Le service Henri-Colin est la première unité pour malades difficiles (UMD) à avoir été créée et à avoir fêté son centenaire, en mars 2010. Ses archives, compilant plus d’un siècle de dossiers médicaux, en plus de receler des récits cliniques d’une richesse considérable, sont également un reflet de l’histoire de la psychiatrie, de ses évolutions et des représentations sociétales de la maladie mentale. C’est pour cette raison qu’il nous a paru intéressant de nous interroger sur l’évolution du concept de malade difficile au cours des XXe et XXIe siècles. Dans un premier temps, nous avons réalisé une étude statistique rétrospective descriptive et comparative de l’ensemble des patients, hommes et femmes, admis au service Henri-Colin au cours des années 1935, 1970 et 2010. Cent vingt-neuf dossiers ont été analysés selon la même grille de recueil de données, s’intéressant notamment aux caractéristiques cliniques principales de ces populations, à leurs motifs d’admission et à leurs établissements d’origine. Nous avons mis en évidence des différences significatives témoignant d’une évolution au gré des décennies. Dans un second temps, nous avons formulé des hypothèses afin de rendre compte de l’intrication complexe de différents facteurs professionnels, organisationnels, législatifs et sociétaux dans cette évolution. Cette étude nous mène à décrire le changement de paradigme du malade dit difficile : le « patient-type » des UMD est passé du sujet antisocial au lourd passé judiciaire et carcéral au schizophrène paranoïde, chimiorésistant, présentant des troubles du comportement violents sur son service de secteur ; en d’autres termes, d’un patient dangereux pour la société à un patient dangereux et/ou difficile pour l’institution sectorielle.