La prévalence élevée des états dépressifs dans la clientèle du généraliste (environ 10% des consultants) et chez les patients de médecine interne (15 à 25% des hospitalisés) est maintenant bien établie. Ce fait a été longtemps négligé par les praticiens et les psychiatres; même actuellement son importance reste sous-estimée.
La proportion d’états dépressifs non-identifiés par les praticiens varie de 1/3 à 2/3 selon les études. Les dépressions méconnues sont source de surconsommation médicale (consultations répétées, examens paracliniques, hospitalisations pour bilans) et ont une évolution moins favorable, plus chronique, que les dépressions identifiées et correctement traitées. Des cas sévères de dépression échappent souvent au dépistage, ce qui n’est pas sans conséquences graves: on sait en effet que la majorité des gens qui se suicident ont consulté un médecin dans le mois qui a précédé leur décès.
Parmi les facteurs qui rendent compte de la méconnaissance des états dépressifs par les médecins non-spécialistes, les uns tiennent aux patients qui, dans leur dialogue avec le généraliste, utilisent davantage le langage de la somatisation qu’ils ne verbalisent explicitement un vécu dépressif. D’autres tiennent aux praticiens, à leur intérêt prévalent et parlois exclusif pour les problèmes somatiques, à leur souci légitime de ne pas passer à côté du diagnostic d’une affection médicale, à l’idée qu’ils se font de la dépression et des déprimés, à leur propension à considérer toutes les manifestations dysphoriques comme conséquences légitimes de la maladie physique. Il faut aussi compter avec les conditions d’exercice du généraliste, le temps très court de sa consultation où il n’est pas facile de différencier une réelle pathologie dépressive, généralement liée à des troubles anxieux et moins nette que dans les consultations Psychiatriques, de troubles émotionnels mineurs, situationnels et transitoires.
Les instruments habituellement utilisés pour le dépistage et le diagnostic de la dépression (échelles d’autoévaluation, critères de diagnostic type RDC ou critères du DSM III) n’ont pas été validés pour les populations de patients somatiques. Récemment deux nouveaux instruments viennent d’être mis au point pour la détection de la symptomatologie dépressive chez les patients somatiques: I'échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale) de Zigmond et Snaith (1983) et le Questionnaire Abrégé d’Auto-Évaluation de la Symptomatologie Dépressive (QD2A) de Pichot et al. (1984). Ces échelles, de passation rapide et bien acceptées par les patients, peuvent servir d’aide au diagnostic pour le praticien dans la perspective d’un meilleur dépistage de la dépression et d’une prise en charge plus efficace des déprimés.