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René Lévesque. Un homme et son siècle Guy Lachapelle (dir.), Québec : Presses de l'Université Laval, pp. 264

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René Lévesque. Un homme et son siècle Guy Lachapelle (dir.), Québec : Presses de l'Université Laval, pp. 264

Published online by Cambridge University Press:  04 July 2023

Yves Laberge*
Affiliation:
Université d'Ottawa ([email protected])
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Abstract

Type
Book Review/Recension
Copyright
Copyright © The Author(s), 2023. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

À l'occasion du centenaire de sa naissance, René Lévesque (1922–1987) a fait l'objet de plusieurs hommages et de quelques études savantes. Le professeur Guy Lachapelle a pour sa part réuni une centaine d'articles et de discours rédigés par le cofondateur du Parti québécois : avant, pendant et après ses vingt-cinq années de carrière politique.

Dans sa préface éloquente, l'ex-premier ministre Lucien Bouchard évoque le courage et la clairvoyance de son illustre prédécesseur. Mais surtout, le fondateur du Bloc Québécois veut réhabiliter le sens positif et bienveillant du mot « nationalisme », si souvent décrié à l'extérieur du Québec, et pourtant central pour bien saisir le moyen privilégié afin de sortir des logiques coloniales qui sont persistantes au Canada : « Personne n'a jamais mieux exprimé l'ouverture et la générosité du nationalisme, [que Lévesque] n'a pas cessé de promouvoir » (x). Plus loin, la belle présentation faite par Claude Lévesque, le fils de René Lévesque, est aussi révélatrice : « Mon père a aussi écrit sur l'Apartheid en Afrique du Sud avant que ce sujet ne domine l'actualité » (x). Lévesque ne pouvait pas ignorer le paradoxe évident d'une minorité dominant une majorité, quelle que soit la nature de la domination. La liste serait trop longue pour reprendre intégralement tous les thèmes qui lui tenaient à cœur : « la décolonisation, l'antisémitisme, le racisme et la discrimination systémique aux États-Unis », sans oublier la liberté de la presse (x).

L'ouvrage reprend chronologiquement une sélection de cent textes ou discours. Dans un premier reportage daté de 1951, le jeune journaliste, correspondant en Asie, constate l'américanisation rapide de la ville de Tokyo et du Japon d'après-guerre par l'implantation sur le marché nippon de produits « nouveaux » comme le Coca-Cola, le baseball, et même une édition japonaise du Reader's Digest (22).

Stylistiquement, René Lévesque procède souvent par comparaisons, par analogies, par des parallèles entre différentes nations devant faire face à des défis et des destinées similaires. Dans un article pour le quotidien Le Jour paru en 1974, il décrit méticuleusement, avec un brin d'ironie, le contexte entourant les velléités de l’Écosse à devenir souverain en soulignant la création d'une « Commission royale sur… tiens, tiens… les questions constitutionnelles » (151). À Ottawa, voulez-vous dire? Non : au Royaume-Uni. Mais, pourrait-on ajouter, aussi au Canada, et à peu près à la même époque.

Les bonnes surprises abondent dans cette anthologie. Ainsi, dans son discours « C'est le Québec qui a redécouvert la Louisiane » (1978), le premier ministre Lévesque rappelle ce que beaucoup veulent oublier : la triste réalité de l'interdiction du français dans plusieurs États américains au cours du 20e siècle : « Vous savez, il y a cinquante ans, et même moins, non seulement le français n’était plus enseigné du tout, en Louisiane, mais son usage n’était à peu près pas toléré » (210).

On est impressionné par l'abondance et la richesse des textes choisis, mais surtout par la perspicacité et le caractère visionnaire de cet observateur perspicace et clairvoyant des relations internationales. La justesse de ses jugements, que l'on apprécie plus difficilement a fortiori, hors contexte, fait en sorte que tôt ou tard, l'histoire a souvent donné raison à René Lévesque, que ce soit à propos du problème de la ségrégation aux États-Unis ou de la situation au Moyen-Orient. Cette image célèbre d'un jeune animateur de la télévision devant son tableau trouve ici son équivalent livresque et archivé.

Les PUL ont réussi un excellent travail éditorial en misant sur un ouvrage de grand format. Le seul reproche que l'on pourrait faire à ce livre serait d’être trop bref; on aurait souhaité le double ou le triple de pages, et l'inclusion d'autres discours marquants. Citons en exemple l'inauguration de la statue de Maurice Duplessis en 1977, lorsque le premier ministre Lévesque incitait ses contemporains voulant condamner tout ce qui précéda la « Révolution tranquille » à mesurer leurs jugements et à ne pas oublier que le duplessisme était le fruit d'une époque lointaine, impossible à appréhender entièrement avec nos critères décalés et notre manque de perspective. De plus, parmi de nombreux textes manquants, plusieurs déclarations combatives faites à l'Assemblée nationale mériteraient également d’être publiées. Je pense notamment à toutes les attaques de Lévesque contre Claude Ryan, l'accusant notamment de vouloir affaiblir le Québec devant le gouvernement fédéral. « On était à genoux, et il voudrait nous faire ramper! », s'indignait Lévesque au lendemain de la campagne référendaire de 1980.

On ne peut que recommander l'acquisition de ce René Lévesque. Un homme et son siècle aux bibliothèques publiques et universitaires, même à l'extérieur du Québec, car ces textes reconfirment l'acuité et la pertinence de la pensée d'un grand humaniste, parfois mal compris ou méconnu. Dans d'autres pays, un politicien de sa trempe aurait eu droit à une édition intégrale de ses écrits et discours, en plusieurs volumes annotés et contextualisés.