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La Particule Mon

Published online by Cambridge University Press:  02 December 2020

Leo Spitzer*
Affiliation:
The Johns Hopkins University

Extract

L'étymologie de la particule anc. française mon, qui se trouve encore dans des passages fameux du théâtre classique (“Ça mon vraiment! il y a fort à gagner à fréquenter vos nobles!”, Molière, Bourg. gent.iii, 3; “Ardez, vraiment, c'est mon, on vous l'endurera,” Corneille, Galerie du Palais, v. 1392), est loin d'être sûrement établie. “Ce petit mot a fait verser des flots d'encre,” nous dit Livet, Lex. de Mol., s.v., ça mon: il a inspiré aux philologues depuis Silvius (1531), R. Estienne et J. Thierry, jusqu'à Ebeling (1900) les explications les plus fantaisistes (v. pour la bibliographie, en outre de Livet, Behrens, Beitr. z. frz. Wortgeschichte, p. 305): multum, meum, munde, minus, germ, mund, suédois monne, grec. et (c'est la dernière, la plus phantastique, qui avait séduit l'esprit bizarre d'un Furetière et qu'un Ebeling, grave et vétilleux élève de Tobler, devait rééditer). On s'arrête généralement aujourd'hui à l'explication de Diez: munde (l'adverbe de mundus ‘pur,’ donc littéralement = ‘proprement, nettement’), que répètent Littré, Meyer-Lübke, Gamillscheg, Dauzat. Cette étymologie, certainement acceptable au point de vue sémantique (cf. l'ital. pure), se heurte pourtant à un fait phonétique: jamais nous ne trouvons en anc. français de -t final, qui pourtant devrait se présenter au moins d'une façon sporadique (cf. mundus ‘monde’ > a.fr. mont à côté du latinisme monde; Meyer-Lübke donne lui-même un a.fr. mont ‘pur’ sous mundus, que je n'ai pu, il est vrai, trouver dans les dictionnaires: il ne me semble exister que le latinisme monde et son opposé immonde). On comprendrait p. ex. qu'on trouve mon pour ∗mont dans des textes du Sud-Ouest ou anglo-normands où -t final disparaît d'assez bonne heure (cf. Pope, From Latin to Mod. French, p. 453: Gaimar rime sumun < submonet avec gerun, passiun)—mais nous ne trouvons pas de trace de mont dans le reste de la France, au moins au moyen âge. Un mont variante de la particule mon n'apparaît qu'assez tard en français, au moment où la spéculation étymologique se mêle à l'orthographe: chez Oresme, qui offre aussi la forme altérée moult (v. Godefroy), et chez des grammairiens du XVIe siècle, avides, comme on sait, d'étymologie. En face de la forme mon, seule usitée en anc. français, l'étymologie munde est intenable. Il y a encore un argument contre l'admission d'un adverbe: c'est le manque total de formes avec -s adverbial, si fréquent dans l'adverbe voir(s) ‘vraiment’: on ne trouve pas de forme ∗mons. Si nous comparons l'adverbe anc. français espoir ‘peut-être,’ qui est la forme pétrifiée de la le pers. du présent de esperer, nous remarquerons là aussi le manque de l’ -s adverbial.

Type
Research Article
Information
PMLA , Volume 61 , Issue 3 , September 1946 , pp. 607 - 619
Copyright
Copyright © Modern Language Association of America, 1946

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References

1 Et le manque du -s en anc. français rend aussi impossible l'interprétation par un adjectif (elle se fera sentir plus tard, d'une façon secondaire, en français moderne, comme nous verrons), puisque c'est voirs, qui se trouve dans des cas parallèles à c'est mon (cf. A. Schulze, Altfrz. Fragesatz, p. 266), a toujours l' -s du nominatif. De même, l'interprétation par un adjectif est aussi exclue par le manque d'une forme féminine parallèle à la particule voire! (qui contient, selon M. Schulze, un féminin comme c'est la voire ‘c'est la vérité‘, que nous pourrons comparer à l'ital, familier la è vera)—il n'y a pas de ∗mone.

2 C'est ainsi que dare, remplacé par donare en galloroman, n'apparaît que dans des formes contaminées par ce dernier, comme anc. fr. doins (= ∗dois < dao +∗don < dono); que oyez dans l'usage parlementaire anglais est le seul reste de l'anc. fr. ouïr; que l'esp. aba est le reste de l'impératif biblique apage, alors que le verbe a sombré. Ce sont en général les formes de l'impératif qui se pétrifient le plus aisément, mais moneo ‘je vous avertis’ est proche de l'impératif.

3 Ce sens du simple monere, plus répandu en roman dans le composé submonere, se trouve pourtant déjà en latin: Tér: ‘sed ut dici tempus est, monere oportet me hunc vicinum Phaniam ad coenam ut veniat.‘

4 Sur Q > Q devant nasales, cf. G. Paris, Mêl. lingu., p. 253-254: “La diphthongaison de l'ó [= Q fermé] est empêchée par la nasale, comme celle de l'ò [ = Q ouvert] (au moins dans la plupart des dialectes), et pendant tout le moyen âge ó et ò devant une nasale (don et bon, corone et bone) riment ensemble… . Il [Q devant nasales] a d'abord donné, comme tout o bref accentué, òò, puis óò, l'accent portant sur ó. Ce groupe, qui, dans les conditions ordinaires, est devenu uo, puis, ue etc., a perdu devant les nasales sa seconde voyelle, ò, et il est resté ó: bòn, bóòn, bón. L'ó ainsi constitué et égal à l'ó fermé ordinaire s'est plus tard, comme ce dernier, transformé en ò en se nasalisant, et a reparu, après la destruction de la nasalisation, à l'état d'ó ordinaire (bònne, dònne).” En anc. fr., lat. vulg. tonat sonat sont généralement représentés par tone, sone, non ∗tuene, ∗suene. L'idée de Miss Pope, que on (< homo), bon représentent des formes atones vis-à-vis de huem, buen toniques, est tout à fait en l'air.

5 On remarquera que dans Plaute la parenté entre memini et moneo semble encore être sentie (ou peut-être ce sentiment a-t-il été ravivé par les jeus de mots): Memini, mora mera est monerier; maliusculum est monere: memento promisisse te; monebo is qui meministi minus; si non mones, nosmet meminimus; saepius ted ut memineris mones; praecepta facito ut memineristotiens monere mirumst; memorem immemorem facit qui monet quod memor meminit (Calepinus). On pourrait comparer la parenté de l'angl. to (re)mind ‘to call to (someone's) mind’ et de to mind (intr.) ‘to pay heed, esp. in order to obey.‘

6 Moneo avec impératif se trouve encore dans la latinité médiévale: dans le chant des veilleurs de Modène: noli dormire, moneo, sed vigila, dans les Cambridge Songs (n°42): moneo, ne sis incepti properus. Le amabo postpositif de Plaute a été exhumé par l'auteur véronals de ‘O admirabile Veneris idolum’: Quo fugis amab⊖, cum te dilexerim? ‘où fuis-tu, je te prie?’ Traube (“O Roma nobilis,” Munich 1891, p. 301) fait remarquer que le -⊖ bref indique que l'auteur ne connaissait la tournure que par les lexiques, et il cite l'étymologie de Papias: Amabo: unde amabilis comicum adverbium, qui témoigne de l'incompréhension du tour syntaxique. Bien que moneo, présent, ne soit pas au xe siècle dans la même situation que le futur synthétique amabo, la pétrification de la forme verbale postposée est pourtant un trait commun.

6a Je dis: en général, parce qu'on sait que dans le type intercalaire je vous prie (> angl. pray!, prithee!) le type parlé a été réintroduit dans la langue académique.

7 Le fait que mon soit toujours enclitique, tandis que espoir se trouve aussi bien enclitique qu'en tête de phrase, peut être expliqué par l'état de déchéance plus avancé de moneo et aussi par le rôle de remarque incidente qu'un moneo ‘je vous avertis’ était plus susceptible d'assumer.

8 L'identité sémantique avec ‘donc’ ressort aussi d'une texte percheron dans E. Herzog, Neufranzös. Dialekttexte, p. 87: ‘Quo qu’ t'as mon fa …?’ = ‘qu'est-ce que tu as donc fait?’.

Dottin donne pour le Bas-Maine ‘interjection exprimant la menace’. Dans l'exemple: ‘tu va ver, mõ’ (='tu vas voir’) la nuance comminatoire est celle des phrases latines avec moneo, v. dans le texte.

9 Le cas est un peu parallèle à celui du type français populaire et dialectal voyons voir!, montre voir!, où, comme E. Staaff, Studier i mod. spr. ix, 229, a montré, la particule voir est dûe à la contamination des deux types voyons! + allons voir!, montre! + fais voir! Nous pourrions dire aussi que dans allons voir!, fais voir!, voir s'est détaché, comme l'anc. fr. savoir, du verbe de mouvement duquel il dépendait à l'origine, et est devenu une particule, dans quelques patois obligatoire auprès d'un impératif. Et comme savoir a été ‘expliqué’ ou ‘explicité’ par a savoir, pour savoir, ainsi voir a été remplacé dans certains cas par pour voir, qui insistait davantage sur la finalité. Cf. encore le parallélisme de savoir et voir ‘conjonctionalisés’: J. Romains, Les hommes de bonne volonté, xvii, 204: ‘Nous ne sommes pas seuls, lui et moi… Savoir si les autres ont perdu la tête comme moi?’; xxi, 258: ‘Tu pourras te rendre compte, voir si nous devons envoyer quelqu’ un aux séances de travail.'

10 La locution savoir mon a été substantivée plus tard dans le sens ‘question, doute’: “Il a laissé un sçavoir mon, un doute. C'est un sçavoir mon, une grande question. Cela est tout-à-fait bas & populaire” (Dict. de Trévoux).

11 Déjà au XVIe siècle, çamon est entièrement méconnu, comme le montre l'entassement des synonymes, v. les passages dans la Comédie de chansons (Anc. th. fr. ix, 135: vraiment samon; 176: voir ça mon vraiment).

12 Il faudra reconnaître la même construction dans Rec. de fabl., v, 198:

[la dame dit:] ‘Nos en avon [du vin] à grant planté. / J'avoie bien de vos pansé / Assez mialz que je ne disoie.’ / —‘Dame’, fait il [li sires], ‘se Deus me voie, / Saviez mon! j'en sui mout liez.‘

L'éditeur Montaiglon a corrigé après coup avec justesse saviez en s'aviez. Évidemment, il faut comprendre ‘si [par hasard] vous l'aviez en effet [sc. fait comme vous dites], j'en suis bien aise.’ Il faudra donc remplacer le point d'interrogation après mon par une virgule. Par contre, dans I, 52 (’… A porpenser quel le fera, / Savoir mon s'il l'envoiera / Son vair palefroi…’), Montaiglon a eu tort de corriger savoir en s'avoir, puisqu'il s'agit de la formule savoir mon se (et M. Långfors, dans son édition du Voir palefroi, a bien rétabli savoir au sens de ‘c'est à savoir’). Dans le passage tiré de l'Anc. th. fr. i. 244 par Godefroy, on peut croire que sçavez mon est une interprétation fausse de ç'avez mon: Colin dit: ‘… Mais ay esté preud'homme et bon, / Or m'en croyez’. La Femme [qui avait supposé le contraire] répond: ‘Ha, fin apostre, / Je cuide bien que s'avez mon’ [qu'en effet vous avez été homme de bien). J'appuierai cette leçon par le passage ibid., ii, 28, où say mon doit être ç'ai mon: Le Curé: ‘Tout fait, tout dit et tout comprins, / Quelque chose y avez-vous aprins?’— Jenin: ‘Say mon dea’ (dea=di va pétrifié). De même, dans le passage de Galien restauré (chap. 75) que cite Le Duchat: ‘Galien lui va dire: Mamie, moult avez eu de povreté depuis que ne vous vis’—‘Helas, dist la Dame, sçay mon,’ sçay mon est ç'ai [eu] mon. Je ne sais juger d'un autre passage cité par Le Duchat (Roman de Mabriant, chap. 28: ‘Beau fils, dit l'Admiral, say mon, “c'est-à-dire, je sais que ce que tu dis est vrai, & je le sais fort bien”) ni d'un scay mon cité sans le texte entier par God., de l'année 1645. Il faut conclure de ces graphies qu'un c'ai mon n'a plus été compris par les scribes et que sais (le pers. de savoir) y a été introduit (d'après savoir mon?). Il serait même possible de concevoir une convergence (orthographique) de c'ai mon et de c'est mon en saymon. Il me semble que toutes ces formes fléchies de savoir, si elles se trouvaient être une réalité, sont secondaires et ne peuvent rien nous apprendre sur l'état civil de mon à une époque reculée.

13 Que ce soit vraiment l'attribut dans c'est mon, semble pouvoir être prouvé par un passage dans Rec. de Fabliaux, ed. Montaiglon III, 84: le baron dit du pelvis de la jeune fille: ‘C'est li plus biaus praiaus du monde’ et elle répond: ‘Praiaus, voire par Dieu, c'est mon’ =‘préau [ce que vous venez de dire], cela est il [le pelvis] en vérité.‘

Dans un passage de Roger de Collerye (Rec. gén. des soties ii, 367): Peuple françois: ‘… ces gras usuriers publiques, / Fins gaultiers, car plains de trafiques / Sont par trop’ —Jennin: ‘Ce sont mon!,’ Picot a tort d'interpréter au glossaire par ‘c'est mon avis’: il y a ici de nouveau ‘l’écho’ du sont de la réplique précédente.

14 Il est entendu que les types c'est (mon), ce a (mon), ce fait (mon), qui reprennent, soit par l'auxiliaire soit par le verbum vicarium, les mots prononcés par le partenaire, sont à mi-chemin entre l'écho textuellement fidèle à la phrase de l'interlocuteur (ce que Damourette-Pichon appellent une ‘réponse entière’: type: Le Seigneur pardonna-t-il à David?Le Seigneur pardonna à David) et les réponses crystallisées du type oui, non (< hoc ille [facit], [hoc ille] non [facit]).