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Le recrutement des hauts fonctionnaires en 1901

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Christophe Charle*
Affiliation:
CNRS

Extract

Théodore Steeg s'exclamait en 1907 à la Chambre des députés :

La plupart des hauts emplois de l'administration, en tout cas ceux qui fatiguent le moins et rapportent le plus (...) reviennent à de jeunes attachés qui, après avoir fait le gracieux ornement de l'antichambre ministérielle, vont occuper les meilleurs postes dans l'administration et les sous-préfectures. (Débats de la Chambre des députés, 8 mai 1907, Journal officiel, p. 929, cité dans J. Siwek-Pouydesseau, Le personnel de direction des ministères, Paris, A. Colin, 1969, p. 133.)

Cette vue polémique du recrutement des hauts fonctionnaires au tournant du siècle contredit les thèses classiques des études sociologiques de l'administration de la période actuelle.

Summary

Summary

Analysis of a sample of 613 senior civil servants in 1901 leads to the conclusion that the process of democratization of recruitment in this category had slowed down in comparison with thefirst half of the XIXth century. Not only did the bourgeoisie continue to dominate the category, but the hierarchy of different corps remained unchanged. Even so, the political situation under the Third Republic did reflect a certain number of changes. Senior civil servants connected with the political personnel (prefects, the upper echelons of the judiciary, the Conseil d'Etat) came from social backgrounds comparable to those of the deputies and senators, and received preference in their careers. In contrast, members of the more socially-closed corps (Cour des comptes, Inspectorate of Finance), who were less politically dependent, experienced greater difficulty in obtaining promotion to the top ranks of the civil service. Lastly, the technical corps were thefirst signs of an emergent meritocracy, allowing certain individuals of humble origins to rise to high position through seniority.

Type
Recherches en Cours
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

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References

1. Pour une bibliographie générale sur les travaux de sociologie de l'administration, cf. P. Sheriff, Sociology of public bureaucraties,numéro spécial de Current sociology,vol. 24, n° 2, 1976 ; les travaux récents sur la haute fonction publique française : A. Darbel et D. Schnapper, Morphologie de la haute administration française,Paris-La Haye, Mouton, 2 vols, 1969 et 1972 ; Birnbaum, P., Les sommets de l'État, Paris, Le Seuil, 1977 Google Scholar ; Suleiman, E. N., Power, politics and bureaucracy under the Fifth Republic, Princeton, Princeton University Press, 1974 Google Scholar; Bodiguel, J.-L., Les anciens élèves de l'Ena, Paris Google Scholar, Presses de la FNSP, 1978 et M.-C. Kessler, La politique de la haute fonction publique, ibid.,1978.

2. L. Bergeron, G. Chaussinand-Nogaret, R. Forster, « Les notables du grand Empire en 1810 », Annales ESC,n° 5, sept.-oct. 1971, pp. 1 052-1 075 ; Tudesq, A. J., Les grands notables en France (1840-1849), Paris, Puf, 1964 Google Scholar ; Wright, V., Le Conseil d'État sous le second Empire, Paris, A. Colin, 1972 Google Scholar ; avec Leclère, B., Les préfets du second Empire, Paris, A. Colin, 1973 Google Scholar ; « Les directeurs et secrétaires généraux des administrations centrales sous le second Empire », dans F. de Baecque et al., Les directeurs de ministère en France,Genève, Droz, 1976, pp. 38-78 ; W. Serman, « Les généraux français de 1870 », Revue de défense nationale,août-sept. 1970, pp. 1319-1330 ; Siwek-Pouydesseau, J., Le corps préfectoral sous la troisième et la quatrième République, Paris, A. Colin, 1969 Google Scholar et le colloque Les préfets en France (1800-1940),Genève, Droz, 1978.

3. Les enquêtes sociologiques citées à la note 1 essentiellement fondées sur des sources officielles ou des témoignages des intéressés sont difficilement comparables avec les enquêtes des historiens fondées sur les archives en dépit des lacunes de celles-ci. L'historien est mieux à même de redresser l'image officielle de l'institution que les sociologues, même si ceux-ci bénéficient de témoignages oraux qui font cruellement défaut à l'histoire.

4. Cf. Charton, P., Dictionnaire des professions, Paris, Hachette, 3e édition, 1880 Google Scholar et Turquan, V., Essai de recensement des employés et fonctionnaires de l'État, Paris, Secrétariat de la Société d'économie sociale, 1899, p. 33 ss.Google Scholar

5. Turquan, op. cit.,pp. 21-22 ; il s'agit des chiffres du budget de 1894. .

6. Cf. infra,II, 3 ; l'étude citée de V. Wright sur les directeurs du second Empire oublie cette hiérarchie bien que le tableau de l'origine sociale, selon les ministères qu'il donne (p. 73) soit parlant à cet égard.

7. Cf. C. Charle, « Les milieux d'affaires dans la structure de la classe dominante », Actes de la recherche en sciences sociales,20-21, mars 1978, pp. 83-96.

8. Pour notre codage, nous avons tenu compte non seulement de la profession déclarée à la naissance mais aussi, quand celle-ci est ambiguë (propriétaire, négociant), des professions des témoins qui renseignent sur les relations sociales de la famille ainsi que des chiffres de revenus mentionnés dans certains dossiers (préfets, magistrats) ou encore des relations de parenté connues par ailleurs.

9. V. Wright, « Les directeurs… », op. cit.,pp. 44-47.

10. Nous additionnons dans le tableau II fournit par l'auteur, p. 46, les fils de préfets, autres hauts fonctionnaires et hommes politiques. Il est regrettable que les études érudites de cet auteur ne soient pas plus précises sur le plan statistique ou sociologique : catégories disparates, chiffres bruts, pas de croisement de données.

11. Les directeurs formant une catégorie issue de différents corps de hauts fonctionnaires sont plus justifiables d'une comparaison avec notre échantillon que les autres institutions étudiées par V. Wright, dont les fonctions et donc le recrutement ont considérablement changé entre les deux régimes. Il serait en revanche erroné, contrairement aux évidences, de comparer les directeurs du second Empire et ceux de la troisième République car le terme ne recouvre pas la même chose aux deux époques, du fait de la multiplication des directions techniques. On retrouve, ici, un problème analogue à celui des comparaisons d'échantillons de PDG à vingt ans d'intervalle justement critiquées par P. Bourdieu et M. DE Saint-Martin, « Le patronat », Actes de la recherche en sciences sociales,n° cité, pp. 46-47. Les conclusions de la comparaison avec le second Empire valent a fortioripour la monarchie de Juillet, cf. A. J. Tudesq, op. cit.,t. I, p. 395. Pour être complet, rappelons que V. Wright note quelques cas d'ascension sociale (p. 44). La République n'a donc pas inventé les nouvelles couches.

12. J. Léonard, Les médecins de l'Ouest au XIXe siècle,Lille, Atelier de reproduction des thèses de Lille III, 1978, t. II, chap. 11.

13. En dépit des réserves déjà faites note 11 sur ce type de comparaisons, on peut remarquer des constantes intéressantes avec l'époque actuelle. P. Birnbaum dans son enquête fondée sur les notices du Who's whonote que les hauts fonctionnaires membres des grands corps comptent respectivement en 1954, 1964 et 1974, 37, 33 et 34 96 de fils de fonctionnaires tandis que les hauts fonctionnaires qui n'en font pas partie en comptent aux mêmes dates, 32, 39 et 36 %(P. Birnbaum et al., La classe dirigeante française,Paris, PUF, 1978, pp. 144-145).

14. Cf. M. Dogan, « Les filières de la carrière politique », Revue française de sociologie,n° 8, 1967, pp. 468-492.

15. Cf. A. Thépot, « Les ingénieurs des mines et le patronat de la seconde industrialisation », Actes du colloque sur le Patronat de la seconde industrialisation(avril 1977), Mouvement social, Cahier n° 4, 1979 : en 1880, 47,8 96 des effectifs du corps des mines sont passés dans le privé, 48,7 96 en 1890 et 53,6 %en 1900.

16. Citons parmi les célébrités : J. Caillaux, fils d'un ingénieur des Ponts et Chaussées, ministre sous l'Ordre moral, Ch. Georges-Picot, fils d'un directeur au ministère de la Justice, membre de l'Institut, R. Stourm, fils d'un directeur des PTT sous le second Empire, J. Buffet, fils du premier ministre de l'Ordre moral, etc.

17. Cf. V. Wright et B. Leclère, op. cit.,p. 178.

18. Cf. M. Dogan, art. cit.

19. Sur la noblesse dans l'armée du début de la troisième République, cf. F. BÉDarida, « L'armée et la République», Revue historique,juil.-sept. 1964, p. 151, qui dénombre, en 1876- 1878, 39 96 de généraux de division d'origine noble en adoptant comme critère la particule. Il y aurait donc, si l'on prend le même critère, avec les réserves déjà émises, une diminution notable de la proportion d'aristocrates en 1901 (19,4 96).

20. Dossier Lanes, AHG, GD 221/3.

21. AN Dossier Lagrange de Langre, FIBI 352 et dossier Allain-Targé, FIBI 298.

22. Cf. P. RongÈRE, La Cour des comptes,thèse dactylographiée, Fnsp, 1963, p. 49 ; Todisco, U., Le personnel de la Cour des comptes, Genève, Droz, 1969 Google Scholar ; Trolard, E., Mémoires d'un inspecteur des Finances, Paris, Charles, 1892, p. 203.Google Scholar

23. Cf. notre étude en préparation sur les transformations de l'Inspection des Finances ; cf. aussi P. Lalumière, L'Inspection des Finances,Paris, PUF, 1959.

24. V. Wright, « L'épuration du Conseil d'État en juillet 1879 », Revue d'histoire moderne et contemporaine,1972, pp. 619-653 et « Les épurations administratives de 1848 à 1885 », dans Les épurations administratives aux XIXe et XXe siècles,Genève, Droz, 1977, p. 73 : six cents magistrats furent suspendus en 1883 et six cents autres avaient démissionné auparavant. Ce qui fait près du tiers des magistrats.

25. Ibid.

26. A. Darbel et D. Schnapper, op. cit.,1.1, p. 69 ss et V. Turquan, op. cit.,p. 71.

27. Les revenus départementaux en 1864 et en 1954, Paris, A. Colin, 1959, p. 70.

28. Cf. J. Léonard, «Les médecins au xixe siècle », L'histoire,n° 4, 1978, pp. 19-20 qui montre que les plus fortes densités de médecins se trouvent dans la France du Sud.

29. Furet, F. et Ozouf, J., Lire et écrire, Paris, Éditions de Minuit, 1977, 2 vols.Google Scholar

30. V. Wright, op. cit.,P. LalumiÈRE, op. cit.et études citées n. 1.

31. Ainsi la vocation militaire du général Bassot, fils d'un petit négociant de Côte-d'Or, orphelin de père, découle sans doute en partie des difficultés de sa famille : sa mère reste veuve avec six enfants à élever. Deux de ses frères en plus de lui entrent à l'École polytechnique où ils obtiennent des bourses. Le général Bassot aura une carrière bien peu militaire puisqu'il passera plus de vingt ans de sa vie au Service géographique de l'armée (dossier Bassot, AHG, GB 762/3).

32. Cette sur-représentation se retrouve également parmi les universitaires : cf. D. Lemaire, Les professeurs de la Faculté de lettres de Paris,mémoire dactylographié, 1972, p. 35.

33. Cf. J. Estèbe, « La république a-t-elle été gouvernée par le Midi entre 1871 et 1914 ? », Actes du 96e congrès national des Sociétés savantes,1971, Paris, 1976, pp. 189-196 : les présidents du conseil méridionaux représentent 34 %des présidents du conseil et ont gouverné la France pendant 38 96 de la période, soit plus que l'importance de la population de leur région d'origine ; sur les liens entre préfets et hommes politiques, cf. infra,II, 4.

34. Cf. A. J. Tudesq, op. cit.,t. I, pp. 379-407.

35. C. Charle, art. cit., p. 87.

36. Dossier Toutain, archives de la Marine, 2e moderne, n° 64, n° 8.

37. Le Conseil d'État est fondé en l'an VIII mais reprend une institution de l'Ancien Régime, la Cour des comptes date de 1807 et avait également des précédents avant 1789 ; cf. Le Conseil d'État, Paris, CNRS, 1974, et U. TODISCO, op. cit.

38. D'après P. Lalumière, on compte 27 %de démissions dans les promotions 1880-1889, 47 %pour 1890-1899 et 36 %pour 1900-1909, op. cit.,p. 72.

39. La mise en disponibilité, selon P. Lalumière (p. 90) est une préparation du pantouflage.

40. Cf. Chardon, H., L'administration de la France, Paris, Perrin, 1908, p. 405 ss.Google Scholar

41. Tous deux anciens élèves de Sciences politiques, y sont professeurs où ils ont pour collègue précisément A. Ribot qui est, en outre, membre du conseil de perfectionnement. Tous trois fermes libéraux deviendront membres de l'Académie des sciences morales et politiques.

42. G. Thuillier et V. Wright, « Note sur les sources de l'histoire du corps préfectoral », Revue historique,janv.-mars 1975, p. 146.

43. On remarque, par exemple, si l'on compare les origines sociales des élèves de l'École des ponts et chaussées ou de celles des mines que donne M. Lévy-Leboyer dans son article : « Le patronat français a-t-il été malthusien ? », Le mouvement social,88, juil.-sept. 1974, p. 25, aux origines des inspecteurs de notre échantillon, que les inspecteurs sont sursélectionnés par rapport aux élèves : entre 1883 et 1914, 40,8 %des élèves des Ponts et Chaussées viennent de milieux modestes, contre 27,2 96 dans notre échantillon (nous additionnons les deux dernières colonnes du tableau II), les chiffres étant pour les Mines ( 1890-1914) respectivement, 34,2 96 et 10 %. A niveau intellectuel similaire, les relations familiales (matrimoniales aussi sans doute) facilitent la carrière dans la mesure où elles permettent aux ingénieurs de mieux se fondre dans le milieu des notables départementaux qui, par leur poids électoral ou leur pouvoir économique, peuvent aider par des interventions auprès des députés, des motions de félicitations, des démarches administratives à faire reconnaître les talents des ingénieurs. Ces hypothèses nous ont été suggérées par les dossiers de personnel (série F 14) qui contiennent des traces d'interventions de ce genre.

44. Les dossiers des inspecteurs conservés aux archives de l'Inspection générale des Finances ou au Service des archives économiques et financières sont en effet extrêmement décevants.

45. Cf. Caillaux, J., Mémoires, Paris, Pion, 1.1, 1942 Google Scholar : « A 25 ans, lors de mes débuts dans l'Inspection, je me singularisai dans le milieu administratif où j'étais entré. Milieu exemplaire — je tiens à le spécifier — d'une haute probité morale, où chacun, dans l'exercice de ses fonctions était entièrement détaché de la politique mais dont les hommes qui le composaient étaient des conservateurs, surtout des catholiques pratiquants. Je surpris, j'effarouchai en marquant tout de suite, sans ostentation mais nettement, mon eloignement des observances religieuses, en ne cachant pas non plus mon républicanisme », p. 78. Il existe un cas de révocation pour raison politique, celui de J. Buffet, frère d'André Buffet traduit en Haute Cour après la tentative du coup d'État de Déroulède en 1898, révocation opérée par Caillaux lui-même alors ministre des Finances.

46. Cf. D. B. Ralston, The army of the Republic,Cambridge Univ. Press (Mass.), 1967.