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Retourner sa veste au Québec : une étude des défections transpartisanes politiques de 1980 à 2018

Published online by Cambridge University Press:  14 April 2023

Mireille Lalancette*
Affiliation:
Département de communication politique, Université du Québec à Trois-Rivières, Trois-Rivières, QC, Canada
Alex Marland
Affiliation:
Département de science politique, Memorial University, St. John's, NL, Canada
Jared Wesley
Affiliation:
Département de science politique, University of Alberta, Calgary, AB, Canada
*
*Auteure correspondante. Courriel : [email protected]
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Résumé

Cet article aborde le phénomène des défections dans les partis politiques grâce à une étude du cas des députés québécois. Les entrevues avec les anciens parlementaires et une analyse des discours médiatiques à propos de leur départ documentent les motivations à quitter ou à rejoindre un autre parti. Cette recherche propose deux typologies novatrices : la première identifie les types de défections et la seconde explore les motivations à quitter. Les analyses montrent que les députés québécois partent surtout en raison de conflits liés aux valeurs et aux politiques, mais très peu pour le prestige. En ouvrant un dialogue avec les travaux d'Hirshman, l'article illustre aussi le rôle de la prise de parole et de l’écoute dans la décision pour un député de quitter un parti ou de rester dans celui-ci.

Abstract

Abstract

This article addresses the phenomenon of defections in political parties through a case study that focuses on Québécois elected representatives. Interviews with former parliamentarians and an analysis of media discourse about their departure document the motivations for leaving a party or joining another one. This research proposes two innovative typologies: the first identifies the types of defections, and the second explores the motivations for leaving. The analyses show that Quebec elected representatives leave mainly because of value and policy conflicts and very little for prestige. A dialogue with Hirshman's work also illustrates the role of speaking and listening in the decision to leave or stay.

Type
Étude originale/Research Article
Creative Commons
Creative Common License - CCCreative Common License - BYCreative Common License - NCCreative Common License - ND
This is an Open Access article, distributed under the terms of the Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives licence (https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/), which permits non-commercial re-use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is unaltered and is properly cited. The written permission of Cambridge University Press must be obtained for commercial re-use or in order to create a derivative work.
Copyright
Copyright © The Author(s), 2023. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Je suis pour le communisme
Je suis pour le socialisme
Et pour le capitalisme
Parce que je suis opportuniste
Il y en a qui contestent
Qui revendiquent et qui protestent
Moi je ne fais qu'un seul geste
Je retourne ma veste, je retourne ma veste
Toujours du bon côté
Extrait de la chanson « L'opportuniste » de Jacques Dutronc Footnote 1

Les paroles de cette célèbre chanson de Jacques Dutronc résonnent lorsqu'il est question des stéréotypes en lien avec les choix des politicien⋅ne⋅s de quitter leur parti. Changer de parti est en effet un phénomène controversé qui soulève les passions. Dans le cadre de cet article, nous explorons le cas des politicien⋅ne⋅s québécois·es qui quittent leur parti d'origine pour devenir député⋅e⋅s indépendant⋅e⋅s, qui traversent la chambre pour rejoindre une autre formation politique et quittent par le fait même leur parti d'origine, ou encore qui deviennent indépendant⋅e⋅s, puis font la transition vers une autre force partisane. Pour les fins de la recherche, nous avons créé le néologisme « défecteur⋅trice⋅s » pour parler des élu⋅e⋅s qui ont fait défection. Ce terme réfère à l'acte d'abandonner ou de quitter son parti politique d'origine. Nous nous demandons : pour quelles raisons les député⋅e⋅s quittent leurs partis? Quels sont les types de défections? Quelles sont leurs principales motivations? Enfin, quel est le rôle de la loyauté, de l’écoute et de la prise de parole dans le processus décisionnel menant à cette action?

Cet article vise à combler le vide théorique et empirique à propos des défections transpartisanes en politique québécoise et canadienne.Footnote 2 À l'aide de l’étude du cas des député⋅e⋅s québécois fédéraux et provinciaux, nous présentons les différents types de défections, tentons de mieux comprendre les motivations à l'origine de ce geste, et proposons une typologie de celles-ci. De même, nous mobilisons la théorie de Albert O. Hirschman (Reference Hirshman1970) à propos de la notion de « loyauté politique », du difficile équilibre entre prendre la décision de rester ou de quitter, et du rôle de l’écoute et de la prise de parole afin de mieux comprendre et expliquer ce choix. Notre étude de cas permet de documenter en profondeur les motivations à quitter un parti ou à en rejoindre un autre. Nous verrons comment la question des valeurs, notamment celles liées à l'axe souverainiste-fédéraliste, a joué un grand rôle dans les cheminements politiques et dans le choix de quitter pour devenir indépendant et de rejoindre, voire de fonder, un nouveau parti politique ; en l'occurrence, c'est ainsi que le Bloc québécois est né.

Ce portrait de la situation et cette théorisation sont rendus possibles par l'analyse de différents matériaux de recherche : entrevues réalisées avec les défecteur⋅trice⋅s et avec des chefs de partis; et couverture médiatique à propos des événements et de la décision de quitter. Cet article contribue à la littérature qui porte sur l'explication des motivations des politicien⋅ne⋅s qui quittent leur parti politique et des parlementaires qui choisissent de siéger comme indépendant⋅e⋅s ou de rejoindre une autre formation partisane, ainsi que sur le rôle des convictions politiques dans les choix de ces élus et des dynamiques des partis politiques dans ce processus. Plus largement, cet article éclaire la littérature qui s'intéresse à l'importance des enjeux liés à la souveraineté du Québec lorsqu'il est question de politique partisane. Il offre aussi un enrichissement théorique à propos de l'importance de sentir qu'on est en mesure de s'exprimer et d’être écouté et valorisé au sein de son parti politique. Plus largement, cet article permet de saisir les dynamiques de la loyauté partisane.

Au Canada, certains cas célèbres de politicien⋅ne⋅s qui ont traversé la chambre ou bien changé de parti après avoir siégé comme indépendants ont retenu l'attention des citoyens, des politiques et des médias. Au niveau fédéral, en 1991, le cas de Lucien Bouchard et de ses collègues qui ont quitté le Parti progressiste-conservateur du Canada et le Parti libéral du Canada pour devenir indépendants et puis, par la suite, fonder le Bloc québécois, a marqué les esprits. Un autre célèbre changement de parti est celui de Belinda Stronach qui, en 2005, est passée du Parti conservateur du Canada (PCC) au Parti libéral du Canada (PLC), sauvant ainsi le gouvernement minoritaire de Paul Martin des conséquences d'un vote de non-confiance (Trimble et Everitt, Reference Trimble, Everitt, Sampert and Trimble2010). Plus encore, la décision, surprenante et controversée du député libéral David Emerson d'accepter, immédiatement après les élections de 2006, un poste au sein du cabinet conservateur a déclenché un torrent de protestations dans sa circonscription en Colombie-Britannique. Ce geste a notamment été décrit comme « méprisant » à l'endroit de ses électeur⋅trice⋅s et envers le système politique lui-même (Docherty Reference Docherty2011 : 197). Mentionnons aussi le cas des neuf député⋅e⋅s du Wildrose Party en Alberta qui, en 2014, sont passés au Parti conservateur, représentant le plus grand groupe d’élus de l'opposition de l'histoire du Commonwealth à se joindre au caucus gouvernemental (Sayers et Stewart, Reference Sayers, Stewart and Wesley2015).

L'adhésion à un parti politique se fait habituellement en fonction des convictions politiques des candidat⋅e⋅s qui doivent ensuite suivre la ligne de parti (Marland, Reference Marland2020; Godbout, Reference Godbout2020). Divers événements politiques des dernières décennies–comme les négociations de l'accord constitutionnel du lac Meech (1987–1990) et la question de l'unité nationale au moment du référendum québécois de 1995 sur la souveraineté-partenariat–sont venus bouleverser les convictions de plusieurs élu⋅e⋅s du Québec. Il n'en demeure pas moins qu’à ce jour très peu de recherches ont porté sur les défecteur⋅trice⋅s au Canada. À notre connaissance, aucune étude ne s'est penchée sur le cas du Québec. Or, ce cas est particulièrement riche en raison du nombre de défecteur⋅trice⋅s et aussi des motivations qui poussent à quitter son parti pour en rejoindre un autre ou bien pour siéger comme indépendant.

Cet article est structuré en cinq parties. Premièrement, nous présenterons la revue de littérature sur les défecteur⋅trice⋅s politiques. Deuxièmement, nous aborderons la théorie de Hirschman (Reference Hirshman1970) portant sur la loyauté et sur le choix de rester ou de quitter, qui nous permettra de mieux comprendre le cas étudié. Mobiliser cette théorie permet d'offrir un regard novateur pour mieux interpréter un phénomène qui demeure peu étudié, et nous enjoint à mieux comprendre les dynamiques complexes qui ont lieu lorsqu'une personne veut quitter une organisation ou choisit d'y demeurer. Cette théorie propose notamment un cadre analytique afin d'explorer les enjeux liés à la loyauté, à la prise de parole et au sentiment d’être écouté et respecté dans le désir de partir ou rester. Troisièmement, la méthodologie sera présentée. Nous dévoilerons à cette étape notre propre typologie des défecteur⋅trice⋅s afin de cerner leurs motivations. Quatrièmement, les analyses seront présentées. Cela permettra de brosser un portrait des types de défecteur⋅trice⋅s et de leurs motivations. En dernier lieu, cet article discutera des conséquences des défections pour les partis, pour la culture politique et pour la démocratie plus largement.

Indépendance et changements de partis : ce que la littérature en dit

Il est surprenant de constater qu'un geste comme le fait de changer de parti soit l'objet de très peu d’études. On en sait somme toute peu sur les causes et les conséquences des changements de partis politiques. À l'exception de Snagovsky et Kerby (Reference Snagovsky, Kerby, Farhat and Poirier2017 ; Reference Snagovsky and Kerby2018), qui ont analysé ce phénomène entre 1945 et 2011 et ont établi un lien entre l'orientation partisane et le moment où des changements de parti individuels interviennent et l’évolution des institutions législatives fédérales, notre compréhension de cela demeure pour l'essentiel limitée à des examens de chiffres agrégés. Par exemple, les données canadiennes de Heller et Mershon (Reference Heller and Mershon2009) portent seulement sur le nombre d'occurrences pour chaque parlement fédéral. Certes, le travail de Mershon et Shetstova (Reference Mershon and Shvetsova2013) inclut les changements pour un autre parti au fédéral jusqu'en 2008, mais il se limite à expliquer le moment où cela se produit. Ces auteurs utilisent exclusivement des données liées aux parlementaires fédéraux ; la discussion concernant le changement de parti du côté des provinces au Canada est ainsi entièrement omise.

Qu'en est-il ailleurs dans le monde? Comme le fait de changer de parti est, ultimement, une décision personnelle pour le⋅la député⋅e, les analyses scientifiques se concentrent sur les préférences, les motivations et les contraintes du point de vue individuel, mais sans négliger complètement l'importance des structures institutionnelles et des partis (Aldrich Reference Aldrich1995 ; Cox et McCubbins Reference Cox and McCubbins2005 ; Cox Reference Cox1997 ; Kam Reference Kam2009; Laver et Benoit Reference Laver Michael and Garry2003 ; Mershon et Shvetsova Reference Mershon, Shvetsova, Schofield and Cabellero2011). Soulignons ici que la littérature existante tend à corroborer l'application, du point de vue des analyses, du modèle de Müller et Strøm (Reference Müller and Strøm1999) qui catégorise les départs comme étant liés aux politiques débattues, au désir d'obtenir un poste au sein du gouvernement ou bien aux probabilités de se faire élire sous une bannière plutôt qu'une autre (O'Brien et Shomer Reference O'Brien and Shomer2013 ; Heller et Mershon Reference Heller and Mershon2009 ; McMenamin et Gwiazda Reference McMenamin and Gwiazda2011). Il y a donc lieu de creuser plus loin les motivations des défecteur⋅trice⋅s et les raisons qui les poussent à quitter leur parti politique. Pour ce faire, nous mobilisons la théorie d'Albert O. Hirschman (Reference Hirshman1970), qui offre un éclairage pertinent afin d'offrir un regard innovant sur ces motivations.

La loyauté, l’écoute et la prise de parole au cœur du processus de défection

Dans son ouvrage intitulé Exit, Voice, and Loyalty: Response to Decline in Firms, Organizations, and States, Hirschman (Reference Hirshman1970) cherche à expliquer, sur le plan théorique, le phénomène de la loyauté des gens vis-à-vis les organisations dans lesquelles ils sont impliqués, qu'elles soient politiques ou commerciales. Il aborde aussi les tensions qui peuvent émerger en fonction d'une préférence pour rester au sein d'une organisation, la quitter, ou parler avec d'autres membres de ses sentiments mitigés par rapport à celle-ci. Hirschman (Reference Hirshman1970) envisage la loyauté comme un engagement. Cet engagement peut être envers une cause ou bien une organisation. Il doit être plus fort que les obstacles qui se présentent au cours du chemin et du fait qu'il puisse y avoir des intérêts en compétition avec cet engagement.

Le chercheur propose une réflexion sur l'identification partisane qui nous apparaît utile pour jeter un éclairage nouveau sur les décisions prises par les député⋅e⋅s qui choisissent de quitter leur parti, que ce soit pour devenir indépendant⋅e⋅s, pour éventuellement rejoindre un autre parti ou bien pour passer directement d'un parti à un autre. Les questions qui guident les réflexions d'Hirschman portent notamment sur la loyauté, sur la possibilité de s'exprimer (to have a voice) et d’être écouté. Le chercheur se demande : sous quelles conditions l'option de quitter (exit) une organisation prévaut normalement? Sous lesquelles l'option de prendre la parole dans certains contextes afin d'exprimer son inconfort au sein de la formation émerge? Quelles conditions amènent les deux options à jouer conjointement un rôle dans le processus décisionnel de l'individu? Certaines institutions favorisent-elles l'une ou l'autre des options?

Hirschman (Reference Hirshman1970 : 16) envisage « la prise de parole [comme] l'action politique par excellence » (nous traduisons). S'exprimer est, pour lui, un mécanisme qui permet de sursoir au désir de quitter, si on se sent écouté convenablement (ibid. : 30). Le chercheur estime qu'il est légitime, et opportun, de se questionner sur les conditions en vertu desquelles le fait de pouvoir s'exprimer et d’être écouté notamment des dirigeant⋅e⋅s des organisations est rendu ou non possible. Selon le chercheur, la perception de se sentir écouté quand on s'exprime peut pallier le désir de quitter l'organisation lorsqu'il y a des éléments irritants.

La prise de parole est envisagée comme étant

any attempt at all to change, rather than to escape from, an objectionable state of affairs, whether through individual or collective petition to the management directly in charge, through appeal to a higher authority with intention of forcing change in management, or through various types of actions and protests, including those that are meant to mobilize public opinion. (Hirschman, Reference Hirshman1970 : 30)

L'action de s'exprimer, au lieu de quitter, est pertinente autant pour les consommateur⋅trice⋅s que les membres d'une organisation. L'acte de parler ou de s'exprimer permet notamment de proposer des changements autant du point de vue des pratiques, des politiques ou bien des rendements de l'organisation dont ils consomment des produits ou dont ils font partie. L'acte de parler ou de s'exprimer consiste à « articuler ses intérêts » (ibid). Certains facteurs favorisent la prise de parole. Entre autres, c'est le cas des moments où il y a des crises, du mécontentement, ou lorsque l'organisation est en déclin. En ce qui nous concerne dans cet article, il n'est pas seulement question de s'exprimer politiquement, mais de s'exprimer au sein du parti et de pouvoir le faire dans une relation avec le⋅la leader et son équipe. Néanmoins, il faut noter que le geste de prendre la parole peut aussi amener des conséquences négatives et cela peut ainsi avoir un effet sur le fait de parler ou non. La pression à se conformer et à suivre le⋅la cheffe est très forte en raison de l'importance croissante prise par la discipline de parti au Canada (Marland, Reference Marland2020; Godbout, Reference Godbout2020).

Plus encore, Hirschman souligne que le système démocratique reste marqué par une apparente contradiction. D'une part, les citoyen⋅ne⋅s ou les membres d'un parti doivent s'exprimer afin que les leaders des partis puissent savoir ce qu'ils⋅elles veulent, mais, d'autre part, les décideur⋅euse⋅s doivent être autorisés à prendre des décisions. Les citoyen⋅ne⋅s ou membres d'un parti peuvent alors, tour à tour, être influent⋅e⋅s et ainsi avoir du pouvoir. La prise de parole permet d'alerter les dirigeant·e·s des problèmes, et ces dernier·ère·s choisissent ensuite d'agir ou non.

La prise de parole reste, pour certains, la seule option possible, notamment quand on ne peut quitter (par exemple, dans une famille ou un pays). La prise de parole afin d'exprimer son point de vue ou ses attentes peut constituer l'alternative au geste de quitter. Elle serait, dans certaines circonstances, préférable à la décision de partir. Ce serait le cas lorsque prendre la parole semble avoir des effets et être reçu positivement. Rester est alors perçu comme en valant la peine. Certains individus peuvent aussi choisir de rester par loyauté à l'endroit de leur famille politique. L’équilibre doit ainsi être trouvé afin de minimiser le mécontentement des membres d'un parti politique. La loyauté est importante en ce qu'elle permet de neutraliser le désir de quitter. La possibilité d'avoir d'autres options, comme celle de rester indépendant ou rejoindre un autre parti, peut aussi jouer un rôle sur le choix de demeurer ou non loyal envers le parti d'origine. Le coût associé à l'action de quitter peut aussi influencer la décision. Hirschman montre que le choix de quitter a été peu étudié. C'est aussi ce que révèle notre revue de littérature.

Étude de cas : les défecteur·trice·s transpartisan·ne·s du Québec

Méthodologie

Dans le cadre de cet article, les cas de défection ont été identifiés par une combinaison d'analyse de sites Web (Snagovsky et Kerby, Reference Snagovsky and Kerby2018) et du travail des membres de l’équipe de chercheurs et d'assistants.Footnote 3 Nous avons identifié tous les défecteur⋅trice⋅s entre 1980 et 2018 grâce à une recherche bibliographique et médiatique. Notre liste a été croisée avec les bases de données existantes (Snagovsky et Kerby, Reference Snagovsky and Kerby2018) et vérifiée par les bibliothécaires législatifs de chaque juridiction. Pour chaque défecteur⋅trice nous avons créé une fiche qui synthétise les éléments clés de la carrière de l’élu et qui regroupe également des extraits d'entrevues médiatiques qui permettent de comprendre les raisons pour lesquelles la personne a quitté son parti. Nous avons rejoint le maximum de défecteur⋅trice⋅s, de chef⋅fe⋅s de cabinets et de chef·fe·s de partis. Nous avons trouvé leurs coordonnées via LinkedIn, Internet, ainsi que par le biais de lettres d'invitation envoyées au Cercle des anciens parlementaires. Nous avons pris rendez-vous avec eux et réalisé l'entrevue par téléphone ou par Zoom. Les entrevues, d'une durée de 40 à 60 minutes, ont abordé les thèmes suivants : leur expérience politique, le processus décisionnel les ayant guidés dans leurs démarches, les raisons qui les ont amenés à changer de parti, les réactions de leur entourage, de leur caucus et du parti et aussi leurs réflexions plus larges à propos de ce choix dans leur carrière d’élus–soit de devenir indépendant ou bien de se joindre à un autre parti. Les chefs étaient interrogés à propos de la gestion du caucus, du processus lié au fait de voir un·e député·e quitter ou bien d'accueillir un⋅e député⋅e transfuge ou bien un⋅e défecteur⋅trice transitoire. Dans tous les cas, l'expérience des personnes rencontrées était prise en compte dans la rationalité des acteur⋅trice⋅s interviewé⋅e⋅s et en laissant parler leurs propos pour ensuite théoriser à partir de ceux-ci. Pour nos analyses, nous avons aussi eu recours aux entrevues journalistiques et aux comptes-rendus réalisés par les assistants de recherche. Ceux-ci ont permis de bien situer les paroles en contexte et aussi d'avoir accès aux récits tels qu'ils ont été vécus lors de l'apogée des événements. Les entrevues nous offrent un récit proposé a posteriori des événements. Un récit en quelque sorte reconstruit après que les années aient passé et que la personne ait pris une distance face aux événements. Plus encore, l'ajout des entrevues médiatiques permet de présenter un portrait plus complet des motivations à faire défection alors que certaines personnes sont maintenant décédées ou n'ont pu être rejointes pour les entrevues de recherche. Dans la partie résultats, les entrevues seront présentées comme ceci (nom de la personne interrogée, entrevue) et les extraits médiatiques présenteront les auteur⋅trice⋅s et la date de l'article (ex. Lapointe, Reference Lapointe1991).

Typologie des défections

Dans le cadre de cette recherche, les défections regroupent les cas où un⋅e politicien⋅ne élu⋅e sous la bannière d'un parti quitte ce parti pendant son mandat. Nous incluons aussi dans notre étude les défecteur⋅trice⋅s nonobstant le fait qu'ils⋅elles aient choisi ou non de se présenter à l’élection générale suivante. Dans cette optique, la manière dont nous envisageons la défection exclut les politicien⋅ne⋅s qui se sont présenté·e·s sous la bannière d'un parti à un autre ordre de gouvernement (fédéral ou provincial) et sous une bannière différente (par exemple, Jean Charest, qui s'est présenté comme progressiste-conservateur au fédéral, puis comme libéral au provincial). Elle exclut également les politicien⋅ne⋅s qui ont fait défection ou ont pris une pause de la politique et sont revenu⋅e⋅s pour se présenter éventuellement sous la bannière d'un autre parti. Enfin, notre définition exclut les politicien⋅ne⋅s qui sont passé⋅e⋅s d'un ancien parti à un nouveau parti à la suite d'une fusion (par exemple, les politiciens du Parti progressiste-conservateur et de l'Alliance canadienne qui sont passés au Parti conservateur du Canada). Ces exclusions sont conformes aux études précédentes (notamment, Sevi et al., Reference Sevi, Yoshindaka and Blais2018). Bref, notre étude s'intéresse seulement aux défections qui ont lieu au sein d'une même arène partisane : du fédéral au fédéral ou du provincial au provincial.

Nous avons classé chaque défection dans l'une des trois catégories suivantes :

  1. 1. Les indépendant⋅e⋅s, qui ont quitté un parti, mais n'ont pas rejoint un autre caucus. Cela inclut donc les départs volontaires, mais pas les expulsions par la direction du parti ;

  2. 2. Les transfuges (floor crossers ou ceux qui ont traversé la chambre), qui sont passé·e·s directement du caucus d'un parti à un autre ;

  3. 3. Les défecteur⋅trice⋅s transitoires (party switchers), qui ont suivi un processus en deux étapes, en quittant d'abord un parti pour devenir indépentant·e·s avant de rejoindre le caucus d'un autre parti après un certain temps (figure 1).

Figure 1. Figure présentant les trois types de la défection transpartisane

Source : les auteurs

Notre typologie se distingue de ce que les études précédentes ont proposé. En outre, certaines recherches excluent la catégorie ci-nommée « indépendant⋅e⋅s » et les élu·e·s qui ont fait défection puis ne se sont pas représentés par la suite. Notre définition diffère également de celles qui amalgament le changement de parti et le changement d'allégeance partisane comme le fait de passer d'un parti souverainiste à un parti qui ne l'est pas et ainsi de suite. Notre analyse examine le concept de défection partisane plutôt que le concept limité de changement de parti.

Nous avons identifié cinq grands types de motivations amenant les élus à quitter leur parti. Ces motivations ont été codées en sélectionnant celle qui était prédominante dans le discours des politiciens interviewés et dans les textes médiatiques liés à leur défection.

Tableau 1. Tableau présentant les types de motivations en cause de la défection transpartisane

Source : les auteurs

Cette typologie met en lumière les formes les plus populaires de défections. En explorant les motivations à quitter des élu·e·s, nous comprendrons mieux les raisons qui ont poussé ces élu·e·s à poser ce geste.

Résultats : Les défections transpartisanes des député·e·s québécois·es

Les résultats nous ont permis de dresser la tendance des défections au fil du temps, en fonction des types de défections et en lien avec les motivations à quitter. De manière générale, les défections entre 1980 et 2018 suivent une tendance plutôt stable, qui varie entre 1 à 3 changements par année, bien que l'on connaît des moments plus forts pour les années 1984, 1990, 2000, 2011 et 2014 (figure 2). Lorsque nous portons une attention accrue aux moments où il y a eu plus de changements, nous remarquons qu'ils se manifestent lors d’événements politiques majeurs. Ainsi, en 1984, c’était à l’époque du « Beau risque » de René Lévesque ; en 1990, des tractations liées à l'Accord du lac Meech ; en 2011, des dissensions au sein du Parti québécois en lien avec la décision de Pauline Marois d'appuyer la construction de l'amphithéâtre de Québec ; tandis qu'en 2014, c'est au sein de Bloc québécois qu'il y a eu des dissensions importantes menant à la création par certains élus d'un nouveau parti, nommé Forces et démocratie.Footnote 4

Figure 2. Figure présentant la dispersion des défecteur⋅trice⋅s dans les partis provinciaux et fédéraux entre 1980 et 2018

Source : les auteurs

La comparaison entre les changements des partis provinciaux et des partis fédéraux permet de relever que les tendances de changements varient selon les années. Certaines années, des défections ont lieu au provincial et au fédéral et à d'autres moments seulement au provincial ou au fédéral (figure 2).

Nous observons un total de 56 défections entre 1980 et 2018. Certaines années significatives ont vu quatre á six député⋅e⋅s faire défection. La figure 3 illustre les types de changements au fédéral et provincial. Des 56 défecteur⋅trice⋅s, 25 ont quitté pour devenir et rester indépendant⋅e⋅s, neuf sont passé⋅e⋅s directement à un autre parti (transfuges), tandis que 23 ont fait une transition en devenant indépendant⋅e⋅s avant de joindre un autre parti (défecteur⋅trice⋅s transitoires). Les indépendant⋅e⋅s sont en nombre un peu plus important au provincial qu'au fédéral alors qu'on retrouve un nombre similaire de transfuges et un peu plus de défecteur⋅trice⋅s transitoires au fédéral.

Figure 3. Figure comparant la distribution des types défecteur·trice·s entre les partis provinciaux et fédéraux

Source : les auteurs

Du point de vue des motivations, la raison principale du changement de parti reste les valeurs, vient ensuite des dissensions en lien avec des éléments politiques (lois et décisions des chef·fe·s), suivie par le désir d'obtenir des votes et l'intérêt public (figure 3).

Figure 4. Figure présentant la distribution des en cause de la défection transpartisane

Source : les auteurs

Il est pertinent de revenir sur les motivations des défections, notamment comme les élus quittent surtout pour des raisons liées aux valeurs (44 des 56 défecteur⋅trice⋅s, soit, 78%) et que cinq des cas étudiés (9,7%) ont quitté pour des raisons liées à des lois, des énoncés de politiques publiques ou des déclarations qui ont aussi heurté leurs manières de concevoir la politique et le vivre ensemble. Puis, six seulement (10%) ont quitté pour obtenir des votes. Soulignons que 34 des 56 défecteur⋅trice⋅s (60%) l'ont fait pour des raisons liées à la question nationale et à la souveraineté du Québec. En effet, la place du Québec dans le Canada en lien avec l'Accord du lac Meech ou bien relation avec la manière dont la question de la souveraineté était abordée par le Parti québécois a donné lieu à plusieurs défections.

La loyauté, la prise de parole et l’écoute comme facteurs explicatifs des défections

Les analyses font ressortir que les élu⋅e⋅s qui quittent parce qu'ils ont perdu leur voix, leur capacité de s'exprimer et d’être écoutés ou leur potentiel d'agir au sein du parti. Ils⋅elles considèrent également que la voix du Québec n'a pas été écoutée, notamment par le reste du Canada, mais aussi par Brian Mulroney, qui négociait l'Accord du lac Meech coûte que coûte. Leur loyauté a été alors solidement ébranlée et a marqué un point de rupture. Les élu⋅e⋅s interviewé⋅e⋅s ont partagé qu'ils·elles devaient se respecter et qu'il·elle·s ne pouvaient ainsi rester membres et élu⋅e⋅s de ce parti. Ainsi, ils⋅elles diront : « Je ne tourne pas le dos au fédéralisme, c'est le Canada anglais qui a fait ça, mais notre objectif est maintenant de faire un pays du Québec », explique Gilles Rocheleau en entrevue à La Presse. Il ajoute qu'il fut l'un des ceux ayant cru au « fédéralisme renouvelé [mais les événements au lac Meech ont tout changé]. Je suis fatigué, écœuré et tanné de cela » (Paquin, Reference Paquin1990, nous soulignons). Il y a donc un point de rupture qui ne permet pas de retour en arrière. Jean Lapierre parlera de la trahison de Jean Chrétien, alors chef du Parti libéral. Il dira : « J'ai trop de fierté pour m'associer même une minute à Jean Chrétien. Ce serait humilier et trahir mes électeur[trice]s que de m'associer à lui. […] Des milliers et des milliers de libéraux du Québec ne se sentiront plus chez eux dans le Parti libéral maintenant que Chrétien a été élu » (Taillefer, Reference Taillefer1990). Dans le Toronto Star, il va plus loin en ajoutant : « I'd rather have my arm cut (off) than knock on any door selling his bill of goods » (Doyle, Reference Doyle1990). Cette image illustre à quel point les événements ont été marquants et qu'il était important pour les élu⋅e⋅s de respecter leurs valeurs.

La rupture semble tout aussi complète pour Louis Plamondon qui signale que « le peuple québécois n'acceptera plus de se laisser imposer une vision du Canada désuète, dépassée, médiévale. Toute bonne chose a une fin, et le rideau se lève sur la tragi-comédie fédérale » (Jannard, Reference Jannard1990a). Il présente alors l'enjeu de la souveraineté du Québec comme une trahison et une vision dépassée du Canada. Ces élus décrivent leur geste comme étant de l'ordre de l'acte criminel, tandis que le pays est, quant à lui, dépeint comme étant archaïque. Les député·e·s québécois interrogé·e·s disent qu'il·elle·s ne peuvent oublier leurs origines et réagissent aux amendements faits à l'Accord du lac Meech. Gilbert Chartrand mentionne, à la Chambre des communes, « en tant que Québécois je trouve ces amendements [ceux à l'Accord du lac Meech] inacceptables et je continue de croire et à dire que l'Accord original doit être maintenu » (Jannard, Reference Jannard1990b). Pour lui, le Québec est une nation distincte : « une seule phrase me revient depuis plusieurs années “Monsieur Lévesque vous aviez raison” », ajoute-t-il (Jannard, Reference Jannard1990b). Chartrand explique qu'il aurait fait « honte à ses trois enfants et aux futures générations de Québécois s'il ne prenait pas la défense de l'accord initial concernant le lac Meech » (Furgeson, Reference Ferguson1990). Il est ici question de l'avenir du Québec et du lègue à laisser à ses descendant·e·s donc du respect de ses valeurs. La loyauté n'est ainsi plus celle à un parti, mais celle que l'on doit aux citoyen·ne·s, à sa famille et à ses enfants. C'est une loyauté qui est basée sur les legs qu'on veut avoir pour les générations futures. Le fait de quitter est ici une décision qui dépasse largement sa propre personne et qui implique son rôle de représentant politique de manière plus générale. Plusieurs ont d'ailleurs quitté pour respecter leurs convictions.

Fait intéressant, le parcours peut aussi être inverse, où la trajectoire n'implique non pas de passer d'un parti fédéraliste à un parti souverainiste, mais d'un parti souverainiste à un parti fédéraliste. Certains défecteur⋅trice⋅s estiment que le Parti québécois sert mal les intérêts souverainistes du Québec. C'est le cas de François Rebello : « force est de constater que la stratégie souverainiste n'a pas fonctionné ». Il propose une stratégie non souverainiste et il croit d'abord que « le Québec doit renforcer sa situation », que « les Québécois reprennent leur économie en main » de façon à devenir « moins dépendants de facto et d'esprit » (Le Devoir, 17 janvier 2012).

Robert Lanctôt abonde dans le même sens :

Après avoir rêvé pendant 40 ans en tant que souverainiste, je me suis dit que rêver c'est beau, mais un moment donné, il faut se réveiller. Pour ma part, le réveil est fait. Il faut que tout ce qui est positif, que le Québec avance, il que cela soit fait dans la fédération. Il faut une représentation du Québec forte à l'intérieur du Canada et Paul Martin a pris les engagements de faire les choses différemment (avec) son ouverture de consultation, de discussion avec le Québec et les autres provinces. (Larocque, Reference Larocque2003)

Paul Martin, chef du Parti libéral du Canada (PLC), mentionne : « j'ai eu une conversation avec M. Lanctôt, et il a confirmé clairement que, selon lui, l'avenir du Québec reste à l'intérieur du Canada, ce qui est pour moi primordial » (Buzzetti, Reference Buzzetti2003). Rejoindre un parti qui portera la voix du Québec fait partie des préoccupations de plusieurs défecteur⋅trice⋅s. Au moment de quitter, la loyauté envers leur parti et ses positions politiques est alors brisée et le·la politicien·ne ne peut que partir même s'il ne sait pas ce que cette défection amènera. Louis Plamondon dira en entrevue :

J’étais bien conscient que je sautais de l'avion sans parachute. On était cinq qui ont fait ça. Deux libéraux, puis cinq conservateurs et on a fait ça, on a sauté. Donc, moi je n’étais pas en chicane avec le chef. Au contraire, ça me faisait de la peine de quitter monsieur Mulroney parce qu'il avait travaillé très fort pour essayer de réconcilier le Québec et le Canada et en m'en allant je savais que ça nuirait à monsieur Mulroney puis que ça aiderait à monsieur Chrétien qui était l'assassin du lac Meech. (Plamondon, entrevue)

Ces élus estiment qu'ils ne peuvent rester dans leur parti d'origine. C'est après avoir siégé comme indépendants qu'ils formeront ensuite le Bloc québécois.

La question nationale prend une autre forme pour le député Richard Holden, qui fait partie du groupe des défecteur⋅trice⋅s transitoires comme il est passé du Parti égalité à député indépendant pour ensuite se joindre au PQ. Ce parcours plus atypique suit des réflexions personnelles à propos de l'avenir du Québec et du Canada qui l'amènent à conclure que la souveraineté est « souhaitable et que la communauté anglophone devrait y participer » (Normand, Reference Normand1992). Suivant les propositions théoriques de Hirschman, c'est pour avoir voix au chapitre qu'Holden joint le PQ.

Au-delà de l'enjeu de la souveraineté, la manière dont le⋅la chef⋅fe dirige le parti est aussi l'objet de dissensions. Pour plusieurs, la relation avec le⋅la chef⋅fe joue un rôle central dans la décision de quitter. Jean-Martin Aussant mentionne en entrevue que Pauline Marois, qui fut cheffe du PQ, n’était pas la meilleure messagère pour la souveraineté. Lisette Lapointe parle « de l'autorité outrancière d'une direction obsédée par le pouvoir » (Lessard et Chouinard, 7 juin 2011). Marc Picard a qualifié le style de Gilles Taillon, alors chef de l'ADQ, d’« autoritaire » (Robitaille, Reference Robitaille2009). La question de la discipline de parti (Marland, Reference Marland2016a, Reference Marland2016b, Reference Marland2020; Godbout, Reference Godbout2020) ressort ici des propos des député⋅e⋅s dissident⋅e⋅s et vient affecter la loyauté envers leur parti d'origine. Si les élu⋅e⋅s demandent plus de liberté, les chef⋅fe⋅s estiment, quant à eux⋅elles, que le départ de certain·e·s député⋅e⋅s est un signe qu'il faut retravailler le rapport à la discipline dans le parti politique. Joe Clark, ancien chef du Parti progressiste-conservateur, mentionnait à cet égard : « [André] Harvey's [un élu du Saguenay qui a quitté le Parti progressiste-conservateur pour le Parti libéral dirigé par Jean Chrétien] resignation shows the party has got to learn a little discipline » (CBC, 27 avril 2000). La question de la discipline de parti ressort chez Brian Mulroney. Il a lancé un ultimatum à ses député·e·s du Québec qui désapprouvaient sa stratégie en matière de politique constitutionnelle, les invitant « à aller siéger ailleurs », de sorte que les député·e·s progressistes-conservateurs du Québec « partagent mes prises de position et celles du gouvernement intégralement » (Gauthier, Reference Gauthier1990).

La loyauté et l'importance pour les élu⋅e⋅s de suivre leur chef⋅fe et de parler d'une seule voix sont au cœur des conflits qui mènent à des points de rupture et à des défections politiques. Le⋅la chef⋅fe au cœur de la manière dont le parti est dirigé et ainsi un élément clé de la marque du parti, de la manière dont les voix au sein de celui-ci sont écoutées ou non. À ce sujet, Jean Charest expliquera en entrevue que lorsqu'il a dirigé le Parti libéral du Québec, il trouvait important que ses député·e·s se sentent écouté·e·s. Il a d'ailleurs accueilli au sein de son parti des élus qui avaient l'impression de ne pouvoir être écoutés au sein de l'ADQ. Ce fut justement le cas de André Riedl et de Pierre-Michel Auger.

Dans ce cas, Riedl reprochait à Mario Dumont, alors chef de l'ADQ, de museler et d'ignorer ses député·e·s (Chouinard et Beauchemin, Reference Chouinard and Beauchemin2008). Il dénonçait l'absence de plan et d’écoute au sein de l'ADQ (La Voix de l'Est, 25 octobre 2008). Pour Riedl, « l'ADQ est le parti d'un seul homme, sans plan de match pour le Québec ni de programme économique cohérent » (ibid). Auger, qui a quitté au même moment que Riedl, estime qu'il y a un contraste frappant entre les deux approches des partis et des chefs. Pour Auger, la vision économique du PLQ est « claire, porteuse et audacieuse ». L’équipe de Jean Charest « inspire confiance » (Chouinard et Beauchemin, Reference Chouinard and Beauchemin2008). On retrouve, dans les propos de ces deux députés, la même idée d’écoute et de vision partagée de la part du chef. Ne se sentant pas écoutés ou avoir de place, ces deux députés sont allés rejoindre le Parti libéral dirigé par Jean Charest.

Soulignons que Gilles Duceppe, lorsqu'il était chef du Bloc québécois, n'a pas vu de député·e·s quitter sous sa gouverne. Ici encore émergent des explications liées à la liberté de parole et à l’écoute. Duceppe expliquait en entrevue toute l'importance prise par la liberté de parole au sein de son caucus : « il y a une très grande liberté de parole. La plupart du temps, les gens ont des critiques à faire aux gens de la direction. C'est un peu normal ça » (Duceppe, entrevue). Dans le caucus, il y a des débats, mais pas de votes alors il faut trouver un consensus :

Moi, il m'est arrivé peut-être une quinzaine de fois de dire bon on me dit qu'il y a consensus, mais ce n'est pas vrai parce que telle personne ou tel autre je les pointais. Vous n’êtes pas d'accord depuis longtemps. Vous ne le dites pas ici, mais vous le dites à l'extérieur. Alors, parlez donc ici. Et sur c'est quinze fois-là, à peu près le tiers des fois je disais qu'une chance que tu as parlée parce que c'est toi qui as raison et c'est moi qui ai tort. Et ça, c'est important parce que je ne faisais pas ça pour le plaisir certain, mais ça rehausse la confiance dans le pouvoir du caucus. Mais c'est parce que la personne avait raison. Ce n’était pas pour… ce n’était pas un stratagème pour qu'il ait plus confiance dans le caucus. S'il avait tort, il avait tort. Et il fallait s'expliquer, mais que ça repose sur une analyse solide. (Duceppe, entrevue)

On retrouve ici l'importance de pouvoir prendre la parole et aussi d’être écouté qui est au cœur des propositions théoriques de Hirschman. Dans ce cas, le fait que les élu·e·s pouvaient parler et avoir une oreille attentive au sein de la direction de leur parti a certainement grandement contribué au fait qu'il·elle·s soient restés. Leur loyauté était alors encouragée par cette invitation à échanger, débattre et puis trouver un consensus.

Dans un esprit apparenté, Jean Charest, qui a été chef du Parti progressiste conservateur du Canada avant d’être chef du Parti libéral du Québec, soulignait aussi en entrevue le rôle névralgique du caucus et de l'importance de bien comprendre son rôle. Charest explique :

Pour un chef de parti qui comprend bien le rôle du caucus, il se rappellera tous les jours que chaque député se fait élire dans son comté. Il se rappellera aussi que sa légitimité du chef est en partie, je dis bien en partie et non totalement, du soutien de son caucus. (Charest, entrevue)

Il explique alors qu'il est important, voire névralgique, de « développer avec son caucus une relation de proximité ».Footnote 5 Il expliquait d'ailleurs qu'il y avait dans son équipe une personne dont la seule responsabilité était d'agir comme liaison avec le caucus et d'entretenir des relations saines.

Quand on dit près, ce n'est pas uniquement une proximité au sens psychologique ou affective, mais aussi sur les dossiers, sur le fond des dossiers et avec qui… Les chef·fe·s qui ont avec leur caucus une relation fonctionnelle et productive il·elle·s sont moins susceptibles de vivre des situations de transferts. (Charest, entrevue)

Il explique que dès qu'il a eu vent qu'une personne de son caucus était malheureuse, il s'est en occupé et est allé la voir afin de discuter, de l’écouter et de comprendre pourquoi elle se sentait ainsi :

Dès qu'il y a eu une première rumeur, on s'est assis avec cette personne-là pour parler, tenter de la sonder et vérifier les informations. Aussi, vérifier son état d'esprit et je m'en suis occupé dès que j'ai entendu la rumeur… Dès qu'un·e chef·fe veut éviter ces mouvements-là, sa capacité à avoir des relations avec son caucus c'est un élément clé. Alors, moi je n'ai pas eu de cas. (Charest, entrevue)

Ainsi, le fait de pouvoir s'exprimer et d’être écouté permettrait d’éviter le point de rupture qui mène à un départ. La question d'un point de non-retour est abordée par plusieurs personnes lors de nos entrevues :

Un député qui quitte le caucus, c'est toujours un événement important. Ça peut être généralement un événement grave parce qu'il y a une rupture. Il y a comme un bris dans la relation de confiance entre le chef et le député en question, entre le député et ses collègues, entre le député et son parti. Alors, il y a autant de circonstances qu'il y a de député aussi. Alors, ça varie beaucoup d'une personne à l'autre. Dans la vie d'un caucus, le départ d'un député pour aller rejoindre un autre parti, c'est un événement important que je décrirais comme un événement grave. (Charest, entrevue)

Cette rupture n'est pas toujours liée au chef ou á la cheffe du parti. Ainsi, Louis Plamondon, dira que ce n’était pas tant le chef, en l'occurrence Mulroney, qui posait problème, mais l'impasse liée à la place du Québec dans le Canada qui le conduira à quitter le Parti progressiste conservateur. Il explique en entrevue : « Moi, je ne suis pas capable de rester là parce que je ne crois plus que la réconciliation est possible ». Il ajoute, « donc, c’était une question de principe. Ce n’était pas une chicane avec mon chef, c'était tout simplement que je n'aurai pas été capable d'avaler des couleuvres. C’était une question d'idéologie aussi ».

Respecter la raison pour laquelle on est allé en politique est ainsi au cœur de bien des discours. Cette idée revient aussi chez la députée Catherine Fournier, pourtant souverainiste, qui a quitté le Parti québécois, pour siéger comme indépendante. En entrevue, elle explique que « la raison fondamentale et principale qui explique pourquoi j'allais en politique c’était pour l'indépendance du Québec. Mais, je ne sentais plus que cet enjeu pouvait avancer au sein du Parti québécois ».

Au final, même si la ligne de parti est importante, il semble qu’à certaines occasions elle soit trop lourde à porter et qu'elle amène à piler sur ses valeurs et à aller trop loin. Gilbert Paquette résumait sa position en entrevue : « J'avais des convictions sociales-démocratiques, j'ai été membre du NPD, puis du PQ (sous René Lévesque). J’étais prêt à faire des compromis, mais pas de compromissions » (nous soulignons). Cette dernière citation résume bien la ligne ténue qui sépare le fait d’être à l'aise avec les propositions d'un parti et celle de devoir trouver des accommodements avec sa conscience, ses valeurs ou les raisons qui ont amené les politiciens à joindre un parti et à se présenter en politique. Le compromis implique un accord mutuel tandis que la compromission amène à aller beaucoup plus loin et à mettre en péril son intégrité politique et/ou personnelle. Il semble donc y avoir des limites à la loyauté au sein des partis. Ces limites se situent du côté des valeurs et de l'idéologie chez les député⋅e⋅s rencontré⋅e⋅s et aussi dans les autres cas étudiés. Ces limites rejoignent la notion de dignité telle qu'envisagée par Charles Taylor (Reference Taylor1994), où l'idée de se respecter soi-même est centrale.

Mais qu'est-ce qui pousse les élu⋅e⋅s à rester indépendant⋅e⋅s et quels sont les bénéfices ou les défis qui se présentent à eux⋅elles? Nous répondrons à cette question dans la prochaine section de cet article.

Rester indépendant·e pour se libérer de la ligne de parti et avoir une voix ou s'exprimer librement

Si pour certains député⋅e⋅s devenir indépendant⋅e⋅s représente surtout un moment afin de laisser la poussière retomber avant de rejoindre un autre parti, certain⋅e⋅s décident de rester pour le reste de leur mandat. Après ce qu'ils⋅elles ont appelé la « fracture de l'amphithéâtre de Québec » et de l'approche autoritaire de Pauline Marois, les député⋅e⋅s du Parti québécois devenu⋅e⋅s indépendant⋅e⋅s–Pierre Curzi, Lisette Lapointe, Louise Beaudoin, Louise Harel et Jean-Martin Aussant–ont travaillé ensemble et ont pu profiter de leur statut d’élu⋅e⋅s indépendant⋅e⋅s afin de se prononcer plus ouvertement sur certaines questions. Quant à d'autres députées indépendantes, comme Catherine Fournier ou Maria Mourani, elles ont profité de leur statut afin de faire avancer leur vision de la cause du Québec. Elles se sont senties libres de leurs actions et n'ont pas eu l'impression de perdre du poids politique ni de la présence médiatique. Fournier résume :

Au final, je ne perds aucun temps de parole et j'ai la pleine liberté de mes actions. Je peux donc déposer des projets de loi. Je fais moi-même avec mon équipe les relations de presse et tout ça. Au final, je n'ai pas nécessairement gardé autant de présence médiatique, mais j'ai l'impression que mes initiatives à l'Assemblée nationale sont très bien couvertes. J'ai souvent des articles de presse qui font état de mes interventions. (Fournier, entrevue)

Ainsi, l'indépendance partisane permet une liberté de parole accrue et aussi de ne pas avoir à se limiter à la ligne de parti établie par une formation. Si certains élu⋅e⋅s savent, avant de prendre leur décision, qu'ils n'auront pas beaucoup de pouvoir s'il⋅elle⋅s quittent la structure du parti, d'autres disent qu'il⋅elle⋅s ne sont rien sans le parti, notamment à Ottawa, ou dans certains cas au Québec. Louise Harel avait l'impression d'avoir moins de pouvoir et se sentait bien seule sans l'appui du caucus du Parti québécois. Par contre, certain⋅e⋅s ont pu savourer les avantages de cette indépendance de parole.

Pour d'autres, les défecteurs⋅transitoires, cette période s'avère une manière de faire un passage harmonieux entre un parti et un autre. Un moment qui facilite la transition avant de rejoindre un autre parti. Leurs motivations sont alors celles de servir leurs citoyen⋅ne⋅s et d’être réélu⋅e également. C'est notamment le cas pour André Harvey, qui est passé du Parti progressiste-conservateur au Parti libéral du Canada. Dans son cas, c'est le désir d’être réélu et aussi de faire avancer les dossiers de sa région qui le motivaient. Il explique en entrevue :

Lorsque j'avais rencontré monsieur Chrétien avant de prendre ma décision et il m'a dit, André il te reste une chose à faire c'est de te faire élire libéral avec Jean Chrétien dans le comté Chicoutimi-Le Fjord. Ça, j'ai dit que c’était mon travail. Donc, ça l'a bien été et ça l'a été ma motivation. Rendre service à ma région et évidemment je me suis toujours dit quand je me suis fait élire, en 1984 en fait, je me suis dit que je n'allais pas me faire élire pour représenter le gouvernement ou le Canada dans ma région. C'est le contraire, moi j'ai amené ma région avec moi au fédéral. J'avais un paquet de dossiers entre les mains, tel le Parc national dans le Fjord, il y a ensuite la zone portuaire de Chicoutimi qui a été aménagée. (Harvey, entrevue)

Ce fut le cas d'autres politiciens qui ont quitté le Parti progressiste-conservateur pour rejoindre le Parti libéral du Canada. Ces derniers, notamment Diane St-Jacques et David Price en 2000, l'ont fait en se laissant approcher par les députés qui travaillaient de près avec Jean Chrétien–le député Denis Coderre, notamment–, avec qui une partie des échanges ont eu lieu avant de parler au chef du parti en tant que tel (Young et al. Reference Young2000a, Reference Young2000b).

Notons ici que ces député⋅e⋅s, autant Diane St-Jacques, David Price et André Harvey, ont expliqué en entrevue ne pas avoir vu de grandes différences après avoir quitté le Parti progressiste-conservateur pour le Parti libéral du Canada. André Harvey expliquait en entrevue : « je n'ai pas vu beaucoup de différences au point de vue idéologique non […]. Pas au moment où j'y étais ». Ce constat est aussi revenu chez Price et St-Jacques qui n'ont pas vu de différences idéologiques importantes entre les deux partis. On retrouve ici des défecteur⋅trice⋅s transitoires heureux de leurs choix, notamment parce qu'il et elle ont pu faire avancer des dossiers et faire bénéficier leurs régions respectives du leadership d'un parti au pouvoir. Plus encore, ce dernier et cette derniére n'ont pas vécu de conflits de valeurs entre leur parti d'origine et leur nouveau parti. Ils mentionnent cependant que ce ne serait plus le cas aujourd'hui. Ils ne se retrouveraient pas dans le Parti conservateur du Canada tel qu'il est devenu maintenant.

Conclusion et ouvertures

D'après nos analyses, si les politicien⋅ne⋅s changent de parti en cours de mandat, adhèrent à un autre parti après avoir siégé comme indépendant⋅e⋅s ou bien quittent pour devenir et rester indépendant⋅e⋅s, c'est souvent parce qu'il y a eu un moment de rupture important. Comme nous avons pu le voir dans les statistiques présentées précédemment, la majorité des député⋅e⋅s quittent pour des raisons liées aux valeurs et à l'idéologie. Cette rupture peut venir des événements politiques comme l’échec de l'Accord du lac Meech. Cette rupture peut venir des choix idéologiques faits par le parti qui amènent des conflits avec leurs valeurs politiques et aussi une rupture avec le⋅la chef⋅fe et le caucus du parti en lien avec des décisions prises par ces dernier⋅ère⋅s. Ce n'est donc pas de gaité de cœur que les politicien⋅ne⋅s quittent le parti qui les a lancés dans l'arène politique et avec lequel ils⋅elles ont des attachements profonds. Cette désunion se réalise typiquement à la suite de désaccords profonds qui ont amené l’élu⋅e à remettre en question sa place, son rôle et son attachement au sein du parti–bref, à remettre en question sa loyauté. C'est ce qu'il a été possible de constater dans cet article qui documente les raisons au cœur du choix des parlementaires interrogé⋅e⋅s et des articles médiatiques analysés. En offrant un éclairage sur ces raisons, cette recherche amène une contribution et un approfondissement théorique aux études portant sur le parlementarisme canadien et aussi sur les dynamiques de parti au Canada et au Québec ainsi que sur le rôle des député⋅e⋅s indépendant⋅e⋅s dans le système parlementaire.

Ainsi, nous avons pu voir que des cinq motivations–1) pour obtenir des votes, 2) obtenir un poste,Footnote 6 3) en lien avec des politiques, 4) en lien avec des valeurs ou bien, 5) pour servir l'intérêt public–, celle qui est liée aux valeurs prédomine. Plus encore, suivant Hirschman, nous avançons que dans le cas de plusieurs défections, celles-ci sont aussi le fruit d'une longue réflexion et sont également en lien avec un contexte où les politicien⋅ne⋅s n'ont pas eu l'impression que leurs voix étaient écoutées ou qu'ils⋅elles pouvaient s'exprimer et être écouté⋅e⋅s convenablement. Bref, ils⋅elles n'avaient pas voix au chapitre. Le choix de quitter a ainsi été fait en écoutant leurs convictions politiques, mais aussi les avis de leurs proches et des membres de leurs comtés. Ce constat est corroboré par le discours des chefs interviewés qui témoignaient de l'importance d'avoir des membres du caucus heureux et d’être à l’écoute de leurs préoccupations et frustrations afin d’éviter qu'ils⋅elles deviennent malheureux⋅euses et quittent le parti.

En ce sens, il serait approprié de se pencher sur les motivations de l'ensemble des député⋅e⋅s qui ont changé de parti en cours de mandat, qui ont rejoint un parti après avoir été indépendant⋅e⋅s ou bien qui sont resté⋅e⋅s indépendant⋅e⋅s avant de quitter la politique. En examinant l'ensemble de ces raisons et motivations, nous pourrions mieux comprendre le geste et ainsi réfléchir aux politiques qui pourraient être élaborées ou non afin d'encadrer la pratique. Nous pourrions peut-être aussi mieux concevoir si changer de parti est plus facile dans un contexte où l'on observe une perte des affiliations partisanes et une désaffection envers les partis politiques. Malgré des études approfondies sur les partis et les élections au Canada et, dans une moindre mesure, sur les assemblées législatives canadiennes (Snagovsky et Kerby, Reference Snagovsky, Kerby, Farhat and Poirier2017), nous en savons étonnamment peu sur les causes et les conséquences de phénomène des défections. À cet égard, il importe sans doute de tenir compte que les étiquettes de partis canadiens sont moins rigides que dans d'autres pays (Merolla et al., Reference Merolla, Stephenson and Zechmeister2008). En même temps, le Canada se caractérise par une forte discipline de parti et des chefs de parti dominants (Carty, Reference Carty2006) qui s'attendent à une cohésion des messages (Marland Reference Marland2016a, Reference Marland2016b, Reference Marland2020), bien que la cohésion idéologique entre les membres demeure faible dans certains partis (Kam, Reference Kam2009; Malloy, Reference Malloy and Hazan2006). Cela fait du Canada un terrain fertile pour le changement de parti, dans la mesure où les chef⋅fe⋅s de parti exercent une autorité considérable sur leurs caucus, dont les membres peuvent choisir de quitter pour des questions de promotion, de politique ou de popularité. Aller au-delà du cas du Québec semble donc une piste pertinente. Il sera intéressant de voir comme le fait de « retourner sa veste toujours du bon côté » est vécu par les parlementaires, quelles sont leurs motivations et comment le geste est médiatisé au fil des ans.

Dans une autre optique, il serait également pertinent de poursuivre les analyses du traitement médiatique lié à ces défections politiques. Si pour certain⋅e⋅s, la décision est présentée comme courageuse, pour d'autres, cette défection est rapidement taxée d'opportunisme et le geste est vertement critiqué par leurs collègues. Les images évoquées sont alors celles de la prostitution, de l'opportunisme. Il semble y avoir peu d’études portant sur la médiatisation des changements de parti. Il y a lieu de se demander comment cette médiatisation peut affecter les perceptions des citoyen⋅ne⋅s du geste des élu⋅e⋅s. Notre étude a permis de montrer que des valeurs profondes guidaient ces choix, tandis que l'exploration médiatique rejoint plutôt les strophes de la chanson l'opportuniste. Il y aurait donc lieu de se pencher sur cette médiatisation du phénomène de défection, afin d'aller au-delà du fait qu'un politicien peut être présenté comme « de tous les partis, de tous les partys de toutes les coteries », ou « le roi des convertis » (extrait chanson de Dutronc).

Footnotes

1 La chanson peut être écoutée ici : https://www.youtube.com/watch?v=abZirUDx2Ps. Elle a été reprise également par le groupe français Indochine.

2 Cette recherche s'inscrit dans un projet subventionné par le Conseil de recherche en sciences humaines (CRSH–Subvention Savoir) intitulé Party Switching and Media Coverage in Canada (Alex Marland, chercheur principal, Mireille Lalancette et Jared Wesley co-chercheur).

3 Nous tenons d'ailleurs à remercier chaleureusement ces assistants pour leur travail de recherche rigoureux.

4 Ce parti fédéral basé au Québec a été co-fondé par députés Jean-François Fortin (ex-bloquiste) et Jean-François Larose (ex-néodémocrate) en octobre 1984. Le parti est présent lors de l’élection fédérale de 2015 puis s'est éteint en septembre 2016.

5 Soulignons que cette confiance et ce soin des membres du caucus lors du leadership de Jean Charest est également révélé par d'autres personnes interviewées membres de d'autres partis.

6 Bien que cette option soit inexistante dans les analyses réalisées à partir du cas québécois, l'obtention d'un poste est une raison évoquée par d'autre élu⋅e⋅s qui ont fait défection dans le reste du Canada.

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Figure 0

Figure 1. Figure présentant les trois types de la défection transpartisaneSource : les auteurs

Figure 1

Tableau 1. Tableau présentant les types de motivations en cause de la défection transpartisane

Figure 2

Figure 2. Figure présentant la dispersion des défecteur⋅trice⋅s dans les partis provinciaux et fédéraux entre 1980 et 2018Source : les auteurs

Figure 3

Figure 3. Figure comparant la distribution des types défecteur·trice·s entre les partis provinciaux et fédérauxSource : les auteurs

Figure 4

Figure 4. Figure présentant la distribution des en cause de la défection transpartisaneSource : les auteurs