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Pascal Le Floc’h (avec la contribution de James Wilson), Les pêches maritimes françaises, 1983-2013, Rennes, PUR, 2017, 217 p.

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Pascal Le Floc’h (avec la contribution de James Wilson), Les pêches maritimes françaises, 1983-2013, Rennes, PUR, 2017, 217 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

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Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Ce livre entend combler un défaut de connaissance des pêches maritimes françaises, ce qui relève d’une vraie gageure. L’auteur, enseignant-chercheur en économie à l’université de Bretagne occidentale, est lié au milieu de la pêche par son appartenance familiale, ses axes de recherche ainsi que par son engagement auprès de structures qui veillent sur ce secteur. Sa relation avec l’université du Québec à Rimouski, où travaille James Wilson, conduit à joindre au propos principal un chapitre sur Saint-Pierre-et-Miquelon dont les traits diffèrent fortement des pêches de la métropole. L’approche se focalise sur les années 1983-2013, dates clefs de la politique commune des pêches bien que celle-ci ne concerne pas l’archipel ultramarin. La période est celle d’une baisse des activités halieutiques et d’une hausse des soutiens de l’État. La dégradation de la ressource marine, tardivement reconnue, détermine ces évolutions et certains ajustements. Pour autant, les résultats ou les perspectives ne sont pas comparables pour la métropole et l’archipel : quand pour la France cela s’effectue en accord avec les axes de la politique commune de la pêche (PCP), à Saint-Pierre-et-Miquelon, cela suit des arbitrages avec les armements malouins et le voisin canadien.

Les statistiques du Système d’informations halieutiques (SIH) de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) et celles de l’Office national interprofessionnel des produits de la mer et de l’aquaculture (Ofimer) sont sollicitées pour retracer les évolutions (apports, moyens de production). Quant à la chronologie, l’auteur ajuste le propos aux étapes de la PCP, de sa naissance en 1983 à la réforme de 2013, en passant par celles de 1993 et de 2003. Le développement puise dans la presse (Le Marin).

Sur ces bases, et à juste raison, Pascal Le Floc’h défend l’idée que les pêcheurs dépendent de plus en plus de l’État à la suite de demandes répétées de soutiens qui doivent respecter les dispositions communautaires. Cette succession de « sentiers de dépendance » (selon la formule de l’auteur, p. 18) répond à des impératifs liés à la diminution de la ressource avant de tenter de corriger des coûts d’exploitation insupportables du fait de la hausse des cours du carburant. Ce sont donc des temps de diminution des effectifs de pêcheurs et des moyens de production à des rythmes différents, l’érosion étant continue à partir des années 1990.

La première époque (1983-1993) est une période de tranquillité sociale, après une grave crise en 1980 qui ponctue un marasme ouvert par le premier choc pétrolier. Un plan de relance daté de 1980 suit des initiatives de la fin des années 1970, mais c’est surtout avec la naissance de la PCP, après 1982, que certaines tendances se précisent (dégradation manifeste de la ressource, souhait de la commission européenne d’atténuer la pression de la pêche). Un programme d’orientation pluriannuel (1er POP, 1983-1986) définit un besoin de gestion de la ressource, mais des aides substantielles conduisent paradoxalement à un renouvellement des flottilles (semi-industrielles, artisanales). Au lancement de 12-24 mètres à la fin des années 1970 (fileyeurs, chalutiers) s’ajoutent des bateaux de 20 à 24 mètres au profit des patrons embarqués (artisans) à un niveau jamais atteint et à des coûts attractifs. Ce segment de chalutiers fait figure de modèle.

Un second POP (1987-1991) stabilise la flottille. En France, il aboutit à un permis de mise en exploitation (PME) en 1988, avant qu’un plan de sortie de flotte ne voie le jour en 1991 (plan Mellick), aux effets atténués par le fait que les navires retirés sont souvent anciens et moins productifs. P. Le Floc’h aurait pu relever que, derrière l’apparente tranquillité des années 1980, les profits réels s’érodent et la période n’est pas si faste. Des pêcheurs déploient des stratégies de pêche plus productives. Ils achèvent d’élargir leurs pêcheries après une course au poisson commencée dès les années 1950. Malgré cela, plusieurs ports voient les apports s’effondrer, des acteurs disparaître quand les marchés deviennent de plus en plus instables et internationaux. Cela aurait pu être abordé.

Le renversement de tendance devient manifeste en 1993 et 1994, lorsqu’éclate une violente crise sociale due au surendettement qui compromet le modèle chalutier des 20-24 mètres. Le patrimoine des pêcheurs se voit alors menacé, le salaire des matelots compromis. Le crédit maritime ne recouvre pas les prêts consentis. Les fournisseurs se retrouvent exposés aux impayés. Si P. Le Floc’h souligne l’effet de la chute des cours en criées et des facteurs internationaux dans le déclenchement du marasme social (concurrence des importations, rôle des dévaluations), les causes structurelles en font une crise nationale, accusée par des éléments conjoncturels (surcapacité de la flottille et son endettement). Dommage que ne soit pas produite de carte des manifestations, voire une comparaison avec la crise de l’été 1980 ! Cela montrerait la spécificité de 1993-1994 (la mobilisation d’un segment de flottille) par rapport à 1980 (la juxtaposition de conflits différents).

Les solutions des pouvoirs publics sont examinées pour apaiser les difficultés sociales (revenu des pêcheurs), restructurer le mareyage et chercher des issues à l’endettement des patrons (Comité interministériel de restructuration de la pêche artisanale, CIRPA, en 1995-1996). Cela coïncide avec un encadrement plus rigoureux de la flottille, qui maigrit au fil de plans de sortie successifs alors que les cours du carburant pèsent sur les résultats financiers à partir de 1999. Une figure reprend ces mouvements répétitifs. Parfois en contradiction avec les règles européennes, des réponses empruntent des « sentiers de dépendance ». Ce n’est pas nouveau pour le secteur, mais le renouvellement des pistes nationales donne une impression d’assistanat alors que l’état de la ressource est préoccupant. Différence par rapport à 1993, la gouvernance progresse avec des organismes qui fédèrent les acteurs au-delà de la production. C’est un axe de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche de 2010 qui imagine aussi des droits de pêche par navire.

On doit cependant exprimer des regrets quant à l’analyse qui tiennent à la diversité des pêches et des systèmes portuaires. La cassure, évidente après 1992, est en effet antérieure dans plusieurs ports français (érosions de potentiels techniques et humains dès les années 1980). Parfois positifs, les résultats sont en trompe-l’œil, car l’inflation est perceptible. L’examen des prix moyens doit également intégrer le fait que la structure des espèces débarquées change. Des secteurs de la pêche sont presque ignorés. La grande pêche existe encore à partir de ports de la Manche ; on la voit à peine. La pêche thonière tropicale est absente de cette recherche malgré son incidence réelle sur l’économie (drainage vers la France des revenus des marins). Des entreprises métropolitaines sont d’ailleurs liées à ce secteur. Surprenante est la lacune sur la pêche à la senne tournante (bolinche), qui donne de bons résultats et dont l’étude a été un des éléments de la thèse de l’auteur.

Autre manque : pendant la période, l’évolution des pêches a dû beaucoup à la transformation des secteurs connexes (mareyage, transport, commercialisation). Les ateliers de marée changent au cours des trente années examinées. Signe avant-coureur de la tourmente des années 1990, plusieurs disparaissent et leur travail se transforme. Les transports, adossés à des plates-formes en France et à l’étranger, ont des réseaux plus efficaces. Du coup, il est discutable de dire que certains ports comme Boulogne-sur-Mer ou Lorient ont perdu leurs positions. Si leur production est certes considérablement touchée, ces ports restent de grandes places fortes du poisson.

Les acteurs auraient enfin mérité plus d’attention. Les coopératives sont évoquées, mais les prud’homies de Méditerranée sont oubliées. L’encadré sur le mouvement coopératif souffre de localisme et néglige l’humanisme chrétien. Les acteurs qui aménagent les ports, les criées, les points de vente ou les ateliers de mareyage (chambres de commerce et d’industrie, communes, départements) sont négligés. Ils ont pourtant participé aux adaptations en rationalisant les ventes et les flux de poisson, et une large part des investissements a été couverte par les aides publiques – ce qui accentue l’impression d’assistanat des activités halieutiques… Et pas seulement au fil des épisodes de « sentier de dépendance ». Le discours des pêcheurs est perçu globalement. Alors que les élections aux comités des pêches se sont déroulées fin 1992, une coordination, sans doute inspirée par les mouvements des paysans et paysannes et des infirmiers et infirmières, exprime les doléances des pêcheurs. Mais entre les événements de 1993 (lancés par les patrons pêcheurs qui continuent à pêcher, avec le rôle des femmes dans les actions) et ceux de 1994 (initiés par les équipages grévistes), il est des différences qui ont conduit aux excès de février 1994 à Rennes.

Des pesanteurs récentes sont peu évoquées. L’âge des patrons et la relève des équipages sont les clefs d’un renouveau éventuel qui tarde à se manifester. La pêche est la cible d’activistes de l’écologie (attaques contre le filet maillant dérivant pour le thon, contre le chalut de fond, etc.). Les mouvements financiers restent sous silence et pèsent sur les équilibres des armements et sur les ports, car les flottilles sont de plus en plus mobiles. Le rôle des distributeurs aurait gagné à être souligné, quand la politique communautaire n’a pas les mêmes effets dans tous les pays.

Faire la synthèse de la pêche française constitue un exercice difficile. Ce livre ne doit pas être regardé comme une histoire globale de la pêche française, mais comme une contribution utile et documentée d’une partie de la pêche française. Il porte principalement sur le champ de la production, voire du segment de flottille inférieur à 24 mètres, dont les effets sont notoires en Bretagne. C’est moins vrai pour Saint-Pierre-et-Miquelon, dont les pêches, certes en recul, sont replacées dans un contexte économique et social plus global.