Trente ans après l’article de Nicole Loraux paru dans L’Homme en 1986, cette étude entend revenir sur l’expérience politique dans le monde grec ancien. L’objectif est de montrer qu’il est nécessaire d’articuler les deux définitions du terme politique inventé par les Grecs : d’une part, le politique compris comme un ensemble d’activités sans substance ni incarnation institutionnelle spécifique, un champ d’actions qui ne s’identifie pas dans les formes de l’État moderne, mais dans des expériences et des pratiques très variées, en contexte conflictuel, et, d’autre part, la politique, entendue non pas seulement comme l’accès réglé à différentes institutions, mais aussi comme auto-institution de la communauté par ellemême. À travers l’étude d’un cas précis, la crise de 404 à Athènes et, en particulier, le discours de Cléocritos transmis par les Helléniques de Xénophon, l’article propose une nouvelle manière de penser ces deux niveaux d’expression de la vie collective. Loin de la lecture réconciliatrice qu’en avait proposée N. Loraux, l’appel à la concorde de Cléocritos témoigne, dans l’effervescence et la tension des événements, de l’oubli de la politique, au sens institutionnel du terme, au profit exclusif du politique et des pratiques collectives qui y sont associées. Pour finir, cette étude de cas débouche sur une interrogation plus générale sur le sens de l’événement et sa portée épistémologique. En proposant de penser la crise de 404 au sein des différents régimes d’historicité qui ont caractérisé l’histoire d’Athènes entre le Ve et le IVe siècle, l’article vise à mieux réarticuler les moments instituants et le fonctionnement institué de la démocratie grecque.