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Paul-André Dubois, Lire et écrire chez les Amérindiens de Nouvelle-France. Aux origines de la scolarisation et de la francisation des Autochtones du Canada, Québec, PUL, 2020, 720 p.

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Paul-André Dubois, Lire et écrire chez les Amérindiens de Nouvelle-France. Aux origines de la scolarisation et de la francisation des Autochtones du Canada, Québec, PUL, 2020, 720 p.

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2023

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Abstract

Type
Livres et circulation des savoirs (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Justement récompensé en 2021 par le prix Lionel-Groulx, ce livre dense, à la plume vive et agréable, est une contribution majeure à l’étude de l’occidentalisation des peuples amérindiens. Ici, Paul-André Dubois s’est attelé à un sujet difficile que personne avant lui n’avait véritablement fouillé dans une perspective de synthèse. L’enquête porte principalement sur la réception du phénomène de l’écrit au sein des sociétés autochtones – sociétés de l’oralité – de la vallée du Saint-Laurent et de l’Acadie au temps de la Nouvelle-France (1600-1760). Au vrai, l’auteur se penche aussi sur l’histoire de la fin du xviiie siècle et propose des comparaisons – parfois suggérées par les sources elles-mêmes – avec la Nouvelle-Angleterre et la colonie de New York.

Contre la thèse, dominante dans l’historiographie, d’une action apostolique « stérile » des missionnaires de la Nouvelle-France, autrement dit d’une faillite relative de l’entreprise d’évangélisation, P.-A. Dubois insiste sur la portée effective de l’alphabétisation au sein des sociétés amérindiennes des xviie et xviiie siècles. Le livre réévalue ainsi « à la hausse » (p. 6) l’expérience scolaire missionnaire chez les Amérindiens. Pour cela, il s’appuie sur un « exercice de reconstitution biographique » qui souhaite « mettre de l’avant les effets étonnants, voire positifs, de ce processus, pour les parties concernées » (p. 253). Contestant la séparation systématiquement tracée dans l’historiographie entre Européens et Autochtones, P.-A. Dubois s’intéresse à de nouveaux acteurs, métissés et francisés, qui émergent sur la scène sociale dès la fin du xviie siècle. Plus généralement, l’auteur insiste sur la familiarité grandissante des Amérindiens avec le phénomène de l’écrit, même si, admet-il, très rares sont les cas d’Autochtones sachant lire et écrire au xviiie siècle.

Le livre, qui fonctionne sur la base d’une série de récits de vie, s’appuie sur le traitement d’une quantité impressionnante d’archives, du xviie au xixe siècle : pièces manuscrites des institutions religieuses, correspondance officielle des colonies, registres paroissiaux, récits de voyage, journaux personnels, etc. Tel un détective, l’auteur y a puisé des témoignages dispersés. Guidé par ces sources, il reconstitue des trajectoires de vie dans ce qui s’apparente à une microhistoire des écoliers. Arrachés au sommeil des archives, des personnages, notamment autochtones, se voient restituer une couleur, une épaisseur, « non sans parfois de réelles prouesses », se réjouit l’auteur (p. 251).

Au fond, le sujet est complexe, car, reconnaît P.-A. Dubois, « aucune politique unifiée et cohérente de francisation n’existe » (p. 148). Pour répondre à cette difficulté, le livre est divisé en neuf – gros – chapitres qui ne sont pas, précisons-le, parfaitement chronologiques. Le premier est consacré au programme missionnaire des années 1600-1659. Le deuxième se concentre sur l’alphabétisation des garçons de 1660 à 1700, qui jouissent alors de « la faveur des missionnaires en raison de leur statut futur de chef autochtone » (p. 74). Le troisième se penche sur la francisation des filles (1666-1700) – une dizaine de pensionnaires chez les ursulines, une vingtaine à la mission sulpicienne de la Montagne (Montréal). Le quatrième s’interroge sur le déclin de la francisation (1700-1725), motif classique de l’historiographie, en cherchant à le relativiser. De façon fine et judicieuse, l’histoire des apprentissages du lire, de l’écrire et même du chanter se trouve replacée, au sein de ces premiers chapitres, dans le sillage d’une histoire occidentale marquée par une culture monastique ancienne, dont les missionnaires sont les héritiers. L’auteur, à juste titre, insiste également sur l’héritage espagnol des pratiques coloniales françaises en matière d’évangélisation.

Commence ensuite ce qui s’avère être la seconde partie du livre. Dans le cinquième chapitre, « Francisation au réel », l’auteur déroule sa thèse de ce qui fit de cette entreprise un succès. Il note que les filles amérindiennes ont été plus touchées que les garçons et s’attache à retracer des parcours d’élèves des ursulines. Certaines trajectoires, assurément, sont fascinantes, telle celle de la famille Cadot. Le sixième chapitre se penche sur la familiarisation des Amérindiens avec le phénomène de l’écrit et avec la langue française, en dehors des institutions religieuses, dans le cadre de la vie quotidienne avec les colons. Le terme algonquien massinahigan, souligne l’auteur, est associé à l’action d’écrire et de « faire des marques » (p. 320). Une analyse comparée avec les marques totémiques effectuées par les chefs amérindiens sur les traités de paix aurait pu être utile ici, de même, sur le thème de la francisation, qu’un renvoi à la contribution d’Alain Beaulieu parue dans l’ouvrage collectif Les Hurons de Lorette Footnote 1. Le septième chapitre étudie ensuite l’essor de l’écriture chez les Micmacs, sous la houlette du prêtre Chrestien Le Clercq puis de l’abbé Pierre Maillard. Il parle des glyphes utilisés comme d’une « inscriture », pour distinguer cette forme de l’écriture (p. 369). On pense ici à Claude Lévi-Strauss qui, reprenant Émile Durkheim, parle d’un « instinct graphique » poussant les individus « à symboliser par des signes leurs affiliations claniques »Footnote 2. Avec à-propos, P.-A. Dubois souligne que l’efficacité de l’apprentissage micmac repose sur une grande capacité d’observation, telle qu’elle peut s’expérimenter à la chasse. Le huitième chapitre établit des comparaisons sur l’école entre la Nouvelle-France et les colonies britanniques au cours de la première moitié du xviiie siècle, et le neuvième, enfin, traite des années 1760-1800.

Quelques interrogations se dégagent. En contestant, à partir d’exemples savamment documentés et mis en scène, « les idées sans cesse rabâchées sur l’échec supposé de la francisation des enfants amérindiens » (p. 252), l’auteur n’est-il pas victime d’une illusion ? Tout, ici, semble être une question d’échantillonnage. Si de nombreux cas de francisation sont retracés, que pèsent-ils face à l’immense majorité des Amérindiens, peu affectés jusqu’au xixe siècle par les dispositifs de « civilisation » ? P.-A. Dubois nous rétorquerait peut-être que le succès de la francisation se mesure sur la base du groupe d’individus qui sont effectivement allés à l’école. Par ailleurs, est-il juste de parler d’une « transformation du système amérindien de croyances » dès le xviiie siècle (p. 376) ? Selon nous, la captation de l’écriture – comme celle, par exemple, des produits textiles ou métalliques – ne modifie pas en profondeur le rapport au monde des Autochtones. En captant-imitant l’écriture, les Amérindiens ne se satisfont-ils pas, du reste, de l’acte lui-même, comme le propose Emmanuel Désveaux dans sa réflexion sur les « passages à l’écriture » des Indiens d’Amérique du NordFootnote 3 ? P.-A. Dubois, toutefois, est plus nuancé quand il analyse l’utilisation micmac de l’écriture « hiéroglyphique », qu’il estime fort justement – c’est la clef de son succès – « beaucoup mieux intégrée à la vie traditionnelle et à la pensée amérindienne » (p. 417). Au fond, l’ouvrage pose la question de l’imitation dans un contexte interculturel. Un autre cas nous vient alors à l’esprit, celui des Indiens du sud-est des États-Unis, les fameuses « Cinq tribus civilisées » – Cherokees, Creeks, Choctaw, Chickasaw et Séminoles –, dont certains membres, au tournant du xixe siècle, ont adopté plusieurs traits de la civilisation anglo-américaine (y compris l’écriture, dans le cas cherokee). Plutôt que de réduire les actions humaines à de simples stratégies et à des instrumentalisations, comme de s’en tenir au registre analytique de l’acculturation, on pourrait proposer qu’il existe une potentialité mimétique inscrite au cœur de l’éthos amérindien. Si P.-A. Dubois évoque ce thème du mimétisme (p. 17), il n’en reprend pas le fil. Il parle plutôt de la « maîtrise des nouveaux codes de comportement », ce que les Français nomment la « civilité » (p. 79). De fait, si l’ouvrage propose une étude, admirable, des dispositifs de « civilisation », il cherche assez peu à valoriser les logiques proprement autochtones. Le champ, précise d’emblée l’auteur, est celui de l’histoire socioreligieuse, non de l’histoire amérindienne ou de l’ethnohistoire. Peu intéressé par la littérature anthropologique, P.-A. Dubois revendique l’écriture d’une histoire « conventionnelle » et « érudite » (p. 10). L’érudition, heureusement, est ici loin d’être vaine, puisqu’elle est mise au service d’une thèse.

En marge de la rectitude politique qui caractérise de plus en plus, en Amérique du Nord, l’écriture de l’histoire des Amérindiens, P.-A. Dubois nous prévient d’emblée : « Ce livre n’est pas une condamnation. Aucune accusation ne sera portée, aucun procès ne sera intenté » (p. xvi). Ce rappel n’est pas inutile. L’historien n’est pas un moraliste. Il cherche à comprendre et à contextualiser le passé à la faveur des sources qu’il s’échine à débusquer et à mettre en relation. Dans ce travail extrêmement riche et documenté, P.-A. Dubois refuse tout manichéisme et s’efforce de valoriser la grande variété des acteurs historiques, tant européens qu’amérindiens.

References

1 Alain Beaulieu, « Les Hurons de Lorette, le ‘traité Murray’ et la liberté de commerce », in D. Vaugeois (dir.), Les Hurons de Lorette, Québec, Septentrion, 1996, p. 254-296.

2 Claude Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 1962, p. 106.

3 Emmanuel Désveaux, La Parole et la substance. Anthropologie comparée de l’Amérique et de l’Europe, Paris, Les Indes savantes, 2017, chap. 9.