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Décès d'une Femme Guerzé (Cercle de Nzérékoré, Guinée Française)

Published online by Cambridge University Press:  21 August 2012

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Bien que la description suivante soit basée sur un cas précis, observé en 1952 dans un campement des immigrés guerzé installés depuis des années dans le pays kono, aux environs du village de Bakoré (canton de Lola), son schéma correspond en grandes lignes au mécanisme coutumier local général.

Type
Research Article
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Copyright © International African Institute 1953

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References

page 145 note 1 C'est ce terme, corrompu du malinké, qui est entré dans l'usage commun pour désigner les Kpεlε du secteur français.

page 145 note 2 Pour se rendre compte des aberrations qui peuvent se produire dans l'exécution d'un même rite chez une méme peuplade, on comparera utilement notre description avec celle que donne M. l'Administrateur-Adjoint J. Germain des rites funéraires dans la région de Nzérékoré, sous le titre: L'Au-delà chez les Guerzé’, Etudes Guinéennes (I.F.A.N.), n° 2, 1947 PP. 2735.Google Scholar

Les divergences que le lecteur aura ainsi constatées seraient à notre avis moins attribuables à la distance qui sépare les deux lieux d'observation (et qui n'est pas à sous-estimer) qu'aux facteurs d'évolution socio-culturelle. A côté de l'image traditionnelle que nous donne l'autre, notre cas apparaît dégradé à plusieurs points de vue. II n'en reste pas moins pour autant un témoignage de la réalité vivante.

page 145 note 3 On sait que la fréquence d'avortements provoqués augmente au fur et à mesure que progresse l'émancipation de la femme indigène. Les raisons qui justifient cette pratique — qui d'ailleurs pose un problème démographique que I'on ne saurait sousestimer — ont aujourd'hui un caractère plus socioéconomique que socio-religieux. Jadis toute conception contraire aux conditions rituellement admises ou le contact accidentel d'une femme enceinte avec le domaine sacré des hommes entraînaient un avortement ordonné par le chef religieux et mis à exécution par un ou une spécialiste en la matière (par l'absorption d'une décoction de plantes médicinales et non pas par une intervention chirurgicale) dans le premier cas, et une stérilisation (par des procédés analogues) dans le second cas. Cette stérilisation, au dire de nos informations du pays, pouvaitêitre, tantôt temporaire, tantôt définitive.

page 145 note 4 La proximité immédiate de la route Danané-Nzérékoré facilitant la transmission de messages. Le pays n'ignore pas la technique de ‘tambours parlants’, mais le système de signaux conventionnels paraît assez rudimentaire et tombe très rapidement en désuétude.

page 145 note 5 Au moment où la crise nerveuse a atteint son paroxysme, le nouveau veuf a voulu se suicider, ou au moins en a fait semblant, et il a fallu que ses amis lui enlèvent toutes ses armes (une lance, flèches et arc), voire outils de travail (couteaux, sabres d'abatis)…

Cette circonstance jette, à notre avis, une lumière jusqu'ici assez rarement enregistrée sur la vie affective du Noir de cette partie d'Afrique. Au point de vue psychologique il serait sans doute très intéressant d'étudier non seulement son degré de sincérité mais aussi sa courbe d'intensité. On connaît certes bien le penchant de l'Africain vers des manifestations spectaculaires mais, par contre, on ne se doute parfois pas assez de l'hermétisme relatif, presque jaloux et toujours en quelque sorte timide, de sa vie sentimentale. Combien, par exemple, de poèmes d'amour touchants par leur profondeur et par leur naīveté ne sont-ils pas écrits — en secret et uniquement pour la saturation du besoin affectif le plus pur — par les Noirs évolués! Or on est en bon droit de supposer que le même phénomène moral, sous une forme si I'on peut dire latente, non manifeste, se retrouve également chez le Noir illettré.

Pour le premier de ces deux aspects, la prédilection de l' ‘illettré’ pour les fortes expressions orales a été relevée par nombre d'observateurs; ce qui l'a été moins, c'est le problème de l'intensité du sentiment qui accompagne ces dernières. Nous avons étè, nous, témoin d'un éclat étonnamment brusque du désespoir mais aussi d'un rapide apaisement, et d'un retour presque immédiat aux préoccupations pratiques.

page 146 note 1 La contre-partie (nē nu hoŋo) due par un prétendant au manage à ses futurs beaux-parents atteint actuellement, dans cette région, un chiffre variant de 10 à 30 mille francs (sans compter les frais accessoires). La perte d'une épouse à la fleur de l'âge équivaut — à part le dommage affectif— à une perte économique considérable. La coutume cependant cherche à y remédier en partie, et la famille à laquelle appartenait la jeune épouse décédée, offira au veuf une de ses sœurs — dans le sens que la société africaine donne à ce mot — et n'exigera qu'une redevance minime.

Ce cas n'est pas sans rappeler ce que Frazer, J. G. propose d'appeler ‘sororat’ dans ses ouvrages suivants: Totemism and Exogamy, London, vol. iv, pp. 139–40Google Scholar, Les origines de la famille et du clan, trad. fr. par Pange, J. de, Paris, 1922, pp. 134Google Scholar sq. et L'Homme, Dieu et I'immortalité, trad. fr. par Sayn, P., Paris, 1928, pp. 121–2 et 124.Google Scholar

page 146 note 2 A se rappeler la parabole du Deutéronome (12: 23): Le sang est la vie.

page 146 note 3 L'ayant développé dans une étude spéciale (‘Le culte de Zié’, en préparation) consacrée au système spirituel des Kono nous ne pensons pas indispensable de nous arrêter davantage à ce sujet.

page 146 note 4 Dans le pays guerzé-kono, seules les femmes ayant dépassé la ménopause (en guerzé: nē gulo, en kono: nē polo, sing.) sont censées pouvoir toucher sans danger au cadavre, substrat de la notion de sacré. Plus imperméables à ce risque sont les hommes ayant dûment accompli les cérémonies initiatiques du kplō (poro, en terme usuel) et ce sont eux qui se chargent généralement du service funéraire pour les morts des deux sexes. En l'occurrence, aucune vieille femme ne se trouvait d'ailleurs à proximité.

page 146 note 5 Une autre toilette rituelle aura lieu le lendemain, juste avant l'habillement de la dépouille mortelle et son enterrement.

page 146 note 6 Dans la perception symbolique de la peuplade étudiée, la couleur blanche correspondrait à la notion d'absence, ou de vide, cette image suggérant le départ, la disparition.

page 146 note 7 Normalement, les aveux d'un mourant coupable seraient rapportés au mari par l'entremise d'une tierce personne, de préférence un parent ou une parente âgé.

page 146 note 8 Terme proposé par une des écoles sociologiques modernes en remplacement du terme désormais périmé de ‘primitif’. Herskovits utilise le terme ‘peuples sans écriture’.

page 148 note 1 Notons que si nous parlons dans le texte suivant de ‘magie’, nous pensons avant tout à ses techniques liturgiques et moins à son contenu spirituel.

page 148 note 2 Le nyama d'une personne morte, après s'être mué en ‘âme’, pourra se venger à son tour.

‘The human nyama is a force which seeks out the one responsible for his death, haunting the murderer’ , Parrinder, G., en parlant des Bambara (West African Psychology, London, 1951, p. 51).Google Scholar

page 148 note 3 Figure parèdre féminine du grand masque des initiations tribales, mâle et barbu, du nom de nyomu sine. Cf. pour de plus ainples renseignements notre ouvrage Les masques kono, leur rôle dans la vie religieuse et politique, Paris, 1952.Google Scholar

page 148 note 4 Celle-ci, bien entendu, organise à son tour un front de défense composé de spécialistes (dzogo mu, sing.) utilisant des techniques magiques parfaitement analogues mais mises cette fois au service du bien-être collectif.

page 149 note 1 Ce n'est point vers le ‘royaume des morts’, le but de son prochain voyage, que regarde la personne défunte — pour la simple raison que l'au-delà des Guerzé se confond avec le monde souterrain, situé au-dessous du nôtre.

page 149 note 2 Emaillée, produit d'importation européenne, dans notre cas précis. Plus tard, le veuf, menuisier de profession, deposa encore à côté une sorte d'escabeau qu'il avait jadis fabriqué pour les besoins physiques de sa femme malade, incapable de se déplacer. La signification de ce dernier geste nous échappe, d'autant plus qu'il s'agit ici sans doute d'une exception. Le veuf, questionné, nous a répondu non sans embarras: ‘C'est donc à elle…’ Nos informateurs, eux, n'ont pas été non plus à même de nous en fournir une explication satisfaisante. Ils admettent néanmoins qu'un objet si intime soit abandonné parce qu'il ne saurait plus servir à une autre personne. Il est bien difficile d'admettre une interprétation pareille, visiblement construite pour ‘dormer satisfaction’ à l'enquêteur.

Nous pencherions plus volontiers à y voir, à part le reflet direct de la coutume ancienne qui veut que le défunt soit équipé, pour son long voyage dans l'au-delà, de tous les ustensiles de première nécessité, aussi un geste de subtile rancune, ou plutôt une allusion symbolique à une mort coupable … A la différence de ce qui existe chez de nombreuses peuplades côtières et forestières, l'acte d'excretion a toujours un caractère en quelque manière ‘honteux’, chez les Kono, et a lieu toujours loin des regards d'homme. Cette ‘honte’ peut cependant avoir pris racine dans la croyance lointaine à un danger occulte — et nous pensons en premier lieu à la ‘magie contagieuse’ des frazériens, et à la ‘phobie des trous’ des psychopathologues — aussi bien que dans une pudeur innée, raffinée au gré de l'évolution moderne.

La destruction des objets personnels destinés à accompagner la personne morte dans le monde inférieur symbolise le trépas, la rupture avec la condition de vivant. La coutume des anciens Sémites de déposer sur les sépultures des poteries brisées est bien connue: chez les Hébreux la croyance voulait ‘que I'on tuât les objets d'offrande destinés aux dieux ou aux morts, afin qu'ils pussent parvenir jusqu'á leur double’ (Ruffat, Andrée, La superstition à travers les ages, Paris, 1951, p. 82).Google Scholar

De I'immense extension de cette coutume — que Hutton Webster appelle, expressivement, the ‘killing’ of the personal articles (Taboo. A sociological study, Stanford University Press, U.S.A.; London, 1942, p. 181 — témoignent nombre de documents disponibles, recueillis dans les parties les plus diverses du globe.Google Scholar

page 150 note 1 Un bracelet, sanctifié vers la fin de la cérémonie, est destiné à servir d'indice visible des contacts qui s'établiront alors entre le de l'épouse morte et le mari survivant. Cette relique sera placée à l'intérieur de la case d'habitation, près de la porte, et le mari sacrifiera de temps en temps à l'autel ainsi institué (nū a kwqy) quelques noix de colatier, un peu de vin de palme ou de sang de poulet donné en offrande.

page 150 note 2 En explication, nous serions porté à attribuer l'interdiction rigoureuse de verser le sang, au cours de la cérémonie de mise en tombe, au fait que le trépassé ne jouira de ce privilège sacre qu'à partir de sa séparation rituelle du monde des vivants par l'accomplissement des funérailles. Seuls les morts si I'on ose dire parfaits sont les destinataires autorisés du sang sacrificiel, stimulant par excellence de leur existence posthume.

L'âme (nyama) de la personne enterrée, cherchant en ce moment le chemin du nyamata, se trouve par conséquent dans ce ‘vide’ qui sépare les mondes terrestre et invisible, et n'a pas encore dûment rompu les liens qui I'attachaient au premier. Comme nous l'avons déjà dit, ce n'est qu'avec le rite de funérailles qu'elle changera, définitivement, de ‘statut’.

Cependant cette ‘raison première’ se trouve ici doublée d'une idée secondaire, pragmatique, qui ‘exploite’, pour ainsi dire, le fait coutumier dans ce sens que le coup duquel est assommée la victime sera assimilé à une sorte de vengeance posthume.

En frappant le poulet contre le sol, sur la tombe, le te kpā mu invite la défunte (dont la mort accidentelle est indubitable sans etre encore confirmée par le rite adéquat) de ‘porter, contre son meurtrier, un même coup’.

page 151 note 1 Chez les Kono le chiffre 3 symbolise la féminité, et le 4, la masculinité. Dans cette civilisation, le chiffre supérieur (‘plus fort’, selon l'expression de nos informateurs) semble souligner la prédominance sur le plan social de l'élément mâle. Le ‘patriarcat’ relativement récent tendant à supplanter, progressive ment, le supposé systeme matriarcal ancien, nous trouvons parfaitement logique l'affaiblissement parallèle du rôle du neveu utérin dans les rituels contemporains. On y admet en effet, de plus en plus fréquemment, la substitution d'un neveu paternel à celui-ci. Dans la description des cérémonies funéraires par J. Germain, I'importance liturgique du neveu utérin est soulignée à plusieurs reprises (art. cit., passim).

On comprend à plus forte raison qu'en 1934 le Capitaine Duffner, en parlant du rôle de neveux dans les rites funéraires guerzé, insiste sur le fait que ce sont ‘exclusivement ceux de la branche femme’ (‘Croyances et coutumes religieuses chez les Guerzés et les Manons de la Guinée Française’, Bull, du Comité d'Et. Histor. et Scient.de I'A.O.F., t. xvii, n° 4, Paris, 1934, p. 537).Google Scholar

page 151 note 2 Les Guerzé et les Kono, lorsqu'ils s'aventurent à en donner un chiffre précis, estiment l'espace de 24 heures comme suffisant pour le ‘parcours’ à faire, et le ‘coefficient de sécurité’ surajouté tient alors compte d'un ‘égarement’ possible. Voir d'ailleurs ci-dessus. Dans l'article ci-dessus cité, Duffner donne un délai de 3 jours (p. 536).

page 151 note 3 Le choix, dans notre cas, est tombé sur le chef du village le plus proche qui, comme cela arrive souvent, en dehors de son pouvoir politique, exerce une influence sur les affaires religieuses.

page 151 note 4 Ici, la couleur de plumes ne semble pas avoir d'importance.

page 151 note 5 Primitivement, la coutume exigeait que ce soit uniquement le neveu utérin germain.

page 152 note 1 Cette combinaison est presque universelle dans les pratiques divinatoires du pays, et n'est nullement réservée aux funérailles seules. De la sorte nous ne pouvons pas voir dans les deux couleurs associées, correspondant d'ailleurs aux deux couleurs naturelles de cola, quelque signification symbolique spécialement rattachée à la notion de funéraills que ce soit.

page 152 note 2 Dans de nombreux rites sacrificiels du pays, dès que son sang a arrosé le sol (ou un autre support sacré), le poulet est jeté pat terre pour y terminer son agonie. S'il s'immobilise par la suite sur le dos, c'est de bon augure.

page 152 note 3 Notons encore à cette occasion que le duvet de poitrine de la victime n'est pas ici utilisé, bien qu'il serve autrement assez fréquemment à cette fin.

page 153 note 1 L'être suprême et créateur du monde des Guerzé et Kono.

page 153 note 2 Parce que celle-ci échappe à la justice de ce monde, il est tout à fait superflu d'établir ici son identité. L'âme vengeresse — nyama — saura ‘facilement la retrouver où qu'elle se trouve’. D'ailleurs, en réalité, c'est un ‘secret public’.

L'intention bien visible de l'interrogatoire de dissimuler la culpabilité, pourtant établie dans l'opinion publique, de la défunte, n'échappera sans doute pas au lecteur. A notre sens, elle pourrait être attribué au désir d'épurer la mémoire de la morte d'une part, et d'en aiguiller le grief contre le séducteur en tant que racine primitive du mal, de l'autre.

Le premier aspect est, vraisemblablement, un produit moral récent. Le second, correspondant davantage aux conceptions d'étiologie coutumières, est ici mis au service du ‘contrôle social’ en tant que défenseur de la cellule familiale, institution quasi sacrée, et par conséquent inattaquable. Et si, en l'espèce, un sentiment de haine personnelle s'y est surajouté, c'est sans grande importance sociologique.

page 153 note 3 Il existe pourtant plusieurs moyens propitiatoires susceptibles d'apaiser le courtoux d'une ‘âme de mort’ offensée, et le châtiment n'interviendra en général que si le sujet négligerait de prendre les precautions nécessaires, c'ést-à-dire de faire exécuter le rite adéquat par I'entremise d'un agent sacerdotal compétent.

page 153 note 4 Il n'est pas difficile de déceler dans ce mécanisme une préoccupation éthique: on avertit par là la personne menacée du degré d'urgence des précautions rituelles à prendre.

page 153 note 5 Ce chiffre, qui a été donné dans le cas observé correspond, nous le savons déjà, au ‘nombre féminin’. Mais il faut sans doute se garder d'y prêter une signification symbolique précise car nous ne trouvons aucune contre-partie (quatre jours) dans le schéma courant de l'interrogatoire d'un mort mâle.

page 153 note 6 Quinze jours plus tard, un curieux hasard a voulu que l'homme inculpé fût mordu, au cours d'une chasse de nuit, par une atheris (vipère verte). Les morsures de cette espèce de serpent ne sont généralement pas mortelles mais la convalescence est longue et pénible. Pourtant l'accident n'a produit aucun commentaire de l'entourage.