gallimard, 1947.
12. Allusion à la mort de Louise Jacobson, lycéenne déportée à Auschwitz en 1943 et arrêtée le 1” septembre 1942 par des policiers français « parce qu'elle ne portait pas l'insigne propre aux Juifs ainsi qu'il est prescrit par une ordonnance allemande ». Négligence répétée, comme des voisins se feront un devoir de le confirmer. Cf. Serge Klarsfeld, L'étoile des Juifs, op. cit.
13. Galtier-Boissiere, Jean, Mon Journal pendant l'Occupation, Paris, La Jeune Parque, 1945.Google Scholar
14. C'est seulement un mois après les événements, le 17 août, que Léon Werth, réfugié à Saint-Amour, un village du Jura situé en zone sud, fait allusion à la rafle du Vel d'Hiv. Voir Werth, Léon, Déposition, Journal, 1940-1944, présentation de Azéma, Jean-Pierre, Paris, Viviane Hamy, 1992.Google Scholar
15. Sans parler des mesures de discrimination, de spoliation et d'internement, trois rafles ont marqué l'année 1941 en zone occupée : 14 mai, 20-23 août, 12 décembre. Près de 9000 personnes ont été arrêtées. La première déportation des Juifs de France date du 27 mars 1942 et concerne 1112 d'entre eux. Cf. Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz, op. cit.
16. Claude Mauriac, qui accompagne sa mère à la gare (elle va rejoindre son père déjà à Malagar), écrit le lendemain 20 juillet dans son journal : « Un long train de marchandises, cerné par des forces policières imposantes, avec de pâles visages d'enfants pressés aux étroites ouvertures des wagons à bestiaux. Voilà ce que j'ai vu, hier matin, à la gare d'Austerlitz où j'avais été conduire maman à son train. […] Maman est bouleversée par ce spectacle. Notre séparation en fut attristée. Toute la matinée j'ai gardé la hantise de cette vision déshonorante : un convoi de gosses juifs, mené vers quel bagne ? Et les mères ? Où étaient les mères ? On ne peut imaginer l'étendue des souffrances ainsi engagées ». Mauriac, Claude, Les espaces imaginaires. Le temps immobile, 2, Paris, Grasset, 1975.Google Scholar Sur Le Cahier noir, voir Jean Touzot, Mauriac sous l'Occupation, Paris, La Manufacture, 1990. Sur le convoi aperçu par les Mauriac le 19 juillet et le sort des enfants du Vel d'Hiv, voir Conan, Eric, Sans oublier les enfants. Les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, 19 juillet-16 septembre 1942, Paris, Grasset, 1991.Google Scholar
17. Editorial prononcé à 21 heures 30 et à 22 heures. Le texte complet se trouve dans Les Voix de la Liberté. Ici Londres, 1940-1944, édition établie sous la direction de Jean-Louis Cremieux-Brilhac, t. 2, Le Monde en feu, 8 décembre 1941-7 novembre 1942, Paris, La Documentation française, 1975.
18. Témoignage chrétien du 18 août 1942. Renée Bédarida, Cf., Pierre Chaillet, témoin de la Résistance spirituelle, Paris, Fayard, 1988.Google Scholar
19. Le 29 août 1942, le général de Saint-Vincent, commandant la 14e région militaire de Lyon, refuse de fournir à l'intendant de police des escadrons pour maintenir l'ordre pendant un transfert de Juifs vers la zone occupée en précisant : « Jamais je ne prêterai ma troupe pour une opération semblable ». Il est renvoyé par Vichy deux jours plus tard et admis à faire valoir ses droits à la retraite.
20. 24 juillet et 12 septembre 1942. Rist, Charles, Une saison gâtée. Journal de la guerre et de l'Occupation, 1939-1945, établi par Jeanneney, Jean-Noël, Paris, Fayard, 1983.Google Scholar
21. Maurice Martin du Gard affirme que Maurice Sarraut aurait répondu à l'émissaire du ministère de l'Information qui lui rappelait son anticléricalisme : « Nous ne choisirons pas ce jour pour nous ranger parmi ses adversaires (de l'Église). Je veux pouvoir regarder en face l'archevêque de Toulouse ». Cf. Henri De Lubac, Résistance chrétienne à l'antisémitisme, souvenirs 1940-1944, Paris, Fayard, 1988 et Gard, Maurice Martin Du, La chronique de Vichy, 1940-1944, Paris, Flammarion, 1948.Google Scholar
22. Article signé « Saint-Julien », titré « Aspects de la question juive et réflexions à ce propos » et publié le 3 septembre 1942 à la première page du quotidien Le Grand Echo du Midi. Il donne lieu, dans les jours suivants, à des commentaires favorables dans La Garonne et Le Midi socialiste.
23. La Garonne, cf. Eric Malo, Le camp de Noë, des origines à novembre 1942, mémoire de maîtrise, UER d'histoire, Université de Toulouse-le-Mirail, 1985.
24. Texte de protestation « en faveur des droits imprescriptibles de la conscience humaine », non publié mais que chaque évêque devait communiquer à son clergé. Selon le père de Lubac, Mgr Valerio Valeri, nonce à Vichy, l'estima un peu pâle (piuttosto platonica). Cf. Henri DE Lubac, op. cit.
25. « Nous n'ignorons pas que la question juive pose de difficiles problèmes nationaux et internationaux. Nous reconnaissons bien que notre pays a le droit de prendre toutes mesures utiles contre ceux qui, en ces dernières années surtout, lui ont fait tant de mal et qu'il a le devoir de punir sévèrement tous ceux qui abusent de l'hospitalité qui leur fut si généreusement accordée. Mais les droits de l'État ont des limites », Mgr Delay, évêque de Marseille, 6 septembre 1942.
26. La Chronique de Vichy, op. cit., pp. 286-288.
27. Sur le rôle pionnier des organisations d'entraide, Anne Grynberg, cf., Les camps de la honte, les internés juifs des camps français, 1939-1944, Paris, La Découverte, 1991.Google Scholar
28. Représentation fortifiée par les mesures qui suivent la loi du 4 septembre « relative à l'utilisation et à l'orientation de la main-d'oeuvre ». Cette loi prévoit que les hommes entre 18 et 50 ans et les femmes célibataires entre 21 et 35 ans peuvent être assujettis « à effectuer tous travaux que le gouvernement jugera utiles dans l'intérêt supérieur de la nation ». La formulation ne trompe personne et annonce le travail obligatoire officiellement instauré le 16 février 1943. Cf. Dominique Rémy, Les lois de Vichy, Paris, Éditions Romillat, 1992. Pour replacer cette analyse dans le contexte plus général de l'évolution et des significations de l'attentisme, je me permets de renvoyer à Laborie, P., L'opinion française sous Vichy, Paris, Le Seuil, 1990.Google Scholar
29. Pour Serge Klarsfeld, « Les Juifs de France doivent à ce sursaut de l'opinion française le ralentissement de la coopération policière massive instaurée entre Vichy et la Gestapo en juillet 1942 ». Voir également M. R. Marrus et R. O. Paxton, op. cit, ainsi que Denis Peschanski, « Que savait Vichy ? Et que savaient les Français ? », dans Stéphane Courtois et Adam Rayski (sous la direction de), Qui savait quoi ? L'extermination des Juifs 1941-1945, Paris, La Découverte, 1985.
30. Voir par exemple les problèmes posés par l'interprétation de l'attitude des autorités de Vichy face au sauvetage des Juifs dans certaines zones de refuge protestantes. Cf. le colloque « Les protestants pendant la seconde guerre mondiale », Paris, novembre 1992, actes à paraître.
31. Cf. les manifestations publiques, les protestations et les grèves contre la Relève. Voir Semelin, Jacques, Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe, 1939-1943, Paris, Payot, 1989.Google Scholar
32. Ce jour-là, l'assistance massive à la « messe de minuit », en réalité avancée à 18 heures, découvre l'étoile jaune ainsi portée. La procession qui conduit à la crèche traverse la foule, où se trouvent de nombreux Allemands. Voir Joseph Ball, L'abbé Flory, 1886-1949, documents et témoignages, Besançon, 1978. Mes remerciements à Monsieur Joseph Pinard qui m'a signalé ce fait.
33. Ainsi que l'écrit André Kaspi, Les Juifs pendant l'Occupation, Paris, Le Seuil, 1991.
34. Cf. le témoignage de Pierre Vidal-Naquet qui écrit : « Je n'ai distingué que tardivement la déportation de mes parents qui sont morts à Auschwitz, de la déportation de ceux qui ont été envoyés à Buchenwald ou à Ravensbruck ». « Le couple Histoire-Mémoire face à la Shoah » dans Hommes et Migrations, n° 1158, octobre 1992. Sur ces problèmes, voir Wieviorka, Annette, Déportation et génocide entre la mémoire et l'oubli, Paris, Plon, 1992.Google Scholar
35. Rayski, Adam, Le choix des Juifs sous Vichy entre soumission et résistance, Paris, La Découverte, 1992.Google Scholar
36. Wellers, Georges, L'étoile jaune à l'heure de Vichy, Paris, Fayard, 1973.Google Scholar Réédition sous le titre Un Juif sous Vichy, Paris, Éditions Tirésias-Michel Reynaud, 1992.
- 1
- Cited by