Nous ne manquons plus de bonnes biographies de Necker, ni d'études solides sur son oeuvre d'écrivain économiste et sa gestion des finances de la France. Biographies et études concernent l'étonnante carrière de l'homme d'Etat ou la « doctrine » reflétée dans ses écrits abondants et redondants ; et quoique l'homme d'Etat aussi bien que sa « doctrine », décevants, rassemblent un bruit énorme autour de très peu de substance, l'arrivée de Necker au pouvoir bien plus que son exercice de ce pouvoir n'en reste pas moins le symbole d'un tournant définitif dans l'histoire de l'Ancien Régime, et déjà presque de son abdication: c'est pour la première fois un homme sans origine, sans titre, sans attaches, sans office, sans carrière de commis du roi, qui ne tient ni à la noblesse, ni à la bureaucratie judiciaire ou administrative, ni à la « finance » d'office, étranger et hérétique par surcroît, qui n'a même pas eu le geste, comme jadis Law, d'abjurer et de se faire naturaliser, et qui n'aurait pas été admis à acquérir la moindre charge, donc un homme entièrement et radicalement étranger à la société monarchique constituée, qui arrive à s'imposer à la royauté pourtant absolue et à prendre la direction et finalement le titre du Contrôle général des finances du royaume, par la force d'une « claque » organisée qui sait « faire l'opinion » et par la faculté d'écouler dans une clientèle internationale de capitalistes les emprunts d'un trésor royal obéré, que ni l'impôt ni la finance traditionnels n'arrivent plus à alimenter.