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Kévin de la Croix et Veronica Mitroi (dir.), Écologie politique de la pêche. Temporalités, crises, résistances et résiliences dans le monde de la pêche, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020, 272 p.

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Kévin de la Croix et Veronica Mitroi (dir.), Écologie politique de la pêche. Temporalités, crises, résistances et résiliences dans le monde de la pêche, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020, 272 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

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Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Dans cet ouvrage collectif, l’introduction de Kévin de la Croix et Veronica Mitroi s’ouvre par un constat que les historiens et historiennes partagent entièrement : quelles que soient les sciences sociales, les mondes de la pêche restent encore peu explorés. Trois raisons sont avancées dès le début de leur texte : l’écologie politique et les sciences sociales restent centrées sur les espaces terrestres ; les nombreuses analyses de l’eau comme ressource rendent moins visibles celles qui étudient un milieu singulier intégrant un ensemble colossal de ressources marines et halieutiques ; la science halieutique continue de générer des études très spécifiques pouvant difficilement dialoguer avec d’autres. Pourtant, les mondes de la pêche suscitent actuellement des recherches novatrices dans nos disciplines. L’intérêt des spécialistes s’est d’abord manifesté par un renouveau des connaissances sur les mers et océans, ce qui a ensuite permis le développement d’analyses sur les systèmes de mises en ressources et d’exploitation de ces environnements. Depuis les années 2010, les activités de pêche sont au cœur de questionnements conjuguant des analyses politiques, économiques et sociales ancrées dans des milieux particuliers, vécus, utilisés et transformés. L’étude de la pêche s’insère enfin actuellement dans des problématiques environnementales fortes. Ces approches sont ainsi voisines de ce que le monde académique anglophone appelle la political ecology, étiquette qui reste rarement utilisée en France en ce qu’elle fait d’abord référence à un mouvement politique engagé. Il est donc original et novateur que K. de la Croix et V. Mitroi inscrivent ces neuf contributions de géographie, de sociologie, d’anthropologie, d’économie ou encore de sciences politiques dans le champ de l’écologie politique, marquant ainsi une volonté de « repolitiser les problèmes écologiques et les mesures visant la prise en charge de ceux-ci par les politiques, les institutions, les acteurs sociaux » (p. 13).

Quels que soient le terrain ou les méthodes d’analyse issues de nombreuses disciplines, l’objectif des contributions est donc de confronter, de manière plus ou moins convaincante, les mesures politiques et les décisions institutionnelles relevant de la protection des environnements aux pratiques et réactions des acteurs et actrices de la pêche artisanale. Sur les 9 contributions, 4 articles s’attachent à étudier la mise en place de politiques halieutiques envisagées à une échelle nationale ou internationale. Parmi eux, 2 articles portent sur l’exploitation des ressources en Afrique de l’Ouest, observées à l’échelle des États depuis 1950 : celui de la géographe Marie-Christine Cormier-Salem et celui d’un collectif de collègues économistes, géomaticiens et océanographes réuni autour de Pierre Fallier. La même échelle d’analyse est adoptée par le socio-anthropologue Tarik Dahou sur les activités de pêche à El Kala, en Algérie. Ces trois contributions proposent des analyses chronologiques des principes étatiques qui ont guidé la mise en place de ces politiques en utilisant des méthodes diversifiées issues de leurs disciplines respectives. C’est toujours l’observatoire national qui est choisi par la géographe Racha Sallemi sur la mise en place d’une aire marine protégée autour des îles Kuriat en Tunisie et sur les conséquences de cette décision pour la pêche artisanale. Ces quatre articles ont finalement en commun de montrer que les décisions institutionnelles « par le haut » sont souvent déconnectées des réalités écologiques et sociales des terrains pris en considération. Pourtant, malgré la mise en évidence de l’importance des spécificités locales, les auteurs et autrices ne réfléchissent aux possibles améliorations des modes de gouvernance que « par le haut », renforçant finalement cette échelle d’analyse qui génère des dysfonctionnements selon ces mêmes spécialistes.

Au contraire, l’article de l’anthropologue Nastasia Reyes étudie l’imbrication de décisions aux échelles internationales, nationales et locales prises pour la pêche du thon rouge en Méditerranée occidentale. Elle compare ainsi les conséquences des mesures adoptées dans trois ports de pêche en Catalogne, en Occitanie et en Sicile. Cette étude démontre parfaitement que ces décisions ne sont pas forcément des mesures de protection des ressources et mènent à des situations d’application très diverses localement. De même, l’article d’Emilie Mariat-Roy, anthropologue également, montre comment l’instauration de quotas de pêche dans les années 1990 sur le littoral islandais, opération pensée comme une politique de protection des ressources, a entraîné un marché spéculatif sur ces mêmes quotas. De la crise sociale que cette politique a induite sont nées des pratiques de pêche locales plus respectueuses de l’environnement, instaurées par les habitants et habitantes des villages côtiers. Ces deux analyses stimulantes permettent de démontrer que des actions locales ne subissent pas seulement les décisions étatiques, mais qu’elles peuvent aussi agir sur l’exploitation des ressources.

Partir des savoirs et des représentations de celles et ceux qui ont la pratique de ces milieux aquatiques est la méthode envisagée par un collectif de chercheurs et chercheuses en anthropologie, ethnoécologie et géographie rassemblé autour de Juliette Languille. Ces derniers effectuent une enquête de terrain, dont ils rendent ici compte, sur les imaginaires sociaux de familles exploitant les ressources halieutiques du lagon de Raiatea-Tahaa, en Polynésie française. Cet article très convaincant insiste sur l’importance des savoirs locaux des usagères et usagers comme outils indispensables pour mettre en place une politique halieutique efficace respectueuse des environnements marins. Il montre également à quel point les décideurs, souvent éloignés des pratiques situées, peuvent avoir une vision erronée des formes d’exploitation et des savoirs locaux.

C’est également à partir d’un observatoire local, la Sélune, fleuve qui se jette dans la baie du Mont-Saint-Michel, qu’Olivier Thomas analyse les actions et savoirs de celles et ceux qui pratiquent la pêche sur ce fleuve. Le géographe étudie ainsi la manière dont ces usagers et usagères appréhendent la décision étatique dans les années 2010 de supprimer deux barrages construits au début du xixe siècle, constructions accusées de freiner la migration d’espèces halieutiques. Cet article montre que ces acteurs et actrices ont toute leur place dans les réflexions d’écologie politique et que celles-ci sont aussi le résultat de négociations entre des groupes dont les intérêts divergent parfois fortement, qu’il convient donc de ne pas uniformiser.

C’est enfin cette négociation permanente entre différents acteurs et actrices qui est au cœur de l’article de Florence Menez sur la lagune vénitienne. L’anthropologue s’intéresse aux effets que produit l’introduction d’une nouvelle espèce de palourde, en centrant son étude sur les négociations entre acteurs institutionnels et corporations de pêcheurs. L’analyse révèle par ailleurs les équilibres écologiques fragiles et les conflits d’usages qui peuvent exister dans un espace lagunaire.

Si la plupart des articles intègrent parfaitement l’analyse de pratiques locales, un acteur majeur est quasiment absent parmi les groupes d’intérêt qui négocient les règles d’exploitations : les membres de la pêche industrielle. Pourtant, ce sont les plus grands pourvoyeurs des marchés mondiaux et leurs pratiques sont souvent pointées du doigt lorsqu’il est question de pressions exercées sur les ressources halieutiques. De même, ils développent de nombreux lobbies pour peser dans les décisions institutionnelles, ce qui n’apparaît pas dans ces contributions. Ainsi, certaines analyses gagneraient sans doute à ne pas opposer de manière binaire la politique des États aux pratiques locales et artisanales éloignées de ces législations, pour davantage insister sur la complexité et le continuum des groupes qui animent ces négociations à toutes les échelles.

Cet ouvrage est aussi une invitation réussie à penser les écologies politiques de la pêche de manière interdisciplinaire. Ainsi, les réflexions menées en géographie, en économie, en anthropologie ou encore en sociologie démontrent à quel point l’histoire aurait pleinement sa place dans cette démarche. D’une part, de nombreuses contributions historiques ont dernièrement mis à jour des mécanismes de négociation et d’exploitation des ressources qui reprennent en grande partie les interrogations présentes dans cet ouvrage. D’autre part, la dimension historique, utilisée dans certains articles du volume pour retracer des évolutions sur un temps plus long, semble ici fondamentale pour produire une analyse fine de cette écologie politique, constat que le directeur et la directrice de l’ouvrage partagent d’ailleurs en introduction et qu’ils ne manquent pas de souligner dans le sous-titre du livre. En effet, l’exploitation des ressources est une pratique dont nous avons des traces dès l’Antiquité sur les littoraux méditerranéens, par exemple. L’archéologie sous-marine a ainsi démontré qu’il existait des élevages de poissons dès l’époque étrusque dans les lagunes nord-italiennes. Ces pratiques millénaires doivent inciter les chercheurs et les chercheuses à penser les héritages historiques au-delà du xxe siècle. Ce qui est parfois décrit comme des nouveautés, dans certains articles, s’explique en partie par des pratiques anciennes, comme c’est le cas dans la lagune de Venise par exemple, où les usages partagés des marécages entre corporations de pêcheurs existent dès le xive siècle.

Les références et concepts théoriques utilisés dans plusieurs contributions sont également mobilisés par les historiens et les historiennes, qui ont en particulier rouvert un grand chantier autour des communs en histoire environnementale et alimentent le débat autour du fonctionnement des communaux ou des biens communs souvent cités dans les contributions présentes. Ainsi, plusieurs spécialistes en histoire défendent aujourd’hui l’idée que la dichotomie entre public et privé gagnerait à être repensée aux époques médiévales et modernes. Certaines et certains proposent par exemple une tripartition entre public, privé et commun qui identifie des régimes de propriété et des régimes d’exploitation dissociés – ce qui est une piste de réflexion actuelle en écologie politique. De même, les références aux travaux de Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, fréquentes en anthropologie, sont aussi utilisées dans certains travaux en histoire et suggèrent que le dialogue serait fécond.

Enfin, les auteurs et autrices de cet ouvrage montrent bien que les politiques écologiques nationales et internationales qui génèrent des lois au nom d’une gestion raisonnée des ressources aggravent souvent la pression sur celles-ci. Cependant, aucun article n’envisage un cadre institutionnel local, chacun opposant souvent des pratiques spontanées à des institutions établies seulement capables d’agir à une échelle nationale. C’est peut-être là que l’histoire aurait le plus de choses à dire : en proposant des analyses plus ancrées et donc entièrement connectées aux milieux et aux sociétés qui y prennent place et qui développent des juridictions locales, l’histoire peut rouvrir le champ des possibles quant à d’autres formes de gestion des ressources et permettre d’insister sur la longévité de ces questions, c’est-à-dire sur les phénomènes de résurgence ou de feuilletage des décisions d’écologie politique dans la longue durée.