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De la loi des Douze Tables a la Législation de l'Après-Guerre : Quelques Observations sur les Vicissitudes de la Notion Romaine de la Propriété

Published online by Cambridge University Press:  30 October 2017

R. Besnier*
Affiliation:
Faculté de Droit, Caen
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Sans doute n'est-ce pas sans raison que les Romains ne nous ont pas laissé de définition du droit de propriété. Dans notre Code civil, il se présentait comme le droit réel par excellence, assurant à son titulaire le maximum d'avantages que la chose pouvait fournir, et portant indifféremment sur tous les objets susceptibles de faire partie d'un patrimoine. Les historiens sont d'accord pour constater qu'il n'en a pas été ainsi à Rome.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1937

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References

page 323 note 1 Girard, Manuel de droit romain, 1929, p. 280 et suiv. ; Bonfante, Scritti giuridiei, t. II. p. 1-236 et Hist. du droit romain, t. 1,1928, p. 195-216. Détail de la bibliographie moderne dans l'ouvrage de Monier, Droit romain, 1935,1.1, p. 425 et suiv.

page 323 note 2 Cf., sur ce point, mon examen détaillé des textes dans l'article intitulé L'État économique de Rome au temps des rois dans Revue historique de droit, 1934, p. 434-435, en note ; l'examen le plus pénétrant de ces délicats problèmes est sans conteste celui de Mr F. De Visscher, Mancipium et res mancipi (Studia et documenta historiae et juris, Apollinaris), 1936, p. 263-324.

page 327 note 1 Pour les lois agraires cf., dans l'Histoire générale de Glotz : Bloch et Cahcopino, Histoire romaine des Gracques à Sylla et Carcopino, César, 1936.

page 329 note 2 Signalons d'un mot que l'évolution des servitudes, tout comme celle des formes de propriété, est commandée parles transformations économiques. Le passage de l'économie pastorale à l'économie agricole a entraîné la division du sol entre les gentes et corrélativement l'apparition des servitudes rustiques (d'eau ou de passage, etc.). La création de l'agglomération romaine, son accroissement, sa destruction par l'incendie, et aussi les modifications dans les modes de construction ont fait naître, développé et diversifié les servitudes urbaines, d'égout, de vue, de contiguïté, etc.

page 329 note 1 C'est également la raison pour laquelle la vente consensuelle qui, par définition, doit être facile, rapide, ouverte à tous, ne transmet que la vacua possessio et non la propriété, c'est-à-dire le dominium ex jure quiritium réservé aux seuls citoyens romains.

page 330 note 1 Ces deux dernières catégories de propriétaires n'ont pas le dominium, mais une proprietas. Ils sont protégés par des actions plus ou moins directement inspirées de la protection procédurale de la propriété quiritaire.

page 330 note 2 Le préteur protège le propriétaire prétorien par l'action publicienne. Les nécessités pratiques et économiques qui ont fait apparaître la propriété prétorienne expliquent également la formation historique de la notion romaine de possession. Savigny, Ihering et leurs successeurs s'efforcent de justifier la notion d'une possession par des considérations logiques ou abstraites. En réalité, cette idée est le produit d'une évolution historique très lente, en fonction de l'état économique et social des différentes époques de la civilisation romaine. La protection possessoire s'explique par les circonstances dans lesquelles s'est développé le droit de propriété à Rome. Beaucoup d'individus ne peuvent avoir le dominium sur leurs biens, la nature de ceux-ci ou la qualité des titulaires l'interdisent. Il en est de même quand une chose susceptible de dominium a été transférée par un mode non quiritaire (traditio d'une res mancipi) ou mise entre les mains de détenteurs. Cependant ces situations sont embarrassantes et elles méritent d'être protégées. C'est vraisemblablement en leur faveur que le préteur a imaginé de protéger la possession dans la personne du possesseur prétorien, du titulaire de la proprietas pérégrine ou du détenteur du fonds provincial. Le premier moyen auquel il a songé lui a été fourni par ses pouvoirs généraux sous forme d'interdits possessoires destinés à protéger ou à rétablir la situation de fait. A l'usage, les propriétaires ont constaté le caractère pratique de ces moyens et préféré souvent se faire traiter comme de simples possesseurs : c'est ainsi que la protection possessoire s'étend aux propriétaires qu'elle dispense d'une procédure longue et difficile. En réalité, la protection possessoire a été créée indépendamment de toute conception abstraite et théorique uniquement pour protéger des situations de fait intéressantes ; c'est plus tard seulement, et en réalité trop tard, que la doctrine a essayé d'expliquer et de systématiser ces résultats, d'où les difficultés auxquelles elle se heurte sans arriver à leur donner de solutions rationnelles susceptibles de grouper toutes les applications de la pratique. De là également toutes les discussions presque insolubles sur la nature de Vanimus dans la possession, et sur le point de savoir s'il est un animas domini ou un animus possidendi. En réalité, le problème, là encore, ne s'est pas posé d'une façon abstraite au début, d'où la difficulté d'expliquer des textes qui admettent au rang des possesseurs des individus qui n'ont pas Vanimus domini, mais qui également n'admettent pas tous ceux qui ont Vanimus possidendi. La liste des possesseurs s'est construite de façon progressive et empirique, en dehors de toute théorie philosophique et juridique sur la nature et l'analyse de l'idée de possession. La théorie est venue trop tard, et il n'a plus été possible de faire entrer tous les cas prévus par la pratique dans des théories faites après coup. Pour la bibliographie récente, cf. Monier, OUV. cité, t. I, p. 457 et suiv.

page 331 note 1 Justinien, en supprimant les deditices, fait disparaître les derniers cas de propriété provinciale et pérégrine.

page 332 note 1 En 530 et 531.

page 334 note 1 Degenklob, Platzrecht und Miethe, 1867 ; — Hajje, Étude sur les locations à long terme et perpétuelles dans le monde romain, thèse droit, Paris, 1926.

page 334 note 2 Mitteis, Zur Geschichte der Erbpacht im Altertum, 1901 ; — Albertario, Il possesso dell'ager çectigalis dans Rev. il Filengieri, 1912.

page 335 note 1 Mitteis, ouv. cité ; — Beaudouin, Grands domaines impériaux, 1899 ; — Girard, Textes ; — Rostowtzeff, Studien zurGeschichle des rômischen Kolonats, 1910 ; — Hajje, Ouv. cité ; — Rostowtzeff, , Social and économie history of roman empire, Oxford, 1926 Google Scholar.

page 335 note 2 Cuq, Le colonat partiaire, 1897 ; — Fustel De Coulanges, Recherches sur quelques problèmes d'histoire, 1894 ; — Beaudouin, OUV. cité ; — Mitteis, OUV. cité ; — Rostowtzeff, OUV. cité ; — Lot, La fin du monde antique, 1927 ; — Seek, V° colonus dans la Real Encyclopédie de Pauly-Wissowa ; — Hajje, Ouv. cité. Le colon reste théo riquement un homme libre, surtout au point de vue des droits de famille ; le propriétaire a sur lui un droit de correction, il peut le contraindre à réintégrer le domaine s'il s'enfuit ; le colon inscrit ne peut aliéner ses biens sans autorisation, le colon libre le peut. Le propriétaire ne peut aliéner le domaine sans le colon, ni le colon sans le domaine, au moins en principe ; il ne peut pas davantage modifier la nature de la redevance ; de son côté, le colon ne peut modifier le mode d'exploitation.

page 337 note 1 Sur la propriété en droit français au moyen âge et avant 1789, cf. Laveleye, La propriété et ses formes primitives, 4e édit., 1891 ; Meynial, , dans les Mélanges Fitting, Paris, 1908 Google Scholar, t. II, p. 409-461, à propos du domaine direct et du domaine utile ; Bloch, March, Les caractères généraux de l'histoire rurale française, Paris, 1931 Google Scholar. Très bonne vue d'ensemble de l'évolution et de son sens dans Les Études, 1934, p. 433-449 : J. Lecler, Propriété et féodalité, qu'est-ce qu'un propriétaire sous l'ancien régime ?

page 338 note 1 Précédées par la loi du 19 juillet 17 93. Cf. E. Silz, La notion juridique du droit moral de l'auteur, son fondement et ses limites dans Repue trimestrielle de droit civil, 1933, p. 331- 424 ; M. Picard, Les biens dans Planiol, et Ripert, , Droit civil, t. III, Paris, 1926, p. 552 Google Scholar et suiv. On sait que le ministre de l'Éducation nationale a déposé un projet de loi dont l'esprit accentue encore le caractère anormal de la propriété littéraire.

page 338 note 2 Pour la région parisienne, cf. décret-loi du 31 octobre 1935, citant les textes antérieurs sur le même sujet, Journal officiel, 31 oct. 1935, p. 11 480.

page 338 note 1 Circulaires réservées aux Parquets.

page 339 note 1 e fais allusion au régime de la Banque de France antérieur à la loi du 24 juillet 1936.

page 339 note 2 Rennes, 12 août 1844 (Sirev, 1844, 2, 450﹜ ; Teoplong, Commentaire de la loi du 23 mars 1SSS, p. xcvi, résumé de la séance du 15 janvier 1855 au Corps législatif. Sur l'ensemble, cf. J.-CH. Laurent, L'apparence dans le problème des qualifications juridiques, thèse Droit Caen, 1931, p. 17-19.

page 339 note 3 Aussi, quand on veut déterminer la qualification d'un fait nouveau, a-t-on souvent beaucoup de mal à savoir s'il s'agit d'une servitude (service foncier) ou d'un service personnel du titulaire du fonds. Quand on exige d'un meunier la mouture gratuite d'un certain nombre de sacs de blé chaque année, le service est-il dû par le meunier personnellement ou par le moulin ?

page 340 note 1 Les auteurs modernes se contentent, faute de mieux, d'un classement très superficiel, d'après l'objet delà propriété ; ainsi Mr Picard (ouv. cité, dans Planiolet Ripert, t. III) distingue la propriété foncière, le régime des eaux, le régime des mines, la propriété mobilière et les propriétés incorporelles sans établir de discrimination d'après un critérium interne. Dans le détail, les notions habituelles de démembrement de la propriété ou de restriction du droit du propriétaire interviennent pour nuancer les difficultés. En réalité, les formes nouvelles et modernes que nous avons signalées semblent bien appartenir à deux grandes catégories selon que la restriction au droit absolu du propriétaire est établie soit au profit de la collectivité, représentée par l'État, soit au profit de 1’ «utilisateur ». Dans le premier cas, nous assistons à une extension de ce que l'on pourrait appeler une sorte de domaine « éminent » de l'État ; dans le second, il s'agirait plutôt de l'extension d'une sorte de domaine « utile » de l'utilisateur.

Dans la première catégorie, extension du droit éminent de la collectivité, nous rencontrons des mesures qui ne prennent pas l'aspect d'une servitude, car il n'existe pas de fonds dominant proprement dit. Entrent dans cette classe : les règlements de police sur l'alignement, la démolition, l'hygiène, les établissements dangereux, incommodes ou insalubres, la réglementation relative à l'aménagement de la région parisienne et le régime des lotissements. Cf. G. Montsarrat, Des sujétions imposées à la propriété privée dans l'intérêt de l'urbanisme dans Chronique hebdomadaire Dalloz, 9 juillet 1936, p. 49-52. — En second lieu, le classement des monuments historiques ou artistiques (lois des 30 mars 1887 et 31 décembre 1913 ; décret du 18 mars 1924) qui empêche de modifier l'immeuble sans autorisation (en cas d'urgence des travaux et, à défaut d'accord amiable, l'immeuble peut être occupé provisoirement ; l'indemnité due dans ce cas est dérisoire et ne touche pas au principe). — Y entrent, également : la protection des sites naturels et artistiques (loi du 21 avril 1906) ; si le classement est accepté par le propriétaire, toute modification du site devra être acceptée par la commission de classement et approuvée par le ministre des Beaux-Arts ;—le régime spécial des forêts privées (loi du 28 avril 1922 et décret du 2 août 1923) classant les forêts, limitant le défrichement, imposant en certains cas le reboisement et le gazonnement.— A citer encore la loi du 16 octobre 1919 sur l'énergie hydraulique et le décret-loi du 31 octobre 1935 (J. 0., 31 oct. 1935, p. 11 506) relatif au forage des puits artésiens en Algérie.— Dans tous ces cas, des propriétés privées sont soumises au contrôle de l'État ; le droit du propriétaire est limité et surveillé, il ne peut rien faire qui soit contraire à l'intérêt o éminent » de l'État ; le droit de propriété a certainement perdu ainsi son caractère absolu.

Dans la seconde catégorie (extension du domaine utile de l'utilisateur), à côté de cas spéciaux comme le régime des sociétés anonymes (qui tend à dépouiller, en fait, les actionnaires de leurs droits théoriques) et à côté de la réglementation de la propriété littéraire et artistique (qui protège l'auteur et en fait pendant cinquante ans un utilisateur), l'exemple le plus net et le plus concluant est fourni par la propriété commerciale. La loi du 26 juin 1926 reste le texte fondamental malgré des remaniements incessants. Le principe est net : à l'expiration du bail, le locataire commerçant peut exiger le renouvellement du bail ou, à défaut, une indemnité représentative. Le propriétaire n'est donc plus libre de disposer de son immeuble comme il l'entend. — Une masse énorme de lois organise la prorogation des baux à ferme ou à loyer contre la volonté certaine des propriétaires. On ne réglemente pas seulement la durée du bail, mais aussi le prix, une des prérogatives essentielles du propriétaire ; sa libre disposition de son bien disparaît au moins temporairement. — Les circulaires ministérielles ne permettent d'expulser un débiteur saisi que dans la mesure où un local habitable peut être mis à sa disposition, surtout s'il est père de famille ou en chômage. — De nombreuses propositions actuellement discutées par le Parlement tendent à instituer une propriété culturale, plus ou moins copiée sur la propriété commerciale ; elle fonctionnerait sous la forme d'une indemnité à verser parle propriétaire au fermier en fin de bail pour l'indemniser de la plus-value incorporée à la terre par son travail. — Les lois du 21 juin 1865 et du 22 décembre 1888 et l'application au remembrement de la propriété foncière de la loi du 27 novembre 1918 imposent en certains cas la décision d'une majorité. — Enfin la loi du 9 septembre 1919, le plus récent des textes relatifs aux mines, souligne le caractère très spécial de la propriété minière : c'est le type même d'une propriété immobilière divisée sous la forme d'une superposition de « tenures » depuis celle du « propriétaire » de la surface jusqu'à celle de l'exploitant du sous-sol. — On trouvera les textes et leur examen critique dans l'ouvrage de Mr Ripert, Le régime démocratique et le droit civil moderne, Paris, 1936, p. 205-264.

Au fond, la notion exclusive de propriété droit individuel absolu et perpétuel paraît singulièrement compromise, sinon même périmée. A l'heure actuelle, elle ne répond plus aux nécessités économiques et sociales présentes. Par contre, l'idée d'une propriété fonction sociale, que certains proposent (P. Coste-Floret, La nature juridique du droit de propriété d'après le Code Civil et depuis le Code Civil, thèse droit, Paris, 1935) et qui permettrait d'expliquer en doctrine les solutions nouvelles n'est certainement pas en harmonie avec les principes qui nous régissent encore en théorie. En réalité, nous nous trouvons dans une période de transition, où l'on ressent durement la carence de principes trop abstraits que les faits ont dépassés, et où le droit, en retard sur l'évolution sociale et économique, hésite encore entre les idées traditionnelles et la recherche de principes nouveaux, susceptibles de justifier après coup une transformation qui se réalise dans les faits depuis plusieurs generations.