Un Critique a récemment mis en relief ce qu'il y avait chez Saint-Simon du comportement d'un voyeur, qui observe clandestinement les hommes afin de démasquer leurs mobiles les plus secrets. Il nous semble que la remarque est également valable pour La Bruyère qui, de sa loge privilégiée chez les Condés, considère les hommes subrepticement (on ne savait pas que ce modeste précepteur préparait un ouvrage sur les mœurs du siècle). Prenant sa revanche des mortifications qu'il a subies dans un monde où il demeure un étranger, La Bruyère savoure le spectacle pitoyable et risible de ces hommes qui défilent devant lui. Notons par ailleurs que ces misanthropes ne s'en tiennent pas à une contemplation passive des vices de leurs prochains: se décidant à sortir de sa solitude et de son silence, le voyeur peut se transformer en historien ou en moraliste. Sans pour autant songer à revenir à la méthode critique de Sainte-Beuve ou de Taine, il nous paraît essentiel de souligner dès l'abord l'influence qu'a dÛ avoir sur La Bruyère cette optique particulière sous laquelle le monde de Versailles et de Chantilly se présenta à, lui (et cela, dès sa jeunesse, c'est-à-dire bien avant qu'il eût la possibilité de l'observer de près).