En présentant ce nouveau livre, Nathan Wachtel suggère qu’on peut y voir, trente ans après La vision des vaincus, dix ans après Le retour des ancêtres, «le dernier volet d’une trilogie dont le fil conducteur serait celui d’une “histoire souterraine” des Amériques, entre mémoire et oubli». La piste n’est qu’indiquée, et il convient sans doute de ne pas forcer ici l’interprétation. Elle mérite pourtant d’être signalée. D’un livre à l’autre, ce sont bien des histoires de vaincus auxquelles N. Wachtel s’est attaché: vaincus de la colonisation espagnole, dans un premier moment; vaincus des vaincus, avec les Chipayas de l’altiplano bolivien, survivants obstinés d’un monde plusieurs fois disparu; vaincus des vainqueurs aujourd’hui, avec l’archipel marrane, la face cachée, déniée de la société coloniale. Ce que, par delà leurs différences, ces histoires ont en commun, c’est de traiter d’expériences qui ont été contraintes et qui étaient promises à disparaître; elles ne nous sont connues qu’à travers des sources indirectes, morcelées, le plus souvent hostiles. Ce qu’elles attestent, en second lieu, c’est une résistance à l’érosion, à l’effacement, dans laquelle le travail de la mémoire joue un rôle central, quels qu’en soient les supports et les formes sociales. D’où le choix d’une stratégie de recherche, qui se retrouve de livre en livre et choisit de confronter un présent aux passés dont il est issu, et dont il se souvient.