La façon commune de définir la pensée de Lévinas comme éthique méconnaît son ancrage dans la sensibilité. Phénoménologue avant tout, il se donne pour tâche de dépasser le non-sens irreprésentable depuis ses premières œuvres (De l’évasion) jusqu’à celle plus tardives (Autrement qu’être ou au-delà de l’essence). C’est dans les situations dites limites de crise de l’entre–deux que son aide est précieuse pour le psychiatre, lorsque la rencontre demande de remonter jusqu’à la sensibilité primordiale bien avant la « pensée qui s’en tient aux mots » et qu’elle tend vers l’intersubjectivité et l’interexistentialité. Tel qu’il l’énonce, les « accidents » psychologiques sont les manières sous lesquelles se montrent les relations ontologiques. Dans sa philosophie, « le psychologique n’est pas une péripétie ». Il nous propose des concepts qui peuvent s’avérer intéressants dans la clinique de tous les jours, par le renversement qu’il instaure dans le phénomène de la rencontre. Il situe la subjectivité dans la passivité, qui se définit en termes tout autre que l’intentionnalité et non pas, comme c’était le cas dans la philosophie traditionnelle, dans l’activité. Son œuvre est de première importance dans la clinique psychotraumatique en ce qu’elle aborde de façon essentielle les conséquences affectives (befindlichkeit) de ce qui ne peut se loger dans aucune langue, dans aucune mémoire. Elles sont à considérer comme autant de modes de la présence humaine, des « modes de se comprendre » où l’être se découvre, dans des situations limites marquées par le refus d’y demeurer et pourtant en demeure d’en sortir, évasion de ce qui constitue le fond de l’expérience de la souffrance, son irrémissible affirmation de l’être et de sa possible négation.