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La mutation féodale a-t-elle eu lieu ? (Note critique)

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Dominique Barthélemy
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La « mutation de l'an mil » mérite d'être soigneusement discutée. La réédition du livre de J.-P. Poly et E. Bournazel, paru pour la première fois en 1980, est une bonne occasion de dire dans ces colonnes pourquoi le paradigme dominant qu'est devenue la « mutation féodale » doit être remis en cause.

Je le ferai avec d'autant moins d'arrogance que j'ai été moi-même largement sous son emprise jusqu'en 1988, et que des maîtres envers lesquels ma dette est immense y demeurent attachés. Néanmoins, il n'y a pas de science si les théories, les paradigmes, sont « infalsifiables ». Seuls les faits demeurent, ce que ladite « mutation » n'est pas : elle ne représente qu'un système d'interprétation, fort opposé à celui qui l'a précédé. La question est donc de savoir s'il n'est pas temps d'en changer, de lui en préférer un autre.

Type
Autour de la Société Médiévale
Information
Annales. Histoire, Sciences Sociales , Volume 47 , Issue 3 , June 1992 , pp. 767 - 777
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1992

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References

* A propos de l'ouvrage de J.-P. Poly et E. Bournazel, La mutation féodale, Xe-XIIe siècle, 2e édition mise à jour, Paris, PUF, «Nouvelle Clio. L'histoire et ses problèmes», 1991, 535 p.

1. Cf. aussi, Bois, G., La mutation de l'an mil. Lournand, village maçonnais de l'Antiquité au féodalisme, Paris, Arthèmes Fayard, 1989, 284 p.Google Scholar ; il ne convient pas de se référer à cet ouvrage sans avoir pris connaissance de la critique saine et pénétrante d' Guerreau, A., « Lournand au Xe siècle : histoire et fiction », dans Le Moyen Age, 96, 1990, pp. 519–537 Google Scholar (où se trouve, p. 536, une mise en garde contre le mythe de la « tempête sociale », autour de l'an mil).

2. Barthélémy, D., L'ordre seigneurial, XIe-XIIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, « Point-Histoire », 1990 Google Scholar (Nouvelle histoire de la France médiévale, III), rédigé en 1987-1988, encore très proche du mutationnisme ambiant ; point de vue très remanié dans ma thèse de doctorat d'État, soutenue en 1991 (Université de Paris I), Le Vendômois du Xe au XIIIe siècle. Institutions seigneuriales et société.

3. A peu près seules en France, les Annales ont ouvert leurs colonnes à un premier bilan de cette école : P. Geary, « Vivre en conflit dans une France sans État : typologie des mécanismes de règlement des conflits (1050-1200) », dans Annales ESC, 1986, n° 6, pp. 1107-1133. Cf. aussi infra, notes 15, 18, 19 et 21.

4. L'expression est due à C. Duhamel-amado, « Les pouvoirs et les parents autour de Béziers (980-1100) », dans Cadres de vie et société dans le Midi médiéval. Hommage à Charles Higounet, Annales du Midi, 102, 1990, pp. 309-317. Je la reprends dans les Mélanges G. Duby, sous presse, dans une annexe de mon travail cité infra, note 10 : « L'ajustement de l'an mil ».

5. Le lecteur connaît le plan-type des volumes de la « Nouvelle Clio ». La première partie est bibliographique (et il y manque tout de même beaucoup de travaux anglo-saxons stimulants). La seconde est un état des connaissances, la troisième un examen des directions « actuelles » de la recherche.

6. Duby, G., La société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise, 2e édition, Paris, 1971, p. 9.Google Scholar

7. Duby, G., «Lignage, noblesse et chevalerie au xne siècle dans la région mâconnaise. Une révision», fans Annales ESC, 1972, n° 3-4, pp. 803–823 (p. 813).Google Scholar

8. C. Duhamel-amado, «L'alleu paysan a-t-il existé en France méridionale autour de l'an mil ? », dans R. Delort (sous la direction de), La France de l'an mil, Paris, Éditions du Seuil, «Point-Histoire», 1990, pp. 142-161.

9. Le Vendômois…, cité supra, note 2, pp. 667-680.

10. Citons par exemple, de J. Flori, L'essor de la chevalerie, XIe-XIIe siècle, Genève, Droz, «Travaux d'histoire éthico-politique, XLVI», 1986, 403 p. Mise en cause: D. Barthélémy, « Noblesse, chevalerie et lignage dans le Vendômois et les régions voisines aux xie et xne siècle », à paraître dans les Mélanges G. Duby (parisiens).

11. Bonnassié, P., «Survie et extinction du régime esclavagiste dans l'Occident du Haut Moyen Age (ive-xie siècle) », dans Cahiers de Civilisation médiévale, 28, 1985, pp. 307–343.CrossRefGoogle Scholar

12. Ce concept est dû à P. Grossi et utilisé par Toubert, P., Les structures du Latium médiéval, t. I, Rome, 1973, p. 518.Google Scholar

13. Sur cette question, D. Barthélémy, « Qu'est-ce que le servage, en France au xr= siècle ? », à paraître dans la Revue historique, 1992.

14. Rouland, N., Anthropologie juridique, Paris, 1988.Google Scholar

15. White, S., «Pactum legem vincit et amor judicium. The Seulement of Disputes by Compromise in llth Century France», dans The American Journal of Légal History, 22, 1978, pp. 281–308.CrossRefGoogle Scholar

16. Supra, note 3.

17. Sa thèse sur La Catalogne du milieu du Xe siècle à la fin du XIe siècle. Croissance et mutations d'une société, vol. 2, Toulouse, 1975 et 1976 (publications de l'Université de Toulouse-le- Mirail), a véritablement relancé le mutationnisme. Elle a dissuadé G. Duby de réviser son point de vue sur la « révolution féodale » (cf., Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme, Paris, Galli-mard, 1988, pp. 189, 191. Elle nous a tous, un jour ou l'autre, subjugués. La Catalogne n'est-elle pas cependant, une région très particulière ? Et, même ici, la critique initiale des sources a-t-elle été suffisante ? Les allusions à la loi gothique jusqu'au « tournant de l'an mil » prouvent-elles la survie d'un véritable droit public ?

18. Davies, W. et Fouracre, P. éds, The Seulement of Dispute in Early Médiéval Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1986.CrossRefGoogle Scholar

19. Cheyette, F., «The Invention of the State», dans Lackner, B. K. et Philp, K. R. éds, Essays on Médiéval Civilisation (the Walter Prescott Webb Mémorial Lectures, XII), Austin- Londres, 1978, pp. 143–178.Google Scholar

20. Citons par exemple, « La terre, la rente et le pouvoir dans les pays du Languedoc pendant le Haut Moyen Age», dans Francia, 9, 1981, pp. 79-115 ; 10, 1982, pp. 21-66; 12, 1984, pp. SSII 8. A la réflexion, en effet, ce continuisme absolu institue le chaos, ï'indistinction généralisée ; il ne saurait donc constituer un paradigme rival de celui de la « mutation féodale » qui, même dans ses utilisations les moins pertinentes (G. Bois), peut encore stimuler la réflexion puisqu'il permet la réfutation.

21. Particulièrement S. White, supra, note 15. Du même historien, il faut connaître aussi, Custom, Kinship and Gifts to Saints. The «Laudatio Parentum » in Western France, 1050-1250, Chapel Hill-Londres, The University of North Carolina Press, « Studies in Légal History », 1988.