Hostname: page-component-cd9895bd7-8ctnn Total loading time: 0 Render date: 2024-12-23T10:17:29.603Z Has data issue: false hasContentIssue false

Amalie Fößel (dir.), Gewalt, Krieg und Geschlecht im Mittelalter, Berne, Peter Lang, 2020, 543 p.

Review products

Amalie Fößel (dir.), Gewalt, Krieg und Geschlecht im Mittelalter, Berne, Peter Lang, 2020, 543 p.

Published online by Cambridge University Press:  26 April 2023

Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Guerre et violences politiques (de l’Antiquité à l’âge des Révolutions) (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Le présent ouvrage est issu d’un colloque de 2016. Le point de départ de ce dernier était l’observation d’Amalie Fößel selon laquelle la recherche sur la guerre et la violence au Moyen Âge n’avait jusqu’à présent pas suffisamment abordé les questions et les perspectives de l’histoire du genre. Son objectif fut ainsi de discuter des rapports entre la violence, la guerre et le genre au niveau interdisciplinaire et en prenant en considération l’histoire des deux sexes, leurs interactions et leurs rôles sociaux. Le genre devait être utilisé comme une catégorie d’analyse interdépendante nécessitant d’être étudiée dans le contexte d’autres catégories de différences. Les vingt contributions de l’ouvrage sont réparties en six sections : « Masculinité guerrière » ; « Féminité en temps de guerre et de violence » ; « Transgression des sexes et échange des rôles » ; « Genre, violence et droit » ; « Guerre, amour courtois et émotions » ; « Le concept de genre dans une perspective transculturelle ». Les deux premières sections, avec respectivement six et cinq contributions, sont les plus riches en termes de contenu.

La section sur la masculinité guerrière commence avec la contribution de Laury Sarti, qui s’attache à une analyse sémantique des termes « virilitas », « fortitudo » et « utilitas » afin d’évaluer les valeurs militaires du haut Moyen Âge et la perception des identités militaires masculines. L’analyse soutient que cette période a connu une montée en puissance des capacités et des réalisations militaires qui, dès lors, ont de plus en plus défini l’identité et l’appréciation des hommes au détriment des fonctionnaires de la société tardo-antique.

Jitske Jasperse, ensuite, s’intéresse au manuscrit d’Heidelberg de la Chanson de Roland dans une perspective d’histoire de l’art. En s’appuyant sur la relation texte/images, elle étudie les liens entre espace et genre dans les situations de défaite et de triomphe présentes dans le récit. Alors que les représentations d’espaces et de lieux sont soigneusement construites comme des sites où la masculinité est façonnée et négociée, l’auteur rompt par moments avec cet idéal. La Chanson de Roland aurait alors été conçue par lui comme un antidote aux éventuelles menaces contre la masculinité.

La contribution d’Ingrid Schlegl traite des différentes formes d’une masculinité marginalisée que l’on peut trouver dans les chroniques de croisade, manifestée notamment dans le refus de se battre. L’attribution de caractéristiques féminines en est la principale conséquence dans les sources normatives. La désertion et le refus de combattre en général n’étaient cependant pas nécessairement soumis à l’ostracisme social, tant qu’il était possible de se déclarer inapte à la guerre en raison de l’âge, de la maladie ou d’autres circonstances.

Sous le titre « Tous contre lui, lui contre tous », Bastian Walter-Bogedain met en lumière l’idéal du roi combattant, fondé sur un ethos héroïque et chevaleresque et donc sur une construction spécifique de la masculinité. La question de savoir si les rois devaient participer à la bataille restait une question ouverte à la fin du Moyen Âge. La propagande de guerre, les crises politiques et la logique d’État sont autant de facteurs qui ont pu influencer cette discussion qui a duré jusqu’à l’époque moderne.

La masculinité du Moyen Âge tardif est au centre de la contribution de Jörg Rogge qui propose une analyse des schémas et styles narratifs que différents auteurs utilisent pour décrire et raconter la masculinité guerrière. Parmi les notions récurrentes, J. Rogge relève la capacité de régénération et celle d’endurer la souffrance, les blessures et cicatrices, les relations entre les corps ainsi que la bravoure et le mépris de la mort.

La section sur la masculinité guerrière se clôt par l’article de Zdeněk Beran sur la perception des rôles de genre dans le contexte de la réforme bohémienne et de la révolution hussite. Partant du modèle de la masculinité guerrière exhibé dans les textes normatifs, Z. Beran met en avant une plus grande marge de manœuvre des deux sexes dans les pratiques sociales. Par conséquent, l’article aurait pu trouver sa place dans la section consacrée à l’échange des rôles.

Ouvrant la section sur la féminité, Christoph Mauntel part du constat que les femmes en tant qu’autrices de violences ne sont guère mentionnées dans la documentation. Cependant, il observe qu’elles peuvent avoir un rôle actif lors de guerres et de combats. La défense de soi et celle de leurs biens peuvent en être les motifs. À un niveau supérieur, les mêmes raisons se retrouvent dans les conflits militaires où des femmes nobles s’engagèrent véritablement. Le cadre de référence reste toutefois masculin. C’est d’ailleurs ce que visent les descriptions contemporaines : les femmes qui s’engagent militairement montrent un courage d’homme, le cœur d’un lion.

Johanna Wittmann n’était pas présente lors du colloque. Elle propose un texte sur des reines qui ont assumé le rôle de cheffe militaire ou de régente, ou qui étaient en conflit direct avec leur famille. En deuxième partie de son article, elle approfondit l’analyse par les exemples de Mathilde l’Emperesse et de la reine Mathilde de Boulogne. Loin d’être uniformes, les représentations des deux reines en tant que cheffes militaires dépendent fortement de la perspective des auteurs médiévaux.

Danielle E. A. Park révèle la relation mouvementée de la reine Mélisende de Jérusalem avec son fils Baudouin III à travers le récit de Guillaume de Tyr. La description de la guerre civile qu’en a tiré l’archevêque est construite autour des questions du genre, de l’âge et du statut. Le conflit répondait ainsi à une double dynamique dans la mesure où il impliquait des antagonistes masculin et féminin et la position d’autorité d’une reine-mère sur un jeune roi-fils. Cette relation nous instruit aussi bien sur la féminité que sur la relation entre les genres.

Sophia Menache propose une révision de l’action politique de celle qui est connue sous le nom de « Louve de France », Isabelle de France, reine d’Angleterre. Contrairement à son image, S. Menache insiste sur la volonté qui fut celle d’Isabelle de France d’instaurer la paix entre le roi et les barons et entre les royaumes d’Angleterre, de France et d’Écosse. Il est regrettable que l’article ne comporte pas de divisions internes étant donné sa longueur.

C’est à une autre image que s’attaque Jessika Nowak. Blanche Marie Visconti est représentée dans de nombreux tableaux de la Renaissance comme une madone angélique. En se penchant sur sa correspondance avec son mari, Francesco Sforza, J. Nowak dévoile une femme très puissante, dotée d’un réseau important, exerçant une influence politique considérable, notamment en temps de guerre et en tant que régente de son fils – ce qui offre un parallèle intéressant avec l’article de D. Park.

Dans la section « Transgression des sexes et échanges des rôles », Martin Clauss thématise la question du crossdressing, c’est-à-dire le transformisme, dans le contexte de la guerre. Cette pratique a l’avantage, selon l’auteur, de montrer de façon efficace la fluidité des catégories du masculin et du féminin. En tant que ruse de guerre, le transformisme est largement accepté par certains chroniqueurs. De plus, le genre n’est pas au centre de tous les récits ; il interagit avec d’autres catégories, comme l’âge et le corps. Le rôle adopté peut en effet impliquer de changer de statut social (une domestique), d’altérer le corps (se raser) ou d’effectuer des travaux physiques « non masculins » (comme chercher de l’eau).

Puis Mirjam Reitmayer examine, à travers deux femmes – l’une bourgeoise, l’autre noble –, les marges de manœuvre des épouses dont les maris ont été faits prisonniers. Dans cette situation, celles-ci peuvent devenir les intermédiaires de leurs maris dans leurs affaires. Cette observation rappelle fortement l’analyse de J. Nowak, raison pour laquelle on peut se demander pourquoi les deux contributions ont été classées dans des sections différentes.

La section « Genre, violence et droit » est inaugurée par l’article de Gisela Drossbach, qui retrace l’évolution de l’idée du mariage en tant que contrat consensuel en se fondant sur différentes décrétales pontificales. Trois raisons peuvent être avancées pour expliquer l’inapplicabilité de la protection de l’épouse contre la violence dans les faits : le consensus entre époux n’est pas garanti ; les parents ou la famille, principalement dans les milieux nobles et bourgeois, s’immiscent dans les accords maritaux ; l’absence de cadre précis lors de la conclusion du mariage.

Dirk Jäckel analyse le droit islamique (fiqh) en ce qui concerne la légalisation de l’esclavage des femmes contraintes de fournir des services sexuels. En effet, des sources remontant au début de la période islamique confirment la longévité de ce concept. Dans la pratique, le concubinage des esclaves fut entretenu par la guerre en raison des captures de femmes et d’enfants. De plus, le concubinage jouait un rôle important dans l’islamisation de la société, car les enfants que ces esclaves avaient eus avec leur maître musulman étaient considérés comme musulmans. Le spectre de la relation entre l’esclave et le maître va de la romance (Les Mille et Une Nuits) à l’humiliation.

Quel rôle les femmes jouent-elles dans les représentations de la guerre dans l’art et la littérature ? Les articles de la section « Guerre, amour courtois et émotions » peuvent être lus sous cet angle. Alexandra Gajewski analyse la représentation gravée sur le dos de miroirs en ivoire du siège du château d’amour – une allégorie du rapport sexuel – du point de vue du genre et de la guerre. Cette allégorie peut être interprétée comme l’inversion parodique d’une tradition ancienne, gravée dans la mémoire et la conscience collective, où un grand nombre de femmes de la noblesse étaient prises par la force.

Judith Lange se penche, quant à elle, sur les trois cas de scènes de guerre dans le Parzival de Wolfram von Eschenbach. Elle souligne combien l’utilisation du Minnekrieg se prête efficacement à la description du rôle social des femmes tout en attirant l’attention sur les tendances destructrices qui pourraient résulter du déséquilibre des relations entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les hommes eux-mêmes.

Avec l’Orgeluse des romans du Graal de Chrétien de Troyes et de Wolfram von Eschenbach ainsi qu’avec le roi Etzel de la plainte du Nibelungenklage, Sonja Kerth analyse ces personnages littéraires sous l’angle du traumatisme. La violence excessive de la guerre peut être associée à des dysfonctionnements de genre, donnant naissance à des personnages féminins qui parlent et agissent au masculin et à des personnages masculins efféminés. Par ses observations, S. Kerth complète l’éventail des transgressions mises en évidence par M. Clauss.

On retrouve ensuite la problématique de la transgression, mais dans une autre section, à savoir celle sur la transculturalité. Ce choix est certes justifié dans la mesure où Nadeem E. Khan analyse les mémoires d’Usāma ibn Munqiḏ et le récit de voyage de Muḥammad ibn Ǧubayr. Toutefois, l’auteur montre la fonctionnalisation de la représentation d’un comportement transgressif dans le but de diminuer l’adversaire. De la même manière que la contribution de D. Jäckel sur le droit islamique a trouvé sa place dans la section sur le droit (et non sur la transculturalité), la section sur la transgression aurait pu être, grâce à cet article, nettement plus étoffée.

Pour finir, Bea Lundt appelle à étudier le genre de manière globale et transculturelle à travers l’analyse du Roman des sept sages. Une lecture sensible peut amener à rencontrer des univers sexuels multiples, dotés de caractéristiques fluides, et des espaces d’action entre les sexes dans ce roman qui a, jusqu’à présent, posé des problèmes d’interprétation à la recherche.

Malgré une organisation qui ne convainc pas toujours et l’absence d’un index, cet ouvrage a le mérite de remettre en question la masculinité supposée de la guerre au Moyen Âge en pointant du doigt les procédés de construction des modèles masculin et féminin. Les contributions les plus pertinentes sont celles qui croisent d’autres catégories, telles que le pouvoir, l’âge et le rang social, avec la question du genre. Cette perspective conduit à souhaiter d’autres travaux abordant les enjeux de genre dans la politique, la religion et la culture au Moyen Âge.