Le titre de ce livre paraît particulièrement bien trouvé. Sacrement oublié, la confirmation ? Au siècle dernier encore, ne pensait-on pas que la « gifle » reçue au moment de son administration servait à graver dans les mémoires la réception de ce sacrement qui, comme le baptême, ne pouvait pas être réitéré ? De fait, on sait que la liste des sacrements, maintenue d’un concile à l’autre par l’Église catholique, tient principalement à la dimension symbolique du chiffre sept et que tous n’ont pas le même poids dans la vie des fidèles. La confirmation, parce qu’elle n’est pas indispensable pour faire son salut et n’entraîne pas un changement d’état, n’a pas engendré une littérature aussi abondante que les autres sacrements.
Le propos de cet ouvrage, issu d’un colloque organisé par le centre Roland Mousnier et la Société de démographie historique, vise principalement à combler un vide historiographique. Comme le soulignent Michaël Gasperoni et Vincent Gourdon dans leur introduction, les historiens français n’ont guère prêté attention jusque-là au sacrement de confirmation. Pour mesurer la pratique catholique, les études de sociologie religieuse classiques se sont plutôt intéressées au devoir pascal, aux délais de baptême, aux obsèques religieuses ou civiles, à l’évolution des ordinations. Les travaux de démographie historique, quant à eux, ne se sont pas attardés sur la confirmation, qui ne correspond pas à une étape de la vie aussi cruciale que le baptême ou le mariage, d’autant que l’âge de sa réception a varié dans le temps.
C’est pour combler cette lacune historiographique que les maîtres d’œuvre du colloque ont attiré l’attention sur la place de la confirmation dans la pastorale et la religion vécue. Leur projet énonçait une double ambition : ouvrir un nouveau chantier sur une question alors « largement laissée à l’appréciation des théologiens et des liturgistes » ; entreprendre « une histoire sociale de la pratique religieuse ou d’une anthropologie du rite » (p. 16) pour lesquelles l’histoire de la confirmation est en retard sur celle des autres sacrements.
Les douze contributions réunies ici couvrent des espaces géographiques variés – France, Italie, Bohême, Espagne, Allemagne, Mexique, Angleterre – et une durée de quatre siècles. On peut regretter que la période médiévale n’apparaisse que de manière fugitive, au début des contributions de Bruno Restif et de Nicolas Richard. Les textes normatifs, largement sollicités, auraient probablement mérité d’être explorés plus avant pour la période antérieure au xvie siècle. Mais sans doute, comme ces deux contributions le laissent entendre, n’auraient-ils finalement livré que peu d’informations.
Centré sur le catholicisme, l’ouvrage se termine par une ouverture appréciable à d’autres confessions chrétiennes (anglicanisme, protestantisme réformé) et même à des cérémonies civiles de substitution apparues en Allemagne au cours du xixe siècle. Cette mise en perspective a surtout la vertu d’ouvrir la réflexion sur la notion de rite de passage, essentielle même dans des sociétés sécularisées.
L’examen des prescriptions canoniques, indispensable préalable à l’étude des pratiques, apporte quelques certitudes mais laisse ouvertes beaucoup de questions, auxquelles les débats ultérieurs et les contextes religieux locaux s’efforcent progressivement de répondre. Il est établi que le sacrement n’est pas indispensable pour faire son salut, qu’il est administré par l’évêque et ne peut être réitéré. Au-delà de ce socle commun, le questionnement porte sur l’âge et les conditions de sa réception, sur sa signification (rite de passage ou complément du baptême ?) qui se précise progressivement, face notamment au progrès du protestantisme, puis de l’irréligion.
Explorer ce terrain encore vierge permet tout d’abord de montrer que les sources existent, et l’ouvrage s’attache à en présenter toutes les potentialités. Elles apparaissent riches et variées : aux prescriptions canoniques s’ajoutent, pour l’Italie, les sources paroissiales, notamment les status animarum, jusque-là peu exploités. Ailleurs, les visites pastorales, les écrits personnels, les relations ad limina, les bulletins diocésains permettent de mesurer l’ampleur de l’administration du sacrement et de confronter la pratique avec la norme.
De nombreux graphiques donnent une idée de tout ce qu’on peut tirer des sources pour étudier ce sacrement. Ainsi, par exemple, pour les années 1640 à Puebla, Agustín Grajales Porras étudie avec précision les temps et les lieux de la confirmation, le sexe, l’origine ethnique et l’âge des confirmands, les liens entre parents et parents spirituels (tableaux des p. 91 à 95). De même, M. Gasperoni, étudiant le diocèse de Rimini sur quatre siècles, montre ce qu’on peut tirer du croisement des registres de confirmation avec d’autres sources, mieux connues (tableaux des p. 125 à 130). Pour la période contemporaine, d’autres documents comme les manuels de savoir-vivre ou des témoignages écrits ou oraux éclairent la dimension vécue de la confirmation.
Celle-ci est à la fois individuelle et collective. Au premier rang de ses acteurs, on trouve naturellement l’évêque, figure politique dont la présence nécessairement rare est d’autant plus impressionnante pour les confirmands. Là où des listes sont conservées, ce sont des centaines d’enfants, parfois assez avancés en âge, qui reçoivent le sacrement. On peut imaginer que la présence de l’évêque et ces regroupements d’enfants ont contribué à l’attractivité de ces cérémonies, que ce soit dans la Vénétie du xxe siècle, dans le diocèse de Rimini, en Bohême ou en Nouvelle-Espagne. Il apparaît clair que la mise en scène des confirmations, parfois administrées par centaines, est particulièrement encouragée dans un contexte de progrès de l’incroyance ou de lutte contre le communisme.
L’âge des confirmands donne lieu à des évolutions contrastées, dans les prescriptions comme dans les pratiques. Aux textes les plus anciens qui mentionnent simplement l’âge de raison s’ajoutent progressivement, dans un contexte de contre-réforme, quelques précisions : un âge minimal de 7 ans est requis, sans imposer de limite supérieure. La pratique est plus diverse : en Nouvelle-Espagne, l’âge moyen est de 4 ans 10 mois. À partir du xixe siècle, au contraire, la nécessité d’une instruction religieuse préalable place la confirmation à un âge plus avancé, à l’issue du catéchisme.
La question des parrains de confirmation, dont l’exploration a été à l’origine de ce travail collectif, offre ici les enseignements les plus neufs. Les règles dictées par le concile de Trente, relativement vagues, sont infléchies par le modèle borroméen. S’imposent ainsi quelques principes : le parrain ou la marraine doit être lui-même confirmé, du même sexe que le confirmand et différent du parrain de baptême. Il doit être de préférence unique, afin d’éviter la multiplication des affinités spirituelles qui créeront autant d’empêchements pour les mariages à venir. Là où les parrains sont identifiables, il est difficile de comprendre la logique qui préside à leur choix. La fréquence des parrainages multiples laisse deviner l’existence de parrains et de marraines « professionnels », souvent des notables. Ces observations permettent de douter de la force des liens noués à cette occasion.
De même se pose la question de la mémoire et de l’oubli d’un sacrement qui ne peut être réitéré. On découvre, d’une contribution à l’autre, tout le dispositif imaginé pour ancrer ce sacrement dans la mémoire : enregistrement par les curés, distribution de billets imprimés, d’images ou de chapelets. Les enquêtes portant sur les périodes les plus récentes montrent que les adultes se souviennent plutôt des cadeaux ou nouveaux habits reçus à cette occasion que du sacrement lui-même.
L’ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité et suscite de nombreuses questions, qui peut-être viendront nourrir des travaux futurs. Ainsi, il invite à s’interroger sur le lien entre le caractère facultatif du sacrement et le peu d’importance qui lui est accordée par les fidèles. Pratique non strictement obligatoire mais recommandée, la confirmation pourrait être, sous l’Ancien Régime, un indice de dévotion. C’est ce que laisse entendre N. Richard : étudiant les prénoms de confirmation pour la Bohême du xviiie siècle, il repère l’attribution de noms caractéristiques de la Réforme catholique qui rattache le geste aux dévotions baroques plutôt qu’à une logique locale ou familiale. De même, A. Grajales Porras explique la surreprésentation des femmes parmi les confirmands dans les années 1640 par une plus forte demande, au moins dans la population adulte. Enfin, l’étude sur plusieurs siècles proposée par M. Gasperoni révèle la capacité des fidèles, en période de troubles, à négocier de nouvelles pratiques, et donc à être autre chose que le réceptacle passif de normes imposées d’en haut. Une idée que Markéta Skorepová, à propos de la Bohême contemporaine, résume par ces mots : « Dans la mesure où la confirmation était volontaire, non requise ni contrôlée officiellement, on peut voir dans sa réception l’expression d’engagements religieux réels » (p. 156).
D’autres questions, ici ou là esquissées, mériteraient une exploration plus approfondie. Les rapports entre la confirmation et les autres sacrements, par exemple, ouvrent des pistes de réflexion intéressantes. Alors que plusieurs contributeurs voient dans la confirmation une transition entre l’enfance et l’âge adulte, seul V. Gourdon évoque la possible concurrence entre la confirmation et la première communion, celle-ci déjà bien étudiée par les historiens. Pour la première moitié du xxe siècle, marquée par plusieurs tentatives de relance du « sacrement oublié », Bruno Dumons montre que la nécessité d’être confirmé pour se marier à l’église constitue l’un des facteurs de maintien de cette pratique, dans un contexte largement déchristianisé. Pour l’époque moderne, on pourrait, de la même manière, établir un lien entre confirmation et tonsure, les carences de l’encadrement religieux incitant les fidèles à recourir massivement au sacrement afin d’accéder plus tard à la prêtrise.
On ne peut que saluer l’originalité de ce livre qui a le mérite d’ouvrir de nouveaux chantiers. L’ouverture à des aires géographiques et à des traditions locales variées aurait pu générer une sensation d’éparpillement. Ici, au contraire, elle présente une véritable cohérence, avec parfois l’inconvénient de provoquer quelques redites d’une contribution à l’autre. De ce point de vue, l’introduction est précieuse, qui établit des convergences et dessine quelques perspectives, de même que la « postface » de Guillaume Cuchet qui n’ose s’intituler conclusion, mais relève la richesse des apports.