Hostname: page-component-7bb8b95d7b-qxsvm Total loading time: 0 Render date: 2024-10-01T12:29:33.574Z Has data issue: false hasContentIssue false

Actualité de la Terreur

L’apport des émotions à l’étude de la Révolution française (note critique)

Published online by Cambridge University Press:  26 April 2023

Anne Simonin*
Affiliation:
Rights & Permissions [Opens in a new window]

Résumé

La Terreur, ces dix-huit mois du gouvernement révolutionnaire de l’an II généralement compris entre mars 1793 et juillet 1794, est probablement la période de l’histoire de la Révolution qui résiste le plus à l’interprétation. Et l’intérêt, pour ne pas dire la passion, dans la recherche des causes et des responsables qui anime ceux qui en furent les contemporains, et les potentielles victimes, est d’une intensité qui ne se démentira pas au xixe siècle, voire au xxe siècle, chez les historiens cette fois. L’historiographie récente de la Terreur, dont certains ouvrages sont ici analysés, est d’un ton plus apaisé. Malgré des désaccords persistants, un consensus s’est fait jour. Les émotions sont reconnues comme facteur décisif des choix radicaux faits par les acteurs. Ces choix ne sont pas seulement rationnels et contraints, puisque dictés par les circonstances ; ils ne trahissent pas non plus une vision politique cohérente, un système matrice d’une pensée totalitaire, mais bien plutôt des ajustements que des individus sont forcés de faire pour rester en cohérence avec les « communautés émotionnelles » auxquelles ils appartiennent. Les émotions ne sont pas un paradigme neuf : c’est Lucien Febvre qui, dès la fin des années 1930, a alerté sur leur importance pour l’historien. Appliquées à la Terreur, dans les champs historiographiques français et anglais, les émotions participent d’une nouvelle histoire des élites. Mais peuvent-elles, à elles seules, rendre compte de cet état d’exception qu’est l’état de guerre expérimenté par la France durant la Terreur ?

Abstract

Abstract

The Terror, the eighteen months of the year II revolutionary government generally considered to have lasted from March 1793 to July 1794, is probably the period of the French Revolution that most resists interpretation. The implication, not to say the passion, that drove the search for causes and accountability by its contemporaries and potential victims was of an intensity that showed no signs of waning in the nineteenth and even the twentieth century—this time among historians. The recent historiography of the Terror, some of which is analyzed here, is quieter in tone. Despite ongoing disagreements, a consensus has emerged around emotions as a determining factor in the actors’ radical choices. These choices were not simply rational ones made under duress and dictated by circumstances, nor do they reveal a consistent political vision or a matrix of totalitarian thought. Rather, they reflect the adjustments that individuals are forced to make if they are to remain consistent with the “emotional communities” to which they belong. Emotions are not a new paradigm; Lucien Febvre insisted on their importance to historians in the late 1930s. Applied to the Terror in both French and English-language scholarship, they are giving rise to a new history of elites. But can emotions, by themselves, explain the exceptional state of war that existed in France during those months?

Type
Histoire du politique
Copyright
© Éditions de l’EHESS

Si la Terreur reste à l’ordre du jour de l’historiographie la plus récente de la Révolution françaiseFootnote 1, paradoxalement, son existence en tant qu’événement majeur, incontournable de l’an II (1793-1794) n’a peut-être jamais été aussi discutée. Ne va-t-on pas jusqu’à considérer la Terreur comme une invention de l’an III en vue de caractériser et disqualifier en bloc la politique menée en l’an II par Robespierre et les robespierristes, liquidés le 9 thermidor (27 juillet 1794) ? Contrairement à ce qu’a essayé de faire croire la réaction thermidorienne, à ce qu’ont expliqué les historiens du xixe siècle et après, la Terreur n’existerait pasFootnote 2. Et ce tremblement de terre contemporain se traduit dans les mots. Succède ainsi à « Terreur » (avec majuscule) « terreur » (avec minuscule), la baisse de casse indiquant le nouveau statut de la période, remettant, en quelque sorte, la Terreur à sa place : dans les limbes de la République démocratique et sociale ou à l’origine des régimes totalitaires (djihadisme contemporain compris), dans la lignée des réflexions d’Hannah ArendtFootnote 3. Considérant, à la fois, l’importance de cette époque dans l’histoire de la fondation de la République et le rôle de l’historiographie pour comprendre ce qui s’est joué en 1793 et en 1794, on persistera toutefois ici dans l’erreur en continuant d’écrire Terreur avec un grand T.

Les ouvrages commentés dans cet article accordent tous une importance centrale aux émotions pour repenser une Terreur soustraite aux deux grands paradigmes dominant l’historiographie du xxe siècle : la théorie dite des « circonstances », d’obédience marxiste ou apparentée, axée sur la guerre, civile et internationale, pour expliquer, voire justifier, cet état d’exception ; la théorie dite « révisionniste » ou « critique », qui met l’accent sur le politique comme facteur explicatif et qui considère la Terreur comme consubstantielle au processus révolutionnaire débuté en 1789Footnote 4. Les émotions semblent échapper à l’une et l’autre approche (ici outrageusement simplifiées) et proposer une nouvelle vision de la Terreur. La nécessité de les prendre en compte fait désormais consensus dans la communauté historienne. Là n’est pas la moindre des nouveautés dans le champ d’une historiographie révolutionnaire conflictuelle, constituée, depuis le xixe siècle, autour de clivages insurmontables. « Robespierristes, anti-robespierristes, nous vous crions grâce : par pitié, dites-nous simplement, quel fut RobespierreFootnote 5. » Les émotions viendraient enfin exaucer le vœu de Marc Bloch, comme la rapidité des traductions l’atteste – du français vers l’anglais (Michel Biard et Marisa Linton) ou inversement (Timothy Tackett et Colin Jones). Le corpus ici recensé le confirme : il institue un espace singulier où la Révolution française retrouve une centralité épistémologique grâce à sa « part maudite », la Terreur, dont l’économie émotive est l’objet des questionnements simultanés d’une historiographie bilingue.

Non que des différences nationales ne subsistent, notamment lorsqu’il s’agit d’établir des filiations entre le type de violence exercé par la Terreur et les formes de violence politique contemporaines. Si l’historiographie française prend fermement ses distances avec le postulat idéologique de la Terreur matrice du totalitarisme – « Les Jacobins n’étaient pas les bolcheviks. Robespierre n’était pas Staline », écrivent M. Biard et M. LintonFootnote 6 –, elle se montre également imperméable au parallèle établi entre la Terreur de 1793-1794 et le terrorisme d’aujourd’hui, contrairement à l’historiographie anglophone.

Dans A Genealogy of Terror in Eighteenth-Century France (2018), Ronald Schechter pointe, pour la dénoncer, la vision « orientaliste » qui associe la Terreur aux terroristes djihadistes et fait d’elle « une invention des ennemis acharnés de la civilisation occidentaleFootnote 7 ». T. Tackett écrit, quant à lui : « […] on ne peut pas mettre sur le même pied la Terreur de 1793-1794 et le ‘terrorisme’ des xxe et xxie siècles. Il ne faut pas oublier que, le 11 septembre 2001, aux États-Unis, il y eut plus de civils innocents tués en une heure que de personnes exécutées à Paris pendant toute la Révolution françaiseFootnote 8. » Doit-on en conclure que les personnes exécutées à Paris pendant la Terreur étaient aussi innocentes que les victimes du World Trade Center ?

La Terreur n’est pas le seul domaine historique à avoir connu un profond renouvellement grâce aux émotions. « Cette histoire des émotions […] n’est pas une invention récente ; elle n’est pas sortie toute armée d’un ‘emotional turn’ que l’on situe parfois dans le cours des années 1980 ou 1990. Elle a eu ses pionniers, s’est illustrée dans de nombreux travaux, et sa nécessité théorique avait été affirmée sans ambages, dès les années 1930, de même que la place centrale qu’elle était vouée à occuper dans le champ de l’histoireFootnote 9. »

C’est Lucien Febvre qui, le premier, en avait affirmé l’absolue nécessité dès 1933Footnote 10, puis dans un article de synthèse publié en 1941 dans les Annales d’histoire sociale, « La Sensibilité et l’Histoire. Comment reconstituer la vie affective d’autrefois ? ». « La Sensibilité et l’Histoire : sujet neuf. Je ne sais pas de livre où il soit traitéFootnote 11 », écrivait-il, faisant des « émotions » le seul moyen pour les historiens d’échapper « à la vieille psychologie périmée des facultés de l’âmeFootnote 12 » et à la singularité inatteignable des sentiments individuels. Contrairement aux sentiments, les émotions, selon Febvre, étaient « contagieusesFootnote 13 » et pouvaient être constituées en un « véritable systèmeFootnote 14 » par l’historien, lui donnant ainsi accès à un phénomène social majeur : « la vie affective d’autrefois ». La tâche était ardue. Elle se devait de mobiliser les archives judiciaires (la casuistique), l’histoire de l’art et la littérature. Mais elle était vitale : « […] tant qu’ils [les travaux sur les émotions] feront défaut, il n’y aura pas d’histoire possible Footnote 15. » À noter que c’est l’histoire de la Révolution qui servait de banc d’essai à ces linéaments du programme de l’histoire des émotions. C’est à partir du livre de Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789 (1932) – l’histoire totale d’une émotion qui s’était répandue comme une traînée de poudre dans certaines campagnes au début de la Révolution –, que L. Febvre entrevit la possibilité d’une histoire « réellement historique » de la foule révolutionnaireFootnote 16. C’est encore la Révolution qui l’inspirait quand, en 1951, il commenta un article rapprochant la Terreur de 1793 de la peste marseillaise de 1720 : « De quoi s’agit-il ? D’établir un lien entre la Terreur de 93 et les terreurs que provoquaient autrefois les ‘pestes’ [et de suivre] les manifestations de quelques sentiments puissants ‘qui dominent la mentalité et engendrent l’action’ ; la terreur, incontestablement, compte parmi ces sentimentsFootnote 17. » Et L. Febvre de conclure : « Le Français de 1792 était l’héritier d’une longue tradition terroristeFootnote 18. »

Si l’« histoire des sentiments » n’est plus aujourd’hui « cette grande muetteFootnote 19 », ce dont témoigne la multiplicité des travaux rassemblés sous cette étiquette, peut-on l’identifier, dans sa conception d’origine, celle de L. Febvre et de ses successeurs, à l’histoire des émotions telle que revue par William Reddy et Barbara Rosenwein à l’aube du xxie siècle ? Et, surtout, a-t-on intérêt à le faire quand interroger les différences qui séparent les « sensibilités » ou les « sentiments » des « émotions » permet de mieux comprendre ce que voulait L. Febvre et d’insister sur la novation introduite par W. Reddy et reprise par B. RosenweinFootnote 20 ?

Sentiments, affects, sensibilités : qu’est-ce qu’une émotion ?

La pensée de L. Febvre sur les émotions, qu’il nomme indifféremment affects, sentiments, sensibilités, dans une indétermination lexicale assez inhabituelle chez lui, est, comme le remarque B. Rosenwein, marquée par son contexte d’énonciation, celui de la montée des fascismes et de l’apparition de ces « foules hallucinées de Nuremberg et d’ailleursFootnote 21 » auxquelles l’historien fait explicitement référence dans son article de 1938. Irrationnelle et primitive, l’activité émotionnelle dans l’histoire revêt alors une importance certes décisive mais aussi déstabilisatrice pour ce tenant de l’esprit de l’Encyclopédie et du rationalisme qu’était L. Febvre. Bref, comme l’écrit B. Rosenwein, dans son article séminal de 2002 : « Pour Febvre, les émotions ne faisaient pas partie de la vie civilisée, aussi essentielles étaient-elles à son existenceFootnote 22. » L. Febvre reprend paradoxalement une conception traditionnelle des émotions qui, telles qu’il les perçoit, dérivent, en réalité, des humeurs médiévales, ces maladies de l’âme qui peuvent infecter le collectif mais interdisent de comprendre que les émotions sont constitutives de la rationalité des modernesFootnote 23, idée que W. Reddy théorise dans The Navigation of Feeling: A Framework for the History of Emotions. Publié en 2001, le livre ne fut traduit en français qu’en 2019Footnote 24, trop tardivement pour avoir, en France, l’influence décisive qu’il eut sur la pensée des émotions dans le monde anglophone. W. Reddy y forge le concept d’« énoncé émotionnel » (emotives) qui, quoiqu’inspiré des neurosciences, est une catégorie historique dont il ne se contente pas de préciser les contours théoriques mais qu’il applique immédiatement à plusieurs cas tirés de la France du long xviiie siècle (1700-1850). La Terreur est l’un d’euxFootnote 25.

Un « énoncé émotionnel », tel que l’entend W. Reddy, s’inspire de mais ne se réduit pas à l’énoncé performatif de John L. Austin. Si l’énoncé performatif modifie, grâce aux mots, l’état du monde, l’énoncé émotionnel traduit, lui, toujours grâce aux mots, l’état des êtres, celui de l’individu qui l’émet et celui de l’individu qui le reçoitFootnote 26. Ces « emotives » s’organisent dans un « régime émotionnel », un système de normes historiques auquel doit se conformer l’individu en société. Le prix à payer, en cas de discordance, est une souffrance émotionnelle intense, surtout dans une « société policée » telle que la société de cour d’Ancien Régime, où « l’expression émotionnelle encouragée par les idées sentimentalistes était strictement interditeFootnote 27 ». Il en découle la nécessité de trouver des « refuges émotionnels » (emotional refuges), de s’insérer dans ces communautés informelles qu’étaient les salons, les loges maçonniques, les mariages d’amour, les amitiés intenses : autant d’espaces où il devient possible, dans le premier xviiie siècle, de parler de ce que l’on ressent et de laisser libre cours au « sentimentalisme » qui veut que « l’évidence du cœur » soit aussi irrésistible « que l’évidence de l’esprit attachée aux vérités spéculatives », selon d’AlembertFootnote 28.

C’est profondément imprégnés par cette culture du sentimentalisme que les Français ont affronté la Terreur, ce moment où le régime des émotions conjugue une politique du cœur avec cet impératif catégorique qu’est devenue la vertu, désormais entendue comme primat de l’intérêt général sur l’intérêt particulier. Nulle contradiction ici ; les valeurs individualistes et communautaires ne peuvent être opposées les unes aux autres, tous les individus partageant un sens moral inné dont la Révolution favorise l’expression publiqueFootnote 29. Sous la Révolution, c’est après avoir consulté son cœur que l’on pratique l’intransigeance, ce qui rend peu enclin à la pitié ou à la bienveillance. Les hommes et les femmes qui s’apprêtent à vivre la Terreur sont pétris de ce que W. Reddy appelle « l’idéologie sentimentalisteFootnote 30 », baptisée « rousseauiste-républicaine » par Jeff HornFootnote 31, à savoir un imaginaire plutôt qu’une idéologie où l’état de nature (qui veut l’homme bon) s’accommode d’une violence rendue nécessaire par l’avènement d’un nouvel ordre public construit sur la justice et la liberté (qui doit apporter le bonheur à l’humanité).

Ce régime émotionnel fondé sur la vertu a ses exigences : tout homme ou femme ne le respectant pas dans son comportement public et privé est ipso facto son ennemi déclaré. La Terreur est ce temps de la Révolution où les « emotives » requièrent une adhésion sans faille des individus qui se dévalue au fur et à mesure que l’anxiété et la coercitionFootnote 32 deviennent les deux mamelles du gouvernement révolutionnaire. « On ne peut pas comprendre l’histoire de la Révolution sans une théorie des émotions appropriéeFootnote 33 », conclut W. Reddy, qui invite les historiens à exhumer le « sens commun émotionnel différent du nôtre » en vigueur sous la Terreur, dont toutes les traces ont été effacées lors de la réaction thermidorienneFootnote 34.

Dans la foulée, Sophie Wahnich théorisait, elle, une « économie émotive » dans un article publié dans la présente revue en 2002, suivis d’un livre, La liberté ou la mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme (2003). La Terreur y désigne ce temps de violence politique où le peuple était autorisé par le Législateur à faire un usage réglementé de la force souveraine : « L’entreprise de la Terreur viserait donc, écrit S. Wahnich, […] à donner à la vengeance une forme publique et institutionnaliséeFootnote 35. » En cela elle canalisait, plutôt qu’elle ne lui donnait libre cours, le déchaînement des émotions parfois sanguinaire du peuple (les massacres de septembre). W. Reddy et S. Wahnich aboutissent à des conclusions diamétralement opposées, la seconde mettant en évidence l’effet modérateur de la Terreur sur les conduites politiques du peuple là où le premier insiste sur l’emballement extrémiste d’un système où les émotions tiennent lieu de raison et se trouvent piégées dans des contradictions insurmontables (la sincérité permanente sous contrainte de la vertu en est une).

Aussi neuve et discutéeFootnote 36 soit-elle, la théorie des émotions se greffe aisément sur le paradigme « critique », ou furétien, dont, nolens volens, elle consacre en quelque sorte le triomphe par sa banalisation dans le champ de l’historiographie révolutionnaire. D’abord parce que cette théorie accorde une place centrale au discours politique, dont, selon François Furet, la Révolution, dès 1789, aurait marqué l’indépendance vis-à-vis des forces économiques et sociales et, plus généralement, vis-à-vis des circonstances : « Et rien ne permet ni ne permettra jamais d’expliquer [les] représentations à partir d’un état social qui comporte des intérêts contradictoires. Il me semble que la première tâche de l’historiographie révolutionnaire est de redécouvrir l’analyse du politique comme tel », écrit ainsi F. Furet dans Penser la Révolution française (1978)Footnote 37. En tant qu’actes de langage, les émotions mettent l’analyse du discours au centre de l’interprétation de la Terreur. Ensuite parce que la théorie des émotions démontre ce que F. Furet posait comme postulat : « Le gouvernement révolutionnaire, bien loin d’être seulement l’instrument de la guerre et de la conquête est celui du ‘passage du mal au bien, de la corruption à la probité, des mauvaises mœurs aux bonnes’. En le définissant ainsi, dans son rapport sur la police générale, Saint-Just suspend l’achèvement de la Révolution à une transformation radicale des cœurs et des esprits […]Footnote 38. » Enfin parce que le caractère changeant des émotions, qui passent de l’enthousiasme patriotique de 1789 à la peur et la culpabilité de 1792, puis à la souffrance et au doute provoqués par l’interminée et interminable Révolution de 1793, épouse les trois phases de cet état d’exception à la fois moral et politique qu’est la Terreur, selon F. Furet. « Bras » du gouvernement révolutionnaire, la Terreur instaure, sur une période brève – un peu plus d’une année, comme généralement admis (de mars 1793 à juillet 1794)Footnote 39 –, une violence d’État déchaînée contre la société civile et révèle une « culture révolutionnaire françaiseFootnote 40 » inspirée par l’utopie rousseauiste, une volonté générale abstraite qui se montre oppressive et mortifère à l’épreuve du réel. M. Biard et M. Linton ne définissent-ils pas la Terreur comme un état d’exception devant tout à Jean-Jacques Rousseau, notamment à son chapitre sur la dictature dans Du contrat social Footnote 41 ? Rousseau demeure donc bien le philosophe matrice, indéboulonnable de la Terreur, moins, peut-être, dans la perspective des émotions, par le biais de la volonté générale et du Contrat social (1761), qu’à cause de La Nouvelle Héloïse (1762) et de son sentimentalisme vertueux. C’est, comme l’ont montré Florence Lotterie et Lynn Hunt, le roman qui démocratise les sentimentsFootnote 42, qui incarne les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et convertit les élites à un nouveau régime de sensibilité privilégiant l’empathie pour les gens ordinairesFootnote 43.

Déconstruire la Terreur

La théorie des émotions est au cœur de l’approche de la Terreur que proposent M. Biard et M. Linton dans Terror: The French Revolution and Its Demons (2021). Bien davantage qu’une traduction, « abrégée et révisée », de l’édition française publiée en 2020, comme l’annonce l’éditeur, il s’agit d’un livre en partie réécrit dont les chapitres, additionnels ou revus, énoncent avec force et clarté les nouveaux termes du débat : « […] la Terreur, en tant que concept unifié et réifié, est une création des historiens, une construction polémique fondée sur des interprétations antagonistes, un outil pour les historiens leur permettant de dénigrer obstinément la Révolution, ou plutôt, toute forme de révolutionFootnote 44 ». D’où il résulte qu’il convient désormais d’écrire « terreur » sans majuscule (mais entre guillemets)Footnote 45 ; que la théorie des circonstances est impuissante à rendre compte de la « terreur » ; que toute recherche d’une chronologie est vouée à l’échec (« […] la ‘terreur’ ne peut être expliquée ou comprise en tant que séquence chronologique limitée par un début et une finFootnote 46 ») : « Pour toutes ces raisons, poursuivent M. Biard et M. Linton, plutôt que de chercher à définir la Terreur en des termes chronologiques, il serait largement préférable d’appréhender le phénomène non seulement comme une succession de circonstances ou d’événements particuliers, mais plutôt comme une succession d’émotions collectives. À ce propos, de récents travaux d’historiens, dont Timothy Tackett et Marisa Linton, ont souligné l’importance du rôle joué par les émotions tout au long de la période révolutionnaireFootnote 47. »

Penser la Terreur à partir des émotions a nécessité, dans un premier temps, de se livrer à une entreprise de déconstruction de la notion même de « terreur ». Dans le champ français, cette démarche fut engagée par Jean-Clément Martin, dans Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national (2006), puis reprise et argumentée dans des ouvrages ultérieurs. J.-C. Martin insiste en particulier sur un point : la Terreur « ne fut pas ‘mise à l’ordre du jour’Footnote 48 » de la Convention le 5 septembre 1793. Ce n’est pas là seulement signaler une erreur commise et répétée par les historiens depuis le xixe siècle, mais souligner le caractère illégal quasi essentiel de la Terreur. L’expression « mise à l’ordre du jour » est une notion juridique empruntée au règlement de la Convention. Elle signifie, dans son acception première, qu’un sujet est, au jour dit, discuté par l’Assemblée, puisqu’inscrit à l’« ordre du jour » distribué aux députés la veille. Le sujet débattu est, en règle générale, introduit par un rapport rédigé par l’un des comités de la Convention, accompagné d’un projet de décret sur lequel les députés sont appelés à voter. Si l’on tient compte de cette définition réglementaire de « l’ordre du jour » et de cette procédure, jamais, effectivement, la Terreur n’a été à proprement parler « mise à l’ordre du jour » de l’Assemblée. L’expression surgit sous la forme d’une revendication, formulée dans l’enceinte des Jacobins, par le délégué des assemblées primaires, Jean-Baptiste Royer, « qui ne veut plus de mesures partiellesFootnote 49 ». Nous sommes le 30 août 1793. L’énoncé « la terreur à l’ordre du jour » figure bien dans l’Adresse présentée à la Convention, le 5 septembre 1793, par la députation des Jacobins emmenée par Royer à la barre de l’Assemblée. Si aucun décret ne la reprendra littéralement, le déroulé de la séance parlementaire montre que la formule n’en a pas moins reçu une traduction juridique, et ce à cause de Bertrand Barère.

Quand Barère, à la tribune, reprend « enfin ce grand mot » qu’il attribue par erreur à la Commune de Paris, « Plaçons la terreur à l’ordre du jour », il se produit une chose nouvelle : il transforme la Terreur en une fiction juridique. Barère n’est pas n’importe quel député, mais le rapporteur du Comité de salut public, et sa parole a un effet instituant : elle transforme un mensonge en une vérité du droit ; elle invite la Convention à faire « comme si » la Terreur était effectivement placée à l’ordre du jour ; à faire « comme si » le programme proposé par les Jacobins était validé par l’Assemblée, alors qu’il n’en est rienFootnote 50. À la différence de la fiction littéraire, la fiction juridique produit des effets dans le réel. Grâce à la fiction juridique mise en place par Barère, le politique récupère une marge de manœuvre : la Terreur à l’ordre du jour devient, comme le montre Jacques Guilhaumou, un performatif, un acte de langage relayé par les représentants en mission et les sans-culottes parisiens quand le contenu de cet « ordre du jour » reste sous le contrôle du Législateur. Peut-on réduire cette opération du droit qu’est l’institutionnalisation de la Terreur comme fiction juridique le 5 septembre 1793 à n’être qu’« une terreur imprécise pratiquée dans une confusion totaleFootnote 51 » ? « En 1793, la terreur (sans guillemets ni majuscule) est régulièrement évoquée dans les clubs et les assemblées, sans jamais devenir ni un programme d’action, ni un système de pensée », écrit J.-C. MartinFootnote 52, rejoignant Bronisław Baczko : « La Terreur n’a pas été la réalisation d’un projet politique préconçu. Elle s’est créée pièces à pièces, en utilisant des ‘matériaux’ déjà produits et stockés pendant la RévolutionFootnote 53. » Quand Barère la dénonce en tant que « système » une semaine après l’exécution de RobespierreFootnote 54, et que Jean-Lambert Tallien, quinze jours plus tard, lui emprunte l’idée et argumente contre « le système de la terreur » Footnote 55, on perçoit que la Terreur de l’an II est, sinon une invention de l’an III, du moins clairement une machine de guerre contre les robespierristesFootnote 56 : « Dans cette perspective, commente J.-C. Martin, le mot [Terreur] permet […] de se détacher de ce qui venait d’être vécu, avant qu’un nouveau régime ne s’installe, pour repartir à zéro, sous le nom de Directoire. Mais il faut résister à penser que la Terreur a bien eu une réalité politique, qu’elle fut un régime, un moment précis ou une doctrineFootnote 57 […]. » Pour preuve : « terreur » n’est pas un mot de l’an II.

Pour démontrer ce point, M. Linton et M. Biard s’appuient sur le livre de R. Schechter déjà mentionné, A Genealogy of Terror in Eighteenth-Century France. La longue durée dans laquelle s’inscrit R. Schechter montre que le mot « terreur » arrive lourdement chargé de sens divers et contradictoires dans la langue révolutionnaire de 1793 et ne revêt un sens proprement négatif qu’en l’an IIIFootnote 58. Depuis le xviie siècle, le mot « terreur » avait un sens positif et valorisant et, suggère R. Schechter, c’est la raison pour laquelle il a pu qualifier, en l’an II, un gouvernement révolutionnaire auquel il était possible d’adhérer, ce d’autant plus que, grâce à Rousseau, « terreur » se voyait définitivement débarrassé « de toute connotation de despotisme du fait d’une législation fondée sur la volonté générale », comme le remarque Gerd van den HeuvelFootnote 59. Revendiquer, à la tribune de la Convention, le 5 septembre 1793, que le Législateur mit « la terreur à l’ordre du jour » pouvait ainsi être interprété comme l’inauguration d’une ère nouvelle, la Révolution se fixant un but politique à atteindre qui recueille le soutien de la majorité de la Convention – et pas uniquement des Montagnards : Terreur « n’était pas [alors] un mot désignant un abus de pouvoir inventé par les contre-révolutionnaires pour discréditer la Révolution, mais davantage un cri de ralliement conçu par les révolutionnaires eux-mêmes pour légitimer leur politiqueFootnote 60. »

Au début de la Révolution, les Girondins, voire les monarchiens, font usage du mot, tel que l’atteste la très fine analyse que R. Schechter fait du discours de Mirabeau du 15 juin 1789, où ce dernier presse les représentants du tiers état de se déclarer « assemblée nationale » en invoquant la « terreur du respect » à imposer à l’adversaireFootnote 61. Cette dimension œcuménique du mot « terreur » expliquerait, au moins autant que le républicanisme radical ou les circonstances de la guerre, la rapidité de la transformation du mot en un concept qualifiant, à partir du printemps 1793, l’« ensemble de lois et d’institutions visant à débarrasser la France de ses ennemis […] » ainsi que « les comités de surveillance, les tribunaux révolutionnaires et, surtout, la guillotineFootnote 62 ». En se politisant, la Terreur est devenue montagnarde : « […] le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu […] », dira Robespierre dans son célèbre Rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l’administration intérieure de la République, daté du 5 février 1794Footnote 63.

L’adhésion que reçoit la Terreur en tant que principe de gouvernement révolutionnaire va bien au-delà de sa mise en musique par Robespierre dans l’arène de la Convention : la Terreur est initialement populaire, ainsi que le montrent les adresses des sections et les pétitions envoyées à la Convention repérées par R. Schechter dans les Archives parlementaires. Collection canonique dans l’histoire politique de la Révolution, inventée au xixe siècle et toujours en cours de publication aujourd’huiFootnote 64, les Archives parlementaires sont la principale source de Schechter. Dans une analyse de discours, cette unicité de source se conçoit, ce d’autant plus que sont sélectionnées des citations d’un grand intérêt, proposées des interprétations neuves mises en contexte : 139 occurrences appellent ainsi « la terreur à l’ordre du jour » de la Convention, entre septembre 1793 et juillet 1794, et près de 600 occurrences du mot « terreur » apparaissent dans les discours révolutionnaires durant la même périodeFootnote 65. Peut-on toutefois considérer que le mot « terreur » a le même poids, le même effet politique, selon qu’il est employé dans le cadre d’un rapport du Comité de salut public par Robespierre ou Barère (dont R. Schechter souligne justement qu’il est, bien davantage que Robespierre, la bouche parlementaire de la terreur) ou qu’il figure dans une adresse ou une pétition émanant d’une société populaire provinciale ? Un simple comptage d’occurrence rend-il compte de la densité historique que revêt l’usage d’un même mot dans des séquences temporelles différentes, l’extrême mobilité des enjeux politiques d’un jour à l’autre, voire dans une même séance de la Convention, étant l’une des caractéristiques du temps sous la Terreur ?

Peut-on, par ailleurs, se limiter à faire l’histoire d’un mot, même comme ici sur la longue durée, pour appréhender ce phénomène à la fois politique, juridique et social qu’est la Terreur ? Démontrer que la Terreur n’est pas un néologisme révolutionnaire autorise-t-il à l’assimiler à un héritage théologico-monarchique sous prétexte que la terreur « salutaire » est, sous l’Ancien Régime, un attribut de la majesté et de la justice divine ? « Rien n’empêche de penser, écrit F. Furet, que dans la genèse de la dictature sanglante de l’an II, l’Ancien Régime et la Révolution ont cumulé leurs effetsFootnote 66. » R. Schechter va plus loin encore, en considérant que la Terreur accomplit littéralement une révolution à elle seule, qu’elle renoue moins avec l’acception « Ancien Régime » du mot qu’elle n’en ressuscite le sens biblique et archaïque : « Quoique le mot ‘terreur’ ait continué à désigner une punition légale exemplaire et utilitaire, il renvoyait de plus en plus aux valeurs prémodernes de vengeance et aux concepts bibliques d’extermination et de purificationFootnote 67. » Il évoque ici 1794, probablement la période que l’historiographie a coutume de désigner sous le nom de « Grande Terreur » – de la loi du 22 prairial (10 juin 1794) portant sur la réorganisation du Tribunal révolutionnaire à la chute des robespierristes le 9 thermidor (27 juillet 1794). Cette séquence voit-elle émerger un nouveau régime émotionnelFootnote 68 où le mot « terreur » exprimerait une pulsion de mort et favoriserait l’expression politique d’une rage exterminatrice déshumanisant l’ennemi, peint sous les traits de la bête féroce (le tigre, le chien enragé) ou du monstreFootnote 69 ? Rappelons ce qu’écrivait M. Linton dans Choosing Terror (2013) : si le gouvernement révolutionnaire a adopté la Terreur comme politique publique pendant moins de deux ans, alors que la France affrontait une situation dantesque tant sur le plan intérieur (guerre civile en Vendée) qu’aux frontières, s’il a recouru à la coercition et à l’intimidation, « les Jacobins ne se sont jamais engagés dans l’extermination en masse de tous ceux qui s’opposaient à euxFootnote 70 », excepté d’un point de vue rhétorique justement. L’on touche là aux limites d’un exercice exclusivement centré sur une analyse de discours coupée de toute pratique sociale et d’un état du droit qui, de circonstance, ou révolutionnaire – M. Biard et M. Linton assimilent à raison les deux adjectifsFootnote 71 –, n’en régule pas moins les rapports avec l’ennemi politique sur le sol national ou aux frontières. L’approche linguistique ne peut rendre compte, à elle seule, de la TerreurFootnote 72. L’histoire de la Terreur par les émotions le peut-elle ?

Quelle histoire de la Terreur par les émotions ?

Il a fallu attendre dix ans pour que soient traduits les livres de W. Reddy (en français) et de S. Wahnich (en anglais)Footnote 73. Si tant est que le français ou l’anglais écrits soient un obstacle entre les historiens travaillant sur la Révolution, la rapidité plus ou moins grande des traductions n’en est pas moins un bon indice de la centralité nouvellement conquise par les émotions sur la scène historiographique internationale. Au commencement était Anatomie de la Terreur. Le processus révolutionnaire, 1787-1793 (2018), traduction de The Coming of the Terror in the French Revolution (2015), qui sans être le livre le plus original de T. Tackett, est celui qui me semble avoir joué un rôle essentiel dans la légitimation des émotions et leur élévation au rang de nouveau paradigme. T. Tackett ne fut assurément pas le seul (Colin Lucas, William H. Sewell doivent être mentionnésFootnote 74) mais l’un des premiers à formuler une critique de fond des thèses furétiennes. Dans son article sur les ConstituantsFootnote 75, développé et amplifié dans son livre Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, publié en 1996 et traduit en français l’année suivanteFootnote 76, T. Tackett démontrait le caractère minoritaire de la référence à Rousseau et le pragmatisme du législateur révolutionnaire. Il établissait aussi que l’on ne naissait pas révolutionnaire, mais qu’on le devenait au terme d’un parcours inextricablement social et politique dans lequel la radicalisation pouvait apparaître comme un choix opportun plutôt qu’idéologique.

Tenant d’une histoire du politique en Révolution incluant l’histoire sociale des individus mobilisés, T. Tackett occupe dans le champ de l’historiographie révolutionnaire française une position centrale qui allait rendre, à la fois, visible et décisive sa conversion aux émotionsFootnote 77. « Toute interprétation de la Révolution et de la Terreur doit prendre en compte l’influence des émotions sur la psychologie et le comportement des révolutionnaires », écrit-il, ou encore : « Le rôle des émotions se révèle un problème historique qu’on ne peut écarter si l’on veut arriver à comprendre le phénomène de la violence à l’époque de la Terreur. Les émotions n’expliquent pas tout mais elles constituent un aspect important à ne pas négliger »Footnote 78. La « mentalité terroristeFootnote 79 » mobilisait des croyances appelées à devenir un répertoire d’actions sous l’emprise, et sous l’empire, des émotions.

L’histoire des émotions, comme le remarquait en 2016, dans cette même revue, Francesco Benigno à propos du livre de T. Tackett, est « un courant historiographique aux contours un peu flous qui obtient – précisément peut-être en raison de sa nature indéterminée – un remarquable succès depuis une dizaine d’annéesFootnote 80 ». Cette vogue des émotions marque certes le retour de la psychologie sociale, le revival de Gustave Le Bon et de Gabriel Tarde (surtout) ; elle informe aussi sur l’intérêt contemporain pour l’histoire des élites et des classes dirigeantes révolutionnaires. Les émotions, jusqu’alors réservées aux foules et au peuple, concernent désormais ceux qui gouvernent, en particulier les « twelve who ruled » (pour reprendre le titre du classique de Robert R. Palmer, publié en 1941Footnote 81). Les émotions, celles qui régulent la communauté politique révolutionnaire, requièrent des individus un engagement public à pratiquer, croire et défendre une idéologie de la vertu, explique M. Linton dans Choosing Terror : « La terreur est une chose que les individus ont décidé de s’imposer les uns aux autres […]. Souvent, ce qui les décidait était quelque chose de beaucoup plus inchoatif qu’une idée ou une loi […], la peur pour eux-mêmes, pour la Révolution. Mais la terreur est d’abord et avant tout un choix fait par chaque individuFootnote 82. » Pas de terreur sans terroriste, donc.

De là découlent : un retour, non pas tant à la biographie, qu’au portrait du révolutionnaire en terroriste ; l’attention au détail qui humanise les prises de position politiques les plus radicales et révèle les contradictions intimes d’individus occupant des positions de pouvoir qui favorisent leur élimination, quand ce n’est pas leur mort. Des 60 personnes présentes à son mariage, Camille Desmoulins remarque qu’il n’en reste plus que 2 en vie en 1794, Robespierre et DantonFootnote 83. Les sources intermédiaires, les brouillons de discours et les notes de Robespierre laissent entrevoir la tension qui habite le leader jacobin au moment d’entrer en lutte contre les « factions » hébertistes et dantonistesFootnote 84. Paradoxalement, l’histoire des élites qui dirigent la Révolution est celle de leur impuissance : l’eût-il voulu que Robespierre n’aurait pu sauver ni Desmoulins ni Danton puisqu’il eût directement contredit aux normes en vigueur dans la « communauté émotionnelle » du Comité de salut public en excipant son intérêt personnel pour les deux hommes au détriment de l’intérêt général, de la vertu, et donc porté atteinte de façon irrémédiable à son statut d’incorruptibleFootnote 85. La Terreur est traversée par une question politique fondamentale dont les émotions permettent de saisir les ramifications : la confiance entre gouvernants et gouvernésFootnote 86, principe qui, poussé à son paroxysme dans un temps de guerres, civile et étrangère, traque et dénonce les dévoiements des uns et des autres (les complots) et exige, davantage que l’exemplarité, une authenticité sans faille des gouvernants. Cette dernière place les acteurs en permanence sous la double surveillance de l’œil du public et de leur conscience, perspective intenable (ou difficilement) par ses exigences toujours élevées et parfois contradictoires : dès lors, la mort devient la preuve ultime de la dignité dans l’exercice des fonctions publiques. De cette spirale infernale, le destin de Robespierre offre l’exemple tragiqueFootnote 87. Moteur essentiel de la destruction volontaire à laquelle tous se soumettent, les émotions sont aussi ce qui rend la violence de la Terreur incompréhensible après coup, « une fois que les émotions conflictuelles qui l’ont provoquée se sont calméesFootnote 88 ».

Chez T. Tackett, les émotions sont d’une intensité moindre. Elles sont autant de fils tissés à un récit somme toute classique de la Terreur, bâti à partir d’une connaissance approfondie des Archives parlementaires. Une très fine compréhension de la chronologie politique de la période permet de saisir que l’importance d’une séance de la Convention ne s’évalue pas au jour dit, mais à la série qu’elle ouvre et qui se signale par l’adoption de décrets successifs autour du même thème. Si, le 5 septembre 1793, la Convention n’a jamais mis, à proprement parler, la Terreur à l’ordre du jour, la Terreur est, ce jour-là, devenue un performatif permettant au Législateur de reprendre en main le temps du politique, comme dit plus haut. C’est, selon la procédure, à la suite d’un rapport du Comité de salut public que le décret organisant l’armée révolutionnaire sera voté, le 9 septembre 1793. En revanche, une autre des revendications essentielles des sans-culottes restera lettre morte : jamais les nobles ne seront exclus de toutes les fonctions publiques. Comment réagit l’opinion publique ? Les émotions, que T. Tackett mobilise par le biais de la micro-histoire, en proposant de suivre la trajectoire de plusieurs personnages parisiens et de tisser leur propre existence à la grande Histoire, vont permettre au lecteur de ressentir les hauts et les bas de l’actualité.

Soit un intendant d’une famille noble, Adrien-Joseph Colson, habitant près de l’Hôtel de Ville ; un libraire-éditeur de la Rive gauche, spécialiste de Voltaire, Nicolas Ruault ; une femme, Rosalie Jullien, épouse d’un futur membre de la Convention, qui vit entre Paris et le Dauphiné ; un propriétaire-rentier, Guittard de Floriban, logé place Saint-Sulpice ; le pédagogue Charles-Gilbert Romme (l’un des derniers Montagnards à être condamné à mort en l’an III ; il se suicidera). Ces individus ont un point commun : ils écrivent beaucoup. Ils tiennent des journaux intimes ou entretiennent de volumineuses correspondances, toujours inédites pour l’essentiel (celle de Rosalie Jullien est désormais publiéeFootnote 89). Avec T. Tackett, les émotions trouvent un corpus : une littérature de l’intime investie d’une nouvelle dangerosité sous la Terreur, où la mise sous séquestre des biens des suspects brise le secret des lettres et transforme, comme l’a montré Carla Hesse, la lettre ou le journal saisi et lu par les autorités en preuve à charge devant les tribunaux révolutionnairesFootnote 90. Ce que T. Tackett cherche, dans les correspondances de près de 80 individus exhumées des dépôts d’archives, y compris départementales, c’est la preuve par l’intime du nouveau régime des émotions qui singularise la TerreurFootnote 91.

Dans une période souvent décrite aux extrêmes, on s’aperçoit que les correspondants de T. Tackett, s’ils avaient été interrogés sur la Terreur, auraient pu répondre, comme Emmanuel Sieyès et Jean-Paul Sartre après lui : « J’ai vécuFootnote 92. » L’intensité du politique va, paradoxalement, de pair avec un régime émotionnel où le sentimentalisme éclairé, régénéré par la vertu, s’accommode de l’écart avec certaines pratiques que les contemporains eux-mêmes qualifient de « barbares ». Rosalie Jullien admettait, froidement, le 15 août 1792 : « Nous devons être barbares pour le bien de l’humanité, et couper un bras pour sauver le corpsFootnote 93. » Moins de quinze jours plus tard, les massacres de septembre faisaient entre 1 100 et 1 400 victimes. Le 3 septembre, elle écrivait à son fils : « Mon ami, mon ami, […] il n’y a plus âme qui vive dans aucune sorte de prison. Vous le dirai-je, mon âme est troublée et profondément sensible à la nouveauté d’un si terrible spectacle. On assure les preuves d’un complot où tous ces criminels devaient être instruments du crime […]. Enfin il faut croire que la Providence nous a encore miraculeusement sauvés […]. L’Assemblée […] a simplement fait mention dans son procès-verbal du cours des événements et elle a repris, dans le plus grand calme, le cours de ses travauxFootnote 94. » Si l’horreur des massacres n’échappe à aucun des contemporains, le silence public est de mise. Cette complicité dans le silence sera rapidement remise en cause. Dès novembre 1792, les massacres de septembre deviennent une ligne de fracture infranchissable entre les Girondins (qui veulent voir juger les « septembriseurs ») et les Montagnards (qui s’y opposeront toujours) et, pour la postérité, une source de condamnation irréfragable de la violence populaire.

Dans Terror, M. Biard et M. Linton font un usage plus systématique des émotions, ce qui les conduit à repenser l’histoire de « la terreur » (selon la nouvelle graphie revendiquée, comme commenté plus haut). La Terreur devient alors un dispositif de relations interindividuelles. Le cours des événements repose sur des choix faits par des acteurs qui n’ont rien de rationnels, puisqu’ils sont d’abord dictés par l’émotion. D’où le caractère chaotique et improvisé d’une politique qui avance par embardées, les luttes permanentes entre individus et factions ouvrant la spirale incontrôlable de la radicalisationFootnote 95.

Les émotions permettent ici d’isoler une configuration singulière : la terreur contre les hommes politiquesFootnote 96. Dans La liberté ou la mort. Mourir en député, 1792-1795 (2015), M. Biard avait précédemment établi le bilan de cette Terreur-là : 71 députés « décédés de mort non naturelle » avant le 9 thermidorFootnote 97. Le bilan général des victimes fait l’objet d’un chapitre plus balancé dans l’édition anglaise qui tient désormais compte de : « Qui a survécu, qui est mortFootnote 98 ? » On retrouve, de façon classique, les chiffres en circulation : le fameux 16 594 condamnés à mort de la Terreur, établi par Donald M. Greer en 1935Footnote 99, dont on sait, grâce aux travaux plus récents d’Éric de Mari, que 13 048 proviennent de l’application d’une seule procédure, la mise hors de la loi, également à l’origine des deux tiers des condamnations à mort exécutées, principalement dans ce territoire géographique mouvant qualifié de « Vendée »Footnote 100. En tout, répression légale, extra-légale et victimes de la guerre civile, la Terreur aurait fait entre 200 000 et 250 000 morts, estimation que J.-C. Martin estime insuffisanteFootnote 101, tout en réfutant la thèse du « génocide » pour cette période. S’il a bien été question d’une « brutalisation féroce appliquée à un territoire vaincu en vue d’éradiquer tout espoir d’une nouvelle révolteFootnote 102 », la Vendée n’a jamais été le terrain d’un génocide.

L’émotion qui domine l’interprétation émotive de la Terreur ici commentée est la peur ; la peur qui semble être le sentiment généralisé parmi les gouvernés et parmi les gouvernants ; la peur qui paralyse, y compris Robespierre ; la peur qui rend « impitoyable » dans le traitement de l’adversaireFootnote 103 ; la peur qui obscurcit le jugement et devient une arme de manipulation de l’opinion publique – de rumeurs en découvertes de complots (loin d’être tous imaginaires). Prieur de la Côte d’Or, membre du Comité de salut public, écrira ultérieurement : « Nous avions fini par nous accoutumer tellement à ces situations inextricables, que nous poursuivions notre tâche journalière, […] comme si nous avions eu toute une vie devant nous, lorsqu’il était vraisemblable que nous ne verrions pas se lever le soleil du lendemainFootnote 104. » Cette peur régnant sans partage, Tallien la dénoncera dans son discours du 11 fructidor an II (28 août 1794) : « La Convention ne doit pas souffrir que la république soit plus longtemps divisée en deux classes : celle qui fait peur et celle qui a peur […]Footnote 105. »

On ne rit guère dans cette approche de la « terreur » qui voit la République à ses origines davantage redevable au tyran des Trente, Critias, le théoricien de la peur comme principe de gouvernementFootnote 106, qu’au législateur Solon, par qui la République se définissait fille de l’Athènes classiqueFootnote 107. Pourtant, on a ri sous la Terreur, Antoine de Baecque est formel : « […] la République fut, et demeure, un âge du rire », y compris en 1793Footnote 108. Si « la crainte » a joué un rôle décisif dans l’adoption de la loi du 22 prairial (10 juin 1794) portant réorganisation du tribunal révolutionnaireFootnote 109, cinq jours plus tard, le 27 prairial (15 juin 1794), lors du rapport fait par un membre du Comité de sûreté générale sur l’affaire Catherine Théot qui compromet RobespierreFootnote 110, la même Convention pleure de rire, conquise par le style voltairien de Marc-Guillaume Vadier : « On rit et on applaudit » ; « On rit » ; « On rit encore » ; « Nouveaux éclats de rire », peut-on lire dans la Gazette nationale, ou le Moniteur universel, et ce alors même que Robespierre occupe le fauteuil et préside la séanceFootnote 111. Sauf à ne pas considérer le rire, on devra peut-être admettre que, y compris sous la Terreur, les émotions ne sont pas exclusivement négatives. T. Tackett invite d’ailleurs à « examiner les émotions ‘positives’, la joie, l’enthousiasme et l’amour collectif de la fraternité, aussi bien que les émotions ‘négatives’, la peur, la colère, la haine, le désir de vengeanceFootnote 112 », qui, pour le moment, dominent l’historiographie.

Où l’on reparle du peuple pour renouer avec l’optimisme révolutionnaire

Dans The Fall of Robespierre: 24 Hours in Revolutionary Paris (2021), C. Jones décrit cet événement majeur qu’est la chute de Robespierre et des robespierristes, en faisant peu ou pas référence à la Terreur. Ce n’est pas tant ce qui se termine qui l’intéresse que ce qui demeure de quatre ans de Révolution le 9 thermidor, ce 27 juillet 1794 après lequel rien ne sera plus comme avant. Depuis Jules Michelet, le 9 thermidor est, dans l’historiographie de la Révolution française, quasi unanimement considéré comme une journée pivot, au même titre que le 14 juillet 1789 et le 10 août 1792 : à la liberté apportée par le 14 juillet, à l’égalité consacrée par la chute de la monarchie constitutionnelle le 10 août, le 9 thermidor ajouterait la « sortie » de la Terreur, le triomphe sur la tyrannie symbolisé par l’exécution de l’homme qui fut l’un des parlementaires les plus influents de la Montagne et l’un des représentants du peuple les plus populaires : Maximilien Robespierre (1758-1794). Pourquoi consacrer un fort ouvrage – près de 600 pages – à un sujet sur lequel, a priori, tout a été dit ?

Le défi du « tout a été dit », C. Jones le relève deux fois : la première en renouvelant l’interprétation de cette « journée » par l’exploitation systématique de sources primaires ; la seconde en inventant un mode de récit qui permet à son lecteur de faire une expérience que l’on pensait inatteignable, soit celle de l’événement passé en temps réel, grâce au découpage heure par heure de la « journée ». Le lecteur se retrouve ainsi en position de redécouvrir l’imbroglio de ce moment au fur et à mesure de son déroulement, nonobstant la fin connue. Cette façon de retrouver l’indécidable et la confusion du présent sous la pierre du passé oblige le lecteur historien à se déprendre de ses certitudes pour se laisser guider « en étrange pays dans [son] pays lui-même » (Aragon).

Pour C. Jones, la journée du 9 thermidor tient en 24 heures, donc en 24 chapitres, et se rythme en quatre moments : de minuit à 5 heures du matin, éléments du complot ; de 5 heures à midi, le décor du drame ; de midi à 17 heures, le coup d’État parlementaire ; de 17 heures à minuit, une journée parisienne. Ce découpage chronologique a un mérite : montrer à quel point, quels qu’aient pu être les plans ourdis par les acteurs, c’est le hasard qui est le grand maître d’œuvre du 9 thermidor. Jusque vers 22 heures, rien n’est joué. À cette heure-là commencent à apparaître les premiers signes inquiétants de démobilisation, d’affaiblissement d’un soutien populaire qu’on pouvait croire acquis à Robespierre et ses amis, vu la popularité de ce dernierFootnote 113. En auscultant l’immobilité du peuple, son indifférence au sort de la faction robespierriste (une parmi d’autres), C. Jones apporte une interprétation neuve de l’événement.

Cette journée du 9 thermidor, le lecteur va la vivre en suivant les parcours d’individus connus ou non, mais qui tous ont réellement existé, et au sujet desquels l’auteur dispose d’informations prouvant qu’ils ou elles (les femmes sont ici moins actrices que les hommes) étaient présents à l’heure et au lieu dits. L’importance accordée aux lieux successifs de la « journée » (lieux privés, tel le logis de Robespierre ; lieux publics, tels la Convention, l’Hôtel de Ville, le Palais de justice, les rues de Paris, etc.) – attestée par la présence de nombreuses cartes – est ici fondamentale : l’acteur principal du 9 thermidor est une ville, Paris. Plus qu’une ville, il s’agit d’« un espace démocratique inclusif » dont la population aspire à représenter le peuple de France dans son entierFootnote 114. Un Paris bouleversé par l’an II ; un Paris qui n’est plus la capitale du luxe mais qui est devenu la capitale de la Révolution. Arsenal de la France pour la fabrication des armes et du salpêtre, Paris est la ville qui enrôle le plus de volontaires dans les armées de la République, celle qui abrite, dans ses prisons, le plus grand nombre de suspects (jusqu’à 8 000 personnes en thermidor, dont les trois-quarts sont des Parisiens). Décisive dans le déroulement de la Révolution, le 9 thermidor est ainsi la plus parisienne des journées révolutionnaires.

Au vu de leur passion partagée pour Paris, on ne sera guère surpris que C. Jones s’inspire de l’auteur du Tableau de Paris (1781), le fondateur des Annales patriotiques et littéraires, le journaliste et député girondin Louis-Sébastien Mercier (1740-1814), qui, à l’époque de la Terreur, se morfond en prison. Reste que le premier a pris le second très au sérieux. C. Jones imagine à partir de Mercier une méthode pour l’histoire, celle qui consiste à voir les choses de près (up close), à scruter l’événement à la loupe. Les petits riens tout autant que les grandes décisions, dont l’histoire officielle conserve la trace, font l’histoire ici pensée au ras des contemporains, connus ou pas.

Le 9 thermidor est un jour comme les autres : Blaise Lafosse arrive tôt à la section de la Maison-Commune, à l’Hôtel de Ville, lieu de réunion du Conseil municipal de Paris, pour terminer la mise au net du compte rendu de la séance du 6 (24 juillet) et préparer la réunion fixée à 13 heures 30. L’entrée dans l’Histoire se mesure aux bousculements de l’ordinaire : le 9 thermidor est veille de « décadi », le jour chômé de la semaine révolutionnaire. Fouquier-Tinville a prévu, une fois n’est pas coutume, de se reposer et d’aller dîner chez le citoyen Vergne, un ami qui vit sur l’île de la Cité. Ses plans vont être contrariés par la générale qui sonne dans Paris, un bruit qui n’annonce rien de bon, mais quoi ? Il l’ignore, ce qui l’incite à rejoindre son lieu de travail : le tribunal révolutionnaire. Deux cents courtes narrations déroulent ainsi le chapelet d’une micro-chronologie qui égrène heure par heure, voire par demi-heure, les 24 heures de cette journée particulière, avec l’ambition, non pas de tout dire, mais de plonger le lecteur dans l’événement comme Fabrice à Waterloo : « Ah ! m’y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J’ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire […] il voyait la fumée blanche de la batterie à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges beaucoup plus voisines ; il n’y comprenait rien du toutFootnote 115. »

Contrairement à celles de Stendhal, les micro-narrations de C. Jones sont véridiques. Le lecteur est ainsi invité à entrer dans l’atelier de l’historien pour se voir fortement démontré que l’histoire n’est ni un « roman vraiFootnote 116 » ni une littérature contemporaineFootnote 117, mais une forme de récit réagençant des informations vérifiées et soumises, de ce fait, à l’impératif d’un vraisemblable attesté par un régime de preuveFootnote 118. Ce que donne à lire C. Jones est donc le récit vraisemblable-vrai de la journée du 9 thermidor.

Dès le 14 thermidor (1er août 1794), Paul Barras, le commandant de la force armée parisienne nommé par la Convention, exige des 48 sections de Paris qu’elles l’informent de tout ce qui a trait à la journée, des ordres reçus (et à quelle heure), des ordres donnés (et à quel moment), sans négliger aucun fait, même mineur. En quelques jours, 150 rapports sont rédigés et transmis. Cette source « à chaud », C. Jones la complète par le Répertoire du personnel sectionnaire parisien en l’an II de Raymonde Monnier et Albert Souboul (1985) et par la consultation de centaines de dossiers de police individuels (série F7 des Archives nationales) concernant les sans-culottes mêlés à l’événement, foule de quasi-anonymes dont le surgissement décentre la narration des faits et gestes des acteurs traditionnels. Comme dans Exercices de style (1947) de Raymond Queneau, auxquels C. Jones fait explicitement référence, ces témoignages tirés des dossiers de police permettent de raconter une même histoire mais en adoptant différents points de vue, la diversité sociale des acteurs se substituant ici à la virtuosité rhétorique oulipienne. Si l’on ajoute les Mémoires ainsi que les travaux universitaires mentionnés, et parfois commentés, dans la bibliographie, on mesure l’ampleur de la documentation historique mobilisée.

Au lieu de citer ces sources primaires et secondaires de façon classique, en multipliant les appels de notes, C. Jones invente un dispositif original qui eût, à n’en pas douter, réjouit le Georges Perec de Penser/Classer (1985) : la note feuilletée. Plutôt que de lier un nom ou une information à une source et de poser une note pour indiquer la provenance, C. Jones sélectionne et place en fin de volume les mots, les expressions, les bouts de phrase utilisés dans sa trame narrative. De sorte qu’on pourrait imaginer le lecteur invité à relire l’ouvrage qu’il vient de terminer, en le commençant cette fois par la fin, par la lecture d’un appareil de notes structuré autour de fragments de phrases qui, mis bout à bout, font entendre le bruit de l’événement. Cette découpe historico-littéraire dissipe définitivement une thèse : celle du complot ourdi par les anti-robespierristes qui auraient mûri leur passage à l’acte ce jour-là et programmé la fin du « système de la Terreur ». C’est bien davantage la spontanéité et l’improvisation qui, le 9 thermidor, sont à l’ordre du jour – Tallien excepté qui, jouant à la fois sa vie et celle de sa maîtresse, Thérésia Cabarrus, entame, à partir de minuit, une série de visites chez les députés du centre et de la droite pour s’assurer de relais au sein de la Convention.

S’il n’est pas la résultante d’un complot, le 9 thermidor n’est pas non plus une révolution dans la Révolution, le début d’un mouvement arrière ambitionnant de détruire les institutions et les grandes orientations politiques de l’an II. C’est une « journée » qui renverse un homme, et non pas un régime : il n’est alors mis fin ni au gouvernement révolutionnaire ni à la Terreur – mot que C. Jones, comme dit précédemment, emploie peu ou pas. Mais, et c’est là l’inédit, l’historien démontre que le 9 thermidor est une victoire qui appartient tout autant au peuple qu’au législateur révolutionnaire, au peuple de Paris qu’aux représentants de la Convention : c’est une « co-production »Footnote 119. La « journée » se distingue par sa non-violence et le respect du droit que manifeste un peuple sectionnaire (40 % de la population parisienne) qui n’est ni passif ni désintéressé de la chose publique, mais adhère à l’ordre républicain : « La tendance d’un grand nombre d’historiens à considérer cette [journée] comme celle où les Parisiens ont fait preuve d’indifférence politique est tout à fait erronée », écrit C. JonesFootnote 120. L’apathie n’est pas l’émotion clef, celle qui dominerait alors le peuple de Paris. Quand le peuple ne provoque pas le sang ou les massacres, il ne dirait ni ne ferait rien ? Dans Non-violence and the French Revolution (2015)Footnote 121, Micah Alpaugh a montré que 93 % des protestations populaires révolutionnaires étaient non pas pacifiques mais « non-violentes », qu’elles mobilisaient une violence symbolique sans passage à l’acte. Pas une seule victime n’est ainsi dénombrée entre le 31 mai et le 2 juin 1793, période qui vit l’expulsion des Girondins de la Convention et leur placement en résidence surveillée à leurs domiciles parisiensFootnote 122.

À partir du moment où Robespierre et les robespierristes font l’objet d’un décret de mise hors de la loi à la Convention le 8 thermidor, le peuple de Paris ne se soulève pas parce qu’il reste fidèle à la Convention. Le peuple ne s’oppose pas à l’exécution de la loi, dût-elle entraîner celle de Robespierre et des membres de ce qui n’est plus qu’une « faction » agissant au nom d’intérêts particuliers. Ce qu’il y a d’assez extraordinaire (ou de peu banal) est que Robespierre, de son côté, va aider le peuple à respecter le droit et la loi, puisqu’il interrompra sa signature au bas de l’appel à l’insurrection adressé à la section des Piques. S’il y a une grandeur de Robespierre, elle est là, dans cette signature interrompue qui marque à la fois le refus de la guerre civile et le sacrifice de sa vie au règne de la loi et au régime parlementaire inventé par la Convention. Le 9 thermidor ou la victoire du droit révolutionnaire dans la République ? Victoire fragile, puisque, sitôt acquise, elle est emportée par la vengeance et par l’élimination, les 10, 11 et 12 thermidor, de 108 individus, les députés robespierristes et les représentants de la Commune de Paris. Jamais, sauf aux pires heures de la guerre de Vendée, la mise hors de la loi n’a été appliquée à une telle échelle, sur un temps si bref. Jamais, non plus, dans aucune partie du territoire de la République, une mise hors de la loi aussi radicale dans sa procédure n’a été exécutée : l’initiative en revient à Fouquier-Tinville.

Ultime singularité du 9 thermidor, celle d’être une « journée » dont le sens politique, brouillé sur le moment, est à venir. La narration de l’événement ne sera stabilisée qu’en l’an III sous la réaction thermidorienne. « Cela prit un certain temps, écrit C. Jones, mais le 9 thermidor a enclenché un processus dans lequel le peuple était frappé d’indignité et les radicaux parisiens réduits au silence. L’idée que le peuple de Paris ait pu jouer un rôle clef dans la chute de Robespierre devenait, dans ce contexte, inacceptable, voire invraisemblable. Le glissement vers la droite transformait le sens de la journée au détriment du peuple. Dans un double paradoxe, les principaux Montagnards qui avaient organisé la chute de Robespierre au sein de la Convention, et le peuple de Paris qui l’avait entérinée dans la rue, étaient tous deux considérés comme les complices d’un personnage de plus en plus décriéFootnote 123. »

Le 9 thermidor, la Convention découvre à quel point elle hait Robespierre. Les inimitiés que lui vouent certains membres des Comités de salut public et de sûreté générale (la majorité d’entre eux, en fait) sont, en revanche, connues. Les 4 et 5 thermidor (22-23 juillet), pourtant, une « trêve » avait été conclue. Avant d’être des individus qui se détestent, les membres des comités sont des hommes d’État : la France est en guerre et, du maintien du gouvernement révolutionnaire, des Douze puis des Onze qui gouvernent, dépend le sort de la République. Une étincelle va mettre le feu aux poudres. C’est Saint-Just qui la provoque. Alors que le 9 thermidor, à 4 heures du matin, il s’était engagé à venir lire, à 11 heures, son Rapport sur les institutions républicaines devant les membres des deux comités, il ne vient pas. Lorsque Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et Vadier arrivent, vers midi, à la Convention, Saint-Just occupe la tribune. Aucun compromis n’est plus envisageable. La « trêve » vole en éclat. Les anciens robespierristes rejoignent les rangs des anti-robespierristes. À 14 heures, la Convention vote le décret de mise en état d’arrestation de Robespierre.

L’an III ne gratifiera ni Billaud-Varenne, ni Collot d’Herbois, ni Barère, ni Vadier d’avoir fait chuter le « tyran » Robespierre. Ces hommes qui furent les thermidoriens les plus décisifs (Tallien, corrompu, ne jouissait ni de leur réputation ni de leur pouvoir d’influence) seront assimilés à la « queue de Robespierre », donc à des « terroristes », alors qu’ils aspiraient à conserver les intentions initiales du gouvernement révolutionnaireFootnote 124, et non à installer la République dans l’état d’exception permanent voulu par Saint-Just, Robespierre et Georges Couthon. En quoi, ils ne pouvaient donc être assimilés ni aux robespierristes ni aux anti-robespierristes qui, en renversant un homme, souhaitaient mettre fin au régime du gouvernement révolutionnaire. Ce tour de passe-passe qui voit le discours de Tallien supplanter le discours autrement décisif de Barère aura des conséquences à court et à long terme dans l’histoire politique de la République. La principale est l’effacement, sitôt né, du courant des thermidoriens de gauche au profit exclusif des thermidoriens de droite, en réalité des seuls « thermidoriens » reconnus par l’historiographie. De ce holdup mémoriel, la gauche de gouvernement s’est-elle jamais tout à fait remise ? La déconstruction de la narration politiquement orientée de l’an III que propose C. Jones rétablit l’importance historique des thermidoriens de gauche (Barère), sans l’aide active desquels les anti-robespierristes de la droite de la Convention emmenés par Tallien, 40 ou 50 députés sur 749, n’avaient aucune chance de l’emporter.

En s’échappant de la Convention et des théâtres convenus de l’action politique (la Commune de Paris, la société des Jacobins) pour aller vagabonder dans les rues de Paris, C. Jones invite aussi à se libérer de la narration exclusivement parlementaire de la « journée » et réinstitutionnalise le rôle du peuple dans l’histoire de la Première République. C’est bien davantage dans l’abstention volontaire par adhésion à l’ordre public républicain (et non par indifférence ou apathie) que le peuple a choisi de ne pas suivre Robespierre et les robespierristes : « Les institutions républicaines doivent toujours primer sur les individusFootnote 125. » Telle pourrait être la morale de l’émotion populaire qui a dominé la journée du 9 thermidor vue par l’historien britannique.

Les émotions et après : que faire de la Terreur ?

Les émotions ont la vie dure (et longue), comme le montre Ronen Steinberg dans The Afterlives of the Terror (2019). Exhumant les cinq piliers de la mémoire active et passionnelle de la Terreur (Nomenclature, Responsabilité, Réparation, Souvenir, Passé qui ne passe pas), l’auteur s’attache à montrer comment penser cette période à l’origine de concepts neufs en droit international.

La question qui le retient n’est pas celle posée par B. Baczko dans un livre devenu un classique, Comment sortir de la Terreur (1989)Footnote 126, mais combien il est nécessaire de comprendre qu’il n’y a pas de « sortie » possible de la Terreur. La porte est, pour le coup, verrouillée à double tour, puisque liquider la Terreur, dont on dénonce les errements et la violence, c’est renoncer à la République (ce que les thermidoriens de droite comme de gauche n’envisagent pas). Il va donc falloir composer, « faire avec » la Terreur et inventer, pour la penser, un nouveau rapport au passé qui s’exprime sur le mode de l’indignation et débouche sur la construction de la Terreur comme « passé difficile » – statut qui est immédiatement ou presque, dans la mémoire collective, celui de la Terreur.

La polarisation autour de la figure de Robespierre, la désignation sauvage des adversaires et des ennemis politiques labellisés « terroristes » pour les disqualifier font obstacle à l’abandon consensuel de la Terreur et au voile d’ignorance que Robert Lindet, dans son discours du 20 septembre 1794 (5e jour complémentaire de l’an II), invitait à jeter. Nulle possibilité d’un débat « impassionné » et équitable sur la Terreur entre ceux qui en furent les architectes (les membres des Comités de salut public et de sûreté générale) et ceux qui en furent les soutiers (les députés de la Convention qui ont voté les lois, y compris les plus « terribles » ; les représentants du peuple en mission qui ont explicitement revendiqué « la terreur mise à l’ordre du jour » – Joseph Le Bon, en particulier, dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais – pour imposer localement des formes de justice expéditives et dérogatoires aux principes du droit pénal libéral formulés en 1791Footnote 127). Tout à leur quête d’une interprétation acceptable, à défaut d’être consensuelle, de la Terreur, les thermidoriens ont érigé le 9 thermidor et la chute de Robespierre en digue entre un « avant » (sanguinaire) et un « à venir » pacifié de la Révolution, laissant cette période derrière elle mais conservant la République. Ce faisant, ils n’ont pas seulement appliqué une stratégie du « containment », exclusivement fondée sur la volonté de se dédouaner, mais ont aussi formulé positivement une question très moderne : « Que faire des passés difficilesFootnote 128 » ? Ces « passés difficiles », c’est la « justice transitionnelle » qui les prend aujourd’hui en charge. Reste que si cette forme de justice n’est apparue en droit international qu’en 2004, elle n’en est pas moins une invention de l’an III dans sa forme moderneFootnote 129, voire de l’Athènes classiqueFootnote 130.

Qui se souvient aujourd’hui de Joseph Le BonFootnote 131 ? J.-P. Sartre avait songé, dans les années 1950, à lui consacrer un scénario de film dont des fragments ont été publiés dans la revue Les Temps modernes. Il ressort, même brièvement esquissé, de ce prêtre défroqué un portait autrement plus complexe que celui du « terroriste impénitent » forgé au xixe siècleFootnote 132. Un Le Bon amoureux, déchiré par des injonctions contradictoires, soucieux du bien public, bref, en proie à des émotions qui ne sont pas réductibles au « monstre pétri de crimes, enivré de sang » que dénonceront ses adversaires en l’an III ; un portrait beaucoup plus proche de celui que permet de dessiner la série F7 des Archives nationales où figure une série de « lettres justificatives » que R. Steinberg a lues. À partir de cette source, ce dernier évoque Le Bon, en effet, mais pose à travers lui la question plus générale (et centrale) de la responsabilité sous la Terreur. Responsabilité : un de ces mots « que la Révolution a ajoutés à la langue, et non un des moindres. On n’en pourrait pas citer beaucoup qui, comme celui-là, sont entrés triomphalement de la politique dans le Droit », écrivait déjà Ferdinand BrunotFootnote 133.

Contrairement au français, la langue anglaise dispose de deux mots, « responsability » et « accountability », pour dire des choses proches et cependant différentes : la responsability relève du juridique quand l’accountability est un concept moral et politique, qui trouverait en français son expression dans la « reddition de compte » mentionnée à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et 1793Footnote 134. En tant que représentant en mission, donc fonctionnaire, Le Bon devait être soumis à une « reddition de compte », mais devait-il être tenu pour « responsable » de la répression pénale extraordinaire (et extraordinairement sévère) exercée sous son autorité dans un département frontière envahi par les armées étrangères : plus de 500 personnes guillotinées entre décembre 1793 et juillet 1794 entre Arras et Cambrai (dont 70 femmes)Footnote 135 ? En organisant le procès de Le Bon, et son exécution le 24 vendémiaire an IV (16 octobre 1795), les thermidoriens ont tranché. Ils ont cumulé, en quelque sorte, les sens français et anglais, forgé un concept de « responsabilité » des gouvernants très étendu, sans équivalent ailleursFootnote 136, que les représentants en mission Le Bon, mais aussi Jean-Baptiste Carrier paieront de leur vie en l’an III.

La mort sous la Révolution ne se limite pas à la privation de la vie. Elle se décline aussi en mort civique (la privation de l’exercice de certains droits emportée par la destitution de fonctions publiques) et en mort civile (la déchéance des droits civils entraînant la confiscation des biens). La Terreur a, en réalité, davantage condamné à une mort symbolique ses ennemis, en les décrétant « mort civilement », qu’elle ne les a envoyés à l’échafaud. La peine de la confiscation générale des biens – qui, dérogeant à la fois à la limitation de la peine dans le temps et au principe de personnalité des peines, avait été abrogée en janvier 1791 – a été rétablie en 1793 et appliquée aux émigrés, aux prêtres déportés ainsi qu’aux condamnés à mort des tribunaux révolutionnaires. Elle a frappé les suspects lors des décrets de ventôse (mars-avril 1794) présentés par Saint-Just. Si la Terreur a confisqué sur une échelle (et avec une efficacité jusqu’alors inégalée) les biens des ennemis politiques de la Révolution afin de les redistribuer aux pauvres et aux indigents, l’an III a aussi inauguré la première politique de restitution. Partielle, inégale, discriminatoire, largement liée à la réintégration des Girondins à la Convention en brumaire an III (octobre 1794)Footnote 137, cette politique de restitution, qui va occuper la Convention entre décembre 1794 et juin 1795 et que R. Steinberg étudie pour la première fois en tant que telle, ouvre dans la sphère publique un espace inconnu, un espace institutionnel d’expression des victimes collectives, démocratisant ce qui, sous l’Ancien Régime, relevait de la grâce royale, donc d’un traitement personnel privilégié.

À travers la restitution des biens, explique R. Steinberg, se manifeste l’aspiration au renouveau moral d’une société désireuse de réparer les injustices commisesFootnote 138. L’an III a une ambition, au moins lors de l’hiver 1794-1795 : « Mettre la justice à l’ordre de tous les jours », comme l’affirme Claude-Emmanuel Dobsen, le nouveau président du tribunal révolutionnaire qui s’apprête à juger Fouquier-Tinville : à ce nouveau performatif, on doit, après tout, un taux inédit d’acquittement (85 %) et une jurisprudence à l’origine du principe de l’opportunité des poursuitesFootnote 139.

« Il n’y a que les morts qui ne reviennent pas », la phrase attribuée (et reprochée) à Barère, hante la politique de commémoration, à laquelle R. Steinberg consacre des pages éclairantes, attestant la présence clivante des morts dans la société française de l’an III. On peut encore aujourd’hui visiter le « cimetière des suppliciés » de PicpusFootnote 140, cimetière privé, dont, dès 1808, l’ancien représentant en mission, Joseph Fouché, ministre de la Police en exercice, eût bien voulu interrompre l’activité pour éviter le spectre d’un séparatisme des mémoires et l’opposition éternelle entre descendants, des acteurs et des victimes, de l’an II. Las, Joséphine de Beauharnais, femme de Napoléon Ier depuis 1796, dont le premier mari, le général Alexandre de Beauharnais, fut condamné à mort sous la Terreur et enterré à Picpus, s’y opposa… Plutôt que de ranger la Terreur dans la catégorie anhistorique du trauma, R. Steinberg préfère considérer que la structure embryonnaire des émotions, dont la conscience n’est pas toujours clairement formulée, permet le surgissement d’une expérience sociale partagée : celle du présent du passéFootnote 141.

Vingt ans après, entre la Terreur que décrivait ici même A. de Baecque en 2002, quels changements ? D’abord, le fait que la Terreur d’aujourd’hui parle mieux l’anglais que son aînée, dans la mesure où elle partage avec le monde anglophone, davantage que des références bibliographiques, une même analyse « émotive » où les individus ont conquis toute leur place, au détriment, peut-être, de celle des foules, mais aussi des lois. « Les lois instaurant la Terreur, signalait pourtant A. de Baecque, ont [une] fonction émotionnelle : elles effrayent, elles galvanisent, s’appropriant une fonction affective. La loi est une émotion en politique, une manière de répondre et de canaliser la revendication de Terreur formulée par les délégations populaires à l’été et l’automne 1793 : la Convention semble traduire en lois les émotions du peupleFootnote 142. » Et de poursuivre : « La Terreur n’est pas qu’un rêve de gouvernement des émotions de l’homme nouveau, elle est elle-même une politique gouvernée par les émotions, parfois submergée par ellesFootnote 143. »

Si les foules et les lois sont actuellement les négligées de l’approche de la Terreur par les émotions, la grande perdante n’est pas tant la théorie des circonstances d’inspiration marxiste, qui fut longtemps l’interprétation concurrente de celle de F. Furet dans le champ historiographique français, jusqu’au bicentenaire de 1989 du moinsFootnote 144, que la guerre. Or, comme le remarquait B. Baczko, sans les échecs militaires, la crise monétaire, le soulèvement de la Vendée, la nécessité de mobiliser toutes les ressources et de mettre sur pied une économie de guerre, la politique de la Terreur n’eût probablement pas été à l’ordre du jour de la République afin de mobiliser l’énergie des sans-culottes, des citoyens-soldats dans la défense de l’égalité, de la liberté et de la patrie en dangerFootnote 145. Une histoire de la Terreur, remettant non pas seulement la guerre comme « circonstance », mais l’état de guerre Footnote 146, avec ses implications juridiques, au centre de l’économie émotive de la Terreur est-elle vouée à rester lettre morte ?

Footnotes

*

Cette note s’intéresse aux ouvrages suivants : Michel Biard et Marisa Linton, Terror: The French Revolution and Its Demons, trad. par É. Trogrlic, Cambridge, Polity, [2020] 2021, 250 p. (édition originale : id., Terreur ! La Révolution française face à ses démons, préface de T. Tackett, Malakoff, Armand Colin, 2020, 304 p.) ; Colin Jones, The Fall of Robespierre: 24 Hours in Revolutionary Paris, Oxford, Oxford University Press, 2021, 592 p. ; Ronald Schechter, A Genealogy of Terror in Eighteenth-Century France, Chicago, The University of Chicago Press, 2018, 304 p. ; Ronen Steinberg, The Afterlives of the Terror: Facing the Legacies of Mass Violence in Postrevolutionary France, Ithaca, Cornell University Press, 2019, 240 p. ; et Timothy Tackett, Anatomie de la Terreur. Le processus révolutionnaire, 1787-1793, trad. par S. Chassagne, Paris, Éd. du Seuil, [2015] 2018, 474 p. (édition originale : id., The Coming of the Terror in the French Revolution, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2015, 480 p.). Les traductions des citations extraites des ouvrages en anglais non traduits sont miennes.

References

1 Michel Biard et al ., « Analyser ‘la Terreur’ dans l’historiographie anglophone », Annales historiques de la Révolution française, 392-2, 2018, p. 141-165.

2 Jean-Clément Martin, Les échos de la Terreur. Vérités d’un mensonge d’État, 1794-2001, Paris, Perrin, 2018. Voir, dans le présent numéro, le compte rendu de cet ouvrage par Howard G. Brown, p. XXX-XXX.

3 Emmanuel Faye, « Le paradigme arendtien du politique et de la révolution », in Y. Bosc et E. Faye (dir.), Hannah Arendt, la révolution et les Droits de l’Homme, Paris, Kimé, 2019, p. 15-34.

4 Hugh Gough, « Historians and the Terror », in The Terror in the French Revolution, Basingstoke/New York, Palgrave Macmillan, [1998] 2010, p. 1-13. L’auteur donne un panorama des différentes interprétations permettant d’en suivre les évolutions des années 1930 à nos jours.

5 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Paris, Armand Colin, [1949] 1974, p. 119.

6 M. Biard et M. Linton, Terror, op. cit., p. 3.

7 R. Schechter, A Genealogy of Terror…, op. cit., p. 6.

8 T. Tackett, Anatomie de la Terreur…, op. cit., p. 11.

9 Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, « Introduction générale », in A. Corbin, J.-J. Courtine et G. Vigarello (dir.), Histoire des émotions, vol. 1, De l’Antiquité aux Lumières, Paris, Éd. du Seuil, 2016, p. 5-11, ici p. 7.

10 Lucien Febvre, « Une gigantesque fausse nouvelle : la Grande Peur de juillet 89 » [1933], in Pour une histoire à part entière, Paris, SEVPEN, 1962, p. 820-828, ici p. 820-821 et 828. Voir aussi Pierre Trahard, La sensibilité révolutionnaire (1789-1794), Paris, Boivin, 1936, référence citée par M. Linton dans M. Biard et al., « Analyser ‘la Terreur’ dans l’historiographie anglophone », art. cit., p. 157.

11 Lucien Febvre, « La Sensibilité et l’Histoire. Comment reconstituer la vie affective d’autrefois ? », Annales d’histoire sociale, 3-1/2, 1941, p. 5-20, ici p. 5.

12 Ibid., p. 6.

13 Ibid., p. 7.

14 Ibid., p. 8.

15 Ibid., p. 18 (l’auteur souligne).

16 L. Febvre, « Une gigantesque fausse nouvelle », art. cit., p. 820.

17 Id., « Histoire des sentiments », Annales ESC, 6-4, 1951, p. 520-523, ici p. 520. L’article que L. Febvre commente est celui de René Baehrel, « Épidémie et Terreur : histoire et sociologie », Annales historiques de la Révolution française, 122, 1951, p. 113-146.

18 L. Febvre, « Histoire des sentiments. La Terreur », art. cit., p. 831.

19 Id., « Pour l’histoire d’un sentiment : le besoin de sécurité », Annales ESC, 11-2, 1956, p. 244-247, ici p. 247.

20 « Toutefois, entre l’history of emotions anglo-saxonne et l’histoire des sensibilités à la française […], les questionnaires sont souvent distincts, les désaccords parfois profonds ou signalés par de simples différences d’accent », écrit Hervé Mazurel dans « Introduction », in A. Corbin et H. Mazurel (dir.), Histoire des sensibilités, Paris, PUF, 2022, p. 5-25, ici p. 16. La différence résiderait dans « les modes de présence à l’événement et au politique », l’émotion étant brève et collective quand le sentiment serait plus individuel, « enraciné dans la durée et plus accessible aussi au discours » (p. 19). Mais ce qui semble être essentiellement reproché à l’émotion est d’être une notion importée des neurosciences : « Cette notion d’émotions universelles, câblées dans notre cerveau et gouvernées par notre génétique, ne peut convenir aux historiens du sensible, dès lors qu’elle évacue la possibilité même d’une historicité des affects » (Quentin Deluermoz, Thomas Dodman et Hervé Mazurel, « Controverses sur l’émotion. Neurosciences affectives et histoire des émotions », in A. Corbin et H. Mazurel (dir.), Histoire des sensibilités, op. cit., p. 95-109, ici p. 97).

21 Lucien Febvre, « La sensibilité dans l’histoire : les courants ‘collectifs’ de pensée et d’action » [1938], in Centre international de synthèse, La sensibilité dans l’homme et dans la nature, Paris, PUF, 1943, p. 77-100, ici p. 98.

22 Barbara Rosenwein, « Worrying about Emotions in History », The American Historical Review, 107-3, 2002, p. 821-845, ici p. 823.

23 Ibid., p. 834.

24 William Reddy, La traversée des sentiments. Un cadre pour l’histoire des émotions, 1700-1850, trad. par S. Renaut, Dijon, Les Presses du réel, [2001] 2019.

25 Id., « Le rôle du sentimentalisme dans la Révolution française (1789-1815) », in La traversée des sentiments, op. cit., p. 224-264.

26 Id., « Les émotifs : actes de parole dans le contexte de la traduction », in La traversée des sentiments, op. cit., p. 130-149.

27 Id., La traversée des sentiments, op. cit., p. 192. Voir aussi le destin fictif d’un petit noble de province, Grégoire Ponceludon de Malavoy, à la cour de Louis XVI et les humiliations qu’il essuie dans le film de Patrice Leconte, Ridicule (1996).

28 Cité par W. Reddy dans La traversée des sentiments, op. cit., p. 207.

29 Ibid., p. 231.

30 Ibid., p. 232.

31 Jeff Horn, The Making of a Terrorist: Alexandre Rousselin and the French Revolution, Oxford, Oxford University Press, 2021, p. 50. Voir, dans le présent numéro, le compte rendu de cet ouvrage par Yannick Bosc, p. XXX-XXX.

32 W. Reddy, La traversée des sentiments, op. cit., p. 249.

33 Ibid., p. 251.

34 Ibid., p. 233.

35 Sophie Wahnich, « De l’économie émotive de la Terreur », Annales HSS, 57-4, 2002, p. 889-913, ici p. 896 et 906 et ead., La liberté ou la mort. Essai sur la Terreur et le terrorisme, Paris, La Fabrique, 2003, p. 25.

36 B. Rosenwein reproche à W. Reddy de n’admettre qu’un seul et unique régime émotionnel dans « The Navigation of Feeling: A Framework for the History of Emotions », The American Historical Review, 107-4, 2002, p. 1181-1182. Elle insiste sur la nécessité de prendre en considération non seulement les emotives verbaux, mais également le langage corporel ; de s’intéresser à la dimension genrée des emotives ; enfin, de les appréhender au niveau de ce qu’elle dénomme des « communautés émotionnelles » qui sont autant de communautés sociales régies par des systèmes de normes qui coexistent dans une société donnée (familles, voisinage, guildes, monastères, par exemple, au Moyen Âge). Les acteurs peuvent appartenir exclusivement ou simultanément à ces « communautés émotionnelles », selon Jan Plamper dans « The History of Emotions: An Interview with William Reddy, Barbara Rosenwein, and Peter Stearns », History and Theory, 49-2, 2010, p. 237-265, ici p. 241 et 252-253.

37 François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, [1978] 1985, p. 52. Voir aussi Suzanne Desan, « What’s after Political Culture? Recent French Revolutionary Historiography », French Historical Studies, 23-1, 2000, p. 166-168.

38 Id., « Révolution », in F. Furet et M. Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française, t. 4, Idées, Paris, Flammarion, [1992] 2007, p. 415-435, ici p. 428 (l’auteur souligne).

39 Les bornes chronologiques de la Terreur s’étendent de 1792 (l’entrée en guerre en avril, la chute de la monarchie en août), pour le début, ou mars 1793 (la création du tribunal révolutionnaire, l’envoi massif des représentants en mission dans les départements), ou encore septembre 1793 (mise à l’ordre du jour de la Terreur, loi des suspects), à juillet 1794 (le 9 thermidor et la chute des robespierristes).

40 François Furet, « Terreur », in F. Furet et M. Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française, t. 1, Événements, op. cit., p. 293-314, ici p. 312.

41 M. Biard et M. Linton, Terror, op. cit., p. 83.

42 Florence Lotterie, « Introduction » et « Le règne des âmes sensibles », in Littérature et sensibilité, Paris, Ellipses, 1998, respectivement p. 4 et 79-88.

43 Lynn Hunt, « Des torrents de pathétique. Lire des romans et imaginer l’égalité », in L’invention des droits de l’homme. Histoire, psychologie et politique, trad. par S. Kleiman-Lafon, Genève, Éditions Markus Haller, [2007] 2013, p. 43-83.

44 M. Biard et M. Linton, Terror, op. cit., p. 2.

45 Ibid., p. 3.

46 Ibid., p. 5.

47 Ibid., p. 24.

48 Jean-Clément Martin, La terreur. Vérités et légendes, Paris, Perrin, 2017, p. 10 et id., « Quand la Terreur était exigée », in Les échos de la Terreur, op. cit., p. 58-67. Voir aussi id., « La ‘Terreur’, un leurre historique ? », in M. Goupy et Y. Rivière (dir.), De la dictature à l’état d’exception. Approche historique et philosophique, Rome, Publications de l’École française de Rome, 2022, p. 73-83, ici p. 74.

49 Cité dans Jacques Guilhaumou, « ‘La terreur à l’ordre du jour’ : un parcours en révolution (1793-1794) », Révolution Française.net, Mots, 2007, http://revolution-francaise.net/2007/01/06/94-la-terreur-a-lordre-du-jour-un-parcours-en-revolution-juillet-1793-mars-1794.

50 Anne Simonin, « Nommer la Terreur », in Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité, 1791-1958, Paris, Grasset, 2008, p. 284-295.

51 J.-C. Martin, La terreur, op. cit., p. 10. Voir aussi id., Les échos de la Terreur, op. cit. et le compte rendu de H. G. Brown de cet ouvrage dans le présent numéro, p. XXX-XXX.

52 Id., « La terreur, ou comment écrire l’histoire », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 67-2, 2020, p. 135-154, ici p. 140.

53 Bronisław Baczko, « The Terror before the Terror? Conditions of Possibility, Logic of Realization », in K. Baker et al. (dir.), The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture, vol. 4, The Terror, Oxford, Pergamon Press, 1994, p. 19-38, ici p. 23. Voir aussi David Andress, « Terror against Terror », in The Terror: The Merciless War for Freedom in Revolutionary France, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2006, p. 345-371.

54 Intervention de Barère lors de la séance du 14 thermidor an II (1er août 1794), in Archives parlementaires de la Révolution française (ci-après Archives parlementaires), Première série, t. XCIV, 1985, www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1985_num_94_1_22516_t1_0030_0000_6, p. 30-34, ici p. 30.

55 Intervention de Tallien à la Convention le 11 fructidor an II (28 août 1794), in Archives parlementaires, Première série, t. XCVI, 1990, www.persee.fr/doc/arcpa_0000-0000_1990_num_96_1_15111_t1_0055_0000_4, p. 55-59, ici p. 57 : « Le système de la terreur suppose non seulement […] le pouvoir arbitraire et absolu, mais encore un pouvoir sans fin […] » (c’est l’auteur qui souligne). Et aussi, p. 58 : « Citoyens, tout ce que vous venez d’entendre n’est qu’un commentaire de ce que Barère a dit à cette tribune du système de la terreur, le lendemain de la mort de Robespierre. »

56 L’expression « système de terreur » est, en réalité, empruntée à Robespierre quand il dénonçait, en juin 1794, la cabale contre lui au nom de prétendues listes d’arrestation de députés qu’il aurait établies. Voir Annie Jourdan, « L’épuisement de Robespierre », La Vie des idées, 23 juill. 2012, https://laviedesidees.fr/L-epuisement-de-Robespierre.html.

57 J.-C. Martin, Les échos de la Terreur, op. cit., p. 101.

58 Voir aussi Gerd van den Heuvel, « Terreur, Terroriste, Terrorisme », in R. Reichardt et al. (dir.), Handbuch politisch-sozialer Grundbegriffe in Frankreich, 1680-1820, vol. 3, Munich, R. Oldenbourg, 1985, p. 89-133, dont Jacques Guilhaumou signale une version abrégée en français parue dans les Actes du 2 e colloque de lexicologie politique, vol. 3, Paris, Kincksieck, 1982, p. 893-915. Voir aussi Richard Walter, « Terror, Terrorismus », in O. Brunner, W. Conze et R. Koselleck (dir.), Geschichtliche Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, vol. 6, St-Vert, Stuttgart, Klett-Cotta, 1990, p. 323-379.

59 G. van den Heuvel, « Terreur, Terroriste, Terrorisme », art. cit., p. 895.

60 R. Schechter, A Genealogy of Terror…, op. cit., p. 5.

61 Ibid., p. 167-169.

62 Ibid., p. x.

63 Maximilien de Robespierre, Convention nationale. Rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l’administration intérieure de la République, fait au nom du Comité de salut public, le 18 pluviôse, l’an II de la République, in Œuvres de Maximilien Robespierre. 10. Discours, 5 e partie, 27 juillet 1793-27 juillet 1794, éd. par M. Bouloiseau et A. Soboul, Paris, PUF, 1967, p. 350-366, ici p. 357.

64 Corinne Gomez-Le Chevanton et Françoise Brunel, « La Convention nationale au miroir des Archives Parlementaires », Annales historiques de la Révolution française, 381, 2015, p. 11-29. Le tome CIII des Archives parlementaires, du 13 au 27 frimaire an III (3 au 17 décembre 1794) vient de paraître, sous la direction de Bettina Frederking et Pierre Serna, aux éditions du CNRS.

65 R. Schechter, A Genealogy of Terror…, op. cit., p. 4.

66 F. Furet, « Terreur », art. cit., p. 314.

67 R. Schechter, A Genealogy of Terror…, op. cit., p. 187.

68 Ibid., p. 169.

69 Ibid., p. 174. Voir Pierre Serna, Comme des bêtes. Histoire politique de l’animal en Révolution (1750-1840), Paris, Fayard, 2017.

70 Marisa Linton, Choosing Terror: Virtue, Friendship, and Authenticity in the French Revolution, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 230.

71 M. Biard et M. Linton, Terror, op. cit., p. 81-90.

72 Annie Jourdan, « Les discours de la terreur à l’époque révolutionnaire (1776-1798). Étude comparative d’une notion ambiguë », French Historical Studies, 3-1, 2013, p. 51-81, ici p. 53.

73 W. Reddy, La traversée des sentiments, op. cit. ; Sophie Wahnich, In Defence of the Terror: Liberty or Death in the French Revolution, préface de S. Žižek, trad. par D. Fernbach, Brooklyn, Verso Books, 2012.

74 Jack R. Censer, « Historians Revisit the Terror—Again », Journal of Social History, 48-2, 2014, p. 383-403, ici p. 387-388.

75 Timothy Tackett, « The Constituent Assembly and the Terror », in K. Baker et al. (dir.), The French Revolution…, op. cit., p. 39-57. Les quatre volumes qui composent le titre d’ensemble sont le résultat d’une série de conférences qui eurent lieu à Chicago (1986), Oxford (1987), Paris (1988) et Stanford (1992). Leur modeste forme imprimée ne traduit pas leur influence décisive sur l’historiographie grâce, en particulier, au dialogue instauré entre les tenants du paradigme des « circonstances » et ceux de « l’idéologie ».

76 Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, trad. par A. Spiess, Paris, Albin Michel, [1996] 1997.

77 Marisa Linton, « Introduction », in M. Linton (dir.), « Rethinking the French Revolutionary Terror », H-France Salon, 11-16, 2019, p. 2, https://h-france.net/h-france-salon-volume-11-2019/.

78 T. Tackett, Par la volonté du peuple, op. cit., p. 11.

79 Ibid., p. 15.

80 Francesco Benigno, « Plus jamais la même. À propos de quelques interprétations récentes de la Révolution française », Annales HSS, 71-2, 2016, p. 319-346, ici p. 323.

81 Devenu, dans sa traduction française parue à l’occasion du Bicentenaire de 1989, Le gouvernement de la Terreur. L’année du Comité de salut public, trad. par M.-H. Dumas, Paris, Armand Colin, 1989.

82 M. Linton, Choosing Terror, op. cit., p. 22.

83 Ibid., p. 206.

84 Ibid., p. 213-214 et 223.

85 Ibid., p. 219.

86 Ibid., p. 232.

87 Ibid., p. 246 et 288.

88 Ibid., p. 271.

89 Rosalie Jullien, « Les affaires d’État sont mes affaires de cœur ». Lettres de Rosalie Jullien, une femme dans la Révolution, 1775-1810, éd. par A. Duprat, Paris, Belin, 2016.

90 Carla Hesse, « La preuve par la lettre. Pratiques juridiques au tribunal révolutionnaire de Paris (1793-1794) », Annales HSS, 51-3, 1996, p. 629-642.

91 T. Tackett, Par la volonté du peuple, op. cit., p. 20 et 437-464.

92 Jean-Paul Sartre, « Paris sous l’Occupation », in Situations II, Paris, Gallimard, [1949] 2012, p. 19-39, ici p. 21.

93 R. Jullien, « Les affaires d’État sont mes affaires de cœur », op. cit., p. 231.

94 Ibid., p. 200-201.

95 M. Biard et M. Linton, Terror, op. cit., p. 115-142.

96 Voir aussi Mette Harder, « ‘Elle n’a pas même épargné ses membres !’ Les épurations de la Convention nationale entre 1793 et 1795 », Annales historiques de la Révolution française, 381, 2015, p. 77-105 et ead., « Second Terror: The Purges of French Revolutionary Legislators after Thermidor », French Historical Studies, 38-1, 2015, p. 33-60.

97 Michel Biard, La liberté ou la mort. Mourir en député, 1792-1795, Paris, Tallandier, 2015, p. 317-319.

98 M. Biard et M. Linton, « Who Lived and Who Died? The Difficult Balance Sheets of Terror », in Terror, op. cit., p. 136-156.

99 Donald M. Greer, The Incidence of the Terror during the French Revolution: A Statistical Interpretation, Cambridge, Harvard University Press, 1935.

100 Éric de Mari, La mise hors de la loi sous la Révolution française, 19 mars 1793-an III. Une étude juridictionnelle et institutionnelle, Issy-les-Moulineaux, LGDJ/Lextenso éditions, 2015, p. 541. Voir le compte rendu de cet ouvrage par Anne Simonin dans Annales HSS, 71-3, 2016, p. 779-782.

101 Jean-Clément Martin, « Dénombrer les victimes de la Terreur. La Vendée et au-delà », in M. Biard et H. Leuwers (dir.), Visages de la Terreur. L’exception politique de l’an II, Paris, Armand Colin, 2014, p. 155-165, ici p. 164.

102 M. Biard et M. Linton, Terror, op. cit., p. 134.

103 Ibid., p. 140.

104 Ibid., p. 61.

105 Intervention de Tallien citée dans ibid., p. 57.

106 Vincent Azoulay et Paulin Ismard, « Éloge politique de la peur », in Athènes 403. Une histoire chorale, Paris, Flammarion, 2020, p. 59-63, ici p. 62. Voir aussi, dans le même ouvrage, le chapitre « Le chœur apeuré : l’emballement terroriste », p. 73-77.

107 Pierre Serna, « Les révolutionnaires croyaient-ils aux Grecs ? », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, 21, 2021, paragr. 14, https://doi.org/10.4000/lrf.5767.

108 Antoine de Baecque, « Hilarités parlementaires. Le rire et la polémique dans l’Assemblée constituante (1789-1791) » et « Antoine-Joseph Gorsas, ou comment rire en Révolution (1751-1793) », in Les éclats du rire. La culture des rieurs au xviiie siècle, Paris, Calmann-Lévy, 2000, respectivement p. 203-234 et p. 235-287. La citation concernant la République est extraite du titre de la Conclusion : « Où l’on soutient que la République fut, et demeure, un âge du rire ».

109 M. Biard et M. Linton, Terror, op. cit., p. 153.

110 Francisco Javier Ramón Solans, « Être immortel à Paris. Violence et prophétie dans la Révolution française », Annales HSS, 71-2, 2016, p. 347-376 et aussi Michel Eude, « Points de vue sur l’affaire Catherine Théot », Annales historiques de la Révolution française, 198, 1969, p. 606-629.

111 Séance du 27 prairial an II (15 juin 1794), Gazette nationale, ou le Moniteur universel, 269, 17 juin 1794, p. 1.

112 T. Tackett, Par la volonté du peuple, op. cit., p. 11.

113 C. Jones, The Fall of Robespierre, op. cit., p. 354.

114 Ibid., p. 4.

115 Stendhal, La chartreuse de Parme, t. 1, Paris, Librairie L. Conquet, [1839] 1883, p. 69.

116 Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Éd. du Seuil, [1971] 1996, p. 10.

117 Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Éd. du Seuil, 2014.

118 Carlo Ginzburg, « Aristote et l’histoire, encore une fois », in Rapports de force. Histoire, rhétorique, preuve, Paris, Gallimard/Éd. du Seuil, 2003, p. 50.

119 C. Jones, The Fall of Robespierre, op. cit., p. 431.

120 Ibid., p. 451.

121 Micah Alpaugh, Non-violence and the French Revolution: Political Demonstrations in Paris, 1787-1795, Cambridge, Cambridge University Press, 2015. Voir le compte rendu de cet ouvrage par Anne Simonin dans Annales HSS, 76-2, 2021, p. 427-429.

122 Anne Simonin, « Un coup d’estat républicain : la Journée du 31 mai-2 juin 1793 et la réécriture des procès-verbaux de la Convention », La Révolution française. Cahiers de l’Institut d’histoire de la Révolution française, 21, 2021, https://doi.org/10.4000/lrf.5493.

123 C. Jones, The Fall of Robespierre, op. cit., p. 439.

124 Intervention citée de Barère à la Convention le 14 thermidor an II (1er août 1794), Archives parlementaires, p. 33 : « Vous n’oublierez pas assurément, en réorganisant le gouvernement, qu’il est, par vos décrets, révolutionnaire jusqu’à la paix. Le peuple qui y voit son salut, les citoyens la fin de leurs peines, et les armées la caution de leurs triomphes, ne pourront pas oublier l’existence de ce gouvernement intermédiaire entre la révolution et la constitution […]. »

125 C. Jones, The Fall of Robespierre, op. cit., p. 231.

126 Bronisław Baczko, Comment sortir de la Terreur. Thermidor et la Révolution, Paris, Gallimard, 1989.

127 Voir M. Biard et M. Linton, « ‘Terror as the Order of the Day’: An Unsaid, Unofficial yet Widespread Order from the Convention », in Terror, op. cit., p. 19-24.

128 R. Steinberg, The Afterlives of the Terror, op. cit., p. 15.

129 Hervé Leuwers, Virginie Martin et Denis Salas (dir.), Juger la « terreur ». Justice transitionnelle et République de l’an III, 1794-1795, Paris, La Documentation française, 2021.

130 Voir Jon Elster, Closing the Books: Transitional Justice in Historical Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 21 : « Les Athéniens ont été confrontés à des problèmes et ont inventé des solutions étonnamment proches de celles de la justice transitionnelle actuelle. » Voir aussi V. Azoulay et P. Ismard, Athènes 403, op. cit.

131 R. Steinberg, The Afterlives of the Terror, op. cit., p. 43.

132 Jean-Paul Sartre, « Fragments de Joseph Le Bon », Les Temps modernes, 632/633/634-4/5/6, 2005, p. 675-694.

133 Ferdinand Brunot, « Nouveaux principes d’administration : la responsabilité », in Histoire de la langue française des origines à 1900, t. 9, La Révolution et l’Empire, vol. 2, « Les événements, les institutions et la langue », Paris, Armand Colin, [1937] 1967, p. 1053.

134 R. Steinberg, The Afterlives of the Terror, op. cit., p. 45-48 et 51.

135 Ibid., p. 56.

136 Ibid., p. 46.

137 Ibid., p. 78 et 84-85.

138 Voir aussi Andrew Jainchill, Reimagining Politics after the Terror: The Republican Origins of French Liberalism, Ithaca, Cornell University Press, 2008.

139 Anne Simonin, « Le Tribunal révolutionnaire de l’an III (août 1794-mai 1795). La justice à l’ordre de tous les jours », Histoire de la justice, 2-32, 2021, p. 17-33.

140 R. Steinberg, The Afterlives of the Terror, op. cit., p. 95-98.

141 Ibid., p. 123.

142 Antoine de Baecque, « Apprivoiser une histoire déchaînée. Dix ans de travaux historiques sur la Terreur (1992-2002) », Annales HSS, 57-4, 2002, p. 851-865, ici p. 860.

143 Ibid.

144 Claude Mazauric à l’article « Terreur » du Dictionnaire historique de la Révolution française, publié sous la direction posthume d’Albert Soboul par Jean-René Suratteau, François Gendron et Raymonde Monnier, Paris, PUF, 1989, p. 1020-1025, ici p. 1023 : « En son principe et comme moyen d’action, la Terreur est d’abord le produit des ‘circonstances’ : la guerre, l’invasion menaçante, la Contre-Révolution, la crise sociale. Elle résulte de l’effort de l’État révolutionnaire pour assurer la victoire militaire et politique sur les traîtres et les rebelles. Cette exigence réellement populaire et au demeurant courante dans tout État en guerre pour sa survie, le gouvernement révolutionnaire l’a mise en œuvre […]. »

145 B. Baczko, « The Terror before the Terror? », art. cit., p. 34-35.

146 Pierre Serna, Antonino De Francesco et Judith A. Miller (dir.), Republics at War, 1776-1840: Revolutions, Conflicts, and Geopolitics in Europe and the Atlantic World, Londres, Palgrave Macmillan, 2013.