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Les Dialectes dogon
Published online by Cambridge University Press: 21 August 2012
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Dans le pays dogon qui se situe au coeur du Soudan français, dans la boucle du Niger vit une population dl'environ 220.000 individus, race vigoureuse et homogène qui a conservé intacte une civilisation millénaire, peut-être héritée de célèbres civilisations méditerranéennes aujourdl'hui disparues. Au cours des dernières années, les travaux d'une équipe ethnographique française ont fait des Dogon une des populations les mieux étudiées de l'Afrique Occidentale sur le plan des institutions et des croyances. Il n'en est pas de même de leur langue, qui n'a encore fait l'objet d'aucune étude d'ensemble, et dont la situation parmi les autres groupes de langues africaines reste mal définie. Delafosse, après avoir hésité entre le groupe voltaïque et le groupe mandé, penche pour ce dernier dans la dernière édition des Langues du Monde, où il classe le dogon dans le groupe nigéro-sénégalais (sousgroupe de l'Est, avec le samogho et le sia). Par contre, le R. P. Bertho, dans une récente étude, rapproche le dogon des langues voltaïques. M. de Lavergne de Tressan, dans son Inventaire Linguistique de l' A.O.F. et du Togo, juge préférable ‘d’opter pour la prudence, tant que les catégories grammaticales n'auront pas été étudiées’ (p. 211). Cette attitude de prudence sera aussi la nôtre; il ne semble pas que l'on puisse aboutir à des conclusions valables dans le domaine du comparatisme avant qu'une description aussi complète que possible ait été donnée, sinon de la langue dogon, du moins d'un de ses nombreux dialectes.
Résumé
THE DOGON LANGUAGES
The religious ideas and the social structure of the Dogon of the French Sudan have been intensively studied by Professor Griaule and his collaborators, but the Dogon languages have so far received little attention, apart from various short articles by the author of the present study and others, though a dictionary and grammar of one of the Dogon languages is in preparation. To the Dogon themselves, language is highly important; the faculty of speech is closely linked to the vital principle of each individual, and language is regarded as the symbol of knowledge. The Dogon display a fine sense of correct speech and a faculty for distinguishing between different dialects, different accents, and what they consider the purer and the less pure forms of their language.
The linguistic situation among the Dogon is complex, the different dialectal forms and their distribution being determined by geographical factors as well as by the marked individualism of different social groups. In the highland area of their territory numerous small linguistic zones may be distinguished, while in the plain, where means of communication are more developed, some languages are spoken over a wide area.
According to Dogon traditions, Amma Serou, the senior of the four founding ancestors from whom the four Dogon tribes derive, received the gift of language from Nommo, the agent of creation. Amma Serou received twelve languages: six Dogon dialects and six others. The six Dogon dialects may, in theory, each be divided into two, and from these twelve the dialects existing today may all be derived. The original language spoken by the Dogon before they were divided into families and groups was dyamsay. Two of the founding ancestors who remained on the plateau developed a language called tombo, the other two migrated to the plain where they continued to speak dyamsay. Today these two dialects seem to represent the oldest forms of the language.
The present article gives a brief account of the distribution of the Dogon languages, the number of speakers and some indications of their special characteristics. They are grouped geographically as follows: languages of the plain; languages of the highland and the central and north-eastern plateau; languages of the west; languages of the north-west; languages of the north; miscellaneous languages (or dialects). One group of languages, that of Sanga, is discussed in greater detail. This group, which includes the speeches of 18 villages, may be divided into two: Upper Sanga and Lower Sanga. Within this group, the speakers distinguish nine different forms of speech, varying in vocabulary and pronunciation, each of which is said to possess its specific character, and is described in such terms as ‘clear’, ‘sonorous’, ‘heavy’, ‘slow’, &c. Linguistic experts among the Dogon themselves can distinguish the pronunciation not only of different villages, but of different sections in the same village. The nine different forms of speech included in the Sanga group are held to symbolize the nine (or six) original languages conveyed to men by the ancestors by means of drumbeats.
The education of children among the Dogon includes systematic training in the correct use and pronunciation of their languages. Though each individual professes to regard his own language as the best, in fact the various Dogon languages are ranked in a definite hierarchy. The learning of several languages is encouraged, as each new language acquired means an increase of vital power.
- Type
- Research Article
- Information
- Copyright
- Copyright © International African Institute 1956
References
page 62 note 1 Ce chiffre est fondé sur les recensements existant en 1953, relevés à Bandiagara par Madame Malroux, Conseiller de l'Union Française, qui a eu l'amabilité de nous les communiquer.
page 62 note 2 Cf. les travaux de M. Griaule et de son école.
page 62 note 3 M. Leiris (Travaux et Mémoires de l'Institut d'Ethnologie, 1, 1948) a publié une étude sur la langue secrète des Dogons de Sanga, en s'appuyant notamment sur des textes recueillis par les Missions Griaule.
page 62 note 4 ‘La place des dialectes dogon de la falaise de Bandiagara parmi les autres groupes linguistiques de la zone soudanaise’, Bulletin de l'lnstitut Français d'Afrique Noire, tome xv, Janvier 1953, pp. 404–41.
page 62 note 5 Mélanges de I'lnstitut Français d'Afrique Noire, 30, 1953.
page 62 note 6 Nous préparons actuellement pour la publication un dictionnaire du dialecte toro (cf. plus loin) qui comprendra plus de 6.000 mots et expressions, ainsi qu'une grammaire du même dialecte. Un recueil de textes commentés est également en préparation.
page 62 note 7 Cf. notre ‘Diversité linguistique et organisation sociale chez les Dogon du Soudan français’, Notes africaines, juillet 1952, p. 77.
page 62 note 8 Cf. Dieterlen, G., Les Âmes des Dogons, Travaux et Mémoires de l'lnstitut d'Ethnologie, xl, 1941, pp. 28–29Google Scholar, fig. 2, et 68–69, fig. 5; pour la situation géographique du Mandé, cf. ibid., pp. 4 et 5, et note 4, p. 5.
page 63 note 1 Cf. Dieterlen, G., ‘Classification des Végétaux chez les Dogon’, Journal de la Société des Africanistes, xxii, 1952, p. 119, note 2.Google Scholar
page 63 note 2 Sur l'importance du Nommo dans la métaphysique dogon cf. notamment Griaule, M., Dieu d'eau, Paris 1948Google Scholar, passim; Griaule, M. et Dieterlen, G., ‘La Harpe-luth des Dogon’, Journal de la Société des Africanistes, xx, 1950, pp. 209–28, &c.CrossRefGoogle Scholar
page 63 note 3 Sur les huit graines, cf. Dieterlen, G., ‘Les Correspondances cosmo-biologiques chez les Soudanais’, Journal de Psychologie normale et pathologique, juil.-sept. 1950, pp. 350–66.Google Scholar
page 63 note 4 L'ordre de révélation varie un peu selon les informateurs, mais ils sont tous d'accord sur le nom des langues et sur l'ordre des trois premières.
page 63 note 5 Sur la métaphysique des nombres, et notamment sur l'importance de cette division théorique en deux, cf. M. Griaule, Dieu d'eau, passim.
page 63 note 6 binou: ‘ancêtre apparemment mort, c. à d. parti pour un autre monde, puis revenu parmi les hommes … pour leur dormer aide et assistance’ (Dieu d'eau, p. 121).
page 63 note 7 Cf. note 1, p. 62. Les chiffres que nous donnons pour les dialectes sont approximatifs; il est impossible, dans l'état actuel des recensements, d'en donner de plus précis.
page 63 note 8 Nous avons groupé les dialectes par aires géographiques, correspondant en même temps aux parentés linguistiques. A la classification du P. Bertho, qui nomme les dialectes par les noms des cantons administratifs, nous préférons les noms dogon; en effet régions administratives et aires linguistiques se recouvrent rarement. Nous donnons les noms des cantons comme points de repère sur la carte, en respectant l'orthographe administrative ainsi que des dénominations comme Foulbés et Habbés, tout en les déplorant.
page 64 note 1 tegu signifie ‘parole, langue, dialecte’; dyamsay est une fotmule de salutation d'origine peule et signifiant ‘paix’; il arrive qu'on désigne un dialecte par une formule de salutation qui est la prèmiere parole échangée avec un individu de rencontre (cf. plus loin siyemboy).
page 64 note 2 Dans la subdivision de Douentza, les Dogon dyamsay sont connus sous le nom de Houmbébé.
page 64 note 3 Lorsqu'un Dyamsay de Bamba par exemple voyage dans le pays dogon, il ‘renverse sa langue’, suivant son expression, et s'efforce de parler domno, sûr d'être mieux compris qu'avec son dialecte de Bamba.
page 64 note 4 Cf. Ganay, S. de, Les Devises des Dogon (Travaux et Mémoires de l'lnstitut d'Ethnologie, xli, 1941).Google Scholar
page 65 note 1 Il semble en effet que les habitants de la falaise aient ‘glissé’ au bas du rocher où sont collés leurs villages. Dans la plaine, on nomme ce dialecte bomutegu ‘dialecte des loutdauds’ (reflet du mépris des gens de plaine pour les montagnards plus rustiques).
page 65 note 2 Sanga n'est pas un village, mais une région comprenant environ 18 villages et qui a donné son nom à un canton entier.
page 65 note 3 En toro, on prononce tommo. On dit que les Tommom seraient restés en arrière pour ‘avertir’ les autres des dangers éventuels. Une autre étymologie proposée est que ce dialecte est un ‘morceau’ (tommo) du dialecte primitif, le dyamsay.
page 66 note 1 La désinence -ri est d'origine peule.
page 67 note 1 Ils se nomment eux-mêmes dowoy (variante de dogö), mais les habitants des autres régions les nomment bonium ou siyemboy (ce dernier mot étant leur formule de salutation), cf. note 1, p. 64.
page 67 note 2 On rapporte qu'au moment où le Dieu Amma repartit les langues entre les hommes, les habitants de Yanda et ceux de Dogoulou (Nandoli et environs) arrivèrent en retard. Amma prit un mot à chaque langue de la terre pour composer leurs dialectes; c'est pourquoi ceux-ci se ressemblent et ressemblent, dit-on, à toutes les langues. Il s'agit ici d'une légende étiologique qui est sans rapport avec le mythe de la revelation de la parole. Nous la citons pour montrer que les Dogon ont conscience des parentés linguistiques.
page 67 note 3 Le P. Bertho nomme ce dialecte wakara, du nom du canton, et le rapproche des dialectes qu'il nomme de Nandoli et de Tintam (c'est à dire dogul et bondum). Nous n'avons pas recueilli d'informations directes à ce sujet.
page 68 note 1 L'examen du croquis montre que les Peuls représentent le seul élément étranger important à l'intérieur du pays dogon. Les autres se trouvent dans les régions périphériques.
page 68 note 2 Le P. Bertho (article cité) a publié un vocabulaire comparatif des termes courants; nous renvoyons à son travail, inventaire rapide, mais utile. Nous avons publié un vocabulaire comparatif des termes d'habitation dans les dialectes toro, tombo, dogul et bondum (‘Notes sur l'habitation du plateau central nigérien’, Bulletin de l'Institut Français d'Afrique Noire, xvii. 3–4, juillet 1955). Notre Dictionnaire du dialecte toro comprendra des comparaisons plus étendues avec les autres dialectes, et les questions de morphologie et de syntaxe seront abordées dans la Grammaire. Les solutions trouvées par les Dogon pour remédier à leur complexité linguistique ont été étudiées par nous dans notre ‘Diversité linguistique et organisation sociale chez les Dogon du Soudan français’, loc. cit.
page 68 note 3 Cf. Griaule, M., Masques dogons, Travaux et Mémoires de l'Institut d'Ethnologie, tome xxxiii, 1938, p. 29.Google Scholar
page 68 note 4 Ces villages doubles sont fréquents; il faut en chercher l'explication dans la gémelléité primordiale, base du système métaphysique dogon, beaucoup plus que dans une position géographique. Cf. M. Griaule, Dieu d'eau.
page 68 note 5 Au sens anatomique du terme.
page 68 note 6 Comme une bande d'étoffe; tout se passe entre la bouche et le nez comme si la parole sortait de Tune pour rentrer dans l'autre, ce qui donne évidemment un parler très nasillard.
page 69 note 1 Se dit, par exemple, d'une bière qui fermente lentement parce qu'on a trop tardé à la faire recuire.
page 69 note 2 Par exemple, la forme verbale signifiant ‘tu n'entends pas’ est: ȩ̄́gȩlaw à Ogol, ȩ̄́gȩlo à Sangui (forme tombo), ȩ̄́gȩlew à Enguel (prononciation rapide), ȩ̄́gȩllew à Bara (prononciation lente et un peu chantante), ȩ̄́gēlēw à Dini (très nasillard), ȩ̄́gȩ̄row à Gogoli, ȩ̄́gȩrow à Bongo (lent et bas), ȩ̄́gȩrew à Dyamini Na (très grave).
Ces exemples nous ont été fournis par un informateur des Ogol, àgé d'une cinquantaine d'années. Nous les donnons pour montrer comment un mê;me sujet conçoit les nuances dialectales. Les Dogon possèdent d'ailleurs une grande facilité d'imitation.
Pour quelques exemples de ‘moqueries de villages’ faisant ressortir les différences de prononciation, on se reportera à notre étude sur ‘Les “moqueries de villages” au Soudan français’, Notes africaines, Janvier 1954, n° 61, pp. 12–15.
page 69 note 3 ‘l’ à Sanga-du-Haut équivaut souvent à ‘r’ à Sanga-du-Bas. Ex.: elu/eru, ‘doux’; eliye/eriye, ‘arachide’; ‘m’ peut alterner aussi avec ‘w’: nama/nava, ‘viande’.
page 69 note 4 Ces differences sont peu importantes. On dit, par exemple, yalu pour ‘place’ à Sanga-du-Haut, dēy à Sanga-du-Bas.
page 69 note 5 Cf. M. Griaule, Dieu d'eau.
page 69 note 6 Tout au moins par la famille Arou à laquelle il appartient.
page 69 note 7 La création du tambour yaraba sera exposée dans M. Griaule et G. Dieterlen, Le Renard Pâle, tome i (à paraître).
Pour la dispersion des diabetes par les tambours, voix des premiers ancêtres, cf. Griaule, M., Dieu d'eau, pp. 80–81.Google Scholar Le nombre de 9 dialectes dont il est question ici paraît aberrant par rapport aux huit dénombrés dans Dieu d'eau et aux 6 (ou 12 sous-dialectes) dont nous avons parlé au début de cet article. En fait, il n'y a pas là contradiction, mais différentes manières de présenter les choses; ces diversités s'expliquent en général par le degré d'initiation de l'informateur ou celui qu'il consent à reconnaître à l'enquêteur. La poursuite de l'enquête modifiera sans doute ces données.
page 70 note 1 sāṅa anna dā dogo ginu pū dā āńay.
page 70 note 2 Il va sans dire que plus l'aire d'un dialecte étranger est éloignée, moins on en distingue les nuances; certains sont même tout à fait inconnus des Dogon du centre.
page 70 note 3 ‘Les “moqueries de villages” au Soudan français’ (loc. cit.). Le terme de ana dyayre est plus exact que celui de ana yere qui nous avait été donné d'abord et que nous avons publié dans cet article.
page 70 note 4 La nourriture des enfants est liquide.
page 70 note 5 dyā-le só-le tillāti.
page 70 note 6 Sominé Dolo, d'Ogol-du-Haut, qui termine actuellement ses etudes de médecine à Paris, a quitté Sanga en 1933. Lorsqu'il y retourne, ses camarades le raillent, disant qu'il parle maintenant un dialecte intermédiaire entre celui de Sanga et celui de Banani (village situé au pied de la falaise et parlant également le toro so, mais d'une façon assez traînante et nasillarde qui rappelle celle de Sanga-du-Bas). Or, sa mère est originaire de ce dernier village. On lui reproche donc d'avoir altéré le dialecte de son père en le mélangeant avec celui de sa mère.
page 70 note 7 Sur l'instruction des enfants, cf. Griaule, M., ‘Le Savoir des Dogon’, Journal de la Société des Africanistes, tome xxii, 1952, pp. 27–42.CrossRefGoogle Scholar Sur l'instruction prise en cachette, cf. id., ‘Étendue de l'instruction traditionnelle au Soudan’, Zaïre, juin 1952, n° 6, p. 564, note 2.
page 71 note 1 Cf. plus haut, p. 63.
page 71 note 2 Sur le nyama, cf., en particulier, Dieterlen, G., Les Ames des Dogons, chap. II.Google Scholar
page 71 note 3 Le mécanisme et l'efficacité de la parole seront étudiés dans notre travail sur ‘La Parole chez les Dogon’ (en préparation).
page 71 note 4 Griaule, M., ‘Le Savoir des Dogon’, p. 29.Google Scholar
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- Cited by