La carrière fulgurante du danseur Vaslav Nijinski a duré dix ans de 1908 à 1917. Surnommé le « Dieu bondissant », il a quitté la scène publique pour un dernier saut dans la maladie à l’âge de 28 ans. Son histoire s’est mêlée à celle de la psychiatrie dont il va rencontrer les grands noms, A. Adler, M. Sakel, L. Binswanger et E. Bleuler qui va diagnostiquer « …une confusion mentale de nature schizophrénique avec une légère excitation maniaque… ». Le soir de sa dernière représentation en janvier 1919 au grand hôtel de St-Moritz devant 200 personnes Nijinski débute la rédaction de ses cahiers et confie à sa femme Romola qu’il veut montrer « les affres de la création, la souffrance endurée par l’artiste en train de travailler ». Parallèlement, il réalise des carnets à dessin avec le projet d’une nouvelle cotation chorégraphique. Ce faire-œuvre testamentaire de sa vie d’artiste avant de s’enfermer dans un long silence représente un manifeste de sa vaine habitation du monde face à la désorganisation psychotique et ses tentatives pour le reconstruire. Confronté à une modification du Sentir qu’il s’efforce d’endiguer par la rédaction de ce qu’il nomme « le livre du sentiment », il nous laisse son mystérieux catalogue à dessins, à la fois magnifique et effrayant, des transcriptions picturales d’une présence accablée par la proximité du monde et de ses objets hallucinatoires qui viennent le prendre au corps et dont il ne peut prendre distance.