1. INTRODUCTION
Cet article s’intéresse à l’emploi du subjonctif (1a) dans un parler du français acadien des Provinces Maritimes du Canada, en l’occurrence le français acadien du nord-est du Nouveau-Brunswick (dorénavant le FANENB). Nous nous penchons sur les motivations qui sous-tendent sa sélection en subordonnée complétive lorsqu’il alterne avec l’indicatif (1b) et le conditionnel (1c).
Le subjonctif, en plus d’occuper une place de choix dans les grammaires normatives et les ouvrages scientifiques, est également beaucoup documenté parmi les études variationnistes sur les variétés de français. Dans le cas du français parlé au Canada, un site de conflit oppose le français laurentienFootnote 3 et le français acadien quant aux patrons régissant sa sélection. De prime abord, il est admis que le subjonctif est motivé par des contraintes structurelles de nature lexicale et morphosyntaxique du côté laurentien (Auger, Reference Auger1990; Grimm, Reference Grimm2015; Poplack, Reference Poplack1990, Reference Poplack, Guy, Feagin, Schiffrin and Baugh1997; Poplack et al., Reference Poplack, Lealess and Dion2013). Plus particulièrement, il n’est représenté que par un petit nombre de gouverneurs verbaux et de gouverneurs non-verbaux tels que falloir et pour que et il est régi par des contraintes morphosyntaxiques telles que la présence du complémenteur que (dans les contextes où il y a variation avec l’élision de ce dernier). Un patron inverse est en revanche observé en français acadien parlé à la baie Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse (Comeau, Reference Comeau2019). Les contextes où apparait le subjonctif présentent beaucoup moins de variation avec l’indicatif et le conditionnel qu’en français laurentien et sa sélection est tributaire de contraintes sémantiques telles que la modalité. Ce résultat est interprété comme le reflet d’un état antérieur où le subjonctif était encore sémantiquement productif.
La question de savoir si le patron rapporté à la baie Sainte-Marie s’applique aux autres parlers acadiens reste encore sans réponse. Soulignons que King, LeBlanc et Grimm (Reference King, LeBlanc and Grimm2018) ont récemment identifié quelques tendances divergentes dans des régions acadiennes telles que l’Anse-à-Canards, à Terre-Neuve, en comparaison à ce qui est rapporté à la baie Sainte-Marie. Leur étude ne tient compte toutefois que des occurrences en enchâssée qu’on trouve avec falloir, un gouverneur avec lequel le subjonctif affiche une association importante dans les variétés de français contemporain (voir les références ci-dessus pour le français laurentien et Kastronic (Reference Kastronic2016) pour le français hexagonal). Il n’est donc pas clair de savoir de quelle façon le subjonctif est distribué chez tous les autres gouverneurs, ni de savoir si la prépondérance des contraintes sémantiques sur sa sélection est attestée ailleurs dans les Provinces Maritimes. Notre étude comble ces lacunes et vise à démontrer que l’emploi du subjonctif en FANENB présente plusieurs parallèles avec ce qui est rapporté en français laurentien. En plus d’être associé principalement à quelques gouverneurs, les contraintes sémantiques n’ont pas d’emprise sur la sélection. Nous interpréterons cette tendance dans la perspective plus large des conditions sociohistoriques qui ont modelé le français parlé dans cette région acadienne et proposerons plus loin que les contacts dialectaux avec le français laurentien peuvent être à l’origine de ce résultat.
Cet article est divisé comme suit. La deuxième section présente une recension des écrits sur le subjonctif d’un point de vue théorique et empirique. Elle présente également les particularités (socio)linguistiques propres au FANENB en comparaison avec les autres parlers acadiens. La troisième section met en exergue les fondements méthodologiques dans lesquels s’inscrit cette étude. La quatrième section présente nos résultats alors que les deux dernières sections servent de contextualisation et de conclusion générale.
2. REVUE DE LA LITTÉRATURE
2.1 Les contraintes d’emploi du subjonctif
De tous les phénomènes linguistiques portant sur le système temporel du français, la valeur du subjonctif est certainement l’un de ceux qui a suscité le plus de controverse parmi les grammairiens et les linguistes. Quiconque s’est intéressé à décrire son fonctionnement n’est pas resté indifférent à la quantité impressionnante de grammaires normatives et d’ouvrages scientifiques qui donnent les contraintes régissant sa sélection. En témoignent notamment les quelques centaines de gouverneurs verbaux et non-verbaux demandant le subjonctif prescrits aux cours des cinq derniers siècles (Poplack et al., Reference Poplack, Lealess and Dion2013).Footnote 4
Plusieurs hypothèses et théories relevant notamment de la sémantique et de la pragmatique ont été établies pour définir les contraintes d’emploi du subjonctif. À titre d’exemples, Soutet (Reference Soutet2000) soutient l’hypothèse que l’alternance entre ces deux modes est tributaire du degré de vérité exprimée par la proposition subordonnée en question. Aux dires de ce linguiste, « [à] l’inverse de ce qui se passe pour l’indicatif, le subjonctif s’impose chaque fois que la prise en charge comme vrai de [la proposition subordonnée] se révèle impossible. » (2000: 60). Abouda (Reference Abouda2002), de son côté, suggère que le trait assertif tenu par le gouverneur permet au subjonctif de ne pas être confondu avec l’indicatif et le conditionnel. D’autres valeurs telles qu’un évènement contraire considéré (Dreer, Reference Dreer2014) ainsi que la non-pertinence du fait rapporté (Rihs, Reference Rihs2016) ont également été associées à la sélection de ce mode verbal. Certains le considèrent même comme dépourvu de valeur modale et de ne jouer que le rôle d’une servitude grammaticale (Gougenheim, Reference Gougenheim1938). Pour résumer, il est généralement admis que le subjonctif se démarque de l’indicatif et du conditionnel par un certain nombre de conditions surtout sémantiques.
Plusieurs études menées à partir de corpus de langue parlée et s’inscrivant dans un cadre variationniste (Labov, Reference Labov1976) témoignent d’une autre tendance. Ces études, à travers un examen détaillé de la contribution relative de plusieurs contraintes sémantiques, morphosyntaxiques et lexicales, démontrent que le subjonctif est employé avec un petit nombre de gouverneurs et que sa sélection relève surtout de l’effet exercé par des contraintes structurelles. Comme nous l’avons mentionné précédemment, ce résultat est rapporté en français laurentien (Auger, Reference Auger1990; Grimm, Reference Grimm2015; Poplack, Reference Poplack1990, Reference Poplack, Guy, Feagin, Schiffrin and Baugh1997; Poplack et al., Reference Poplack, Lealess and Dion2013), mais il convient de souligner que des tendances similaires sont rapportées en français hexagonal (Blanche-Benveniste et al., Reference Blanche-Benveniste, Bilger, Rouget and van den Eynde1990; Kastronic, Reference Kastronic2016) et dans d’autres langues romanes comme l’italien (Digesto, Reference Digesto2019), l’espagnol et le portugais (Poplack et al., Reference Poplack, Cacoullos, Dion, Berlinck, de, Digesto, Lacacsse, Steuck, Ayres-Bennett and Carruthers2018).
Nous proposons d’aborder les études consacrées à l’emploi du subjonctif en français acadien dans la prochaine section; ceci dans le but de mieux contextualiser nos propres données et la méthodologie dont nous nous sommes servis.
2.2 Les études consacrées à l’emploi du subjonctif en français acadien
Un examen des études relatives à l’emploi du subjonctif en français acadien nous permet de dégager deux approches adoptées par les linguistes s’y étant intéressés. Dans un premier temps, les occurrences du subjonctif et les non-occurrences (c.-à-d. l’indicatif et le conditionnel) sont sélectionnées en fonction des contextes qui s’apparentent parfois à ceux prescrits dans les grammaires standard (p. ex. les domaines volitif et affectif). Les études qui adoptent cette approche offrent une analyse descriptive de l’emploi du subjonctif et rapportent généralement qu’il est souvent substitué à l’indicatif ou au conditionnel dans le même contexte d’usage en plus d’être restreint à un petit nombre de gouverneurs (Arrighi, Reference Arrighi2005; Neumann-Holzschuh, Reference Neumann-Holzschuh, Brasseur and Falkert2005; Neumann-Holzschuh et Mitko, Reference Neumann-Holzschuh and Mitko2018). On rapporte aussi qu’il a complètement disparu dans certaines régions comme le nord-est du Nouveau-Brunswick (Fournier et Coppola, Reference Fournier and Coppola2014). Ces résultats sont interprétés comme une réduction ou un étiolement de ce mode verbal.
D’autres linguistes utilisent plutôt une approche où les occurrences du subjonctif et les non-occurrences sont sélectionnées selon les contextes dictés par les normes de la communauté d’usage en question (Comeau, Reference Comeau2019; King et al., Reference King, LeBlanc and Grimm2018). Cette façon de procéder, que nous adoptons dans cette présente étude et que nous décrivons plus en détail à la section 3, tient compte des gouverneurs ayant sélectionné le subjonctif au moins une fois comme contextes d’extraction des données. Les études qui adoptent cette approche offrent une analyse quantitative statistique et comparative de l’emploi du subjonctif et rapportent des taux d’occurrences généralement élevés dans des régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse (86% à la baie Sainte-Marie) (Comeau, Reference Comeau2019), de l’Ⓘle-du-Prince-Édouard (73% à Abram-Village et 85% à Saint-Louis) et des Ⓘles de la Madeleine (90%) (King et al., Reference King, LeBlanc and Grimm2018).
La seule exception à ce constat se trouve dans la région de l’Anse-à-Canards, à Terre-Neuve, avec un taux de sélection du subjonctif de seulement 32% (Ibid.). Cette divergence au niveau des taux est considérée comme le résultat de contacts dialectaux avec d’autres variétés de français. King, LeBlanc et Grimm établissent un lien entre la composition démographique de cette région acadienne, influencée notamment par l’arrivée d’habitant.e.s venant de la Bretagne à la fin du XIXe siècle, et l’emploi variable du subjonctif dans cette partie de la France au début du XXe siècle. Un examen des occurrences du subjonctif à l’intérieur de l’Atlas linguistique de la France publié au début du XXe siècle (Gilliéron et Edmont, Reference Gilliéron and Édmont1902–1910) leur a permis de démontrer un emploi variable du subjonctif (avec un taux d’environ 50%) en Bretagne. Il en est tout autre dans les régions du centre-ouest de la France (d’où proviennent la forte majorité des personnes qui ont colonisé l'Acadie à partir du XVIIe siècle), où l’emploi du subjonctif est plutôt catégorique.
D’autre part, Comeau (Reference Comeau2019) rapporte que les occurrences du subjonctif à la baie Sainte-Marie sont régies par des contraintes sémantiques. Ce résultat constitue une différence notable avec ce qui a été rapporté en français laurentien (voir les références à la section précédente), où leur sélection est plutôt tributaire de contraintes structurelles. Comeau part du premier constat que la plupart des contextes où apparaît le subjonctif dans ses données ne sont pas contraints à des taux variables de sélection. Tous les gouverneurs verbaux, à l’exception de point croire (avec un taux de 29%), le sélectionnent de façon catégorique. De plus, il attribue une interprétation sémantique aux contextes qui présentent une sélection variable et qui incluent surtout les gouverneurs non-verbaux. À titre d’exemple, le fait que ces occurrences du subjonctif marquent souvent des évènements non réalisés au moment de l’énonciation est associé à l’effet d’une fonction sémantique dubitative marquant le doute; une valeur qui lui est traditionnellement associée. Tel que nous l’avons précisé en début d’article, Comeau interprète l’ensemble de ces résultats comme une illustration de la nature conservatrice de ce parler acadien. Cet argument est corroboré par plusieurs évidences sociohistoriques qui attestent d’un isolement des influences extérieures à la baie Sainte-Marie (cf. aussi Flikeid, Reference Flikeid, Mougeon and Béniak1994) et par l’emploi fréquent de plusieurs formes linguistiques à date ancienne, c’est-à-dire des formes jadis utilisées aux XVIIe et XVIIIe siècles et aujourd’hui désuètes ou absentes dans les variétés de français contemporain. La désinence postverbale -ont à la troisième personne du pluriel (2a), l’emploi de ‘je’ comme pronom pluriel suivi de la désinence postverbale -ons (2b) et l’imparfait du subjonctif (2c) constituent quelques-uns des exemples les plus souvent cités pour témoigner de la nature conservatrice du français acadien.
Un autre élément qui distingue le français de cette région des autres parlers acadiens concerne l’effet d’une attraction morphologique entre le gouverneur verbal et le verbe enchâssé; une contrainte structurelle et non sémantique. Ceci se manifeste lorsqu’un gouverneur verbal est conjugué à l’imparfait (3a) ou au conditionnel (3b) et qu’il sélectionne, au lieu du subjonctif, un verbe en enchâssée au même temps verbal que lui.
Le patron représenté par les exemples en (3) est attesté dans la plupart des parlers acadiens (Arrighi, Reference Arrighi2005; King et al., Reference King, LeBlanc and Grimm2018; Neumann-Holzschuh et Mitko, Reference Neumann-Holzschuh and Mitko2018) et en français laurentien (Grimm, Reference Grimm2015;Footnote 5 Poplack, Reference Poplack1990; Poplack et al., Reference Poplack, Lealess and Dion2013), mais n’est pas attesté à la baie Sainte-Marie. Comeau (Reference Comeau2019) et King, LeBlanc et Grimm (Reference King, LeBlanc and Grimm2018) suggèrent un lien entre le maintien de l’imparfait du subjonctif, une forme à date ancienne fortement utilisée dans cette région, et le faible impact de cette attraction morphologique. Selon eux, la perte ou le faible emploi de cette forme dans certaines régions et l’attraction morphologique iraient de pair et représentent « a weak point in the grammar, a point which can allow for the subjunctive to then vary with other moods » (Comeau, Reference Comeau2019 : 21). On s’attendrait donc à ce que l’attraction morphologique soit plus répandue là où l’imparfait du subjonctif est aujourd’hui désuet ou absent.
2.3 La communauté acadienne à l’étude
Nous ciblons pour cette étude la région du nord-est du Nouveau-Brunswick, communément nommée la Péninsule acadienne. L’intérêt d’étudier le FANENB réside dans le fait qu’il se démarque de celui parlé ailleurs dans les Provinces Maritimes à plusieurs égards, à commencer par un faible emploi des formes à date ancienne du français acadien. Bien que la désinence postverbale -ont à la troisième personne du pluriel persiste encore à un faible taux d’emploi d’environ 20% (Beaulieu et Cichocki, Reference Beaulieu and Cichocki2008; Chiasson-Léger, Reference Chiasson-Léger2017), d’autres formes telles que l’emploi de ‘je’ comme pronom pluriel suivi de la désinence postverbale -ons et l’imparfait du subjonctif ne sont pas utilisées aujourd’hui dans cette région (Roussel, Reference Roussel2020). Ceci est généralement lié aux contacts dialectaux entre les personnes locutrices du FANENB et celles du français laurentien au cours des années (cf. Balcom et al., Reference Balcom, Beaulieu, Butler, Cichocki and King2008; Beaulieu et Cichocki, Reference Beaulieu and Cichocki2008; King et al., Reference King, Martineau and Mougeon2011).Footnote 6 La question de savoir si ce faible emploi des formes à date ancienne en FANENB témoigne aussi d’un changement structurel causé par le contact dialectal en ce qui concerne l’emploi du subjonctif n’a jamais été mise à l’étude de façon empirique, une lacune que nous proposons de combler avec cet article.
Les questions qui nous ont guidé sont les suivantes : Le FANENB, en situation de contact dialectal avec le français laurentien, affiche-t-il des similitudes structurelles avec ce dernier, pour lequel le subjonctif n’est pas motivé par des contraintes sémantiques? Ou opère-t-il selon la même norme vernaculaire que le parler acadien de la baie Sainte-Marie, pour lequel le subjonctif est plutôt sémantiquement productif?
3. DONNÉES ET MÉTHODE
Les données à la base de cette étude sont tirées du Corpus de français acadien du nord-est du Nouveau-Brunswick, locuteurs adultes (Beaulieu, Reference Beaulieu1995). Ce corpus d’entrevues sociolinguistiques, représentant plus de 600 000 mots, a été constitué par Louise Beaulieu entre 1990 et 1991 dans la région de Shippagan. Seize personnes locutrices stratifiées selon le sexe, l’âge et le réseau social ont été interviewées pour les fins de ce corpus.
Dans le but de comprendre les conditions linguistiques qui sous-tendent la sélection du subjonctif en FANENB, notre étude s’inscrit dans le cadre de la sociolinguistique variationniste (Labov, Reference Labov1976; cf. aussi Poplack et Tagliamonte, Reference Poplack and Tagliamonte2001; Sankoff, Reference Sankoff, Ammon, Dittmar and Mattheier1988). La variable linguistique, définie comme plusieurs façons d’exprimer la même chose, est un concept pivot de cette approche. La notion d’équivalence fonctionnelle associée au concept de variable mérite que l’on s’y arrête au préalable étant donné l’implication théorique qu’elle engendre. Comment le subjonctif peut-il être considéré comme une variante au même titre que l’indicatif et le conditionnel si chacune de ces formes est censée véhiculer un sens unique? Cette question est loin d’être évidente car la littérature prescriptive et théorique fourmille de nuances sémantiques à leur endroit. Comme l’a mentionné Poplack (Reference Poplack1990 : 13), « [p]our prouver donc que l’indicatif et le conditionnel sont des variantes du subjonctif, il faudrait démontrer que leur emploi différentiel n’est pas associé à des différences sémantiques. » Il est impératif, aux dires de cette linguiste, de tester la contribution d’une série de contraintes sémantiques et structurelles attestées dans la littérature et susceptibles d’influencer le choix du subjonctif contre l’indicatif et le conditionnel.Footnote 7
Pour ce faire, nous avons adopté le principe de redevabilité aux données (Labov, Reference Labov1976 : 130). Ce principe implique de tenir compte non seulement des contextes où les variantes en question apparaissent, mais également de ceux où elles auraient possiblement pu apparaître. La méthode que nous avons utilisée et que nous esquissons ici est empruntée à Poplack (Reference Poplack1990) (cf. aussi Poplack et al., Reference Poplack, Lealess and Dion2013). Le point de départ consiste à extraire toutes les formes morphologiques du subjonctif en premier lieu. Les gouverneurs sont ensuite identifiés selon qu’ils ont sélectionné le subjonctif au moins une fois. À partir de cette liste précise de gouverneurs, l’étape suivante consiste à extraire tous les verbes enchâssés sous ces gouverneurs, peu importe la forme produite. Les contextes propres au subjonctif ont été identifiés par l’usage en ciblant les gouverneurs ayant sélectionné le subjonctif au moins une fois étant donné qu’ils sont souvent difficiles à déterminer.
Les verbes réguliers comme changer ont été exclus de l’analyse car leurs désinences sont identiques à celles de l’indicatif (4). Bien que ces occurrences constituent près de la moitié des données, les retenir aurait eu l’effet d’augmenter drastiquement le taux de subjonctifs. Par contre, le maintien de la désinence postverbale -ont à la troisième personne du pluriel en FANENB permet de discerner les formes de l’indicatif (p. ex. parlont) et du subjonctif (p. ex. parliont) parmi les verbes en -er. Ces formes ont donc été retenues.
Après avoir procédé à l’extraction, l’identification et la codification des données, nous avons repéré un total de 772 contextes où le subjonctif aurait pu potentiellement apparaître en subordonnée avec un gouverneur verbal ou non-verbal. Ces données ont été codées selon des contraintes sémantiques et structurelles attestées dans la littérature. Le mécanisme sous-jacent au choix des variantes a été modélisé par le biais du logiciel GoldVarb X (Sankoff et al., Reference Sankoff, Tagliamonte and Smith2005). Puisque nos questions de recherche ciblent surtout l’influence des contraintes linguistiques, nous reportons l’analyse des contraintes sociales telles que l’âge, le sexe et le réseau social à une étude ultérieure.
4. RÉSULTATS
4.1 Les gouverneurs verbaux
Parmi tous les contextes éligibles pour lesquels le subjonctif aurait pu potentiellement être sélectionné en FANENB, il ne réussit qu’à atteindre un peu plus du tiers de tous ces contextes (39%, N=301/772). Ce faible taux de sélection n’est pas sans rappeler ce qui a été rapporté dans le parler acadien de l’Anse-à-Canards (32%) et est nettement inférieur à ce qui a été rapporté dans les autres parlers acadiens des Provinces Maritimes (Comeau, Reference Comeau2019; King et al., Reference King, LeBlanc and Grimm2018).
Insistons d’emblée sur le comportement individuel de chaque gouverneur verbal. Rappelons qu’il a déjà été démontré que seul un petit nombre d’entre eux (tels que falloir) affiche de fortes associations avec le subjonctif en français laurentien (Grimm, Reference Grimm2015; Poplack, Reference Poplack1990; Poplack et al., Reference Poplack, Lealess and Dion2013). La façon de calculer ces associations en pourcentages est basée sur trois mesures définies par Poplack, Lealess et Dion (Reference Poplack, Lealess and Dion2013 : 166), soit : (i) le taux de subjonctif associé à chaque gouverneur, calculé par le nombre d’occurrences du subjonctif relativement à l’ensemble des occurrences et des non-occurrences (Taux (%)), (ii) la proportion occupée par chaque gouverneur relativement à l’ensemble des occurrences et des non-occurrences (Gouv. (%)), et (iii) la proportion occupée par chaque gouverneur relativement à toute la morphologie du subjonctif (Subj. (%)). Les résultats associés au calcul de ces trois mesures sont présentés au tableau 1.
En dépit d’un taux de sélection du subjonctif plutôt faible chez les gouverneurs verbaux en FANENB (42%, N=260/624), nous en avons néanmoins repéré 26 qui l’ont sélectionné au moins une fois. Ce résultat constitue déjà une différence notable avec l’étude de Fournier et Coppolla (Reference Fournier and Coppola2014) qui affirment (quoiqu’en l’absence de résultats quantitatifs) que le subjonctif a complètement disparu dans cette région.
À partir des données présentées au tableau 1, nous pouvons voir que les gouverneurs occupent tous un taux différent de subjonctif. La moitié d’entre eux (50%, N=13/26) sélectionne le subjonctif de façon presque automatique (taux de 80% à 100%) alors que les autres arrivent à peine à le sélectionner plus de la moitié du temps. Ceux qui apparaissent fréquemment (c.-à-d. dix fois et plus) ne constituent en revanche qu’un peu moins du quart de tous les gouverneurs (23%, N=6/26). Il est donc clair que la productivité du subjonctif en FANENB n’est pas répartie de la même façon chez chacun des gouverneurs qui l’ont sélectionné au moins une fois.
Le gouverneur falloir se distingue fortement de tous les autres (5a). Il représente à lui seul presque deux tiers de tous les gouverneurs verbaux (64%) et presque deux tiers de toute la morphologie du subjonctif (65%). Deux autres gouverneurs, soit vouloir (5b) et aimer (5c), constituent ceux dont le taux de subjonctif est le plus élevé parmi les gouverneurs fréquents. En combinant ces trois gouverneurs ensemble, un fort effet lexical se concrétise : Ils rendent compte, lorsque mis ensemble, de plus de trois quarts de l’ensemble des gouverneurs verbaux (80%) et de plus de trois quarts de toute la morphologie du subjonctif (84%).
Mis à part le conditionnement lexical exercé par les gouverneurs verbaux, il est primordial à ce point-ci d’analyser l’influence relative des contraintes linguistiques lorsqu’elles sont toutes prises en compte simultanément, ce que nous proposons dans les prochains paragraphes.
L’analyse multivariée menée avec le logiciel GoldVarb X (Sankoff et al., Reference Sankoff, Tagliamonte and Smith2005) est présentée ci-dessous au tableau 2. Pour faciliter la lecture de ce tableau, nous avons inséré un crochet qui indique le type de contrainte en question (sémantique ou morphosyntaxique) dans la colonne de gauche. Les résultats qui ne s’avèrent pas statistiquement significatifs sont indiqués par des parenthèses carrées.
En examinant de près les données du tableau 2, seules trois des sept contraintes examinées contribuent à la sélection du subjonctif. Tout d’abord, le temps du gouverneur verbal constitue la contrainte dont le rang est le plus élevé (résultat déduit par l’écart). Le subjonctif est donc plus susceptible d’être sélectionné lorsque le gouverneur est conjugué au passé composé, au futur ou à l’imparfait.
Quelle explication pouvons-nous avancer ici? Rappelons que les valeurs du doute, de l’incertitude et de l’irréel sont traditionnellement liées au subjonctif. On s’attendrait donc à ce que le temps du futur (de par sa valeur d’irréalité) favorise sa sélection. Le fait que ceci soit le cas dans nos données constitue un argument en faveur de cette hypothèse. Cependant, plus de deux tiers des verbes conjugués au futur (69%, N=9/13) sont représentées par le gouverneur falloir; un gouverneur qui, comme nous l’avons vu, rend compte de la majorité des occurrences du subjonctif. De plus, le temps du passé composé (qui n’est pas lié aux valeurs sémantiques lui étant traditionnellement associées) exerce une influence encore plus importante sur sa sélection. Ces résultats, ajoutés au fait que le temps du conditionnel (lui aussi associé à des valeurs d’irréalité) ne favorise pas le subjonctif, ne nous permet pas d’appuyer une interprétation sémantique ici.
Un examen détaillé de cette contrainte nous permet de dégager un autre effet déjà attesté dans plusieurs parlers acadiens (Arrighi, Reference Arrighi2005; King et al., Reference King, LeBlanc and Grimm2018; Neumann-Holzschuh et Mitko, Reference Neumann-Holzschuh and Mitko2018), soit celui d’une attraction morphologique entre le gouverneur verbal et le verbe enchâssé. L’exemple en (6) montre le gouverneur falloir sélectionner le verbe aller conjugué au même temps verbal que lui.
Ceci nous amène à nous poser la même question que Poplack (Reference Poplack1990 : 35) s’est posée : Que font les personnes locutrices du FANENB lorsqu’elles ne sélectionnent pas le subjonctif? En d’autres mots, y a-t-il des règles implicites partagées par les membres de cette communauté lorsqu’ils utilisent un gouverneur verbal à un temps quelconque? Pour y répondre, nous avons quantifié l’attraction morphologique entre le temps grammatical de la principale et celui de la subordonnée et les avons croisés entre eux.
Les résultats présentés au tableau 3 montrent que la moitié des occurrences conjuguées à l’imparfait (49%) et au conditionnel (51%) sont impliquées dans un processus d’attraction morphologique. Cette attraction fait en sorte qu’il est plus difficile pour le subjonctif d’être sélectionné lorsque le gouverneur verbal en question est conjugué à ces deux temps verbaux. Ceci permet de remettre en doute l’hypothèse que le subjonctif soit productif pour les gouverneurs verbaux en FANENB étant donné que ce patron « est purement syntaxique, et nullement lié au rôle ‘sémantique’ du subjonctif » (Poplack, Reference Poplack1990 : 25).
Parmi les autres contraintes qui contribuent à la sélection du subjonctif, on trouve la présence du complémenteur que ainsi que la nature de la phrase. Dans le premier cas, nous considérons ce résultat comme un simple effet de subordination. Le fait que le complémenteur serve à la construction des subordonnées complétives et qu’il s’adjoigne également aux locutions conjonctives telles que pour que (où le subjonctif est très souvent prescrit et attesté) témoigne de leur association étroite. La nature de la phrase constitue en revanche une contrainte de type sémantique. Les phrases non-affirmatives de type interrogatif et négatif ont le potentiel de faire part d’une incertitude ou d’un engagement négatif sur le contenu de la subordonnée. Cependant, près des deux tiers des phrases interrogatives et négatives répertoriées dans ces données (61%, N=111/183) sont représentées par falloir et vouloir, ce qui confirme encore une fois l’effet lexical important exercé par ces deux gouverneurs. Ce sont par ailleurs les phrases affirmatives qui favorisent cette sélection; un résultat à l’encontre de l’association prétendue du subjonctif avec l’irréalité. Il ne nous est pas possible ici non plus de soutenir une interprétation sémantique à la sélection du subjonctif.
Finalement, ni la classe sémantique du gouverneur ni la présence d’indication de modalité non-assertive ne favorisent la sélection du subjonctif. Dans le premier cas, nous avons voulu reproduire l’assertion commune qui stipule que des classes spécifiques de verbes exigent le subjonctif. Tous les gouverneurs verbaux ont été codés selon des classes sémantiques citées dans la littérature prescriptive et qui incluent, entre autres, les verbes volitifs, les verbes émotifs et les verbes exprimant la nécessité. Au bout du compte, plus de trois quarts des verbes volitifs (78%, N=74/95) et presque l’ensemble des verbes exprimant la nécessité (99%, N=397/403) sont représentés respectivement par vouloir et falloir. Ensuite, nous avons aussi tenu compte d’indices qui véhiculent des nuances sémantiques associées au doute et à l’incertitude tels que l’emploi de peut-être, mais cette contrainte s’est avérée non significative.
Que peut-on retenir de cette analyse? D’abord, l’identité lexicale du gouverneur verbal exerce un effet majeur puisque 84% de toute la morphologie du subjonctif n’est représentée que par les trois gouverneurs falloir, vouloir et aimer. Qui plus est, deux des trois contraintes qui contribuent à la sélection du subjonctif sont de type morphosyntaxique. Ce faisant, contrairement à la quantité titanesque de gouverneurs verbaux prescrits au cours des cinq derniers siècles par les grammaires prescriptives, seuls trois gouverneurs verbaux rendent compte ensemble de la forte majorité des gouverneurs et de la morphologie du subjonctif en FANENB. Ces résultats, au final, constituent un soutien empirique supplémentaire aux études menées par Arrighi (Reference Arrighi2005), Neumann-Holzschuh (Reference Neumann-Holzschuh, Brasseur and Falkert2005) et Neumann-Holzschuh et Mitko (Reference Neumann-Holzschuh and Mitko2018) qui ont remarqué les mêmes tendances que celles que nous rapportons ici.
4.2 Les gouverneurs non-verbaux
Pour être assuré de l’effet surtout lexical/structurel associé à la sélection du subjonctif en FANENB, nous avons étendu notre analyse à l’étude des gouverneurs non-verbaux. Nous observons au tableau 4 qu’ils sont quatre fois moins nombreux (N=6) que les gouverneurs verbaux (N=26). De plus, leur taux de subjonctif (28%, N=41/148) est plus faible qu’avec les gouverneurs verbaux (42%). Dans cette section, nous tenterons de voir si la différence de taux entre ces deux types de gouverneurs témoigne également de différences au niveau du conditionnement linguistique.
Il est possible d’observer au tableau présenté ci-dessus une tendance similaire à celle déjà notée chez les gouverneurs verbaux. Dans chacun des cas, l’ensemble des gouverneurs ne contribue pas à la sélection du subjonctif de la même façon. Ceci s’observe par la variation importante au niveau des taux (passant de 10% à 50%). De plus, pour que (7a) est plus étroitement associé au subjonctif que tous les autres gouverneurs. Un peu comme c’était le cas avec falloir, pour que affiche le taux de subjonctif le plus élevé (50%) et rend compte de près de la moitié (46%) de toutes les occurrences du subjonctif. Le gouverneur avant que (7b), bien qu’il ait un taux de subjonctif plus faible (24%) que pour que, rend néanmoins compte de plus du tiers (34%) de tous les gouverneurs et de près du tiers (30%) de l’ensemble de la morphologie du subjonctif. En les combinant ensemble, ils rendent compte de plus de trois quarts (76%) de toute la morphologie du subjonctif en plus de représenter plus de la moitié (59%) de l’ensemble des gouverneurs. Au final, même si moins de gouverneurs non-verbaux sélectionnent le subjonctif, nous décelons un effet lexical similaire à celui noté chez les gouverneurs verbaux. Comme pour que et avant que constituent les contextes les plus propices au choix du subjonctif, nous ne pouvons pas attester d’une productivité importante parmi les gouverneurs non-verbaux.
Nous remarquons un premier parallèle entre les résultats du tableau 5 et ceux du tableau 2 : La présence du complémenteur que constitue ici aussi une contrainte importante à la sélection du subjonctif. Ceci appuie l’idée que le complémenteur, en sa fonction de conjonction introductrice d’une complétive, constitue un contexte syntaxique favorisant sa sélection pour l’ensemble des gouverneurs en FANENB.
La réalité de la prédiction constitue la deuxième et la dernière contrainte à favoriser la sélection du subjonctif parmi les gouverneurs non-verbaux. Cette contrainte cherchait à capter les nuances sémantiques qui associent le subjonctif à un sens conceptuel abstrait tels que le doute et l’incertitude. Le fait que les évènements considérés non réalisés au moment du discours soient ceux qui favorisent le subjonctif semble appuyer l’idée que ce mode verbal reflète la non-factualité d’un évènement (cf. Soutet, Reference Soutet2000). Toutefois, un examen détaillé des facteurs composant cette contrainte révèle que plus de la moitié des occurrences codées comme « évènement non réalisé » ne sont représentées que par les deux gouverneurs pour que et mais que (59%, N = 51/86). Cette proportion atteint 79% (N = 68/86) lorsque l’on inclut le gouverneur avant que. L’effet exercé par les évènements non réalisés est donc très influencé par la nature lexicale de ces gouverneurs, ce qui nous permet de remettre en question l’idée que cette contrainte sémantique agit sur la sélection des formes en alternance. Finalement, ni la présence de matériel parenthétique ni la forme morphologique du verbe enchâssé n’exercent une influence statistiquement significative sur la sélection du subjonctif. Il en va de même pour la contrainte de type sémantique portant sur la nature de la phrase.
5. CONTEXTUALISATION DES RÉSULTATS
Le but de cette section est de contextualiser nos propres résultats à la lumière de ce qui a déjà été rapporté dans le cadre des études sur les parlers du français acadien et du français laurentien. Le constat qui nous semble le plus frappant tient au fait que le FANENB affiche beaucoup plus de similitudes avec les parlers laurentiens qu’avec le parler acadien de la baie Sainte-Marie. Bien que les taux de sélection du subjonctif varient souvent entre le FANENB (39%) et les parlers laurentiens (entre 44% et 76% selon les régions) (Grimm, Reference Grimm2015; Poplack, Reference Poplack1990; Poplack et al., Reference Poplack, Lealess and Dion2013), la configuration des contraintes linguistiques permet d’observer plusieurs parallèles importants entre eux. Dans chacun de ces parlers, le subjonctif est pratiquement limité aux mêmes gouverneurs (falloir,Footnote 8 vouloir, pour que et avant que) en plus de ne pas être régi par des contraintes sémantiques. Qui plus est, la sélection de ce dernier est entravée par un processus d’attraction morphologique lorsqu’un gouverneur verbal est conjugué à l’imparfait et au conditionnel. Tout ceci constitue une tendance inverse à ce qui est rapporté dans le parler acadien de la baie Sainte-Marie (Comeau, Reference Comeau2019).
Comment expliquer ce constat? Et comment nos résultats correspondent-ils à ce qui a été démontré dans les autres parlers acadiens? Nous suggérons que les conditions sociohistoriques qui ont modelé le FANENB fournissent des indices pertinents à ces questions. À ce propos, il est important de souligner que les parlers du français acadien ont suscité un grand nombre d’études récentes où l’objectif a été de mieux comprendre les dynamiques internes et externes à la source des divergences régionales observées entre ces parlers (Balcom et al., Reference Balcom, Beaulieu, Butler, Cichocki and King2008; Beaulieu et Cichocki, Reference Beaulieu and Cichocki2008; Comeau, Reference Comeau2015, Reference Comeau2016, Reference Comeau2019; Comeau et al., Reference Comeau, King and LeBlanc2016; Flikeid, Reference Flikeid, Mougeon and Béniak1994; King, Reference King2013; King et al., Reference King, LeBlanc and Grimm2018; Neumann-Holzschuh et Mitko, Reference Neumann-Holzschuh and Mitko2018, parmi d’autres). Bien que le français acadien soit souvent considéré comme une variété plus conservatrice que le français laurentien, l’idée générale est que les parlers acadiens se situent le long d’un continuum allant du plus conservateur (c.-à-d. ayant peu changé) au moins conservateur (c.-à-d. ayant beaucoup changé).Footnote 9 Le niveau de changement associé à ces parlers est directement lié à l’impact des influences venant de l’extérieur, qu’elles soient de nature linguistique ou sociale. Celui que l’on considère « le représentant le mieux conservé de l’état le plus ancien [du français acadien] » (Flikeid, Reference Flikeid, Mougeon and Béniak1994 : 321) est le parler de la baie Sainte-Marie compte tenu du fait qu’il a longtemps été isolé des influences de l’extérieur.
Dans le cas de la région à l’étude, les contacts dialectaux entre les personnes locutrices du FANENB et celles du français laurentien ne datent pas d’hier. Déjà à la fin du XIXe siècle, un réseau de routes ferroviaires en direction du Québec était établi au Nouveau-Brunswick et facilitait les déplacements interrégionaux (Robichaud, Reference Robichaud1976; Vernex, Reference Vernex1978). Par la suite, la participation aux efforts de guerre au cours du XXe siècle a entraîné plusieurs contacts avec des francophones du Québec et d’autres régions (Landry et Lang, Reference Landry and Lang2014). Ces contacts dialectaux se sont fortement intensifiés durant les décennies subséquentes en raison, par exemple, du développement et de l’accessibilité aux divers types de déplacement, en plus de l’attrait des centres urbains.
Lorsque l’on tient compte des conditions sociohistoriques propres au nord-est du Nouveau-Brunswick, il est plausible de suggérer que le FANENB ait changé au cours des années étant donné l’accroissement et l’intensification des contacts dialectaux avec les parlers laurentiens, créant une situation de convergence structurelle entre eux (cf. Hinskens et al., Reference Hinskens, Auer, Kerswill, Auer, Hinskens and Kerswill2005; Kerswill et Trudgill, Reference Kerswill, Trudgill, Auer, Hinskens and Kerswill2005). Par ‘convergence’, nous entendons « l’existence du changement grammatical causé par le contact [linguistique] » (Poplack et Levey, Reference Poplack and Levey2011 : 248), soit lorsqu’un candidat au changement (représenté ici par l’emploi du subjonctif) adopte les patrons qu’on trouve dans la variété avec laquelle il entretient des contacts. Ceci expliquerait pourquoi la norme vernaculaire de l’emploi du subjonctif soit si semblable entre le FANENB et le français laurentien. En cela, nos résultats font écho à ce que suggèrent Comeau (Reference Comeau2019) et King, LeBlanc et Grimm (Reference King, LeBlanc and Grimm2018), à savoir que les contacts dialectaux exercent un rôle de premier plan sur la structure linguistique des parlers acadiens et que l’absence de l’imparfait du subjonctif favorise l’attraction morphologique entre le gouverneur et le verbe enchâssé.
Des études ultérieures qui considèrent des données orales en temps réel en FANENB et qui offrent une perspective contrastive avec le français laurentien permettront d’en apprendre davantage sur les mécanismes de variation et de changement dans cette région. Bien que ce parler acadien semble être un candidat idéal au changement par le contact dialectal, l’hypothèse d’une évolution interne indépendante du contact ne doit pas être écartée. Plusieurs travaux (cf. Poplack et al., Reference Poplack, Zentz and Dion2012; Poplack et al., Reference Poplack, Lealess and Dion2013; Poplack et Levey, Reference Poplack and Levey2011) ont déjà démontré que les conditions sociales qui semblent propices à un changement ne mènent pas toujours aux résultats théorisés. Il faut, pour y répondre, utiliser des données représentatives de la langue parlée à un état antérieur au contact et « prouver que les caractéristiques du candidat au changement n’étaient pas présentes dans la variété pré-contact de la langue réceptrice » (Poplack et Levey, Reference Poplack and Levey2011 : 249). Cet aspect de la discussion, quoiqu’intéressant, dépasse les limites que nous nous sommes fixées pour cet article. Nous nous référons pour l’instant aux conditions sociohistoriques du FANENB et au concept du continuum des parlers acadiens pour interpréter nos résultats.
6. CONCLUSION
Dans cet article, nous avons examiné le conditionnement linguistique régissant la sélection du subjonctif chez les gouverneurs verbaux et non-verbaux en FANENB. Pour ce faire, nous avons d’abord analysé la distribution des taux de subjonctif selon chaque gouverneur qui l’a sélectionné au moins une fois, en plus des proportions occupées par ces gouverneurs. Nous avons également tenu compte de la contribution d’une série de contraintes pouvant exercer un effet potentiel sur sa sélection. Le résultat le plus important à retenir ici est que l’effet des contraintes sémantiques est largement dépassé par celui des contraintes structurelles. Ceci se traduit par (i) le fait que la productivité du subjonctif soit réduite à quelques contextes spécifiques (une poignée de gouverneurs), (ii) le fait que les contraintes lexicales et morphosyntaxiques conditionnent sa sélection, et (iii) le fait que les contraintes sémantiques, là où elles exercent un effet statistiquement significatif, masquent un effet lexical encore plus important.
Nous nous sommes ensuite appuyés sur les conditions sociohistoriques qui ont contribué au développement du FANENB pour interpréter nos résultats. Les parallèles structuraux que nous avons notés entre ce parler acadien et le français laurentien nous ont permis d’inférer un changement lié à l’intensification des contacts dialectaux entre eux au cours des années et, du même coup, de faire des liens avec le concept du continuum des parlers acadiens. Nous avons aussi reconnu qu’une étude en temps réel permettrait de mieux saisir l’impact exercé par les contacts dialectaux à partir du moment où ils se sont intensifiés dans le nord-est du Nouveau-Brunswick.
Competing interests
The author(s) declares none.