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Fiona McCormack, Private Oceans: The Enclosure and Marketisation of the Seas, Londres, Pluto Press, 2017, 208 p.

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Fiona McCormack, Private Oceans: The Enclosure and Marketisation of the Seas, Londres, Pluto Press, 2017, 208 p.

Published online by Cambridge University Press:  13 November 2023

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Abstract

Type
Histoire des pêches (comptes rendus)
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Cet ouvrage analyse le caractère néolibéral des politiques d’exploitation maritime, notamment celles liées à la pêche, en se penchant plus précisément sur les quotas individuels transférables. Il se dédie à l’étude de la mise en marchandise des espèces halieutiques et de ses effets sur les institutions des communautés de pêcheurs. Il part pour cela de l’observation de l'application de ces politiques en Nouvelle-Zélande, souvent considérée comme un cas d’école des quotas délivrés aux communautés autochtones, tout en examinant celle-ci à travers un comparatisme international. Cette anthropologie fait ainsi varier l’analyse depuis les conflits sur les modalités de régulation de l’activité de pêche et de mise en marchandise des poissons jusqu’à une perspective critique des idéologies du développement durable qui les guident.

Le premier chapitre aborde les conflits entre normes marchandes et non marchandes au niveau des instances judiciaires. La régulation des stocks de pêche a ainsi défini précisément les quantités et les modalités d’écoulement du produit de la pêche sans tenir compte des pratiques alternatives, notamment cérémonielles, au sein de la société Maori. Il en résulte une incrimination des pratiques de pêche et de circulation des produits lorsqu’elles débordent le cadre strictement légal défini pour la pêche commerciale. L’anthropologie juridique qui est ici menée se penche sur des cas de procès s’attaquant à ces pratiques d’écoulement du produit au-delà du commerce légal et expose la confrontation des arguments cérémoniels et symboliques des pêcheurs aux arguments de droits sur la conservation des stocks de poissons et leur mise en marché. L’autrice tire de ce matériau une réflexion sur les antagonismes issus des disciplines marchandes au niveau des communautés de pêcheurs tout en dévoilant la résistance des sociétés locales qu’induisent ces démarches idéologiques univoques.

Le deuxième chapitre questionne d’une manière critique la notion de développement durable en révélant son caractère néolibéral et son intégration déséquilibrée des dimensions économiques et naturelles. En s’intéressant aux différentes significations du terme « durabilité », il fait le constat d’un concept polysémique derrière lequel peuvent se cacher des acceptions peu louables qui véhiculent l’idée d’un fardeau à la charge des acteurs sociaux. La conception de la durabilité du rapport Brundtland de 1987 et ses succédanés est étudiée pour démontrer que celle-ci accorde la priorité à une approche économiste fondée sur le renouvellement du capital, ce en la défaveur d’une attention accrue à la conservation des écosystèmes. Ces réflexions servent ensuite de base à l’analyse de l’approche de la durabilité inhérente à la régulation des stocks dans les politiques halieutiques. Elles y questionnent également le rôle de la science instrumentale, laquelle a tendance à effacer les rapports intimes avec les territoires et la nature et à reléguer les savoirs pratiques à une place secondaire. Les paradoxes issus d’une allocation des ressources par des droits de propriété, en fonction d’une segmentation des espèces sous la forme de stocks et d’une circoncision de leur aire de distribution, révèlent la faible prise en compte du fonctionnement des écosystèmes au profit de la rentabilité économique. Ces mécanismes d’enclosure suivent ainsi bien plus une logique économique, pour promouvoir l’individualisation des droits de pêche, qu’écologique, faisant fi des dynamiques naturelles, au-delà des taux de reproduction.

Le troisième chapitre entre plus précisément dans une analyse des instruments de type quotas individuels transférables. L’allocation de droits de propriété aliénables sur des stocks de poissons vient ainsi imposer des logiques d’endettement aux pêcheurs qui voient les prix des quotas s’envoler dans des dynamiques spéculatives ayant pour conséquence de concentrer ces mêmes quotas aux mains des acteurs les moins aux prises avec le territoire local. Les quotas transférables stimulent une spéculation qui soumet le capital naturel et humain aux capitaux financiers. Ils ont par ailleurs pour effet paradoxal d’augmenter les responsabilités financières des détenteurs de quotas tout en limitant leur rôle dans la gestion des pêches, ce qui rend finalement inaudibles les voix des pêcheurs, en bout de chaîne. La spéculation et la concentration ont largement déterritorialisé l’activité de pêche en renforçant des armements plus à distance des communautés côtières, mais ont également eu pour effet de différencier les groupes au sein de la société Maori en fonction de l’accumulation et des revenus. Si cela n’a pas aliéné ou désagrégé les communautés, les nouvelles élites tenant toujours un rôle dans l’entretien des logiques culturelles collectives, les savoirs locaux n’en ont pas moins été érodés par ces contraintes marchandes. Les communautés côtières ont ainsi eu du mal à pérenniser leur rôle dans les captures et elles ont été pratiquement évincées des prises à distance des côtes par de gros armements nationaux.

Dans un quatrième chapitre, l’autrice déploie la comparaison de la mise en œuvre des quotas en Nouvelle-Zélande avec un cas de non-accomplissement de cette politique à Hawaï du fait des résistances sociales aux mesures institutionnelles marchandes. Elle part du principe du don qui se développe parallèlement aux activités commerciales dans les pêcheries locales hawaïennes pour considérer l’ensemble des pratiques qui articulent des dynamiques capitalistes et non capitalistes dans l’activité de pêche. Le fait de consacrer des parts variables issues des captures aux échanges de différents ordres économiques et sociaux se retrouve dans l’intrication forte des pratiques de pêches commerciales et récréatives sur les territoires considérés. Les pratiques de pêche se situent ainsi dans un continuum d’actions marchandes et non marchandes selon les espaces et les périodes qui freinent en quelque sorte l’établissement des quotas et favorisent les résistances à ces derniers et le maintien d’instruments alternatifs de régulation des pêches (les limites annuelles de capture ou de licences d’entrée). Cela conduit à une réflexion sur les interrelations persistantes chez les pêcheurs entre échange marchand et don, pratiques rendues incompatibles dans les approches par les quotas.

Dans le cinquième et dernier chapitre, l’autrice considère les conséquences des quotas sur les sociétés de pêcheurs en Irlande. Il s’agit ici de cerner ce que des discours chargés de la nostalgie du temps d’avant véhiculent en termes de remise en cause de ces politiques en période de déprise de la pêche. Cette dimension critique de la nostalgie, qui met l’accent sur ce qui faisait commun, porte également en elle des projets de reconstitution du lien social par l’activité de pêche autour de pratiques alternatives. Aussi l’agentivité des sociétés de pêcheurs face aux politiques néolibérales peut-elle être appréciée non seulement par les résistances, mais aussi par les imaginaires de réinvention des mondes maritimes.

Cet ouvrage porte donc sur des dynamiques très différentes de réactions sociales aux quotas, s’intéressant notamment aux conflits, aux résistances et aux imaginaires de réenchantement du rapport à la mer en puisant dans des exemples internationaux très variés sur les différentes dynamiques contemporaines des sociétés locales de pêcheurs. Si l’anthropologie de la valeur peut être considérée comme un fil conducteur de cet ouvrage, celle-ci n’y est malheureusement présente qu’en filigrane, mentionnée çà et là. Elle aurait mérité une ethnographie plus fine et systématique, en même temps que des développements théoriques plus sérieux à l’aune de ce terrain maritime.