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Marx et la politique du dehors Gavin Walker, traduit de l'anglais par Jonathan Martineau, Montréal: Lux Éditeur, 2022, pp. 456

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Marx et la politique du dehors Gavin Walker, traduit de l'anglais par Jonathan Martineau, Montréal: Lux Éditeur, 2022, pp. 456

Published online by Cambridge University Press:  06 January 2023

Nicolas Gauvin*
Affiliation:
Université du Québec à Montréal ([email protected])
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2023. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Quelle part de l'humanité n'est pas encore totalement intégrée au capitalisme ambiant ? Y'a-t-il un espace de résistance politique au capital qui peut encore agir en tant que catalyseur des luttes sociales ? Voilà le questionnement que Gavin Walker articule dans Marx et la politique du dehors. Dans une ère où la mondialisation économique se déploie sans grande résistance et où la gauche peine à formuler un projet de société alternatif, un tel questionnement est hautement à-propos.

Pour Walker, le « dehors » du capital renvoie à divers éléments de la structure sociale (travail, sexe, genre, nation), dont il ne peut faire l’économie. Autrement dit, le capital en soi ne peut produire ni réguler plusieurs aspects du monde social dont il dépend pourtant (18). Walker pose du même coup l'omniprésence du capital. Un dehors pur du capital serait un objet fantasmé. Penser un dehors sans capitalisme c'est autrement dit se condamner à l'impuissance politique, d'où la nécessité de penser leur articulation de manière dialectique.

Dans les deux premières parties de l'ouvrage (chapitres 1 à 7), Walker revient sur le moment originaire du capital, celui de l'accumulation initiale. En effet, l'accumulation initiale instaure un ordre dans lequel les producteurs sont séparés des moyens de production par une violence légale. Sans moyens de production, les producteurs sont contraints de vendre leur force de travail et de créer de la plus-value.

En tant que force planétaire, le capital se territorialise pour capturer les éléments malléables de la force de travail. C'est dans le cadre de ce processus qu'apparaît l’État-nation. Convoquant Étienne Balibar, Walker affirme que l'accumulation initiale est productrice d'une « différence anthropologique » (141). La construction de la citoyenneté va de pair avec celle d'une subjectivité nationale (113). C'est dans le cadre de ce même processus qu'apparaît la distinction entre périphérie et colonie. Le discours de la citoyenneté sert de fondement non seulement à l’État moderne, mais aussi « à sa genèse impériale et coloniale » (135). À cet égard, s'appuyant sur les travaux de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, Walker montre bien que l'Occident est une notion abstraite dont le fonctionnement interne nécessite le recours à une territorialité extérieure. Ce schéma d'un monde divisé en régions découle d'un appareil de capture qui trace des frontières.

Cette capture s'opère ainsi : le flux des corps qui existaient auparavant sera désormais un groupe territorialisé, le flux des mots qui circule une langue nationale, le flux des rituels une culture (158). Le capital a donc besoin de ce « dehors » national pour pouvoir étendre son emprise. C'est aussi dans ce contexte que se déploie la pensée postcoloniale qui a le potentiel de devenir un lieu d'investigations militantes, pour autant qu'elle renonce au fantasme de « la plénitude de la substantialité ethnique » (253). Cette compréhension des rapports sociaux s'avère pertinente dans la mesure où elle met en exergue le rôle central qu'occupe le colonialisme dans les présuppositions épistémiques de l'Europe–et plus globalement de l'Occident.

Dans la dernière partie de l'ouvrage (chapitres 8 à 11), Walker se consacre à la dimension politique de la théorie marxiste contemporaine. Selon lui, elle permet de penser un second « dehors » du capital, où peuvent se regrouper diverses pratiques militantes des mouvements sociaux. L'auteur, pour en arriver là, s'appuie sur les travaux du philosophe marxiste Alain Badiou. Grâce à ceux-ci, Walker remet brillamment à l'avant-scène un fait souvent occulté. Très souvent le marxisme est réduit à un économisme qui laisse peu de place à l'agentivité politique. Or, il n'en est rien selon Walker. Toutes les sociétés ont le potentiel de développer une situation limite d'où peut émerger une classe ouvrière mobilisée donc l'action sociale a le potentiel de mettre en exergue quelque chose de nouveau.

À cet égard, Walker affirme que ce quelque chose peut être révélé par « le parti ». Dans l'avant-dernier chapitre, Walker revoit donc la notion de parti tel qu'elle a été entendue par Marx lui-même et par différents théoriciens marxistes. Avec l'effondrement de l'Union soviétique, c'est une certaine conception du parti qui disparaît. Loin d’être une organisation rigide et inflexible, le parti en soi est un corps, un appareil qui maintient un « procès de fidélité », à partir duquel une situation limite événementielle peut se maintenir dans le temps (347). Plus concrètement, le parti est aussi une entreprise collective de construction qui organise les forces sociales en mouvement politique. Le parti aujourd'hui ferait converger les différents courants anticapitalistes et antiétatistes. Le capital, en tant que structure de domination, se présente comme sans « dehors » et, pourtant, il dépend de la force de travail et de la terre qu'il ne peut produire lui-même. Il y a donc une possibilité d’émergence d'un sujet politique à partir de ces mêmes « dehors », qui peuvent lui échapper épisodiquement.

Très dense théoriquement, Marx et la politique du dehors propose une réactualisation intéressante du concept d'accumulation initiale et de la théorie politique marxiste. Toutefois, l'emploi du jargon marxiste dilue la clarté du propos de Walker. Des sections auraient pu être aussi raccourcies pour rendre le propos plus limpide. Nous pensons notamment à la longue section dédiée à la discussion des travaux de Badiou (279–311). De plus, bien que Walker discute des divers « dehors » du capital, la nation occupe la plus grande partie de la discussion. Il aurait été intéressant de consacrer davantage d'espace aux autres « dehors » comme le sexe et le genre qui sont relativement peu discutés. Les stratégies de convergence entre les différentes luttes sociales ne sont pas non plus étayées. Malgré tout, l'ouvrage offre une thèse solide qui permet de penser qu'un autre monde n'est pas si éloigné : ce n'est pas parce que le capitalisme est partout que sa domination est totale.