Nos concepts d'espace et de temps sont ancrés dans une histoire si longue et sont, dans la pratique, d'une telle utilité qu'il nous est pour ainsi dire impossible de concevoir un phénomène quelconque, que ce soit dans notre culture ou dans une autre, sans le définir d'abord par un lieu et une date, c'est-à-dire sans le situer par rapport aux autres, tout en lui conférant un caractère unique. L'usage remonte à loin. Les Grecs avaient déjà l'idée du devenir — et de l'histoire — et une notion autonome de l'espace, suffisamment élaborée pour permettre à la fois géométrie et géographie. Le christianisme a par la suite fortement contribué à la consolidation de notre temps linéaire, en donnant un sens à la vie individuelle (par une réflexion sur son terme) et en déroulant l'aventure collective du genre humain entre les points ultimes que sont la création du monde et le Jugement dernier. Depuis le XVIe siècle, la réflexion scientifique et l'idéologie de progrès n'ont fait que conforter le primat de l'un et l'autre concepts et si certaines suggestions d'Einstein sont venues très ponctuellement les remettre en cause, il est clair que la modernité triomphante les a emportées un peu partout avec elle.