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Rachel Rogers, Friends of the Revolution: The British Radical Community in Early Republican Paris 1792-1794, Londres, Breviary Stuff Publications, 2021, 299 p.

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Rachel Rogers, Friends of the Revolution: The British Radical Community in Early Republican Paris 1792-1794, Londres, Breviary Stuff Publications, 2021, 299 p.

Published online by Cambridge University Press:  26 April 2023

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Abstract

Type
Guerre et violences politiques (de l’Antiquité à l’âge des Révolutions) (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Le retentissement considérable de la Révolution française dans toute l’Europe et jusqu’aux Amériques a conduit de nombreux étrangers, partisans des idées nouvelles et désireux de leur application dans leurs pays, à venir en France pour s’y établir pendant des mois ou des années et, éventuellement, s’engager dans la vie politique ou militaire. À côté des personnalités bien connues comme le Polonais Tadeusz Kosciusko, l’Hispano-Vénézuélien Francisco de Miranda, l’Allemand Georg Förster ou la Liégeoise Anne-Josèphe Therwagne (dite de Méricourt), une communauté « anglaise » – ou plutôt de langue anglaise – joua un rôle durable et important dans les premières années de la Révolution, notamment jusqu’en 1793-1794, avant d’être victime de lois visant tous les ressortissants de pays ennemis. Leur présence devint problématique après février 1793, quand l’Angleterre entra en guerre contre la France républicaine ; à la fin de l’année, tous les Anglais sont considérés comme suspects, et certains sont arrêtés ou chassés après avril 1794. Parmi les figures notables de cette communauté, peu nombreuse mais influente et marquante, se détachent notamment l’Anglo-Américain Thomas Paine (élu député à la Convention) ou l’Anglaise Mary Wollstonecraft, tous deux partisans de la Révolution et associés au courant ordinairement qualifié de girondin.

L’intérêt immédiat de ce livre est de ne pas s’arrêter à cette idée reçue et de présenter, dans sa complexité et sa quotidienneté, le groupe des Anglais, Irlandais, Gallois, Écossais, voire Américains installés à Paris entre août 1792 et juillet 1794 qui a fondé, en janvier 1793, la « Société des amis des droits de l’homme » (SADH). La société se retrouve dans l’hôtel de Christopher White, marchand de vin et hôtelier, passage des Petits Pères, non loin du Palais Royal et de la place des Victoires, là où le club anglais des Jacobins avait été fondé, le 18 novembre 1792, en soutien à la république française.

Les événements de 1789 avaient déjà attiré des Anglais, simples curieux ou observateurs avisés, mais le tournant politique de 1792 a suscité la venue de personnes plus impliquées dans les combats politiques, même si certains, comme Lord Fitzgerald, plus tard exécuté pour son rôle dans les soulèvements irlandais contre la Couronne anglaise, mélangent plaisirs de la vie parisienne et rencontres politiques ou dîners militants de l’hôtel White. S’y retrouvent alors des jeunes gens, hommes et femmes ayant essentiellement entre 25 et 40 ans, qui ont déjà eu une expérience dans les groupes dissidents ou politiques en Angleterre. Ils sont plutôt proches des whigs, tout en en étant le plus souvent critiques et pour la plupart hostiles au gouvernement de Pitt. Là s’arrêtent peut-être leurs points communs. Leur obsession, justifiée, est la présence d’espions, comme le capitaine George Monro, au service de Pitt au sein de leur groupe.

Si quelques-uns sont aisés, voire riches comme Fitzgerald, ils appartiennent presque tous à la classe moyenne, étant docteurs, chimistes ou soldats. Certains mêlent activités commerciales (commerce du tabac ou des grains) et militantisme politique ; plus nombreux enfin sont ceux qui écrivent dans des journaux anglais en France ou font publier leurs récits et leurs analyses de la situation française, comme le journaliste Sampson Perry. Leur maîtrise de la langue française est également très variée, et la plupart sont proches des révolutionnaires français anglophones, à commencer par Jacques-Pierre Brissot. Tous sont interdépendants dans leur vie quotidienne, car les difficultés ne manquent pas pour ceux, les plus nombreux, qui vivent chichement. L’autrice insiste ainsi sur les disparités qui divisent cette communauté incertaine, rendant difficile de qualifier politiquement ces femmes et ces hommes et qui, de fait, sont isolés en France et restent mêlés aux conflits internes des îles britanniques, où là aussi les dénominations sont brouillées. Ces divisions s’affichent clairement lors du procès de Louis XVI, la majorité d’entre eux étant favorable à l’emprisonnement (ou à la déportation) du roi et hostile à son exécution, ne serait-ce que par refus systématique de la peine de mort.

Des portraits croisés rendent compte de cette diversité d’opinions, d’implications et de destins. L’Américain Joël Barlow et le Gallois David Williams, qui ont été invités à participer à l’élaboration de la Constitution française en 1793, défendent tous deux la démocratie représentative, à la différence de John Oswald ou Robert Merry, partisans d’un système proche de la démocratie directe. Ces deux derniers sont porteurs d’idées particulièrement radicales, très hostiles à la monarchie parlementaire anglaise qui sert littéralement de contre-exemple. Se détache notamment la personnalité d’Oswald, tout à la fois poète, écrivain, soldat, végétarien depuis un séjour en Inde et très jacobin, tué en 1793, en Vendée, à la tête d’un bataillon de sans-culottes. À ce courant peut être rattaché le journaliste Sampson Perry, admirateur de Marat – ce qui ne lui évite pas pour autant d’être emprisonné en France, avant de partir en Angleterre où il est aussi jeté en prison pendant quelques années. Les itinéraires de deux femmes, Helen Maria Williams et Mary Wollstonecraft, font l’objet d’un chapitre. Elles sont très critiques envers la monarchie anglaise et soutiennent l’expérience française, mais sans en gommer les difficultés et les contradictions et en en regrettant le cours trop rapide et peu réaliste.

Ce tableau d’une société souvent présentée dans ses seuls aspects politiques et internationalistes est incontestablement bien venu, démystifiant en quelque sorte le rôle des soirées de l’hôtel White. Le lecteur reste cependant un peu sur sa faim, notamment en ce qui concerne les personnalités les plus connues. Mary Wollstonecraft fait ainsi un long séjour en France durant lequel elle connaît une trajectoire personnelle, intellectuelle et politique riche et complexe qui n’apparaît guère iciFootnote 1. En outre, la présentation de celle-ci à Fitzgerald ne rend pas compte de l’importance de ce personnage fascinant pour sa détermination, son action politique et sa fin tragique. Sans doute était-il difficile de porter une attention plus grande à Paine, qui est incontestablement le personnage le plus important de tout le livre, mais fallait-il en parler si peu ? Si la vie quotidienne ou la complexité des positions sont, en soi, intéressantes, le poids de cette communauté militante n’apparaît pas clairement, notamment en comparaison avec les autres groupes nationaux, suisse, allemand, qui jouent des rôles importants dans la vie politique françaiseFootnote 2. La xénophobie et, particulièrement, l’hostilité à l’Angleterre, si présente parmi les Jacobins, auraient également mérité une plus grande attention, puisqu’elles sont à l’origine de la désignation de cette communauté comme girondine. Le livre est, malgré ces réserves, utile pour éclairer la vie quotidienne et les modalités de l’action politique en France dans les années 1793-1794, période qui doit toujours être scrutée avec précision tant les enjeux historiques et mémoriaux demeurent essentiels et vivaces.

References

1 Pour ne prendre qu’un article déjà ancien, voir Serge Aberdam, « Droits de la femme et citoyenneté. Autour du séjour de Mary Wollstonecraft à Paris en 1793 », in J. Guilhaumou et R. Monnier (dir.), Des notions-concepts en révolution, Paris, Société des Études Robespierristes, 2003, p. 123-148.

2 Voir Michael Rapport, Nationality and Citizenship in Revolutionary France: The Treatment of Foreigners 1789-1799, Oxford, Oxford University Press, 2000 ; et, récemment, Paolo Conte, Mathieu Ferradou et Jeanne-Laure Le Quang, « L’étranger en révolution(s) », La Révolution française, 22, 2022, https://doi.org/10.4000/lrf.5946.