Dans le langage classique, ce sont les rapports
qui mènent le mot puis l'emportent aussitôt
vers un sens toujours projeté […]. Le langage
classique se réduit toujours à un contenu persuasif,
il postule le dialogue, il institue un univers
où les hommes ne sont pas seuls […], où la
parole est toujours la rencontre d'autrui. Le langage
classique est porteur d'euphorie parce que
c'est un langage immédiatement social. Il n'y a
aucun genre, aucun récit classique qui ne se suppose
une consommation collective et comme
parlée […].
Cet extrait du Degré zéro de l'écriture (1953) de Roland Barthes offre un point de vue fulgurant sur la question du rapport entre langue, politique et littérature. Il introduit en effet, dans l'interrogation historienne sur la littérature, un élément — le langage — qu'on prend rarement en considération de façon aussi radicale, c'est-à-dire comme forme historique porteuse d'un sens social et d'une force politique indépendamment des signifiés qu'il peut véhiculer. Tel qu'il est ici décrit par R. Barthes, le langage classique, en tant quepratique historique, refléterait une certaine conception de l'homme en société, et, imposant cette image aux locuteurs eux-mêmes, aurait, par une espèce de vertu « modélisante », le pouvoir d'instituer « un univers où les hommes ne sont pas seuls ».