Marquée par le paradigme de la singularité, l’histoire de l’art européen a longtemps été le fruit d’une alliance entre le modèle vasarien, associé à l’écriture biographique, et le connoisseurship, comme méthode d’attribution. Mais ce modèle est en tension avec la complexité des formes de la production artistique à l’âge renaissant et classique. Des travaux récents, issus de l’histoire sociale, de la philosophie de l’art et d’un « nouveau connoisseurship » proche du monde des musées, explorent ainsi la tension entre autographie et réalisation à plusieurs mains, entre attribution et collaboration artistique, exemplaire dans l’œuvre de Rembrandt. La conception autographique de la peinture n’est pas universelle: elle a une histoire qui se cristallise au XVIIe siècle dans la littérature du connoisseurship et les discours nouveaux sur la touche. Ces travaux révèlent aussi l’importance des répétitions et des multiples dans l’histoire de l’art moderne, jusqu’alors marginalisés dans une écriture historique de la singularité. Attentifs à l’histoire matérielle des œuvres, comme à l’histoire sociale et intellectuelle de l’art, ils mettent au jour le rôle du collectif et des « originaux multiples » dans la fabrication de la singularité artistique, au cœur même de la toile. Ils remettent ainsi en cause certaines conceptions fondamentales de la peinture en Occident, tels le culte de l’original et le statut de l’autographie, et ouvrent la voie à une histoire culturelle de l’art renouvelée.