La prospection de 192 stations dans un même bassin des Pyrénées centrales — la rivière Neste d'Aure et ses affluents — entre 2 500 et 500 m d'altitude, a permis l'étude écologique de 108 espèces de Trichoptères.
I. — Les conditions générales (topographie, hydrologie, géologie, climat) font de la vallée d'Aure un bon exemple de vallée des Pyrénées centrales. Pour chacun des affluents étudiés sont indiqués : la topographie, l'hydrographie, les terrains traversés, la végétation et les influences humaines. Les données relatives à chaque station figurent en annexe : référence, localisation, degré d'investigation (prélèvements, nombre d'espèces et d'individus récoltés), caractères physico-chimiques.
II. — Les prélèvements ont été réalisés au filet-troubleau, sur des surfaces variant entre 0,20 et 0,30 m2 . Un facteur de correction a été introduit pour rendre les lavages de mousses comparables aux prélèvements sur substrat pierreux.
La représentation de la faune de chaque station regroupe l'ensemble des relevés effectués dans les différents habitats. Le symbole d'abondance affecté à chaque espèce rend compte du plus grand nombre de larves récoltées dans un des prélèvements de la station (fig. 5).
14 espèces ont été qualifiées de fondamentales d'après leur fréquence dans les classes d'abondance les plus élevées. Leurs affinités cénotiques, établies par la méthode du carré moyen de contingence, ont permis de déterminer divers groupements de Trichoptères dans l'ensemble de la vallée d'Aure (fig. 8 à 21). Les groupements suivants ont été retenus :
A. — Groupements des lacs de haute altitude :
1. Annitella pyrenaea.
B. — Groupements des sources et ruisseaux froids de haute altitude :
2. Melampophylax mucoreus - Apatania stylata - Synagapetus insons - Drusus rectus (sources pierreuses),
3. Apatania stylata - Sgnagapetus insons - Drusus rectus - Micrasema morosum (sources à mousses),
4. Synagapetus insons - Drusus rectus - Micrasema morosum - Drusus (discolor (torrents à Rhyacophila contracta et Rh. evoluta).
C. — Groupements des ruisseaux à forte amplitude thermique :
5. Philopotamus montanus - Agapetus fuscipes - Hydropsyche pellucidula (déversoirs de lacs à Rh. meridionalis - Rh. evoluta),
6. Philopotamus montanus - Agapetus fuscipes - Micrasema minimum - Hydropsyche instabilis (ruisseaux de basse montagne à Rh. mocsaryi).
D. — Groupements intermédiaires :
7. Hydropsyche instabilis - Melampophylax mucoreus (sources à Rh. praemorsa).
8. Drusus rectus - Micrasema morosum - Hydropsyche pellucidula (ruisseaux de moyenne montagne à Rh. martynovi),
9. Micrasema vestitum (ruisseaux de moyenne montagne à Rh. occidentalis),
10. Synagapetus insons - Drusus discolor - Philopotamus montanus (ruisseaux déversoirs de tourbières froides en haute altitude).
E. — Groupements de rivières :
11. Psychomyia pusilla (stations de la basse Neste à Rh. dorsalis - Rh. meridionalis),
12. Stations de la Neste moyenne (à Rh. occidentalis - Rh. meridionalis).
F. — Groupements divers :
13. Ruisselets de haute altitude à Stenophylax sequax,
14. Rochers suintants à Stactobia,
15. Mares temporaires à Limnephilus bipunctatus,
16. Sources diverses.
Chaque groupement est caractérisé par ses composantes spécifiques et ses composantes écologiques. A partir de "stations-types" où le groupement est bien représenté, diverses tendances apparaissent correspondant à des interférences ou à des zones de contact entre les groupements. Les communautés des différents habitats sont distingués dans les stations-types, principalement en fonction de la vitesse du courant et de la nature du substrat.
La comparaison des groupements indique :
— l'influence combinée de l'altitude et du régime thermique dans la répartition spatiale des groupements (fig. 24),
— l'importance des groupements intermédiaires (fig. 25).
Deux peuplements peuvent être distingués dans les cours d'eau de la vallée d'Aure. Le premier comprend des espèces sténothermes de haute altitude ; il est localisé dans les sources et les torrents froids du Massif de Néouvielle. Le second est composé d'espèces eurythermes; à partir des ruisseaux de basse et moyenne montagne, il remonte en altitude dans les déversoirs des lacs. Ces deux peuplements interfèrent dans les milieux intermédiaires :
— déversoirs des tourbières froides et ruisselets de la prairie subalpine en haute montagne,
— régions moyennes des ruisseaux à grande dénivellation et forte pente,
— régions des sources des ruisseaux de moyenne montagne.
Les particularités topographiques de la vallée d'Aure ne permettent pas le développement de certains groupements de moyenne altitude.
La localisation des Trichoptères dans les différents habitats d'eau courante est envisagée. Les espèces abondantes dans une station tendent à occuper les différents habitats de cette station. Les larves de plusieurs espèces, vivant en courant rapide dans les stations à températures maximales élevées, forment une partie plus importante des peuplements en courant lent ou nul lorsque les températures maximales s'abaissent. Pour les Trichoptères, la dispersion des pourcentages (σ) est élevée dans les mousses et en courant nul. Sur substrat pierreux, les valeurs de σ sont voisines dans les régions des sources pour des vitesses de courant différentes. Dans les ruisseaux de montagne (rhitron) , les valeurs de α diminuent des courants lents aux courants rapides. Ces conditions sont inversées dans la dernière station de la Neste d'Aure, influencée par la proximité de la Garonne (potamon).
L'accent est mis en conclusion sur le caractère transitoire des biocénoses benthiques et sur l'importance des régimes thermiques dans la zonation des eaux courantes.
III. — L'analyse biocénotique des espèces de haute montagne permet de dégager trois séries de noyaux d'affinité (tableau XVII). Ces noyaux se disposent d'une façon continue à l'intérieur de chaque série. Les variations sont mises en corrélation avec deux facteurs principaux : le régime thermique et la vitesse du courant (fig. 29). L'influence des variations journalières de température sur la faune de trois stations d'eau courante est indiquée pour trois ruisseaux dont les régimes thermiques sont différents. Le rôle des facteurs intrinsèques est abordé par l'étude de la distribution de cinq types morphologiques et du comportement des adultes. La localisation des noyaux d'affinité est indiquée dans les eaux de deux vallons typiques de haute altitude, différant essentiellement par leur orientation et leur mode d'alimentation.
IV. — La croissance de plusieurs espèces a été étudiée en haute et moyenne montagne. Les stades larvaires ont été déterminés par des mesures de capsule céphalique (fig. 34 A).
— La croissance de Rhyacophila occidentalis s'effectue essentiellement en automne et en hiver ; le cycle complet dure un an (fig. 35). Les jeunes larves peuvent être récoltées en courant nul ou très lent jusqu'aux stades II et III ; elles préfèrent ensuite les courants rapides (fig. 34 B). Ce changement coïncide avec l'acquisition d'un régime carnivore strict au stade III.
— Suivant les altitudes, le cycle de Rhyacophila evoluta peut durer un, deux ou trois ans (fig. 36 B, C, D). La croissance hivernale est possible en basse montagne (fig. 36 A). En altitude on constate deux ou trois arrêts de développement aux stades loeuf, III, (IV et V (fig. 37 A, B, C).
— Rhyacophila angelieri et Rhyacophila contracta présentent un cycle identique à celui de Rh. evoluta : deux ans à la station 5.4 (Rh. angelieri et Rh. contracta); trois ans à la station 5.1 (Rh. contracta).
— Rhyacophila mocsaryi est une espèce de moyenne montagne dont la croissance s'effectue essentiellement en été. Les adultes apparaissent très tôt dans l'année (fig. 38).
— Le cycle de Micrasema morosum dure deux ans en haute altitude. Deux arrêts de développement ont lieu en hiver — aux stades IV et nymphal (fig. 39 A). Les histogrammes réalisés pour une population de moyenne altitude (Espiaube) indiquent la possibilité suivant les années d'un cycle variant de un à deux ans (fig. 39 B).
— Micrasema vestitum accomplit son cycle en un an aux stations 7.2 et 7.3. On note un léger retard pour la population de la station la plus froide (fig. 40).
— Le cycle de Drusus rectus s'étend sur deux ans en haute altitude (fig. 41 A), une année en moyenne altitude (fig. 41 B).
— Pour Allogamus auricollis, les variations de taille entre deux populations de haute et de basse altitude sont étudiées pour chaque stade larvaire (fig. 42 B) et pour les adultes (fig. 42 A). Les différences de taille sont accentuées aux stades IV et V. D'après les dissections de quelques femelles, la maturation des ovaires paraît plus rapide en haute altitude (fig. 43). Le cycle de développement dure un an en haute et en basse altitude, mais les rythmes de croissance sont différents (fig. 44).
— Le développement de Limnephilus bipunctatus suit l'évolution des mares temporaires (fig. 45). L'arrêt de développement au stade oeuf correspond à l'assèchement. L'évolution varie suivant la date de remise en eau (en automne ou au printemps).
En haute altitude, la période d'enneigement correspond à des alternances d'engourdissement et d'activité ralentie. Les Trichoptères de haute montagne sont caractérisés par la possibilité de demeurer dans un état de vie ralenti à n'importe quel stade de leur cycle. L'arrêt du développement aux stades V et nymphal pour les températures élevées entraîne une égalisation des populations de basse et de haute altitude chez les espèces de la faune automnale : l'apparition des adultes n'est pas retardée par l'altitude.
L'évolution saisonnière de la faune est étudiée en deux stations de haute et moyenne montagne. A la station la plus élevée (5.4), on constate un arrêt du développement en hiver, à des stades variés suivant les espèces. La croissance des larves s'effectue essentiellement en été et en automne. A partir d'un étiage hivernal sévère, les crues de fonte des neiges provoquent chaque année une nouvelle distribution des habitats et de la faune. Le développement des larves dure un ou deux ans (fig. 46). Les débits de la station 7.3 sont plus réguliers : l'étiage hivernal est moins important, les crues de printemps affaiblies par les retenues artificielles en amont de la station. Les Trichoptères "brouteurs de substrat" dominent sur les pierres en courant lent ou modéré, Odontocerum albicorne et Sericostoma dans les milieux vaseux. La faune des pierres en courant rapide à très rapide est plus hétérogène. Les cycles de développement larvaire durent un an (fig. 46).
Les différences de condition de vie entre les deux stations sont discutées du point de vue de leur influence sur l'évolution saisonnière de la faune.
L'importance du comportement et des réactions spécifiques sur la répartition des Trichoptères de la vallée d'Aure est soulignée en conclusion.