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Vu de Kudus : l'Islam à Java

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Marcel Bonneff*
Affiliation:
C.N.R.S.

Extract

L'Indonésie, que les chiffres officiels désignent comme le premier pays islamique par sa population, n'en est pas moins considérée dans l'ensemble musulman comme un cas quelque peu périphérique, voire atypique. A cela quelques explications : bien sûr, son éloignement par rapport au foyer moyenoriental, d'où l'écho des crises actuelles que l'Islam traverse ne parvient qu'assourdi, même si le Monde malais dans son ensemble se signale, depuis la fin du XIXe siècle, par un des plus forts contingents, extérieurs à l'Arabie, de pèlerins se rendant à La Mekke, et nonobstant aussi le développement présent des échanges économiques dû à la rente pétrolière. Éloignement qui justifierait certaines singularités par rapport à la grande tradition coranique, moins bien toutefois que ne peuvent le faire la spécificité historique de l'islamisation dans l'Archipel insulindien et son caractère somme toute récent.

Summary

Summary

In Kudus, a small town on the north coast of central Java, the pious Muslims of the old quarter of "Minaret" constitute an original type of community. These santri exhibit an archaic devotion to their "saint" which represents a testimony to the strong historic consciousness specifie to this region (the Pasisir) where the islamization of Java began in the 15th century. It is from this group that the first manufacturer of krètèk (cigarettes with cloves) originated, who made Kudus into a bastion of the "indigenous" economy at the time of Dutch colonization. Little by little, entrepreneurs of Chinese extraction were able to usurp the control over this production because the santri were not sufficiently well organized, nor did they possess — beyond a common religious ideal — an effective class consciousness.

The case of Kudus provides us with a view of Islam which is somewhat different from that to which we are accustomed— Le., one which makes global judgments for all Javanese regions as viewed from the principal centers of the island in which the model is excessively "Javanized". In the case of Kudus one has a greater appreciation of the specific role and its limits.

Type
Les Formes du Social
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

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References

1. Environ 145 millions d'habitants, dont près de 90 % sont recensés comme musulmans.

2. En tout premier lieu celle du grand islamologue C. Snouck Hurgronje, qui fut conseiller pour les Affaires indigènes.

3. C. Geertz, The religion of Java, Chicago-Londres, The Univ. of Chicago Press, 1976 (Ire éd., 1960).

4. On peut reprocher en particulier à C. Geertz d'user de définitions religieuses (santri , abangan) comme catégories sociales, sur le même plan que le terme priyayi qui désigne un groupe de la société bien précis ; parmi les comptes rendus critiques, voir notamment : Harsja W. Bachtiar, « The religion of Java : a commentary », Madjalah Ilmu-Ilmu Sastra Indonesia , vol. V. n° 1, janv. 1973, pp. 85-118.

5. Dans l'ensemble de l'Indonésie, par exemple, la diaspora de groupes comme les Minangkabau et les Bugis, connus pour leur ferveur musulmane, joue à cet égard un rôle important.

6. L'histoire des premières principautés musulmanes de Java a fait l'objet d'une étude détaillée de H. J. DE Graaf et Th. G. Th. Pigeaud, De Eerste moslimse vorstendommen op Java, La Haye, Martinus Nijhoff. 1974.

7. De nos jours encore, le sultan de Yogyakarta porte le titre de « Kalifatullah » .

8. Il s'agit, d'une part, du Sarékat Islam (Surakarta, 1911), créé tout d'abord comme un mouvement de solidarité parmi des entrepreneurs musulmans, qui devint autour de 1920 la principale force politique de contestation du pouvoir colonial ; d'autre part, de l'organisation Muhammadiyah (Yogyakarta, 1912), inspirée par les idées réformistes de Jamal al-Din al-Afghani et surtout de Muhammad Abduh, et se consacrant surtout à des réalisations humanitaires (écoles, hôpitaux, orphelinats, etc.) : progressivement, l'audience de la Muhammadiyah s'est étendue à toute l'Indonésie et, devenue la première organisation sociale, elle demeure aujourd'hui le porteparole du réformisme. Sur l'évolution de l'islam, voir notamment : Deliar Noer, The modernist Muslim movement in Indonesia, 1900-1942, Londres, Oxford Univ. Press, 1973, et B. J. Boiand, The struggle of Islam in modem Indonesia, La Haye, Martinus Nijhoff, 1971.

9. Le premier sens de ce mot est : « élève en religion », dans un pesantrèn (” lieu où résident des santri » : école coranique). Nous l'employons ici dans le sens général de « musulman pieux », souvent opposé à abangan (cf. Geertz). Nous avons vu toutefois ce qu'il faut penser de cette opposition, mieux rendue d'ailleurs par le mot putihan (putih .- « blanc », pur), dans la mesure où abangan serait dérivé de abang (” rouge »).

10. En 1977, le kabupatèn comptait environ 452 000 habitants pour 411 km2, soit une densité supérieure à 1 000 h/km2.

11. Sunan est un titre porté également par les souverains de Java central, à partir du xviie siècle ; certains d'entre eux ont porté aussi le titre de Sultan . Après la division du royaume de Mataram, en 1755, ce dernier fut réservé aux souverains de Yogyakarta, alors que ceux de Surakarta se faisaient appeler Susuhunan (variante de sunan) .

12. Cette mosquée (et le cimetière qu'elle comprend) est encore le principal lieu saint de Java ; selon la légende, elle fut construite en une nuit par quatre des Wali Songo (dont Sunan Kudus), chacun fournissant un des piliers centraux.

13. Cf. H. J. DE Graaf et Th. G. Th. Pigeaud, op. cit., notamment les chapitres i à ni et le chapitre xix ; sur Kudus, le chap. v.

14. Franchi par l'historien local Solichin Salam (Kudus Purbakala dalam perjoangan Islam , Kudus, Menara, 1978, lre éd. 1962), qui fait remarquer que Ja'far Shodiq (Ja'iar al-Sàdik) est le nom du sixième iman du shi'isme duodécimain, ayant vécu à Médine au vme siècle.

15. Comme d'autres wali, Sunan Kudus n'en aurait pas moins porté de l'intérêt aux arts javanais traditionnels ; on lui devrait les formes poétiques mijil et maskumanbang .

16. Cf. Baroroh Baried, « Le Shi'isme en Indonésie », Archipel, 15, 1978, pp. 65-84. On sait que la date du 10 Muharram, jour de deuil pour les shi'ites, correspond aussi dans la tradition sunnite à certains événements historiques importants.

17. La foi, la cohésion sociale et la sécurité sont des traits communs aux kauman de Java ayant gardé leur caractère d’ « enclave ». Dans ces quartiers, on note que certaines cérémonies (comme les mariages) et les formes d'expression artistique ont subi quelque influence du Moyen-Orient ; des arts typiquement javanais, comme le wayang (théâtre d'ombres), la musique de gamelan, ainsi que la danse en sont en principe bannis.

18. On rattache souvent ce fait à la réclusion des filles nubiles; celles-ci ne pouvaient se montrer en public qu'une fois l'an. Il existe encore une fête très populaire chez les jeunes et spécifique à Kudus, le dandangan, qui correspond à ce jour.

19. Dans un pesantrèn, on désigne ainsi les habitations, ou dortoirs, des santri qui entourent la petite mosquée et la demeure du kiyai . Ce dernier est le chef spirituel de la communauté, souvent son fondateur qu un descendant de celui-ci. Les pesantrèn sont donc des institutions privées, soucieuses de préserver leur indépendance vis-à-vis de l'administration, même quand elles en acceptent les dons.

20. Le premier propagandiste vint de La Mekke en 1923 ; il semble avoir rencontré une large hostilité, due à ses critiques envers mainte pratique hétérodoxe des zélateurs du Saint. La section locale de la Muhammadiyah (voir n. 8) ne fut fondée qu'en 1925 ; cf. L. Castles, Religion, Politics and économie Behavior in Java : the Kudus cigarette industrv, Londres, Yale University Press, 1967, p. 64.

21. La principale organisation d'obédience traditionaliste, le Nahdatul Ulama, a été créée en 1926 à Surabaya. L'un des fondateurs était un kiyai de Kudus, où la section locale fut constituée la même année. Après l'indépendance, le NU et la Muhammadiyah collaborèrent au sein du parti Masjumi, jusqu'en 1952. Puis, leurs dissensions reprirent de plus belle. En 1965, après le coup d'État du 30 septembre, les musulmans se retrouvèrent unis, aux côtés de l'armée, dans la répression du communisme. Enfin, avec la concentration voulue par le régime Suharto, aujourd'hui un seul parti politique représente à nouveau les musulmans de toutes tendances.

22. Allant d'Anyer à Panarukan, cette route, conçue pour des besoins militaires, eut une importance capitale dans l'essor économique de Java. Herman Willem Daendels, nommé par Louis Bonaparte en 1807, demeura aux « Indes » après l'annexion de la Hollande par Napoléon, pour y défendre les intérêts français (jusqu'en 1811); voir à ce sujet : J. Eymeret, « Les Archives françaises au service des études indonésiennes; Java sous Daendels (1808-1811)», Archipel, 4, 1972, pp. 151-168.

23. La répartition géographique des votes, dans des élections régionales de 1957, reflète bien la diversité sociale ; alors que Kudus Kulon choisit massivement les partis musulmans, à l'est de la ville les suffrages sont assez mélangés dans les quartiers de fonctionnaires (avec une tendance en faveur du parti nationaliste, Pni) et ils se portent surtout sur le parti communiste (Pki) dans les quartiers périphériques, à demi ruraux. La partie chinoise vote surtout pour l'organisation qui défend ses intérêts (Baperki) et pour le PKI. Cf. L. Castiles, op. cit., pp. 155-156.

24. La part prise par les Chinois dans l'expansion de l'islam à Java a fait l'objet de certaines polémiques, quoiqu'elle paraisse indubitable. A Kudus, quelques musulmans d'origine chinoise attribuent à un certain Kiyai Telingsing (The Ling Sing), dont la tombe présumée se trouve à Kudus Kulon, un rôle de pionnier : on dit même qu'il aurait été le maître spirituel de Sunan Kudus.

25. On doit cette observation à R. M. A. Purwa Lei.Ana, ainsi qu'une intéressante description de la vieille ville en 1865 (Lampah-lampahipun R. M. A. Purwa Lelana) . On sait par ailleurs que les marchands de Kudus se fixaient volontiers dans d'autres villes, où ils formaient un groupe à part ; cf. C. Geertz, The social history of an fndonesian town, Westport-Connecticut, Greenwood Press, 1975, pp. 94-95 (lre éd. 1965).

26. Pour une description de ces maisons et une analyse du symbolisme des motifs, voir : J. E. Jasper, « Het Stadje Koedoes en zijn oude kunst », Nederlandsch-Indië oud en nieuw, Ie année (1922), n° I, pp. 3-30. Japaraest le lieu d'origine du style de sculpture employé, qui doit beaucoup aussi à l'influence chinoise.

27. L'artisanat du batik a presque totalement disparu aujourd'hui. Notons cependant que, dans d'autres villes javanaises, les entrepreneurs de batik sont encore très souvent de milieu santri .

28. Le mot reproduit le bruit que font en se consumant les clous de girofle hachés ; la proportion en est élevée : en poids, près de 40 % .

29. Le girofle indonésien conviendrait moins bien que celui de Zanzibar, par exemple, d'où provient une grande partie des importations ; l'Indonésie fait pourtant un gros effort de renouvellement des plantations. Kudus a utilisé 10 410 tonnes de girofle en 1977 (pour 17 350 tonnes de tabac).

30. Il s'agit surtout des villes de Kediri, Malang et Surabaya, toutes situées à Java-Est, dans une région productrice de tabac, ainsi que Surakarta, à Java central. Les débuts de cette concurrence datent de l'entre-deux-guerres. Actuellement, la plupart des grandes entreprises y sont tenues par des Indonésiens d'origine chinoise. La production de l'Indonésie serait de l'ordre de 45 milliards de krètèk par an, dont le tiers proviendrait de Kudus.

31. Déjà cité à la note 20. Ce travail nous a beaucoup servi à compléter nos observations de terrain qui datent de janvier 1979.

32. Dans un recueil d'articles intitulé : Indonesia sekarang, Jakarta, Bulan Bintang, 2e édition augmentée en 1952, pp. 144-165.

33. A elles deux, elles n'assurent que 18 % environ de la production de Kudus. Les fabriques tenues par des Indonésiens d'origine chinoise en assureraient maintenant quelque 75 % (60 96 pour une seule d'entre elles).

34. Remarquons que, dans tout Kudus, le vendredi a toujours été, et reste, le jour de repos hebdomadaire.