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Savoir thérapeutique et logique commercial

Le cas de l’AZT

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Sébastien Dalgalarrondo*
Affiliation:
CESTA-CNRS

Résumé

Le développement de nouveaux médicaments nécessite la coopération d’acteurs aux intérêts parfois divergents. La recherche clinique est de ce fait un lieu d’observation privilégié de l’articulation entre connaissance et intérêts dans le domaine de la médecine. Notre texte s’appuie sur l’étude monographique d’une controverse opposant un laboratoire pharmaceutique à des cliniciens quant aux sens thérapeutiques qu’il convenait de donner aux résultats d’un essai majeur dans l’histoire des médicaments contre le virus du sida.

Abstract

Abstract

The development of new drugs requires the co-operation of actors with divergent interests. Thus, clinical research is a very useful sociological object to study the contemporary articulation between knowledge and interests in the field of medicine. Our text is based on a monographic study of a controversy opposing a pharmaceutical laboratory to academic researchers about the therapeutic efficiency of the AZT.

Type
Médicaments et société Enjeux contemporains
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2007

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References

1 - Rappelons brièvement que ce médicament fut prescrit, dès 1957 en Allemagne de l’Ouest, à de nombreuses femmes enceintes dans un grand nombre de pays afin de combattre les symptômes associés à la nausée du matin. On découvrit quelques années plus tard que ce médicament de confort provoquait de très graves malformations chez les nouveau-nés. La thalidomide fit des milliers de victimes, estimées entre 8 000 et 12 000. Les médecins pensaient à l’époque que la barrière placentaire constituait une protection sûre pour l’embryon.

2 - Pour une analyse sociologique du fonctionnement de ces agences, voir Urfalino, Philippe, « L’apport de la sociologie des décisions à l’analyse de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé », Séminaire du programme Risques collectifs et situations de crises, Actes de la 17e séance, Paris, École supérieure des mines de Paris, 2000, pp. 1134 Google Scholar ; ID., « L’autorisation de mise sur le marché du médicament : une décision administrative à la fois sanitaire et économique », Revue française des affaires sociales, 4, 2001, pp. 85-90. Sur l’Agence européenne, se reporter à l’article de Boris Hauray et Philippe Urfalino dans ce numéro.

3 - L’essai clinique contrôlé correspond à une expérimentation où l’on compare de façon prospective deux groupes contemporains de patients, l’un soigné par le traitement de référence ou un placebo (groupe contrôle) et l’autre par le traitement expérimental. L’attribution des traitements se fait par allocation aléatoire et en double aveugle. Ni les patients ni les médecins ne savent qui reçoit effectivement le traitement testé. Il s’agit là d’un modèle d’expérimentation « idéal » qu’il est parfois impossible de mettre en oeuvre, notamment pour des raisons éthiques.

4 - Pour une mise en débat plus large de cette problématique dans le domaine du médicament, se reporter à Urfalino, Philippe, Le grand méchant loup pharmaceutique, Paris, Textuel, 2005 Google Scholar.

5 - Marks, Harry, La médecine des preuves. Histoire et anthropologie des essais cliniques (1900-1990), Paris, Institut Synthélabo, 1999 Google Scholar.

6 - On parle également de médecine fondée sur des faits prouvés, en opposition au « sens clinique ». Pour une courte présentation de ce mouvement, voir Fagotlargeault, Anne, « Preuve et niveau de preuve dans les sciences biomédicales », in Changeux, J.-P. (dir.), La vérité dans les sciences, Paris, Odile Jacob, 2003, pp. 215236 Google Scholar. Pour une étude détaillée des effets de cette rationalisation sur les rapports interprofessionnels et le trio d’acteurs État, malades, médecins dans le domaine de la cancérologie, voir Castel, Patrick et Merle, Ivan, « Quand les normes de pratiques deviennent une ressource pour les médecins », Sociologie du travail, 44, 3, 2002, pp. 337355 CrossRefGoogle Scholar ; Castel, Patrick, « Le médecin, son patient et ses pairs. Une nouvelle approche de la relation thérapeutique », Revue française de sociologie, 46, 3, 2005, pp. 443467 CrossRefGoogle Scholar.

7 - Cette étude est principalement fondée sur l’analyse des archives d’un des responsables français de l’essai Concorde (lettres, fax, versions intermédiaires de l’article), de la presse généraliste et spécialisée française et, plus généralement, de tous les documents publics relatant cette controverse (communiqués de presse, dépêches d’agences, etc.). Cette étude est également nourrie d’entretiens – ne portant pas exclusivement sur l’essai Concorde –, réalisés entre 1996 et 2000 dans le cadre d’une recherche financée par l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) traitant de l’introduction en France des antirétroviraux.

8 - Les patients séropositifs peuvent être répartis en deux sous-catégories, les patients asymptomatiques, chez qui l’infection à VIH est « latente », sans aucune manifestation apparente, sans symptôme clinique, et les patients symptomatiques, qui sont atteints par les maladies définissant l’entrée dans la phase sida.

9 - Essais cliniques effectués selon un protocole unique dans des sites différents et par plusieurs investigateurs.

10 - Ni le patient ni le médecin ne savent si les « médicaments » administrés sont les médicaments de référence, un placebo, ou la molécule testée, ceci afin d’éviter des biais dans l’analyse.

11 - Dalgalarrondo, Sébastien, « Une recherche négociée : la recherche thérapeutique VIH en France », Sociologie du travail, 42, 1, 2000, pp. 159183 CrossRefGoogle Scholar.

12 - Précisons que nous entendons par recommandation tout énoncé normatif qui fait le lien entre des résultats expérimentaux et leurs conséquences immédiates pour la pratique. Le RCP est l’énoncé normatif par excellence dans le domaine du médicament, mais, comme nous allons le voir dans le cas de l’essai Concorde, tout article présentant les résultats d’un essai clinique propose, en plus des « résultats bruts », des recommanda- tions qui peuvent à terme engendrer une révision du RCP.

13 - Abraham, John, Science, politics and the pharmaceutical industry. Controversy and bias in drug regulation, Londres, UCL Press, 1995 Google Scholar.

14 - Richards, Evelleen, Vitamin C and cancer: Medicine or politics?, New York, St. Martin’s Press, 1991 CrossRefGoogle Scholar.

15 - Au moment de l’interruption de l’essai, dix-neuf patients dans le bras placebo étaient décédés contre un seul patient dans le bras AZT.

16 - Le réseau ACTG (Aids Clinical Trials Group) correspond à une association de chercheurs et d’institutions soutenus financièrement par le National Institutes of Health américain afin de favoriser la recherche clinique sur le sida. C’est en quelque sorte l’équivalent de la partie recherche clinique de l’ANRS.

17 - ARC ou Aids related complex, terme anglo-saxon abandonné qui désignait une forme intermédiaire de l’infection par le VIH.

18 - En anglais, Data and Safety Monitoring Board. Ce comité, composé de personnalités externes à l’essai et rompues aux essais thérapeutiques, examine périodiquement les résultats décodés afin de s’assurer de son bon déroulement, notamment sur le plan éthique.

19 - Le NIAID : National Institute of Allergy and Infectious Diseases. Voir Cherfas, Joseph, «AZT still on trial », Science, 246, 4932, 1989, p. 882 CrossRefGoogle Scholar.

20 - Dans une dépêche APM(agence de presse magazines) du 2 avril 1993, le Dr Aboulker, un des responsables français de l’essai, déclarait que le coût hors médicament de l’essai Concorde pour la France avait été de 15 millions de francs, réparti à parts égales entre l’ANRS et le laboratoire Wellcome. Le don des molécules aurait quant à lui coûté à Wellcome entre 60 et 70 millions de francs. A` titre de comparaison, signalons que le budget pour la recherche clinique de l’ANRS en 1995 était de 27 millions de francs.

21 - Pour une institution scientifique récente comme l’ANRS, une collaboration avec le MRC représentait une véritable opportunité. Rappelons que c’est au sein du MRC que Bradford Hill initia le premier essai clinique contrôlé moderne afin de tester l’efficacité de la streptomycine dans le traitement de la tuberculose.

22 - En recourant ainsi à des marqueurs de substitution, il est possible de réduire la durée des essais, d’enregistrer plus rapidement une molécule et de ne pas avoir à « compter les morts » pour attester l’efficacité d’un nouveau médicament. Au milieu des années 1990, ce marqueur fut abandonné au profit de la mesure de la charge virale (quantification du virus circulant dans le sang).

23 - Le CE est un comité restreint ne comprenant qu’un certain nombre des scientifiques présents au sein du CC.

24 - « In conclusion, Concorde has not shown any significant benefit from the immediate use of zidovudine [dénomination scientifique de l’AZT] compared with deferred therapy in symptom-free individuals in terms of survival or disease progression, irrespective of their initial CD4 count. » ( ABOULKER, Jean-Pierre et Swart, Ann Marie, « Preliminary analysis of the Concorde trial. Concorde Coordinating Committee », The Lancet, 341, 1993, pp. 889890, version finale de la conclusion parue dans le journalCrossRefGoogle ScholarPubMed).

25 - « To date the result of four placebo-controlled studies of zidovudine in early HIV infection have been published from the USA, two like Concorde in asymptomatic infection and two in early symptomatic infection, one of which compared immediate with deferred therapy. In three of the four the study was terminated early with average follow-up of just over two years […]. The main finding from these trials was a delay in the clinical progression of disease to AIDS or severe ARC but over a much shorter follow-up period than Concorde. The findings from Concorde at a comparable followup time were consistent with this. In conclusion Concorde has not shown any additional benefit in terms of major clinical outcome from the early use of zidovudine in asymptomatic patients, compared with deferred therapy. » (Version alternative proposée par le laboratoire).

26 - « As a result of the protocol amendments people in the deferred treatment group were able to start zidovudine earlier than intended. This resulted in some groups within the early and deferred treatment arms receiving similar treatment. It is therefore not unexpected that, overall, dramatic differences between early and deferred treatment were not observed. » (Communiqué de presse du laboratoireWellcome du 2 avril 1993).

27 - Fin 1993, 4,1% des patients traités en France étaient sous bithérapies (source Inserm, DMI/II).

28 - Le taux normal de CD4 chez un adulte séronégatif en bonne santé se situe entre 600 et 1 200 CD4/mm3.

29 - La probabilité estimée de survie à trois ans était de 92%dans le groupe « administration immédiate » et de 94% dans le groupe « administration différée ». Le taux de progression vers le sida ou la mort était de 18% dans les deux groupes.

30 - Dépêche de l’APM du 9 juin 1993.

31 - Le Quotidien du médecin, 16 juin 1993.

32 - Il est possible de voir des images de cette réunion en visionnant le reportage proposé par la chaîne BBC dans le cadre de son émission « Panorama » intitulée « A ray of hope ». Cette émission, diffusée en 1995, fut entièrement consacrée à l’AZT.

33 - Archives ANRS: Minutes de la réunion rédigées par le secrétariat de l’essai.

34 - « The optimal time to start zidovudine monotherapy in adults remains unclear. In view of the limited number of antiretroviral therapies available and uncertainties over the management strategies, therapeutic decisions should be based on a balanced appraisal of currently available scientific evidence and individual patient's needs. » (Paragraphe final du résumé proposé par le laboratoire Wellcome).

35 - « The results of Concorde do not encourage the early use of zidovudine in symptomfree HIV-infected adults. They also call into question the uncritical use of CD4 cell counts as a surrogate endpoint for assessment of benefit from long-term antiretroviral therapy. » (Concorde Coordinating Committee, « Concorde: MRC/ANRS randomised double-blind controlled trial of immediate and deferred zidovudine in symptom-free HIV infection », The Lancet, 343, 8902, 1994, pp. 871-881, paragraphe final du résumé publié).

36 - Pour une analyse de ces débats dans le domaine de la cancérologie, voir Castel, Patrick et Dalgalarrondo, Sébastien, « Les dimensions politiques de la rationalisation des pratiques médicales », Sciences sociales et santé, 23, 4, 2005, pp. 540 CrossRefGoogle Scholar.

37 - Le clinicien américain Douglas Richman, très engagé dans l’évaluation de l’AZT à l’époque des faits, déclarait après la parution des résultats intermédiaires de Concorde : « Il s’agit d’une infection chronique et persistante. Pour moi, il est inconcevable que la voie à suivre soit de ne pas traiter » ( Epstein, Steven, La grande révolte des malades, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, 2001, p. 185 Google Scholar).

38 - « The result of Concorde do not clarify the optimal time to start zidovudine monotherapy in asymptomatic adults. » (Paragraphe final proposé par le laboratoireWellcome).

39 - « The result of Concorde do not encourage the early use of zidovudine as a monotherapy in symptom-free adults and have influenced the changes in the recommendations for its use in the USA. Whereas previously zidovudine was recommended for all symptom-free HIV infected individuals with CD4 cell counts of between 200 and 500/µL, the current recommendations in the USA now support either continued observation (as for those with counts of above 500/µL) or initiation of zidovudine. The optimum time to start zidovudine remains unclear. » (Concorde Coordinating Committee, « Concorde: MRC/ANRS… », art. cit., avant-dernier paragraphe publié).

40 - Le CE proposait en réalité deux versions, l’une citant les noms des deux membres du laboratoire et précisant qu’ils n’avaient pas voulu signer l’article et une seconde où il était juste signalé que des membres du CC représentant le laboratoire Wellcome n’avaient pas signé cet article sans préciser leurs noms.

41 - « Representatives of the Wellcome Foundation who were also members of the Coordinating Committee have declined to endorse this report. » (Concorde Coordinating Committee, « Concorde: MRC/ANRS… », art. cit.).

42 - Berlivet, Luc, « Argumentation scientifique et espace public. La quête de l’objectivité dans les controverses autour des risques de santé », in François, B. et Neveu, E. (dir.), Espaces publics mosaïques. Acteurs, arènes et rhétoriques des débats publics contemporains, Rennes, PUR, 1999, pp. 185208 CrossRefGoogle Scholar ; Luc Berlivet, «Une santé à risques.L’action publique de lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme en France (1954-1999) », Thèse de science politique, Université de Rennes-1, 2000.

43 - Archives ANRS: Les références à cette réunion sont tirées des minutes réalisées par le secrétariat de l’essai.

44 - « A part from a need for information to back up a request to extend the licence for use we are sure that Wellcome want the data to carry out analyses which may undermine the overall outcome of the trial data from small groups, etc. They are, for example, obviously very keen to try to show differences between French and UK centers. None of these would stand up scientifically – the Coordinating Committee, MRC and ANRS will have to deal with such disinformation as it arises. » (Lettre d’un responsable du MRC à destination des responsables français de l’essai).

45 - Interview d’un responsable français de l’ANRS.

46 - Un communalisme limité, en opposition au communalisme défini par Robert Merton, où la circulation des connaissances scientifiques, véritables biens publics, doit être favorisée au sein de la communauté et l’appropriation privée réduite à son minimum ( Michel, Dubois, La nouvelle sociologie des sciences, Paris, PUF, 2001 Google Scholar).

47 - Cooper, David A. et al., « Zidovudine in persons with asymptomatic HIV infection and CD4+ cell counts greater than 400 per cubic millimeter. The European-Australian Collaborative Group », New England Journal of medicine, 329, 5, 1993, pp. 297303 CrossRefGoogle ScholarPubMed.

48 - « The early use of Retrovir (zidovudine) in asymptomatic HIV-infected persons cuts the chances of developing symptoms and signs of more advanced HIV disease by half, according to the results of a major international study published today, 29 july. Zidovudine maintained the health of participants who were HIV positive, but had no clinical evidence of HIV disease for up to three years. » (Communiqué de presse du laboratoire Wellcome GB du 29 juillet 1993).

49 - « Early treatment of HIV infection with zidovudine can reduce disease progression. EACG 020 suggests but does not prove that earlier intervention may result in a longer duration of benefit of zidovudine monotherapy. »

50 - « These data will provide some further insight as to wether early therapy with zidovudine versus deferred treatment can produce longer term clinical and survival benefits. In Concorde, after a three year follow up, such benefits were not detected. However. » (Communiqué de presse du laboratoire Wellcome GB du 29 juillet 1993).

51 - « […] in EACG 020 the placebo group were not offered a switch to open zidovudine therapy for the first two years. This is thus a greater separation between initiating early therapy and deferred therapy then in Concorde and the outcome on follow up could be different. » (Communiqué de presse du laboratoire Wellcome GB du 29 juillet 1993).

52 - Le Dr Richard Peto fut anobli en 1999 « pour services rendus à l’épidémiologie et à la lutte contre le cancer ». Ses travaux dans le domaine du cancer, des maladies cardiovasculaires et son leadership dans le domaine des méta-analyses font de lui un statisticien internationalement reconnu.

53 - Peto, Richard et Collins, Rory, « Immediate versus deferred zidovudine », The Lancet, 341, 8851, 1993, pp. 10221023 CrossRefGoogle ScholarPubMed.

54 - « Dr Peto, writing in The Lancet has already stated that Concorde was neither “large enough or long enough” to be certain of its findings regarding the additional data from EACG 020 adds further support to other observations that there is benefit from early therapy and duration of the benefits is more prolonged the earlier therapy is initiated. » (Communiqué de presse du laboratoire Wellcome GB du 29 juillet 1993).

55 - La résistance aux médicaments correspond à l’aptitude d’un micro-organisme ou d’un parasite à survivre et même à se reproduire en leur présence alors que ceux-ci devraient normalement les détruire ou empêcher leur multiplication. Dans le cas du VIH, la résistance à certains antiviraux est souvent due à l’apparition de mutations. Elle conduit à modifier un traitement et peut aboutir à une impasse thérapeutique. En 1993, date de publication de l’article du Dr Peto, un certain nombre de publications soulignent ce risque : Larder, Brendan A., Darby, Graham et Richman, Douglas D., « HIV with reduced sensitivity to zidovudine (AZT) isolated during prolonged therapy », Science, 243, 899, 1989, pp. 17311734 CrossRefGoogle ScholarPubMed ; Larder, Brendan A. et Kemp, Sharon D., « Multiple mutations in HIV-1 reverse transcriptase confer high-level resistance to zidovudine (AZT) », Science, 246, 4934, 1989, pp. 11551158 CrossRefGoogle Scholar. Et même s’il ne s’agit à l’époque que d’une piste de recherche susceptible d’expliquer la baisse d’efficacité sur le long terme de l’AZT, cette hypothèse (qui sera pleinement validée plus tard) est sérieusement prise en compte par un grand nombre de cliniciens.

56 - Lettre de la filiale française de Wellcome du 28 juillet 1993, signée du directeur médical.

57 - Dalgalarrondo, Sébastien et Urfalino, Philippe, « Choix tragique, controverse et décision publique », Revue française de sociologie, 41, 1, 2000, pp. 119157 CrossRefGoogle Scholar.

58 - « The conclusions […] were provocatively inaccurate in many essential details. […] One can quite understand their commercial imperative to denigrate the Concorde study, but this behaviour has undermined their position as friends and colleagues for the future relationship between this company and MRC/ANRS. »

59 - « Je voudrais dire ici combien il est scientifiquement infondé de cumuler, comme le fait Wellcome, l’ensemble des patients ayant participé aux essais avec l’AZT », extrait de l’article intitulé «Le directeur de l’Agence nationale de recherches sur le sida répond à la firme Wellcome », publié dans le journal Le Monde daté du 10 avril 1993.

60 - Les chercheurs français avaient notamment prévu d’annoncer les résultats en « avant-première » aux associations ainsi qu’aux trente-cinq centres participant à l’essai sur le sol français. En se donnant ainsi des relais locaux, ils pensaient échapper à tout dérapage.

61 - Il s’agit de la première phrase du premier paragraphe de l’article de première page.

62 - Le directeur de l’association Sida Info Service déclarait dans le journal Libération du 2 avril 1993 : « Et voilà que le vendredi 26 mars [sic], à l’heure du laitier, la radio leur annonce que l’AZT constitue un “espoir déçu pour les séropositifs”. Certains se précipitent sur le journal du matin. Libération pour nombre d’entre eux : ils ont confirmation de l’espoir déçu. […] Ces auditeurs, ces lecteurs sont dans un état qui ressemble à celui de l’annonce du résultat positif d’un test de dépistage […] certains ont pensé au numéro vert et les plus chanceux ont réussi à y joindre quelqu’un en dépit de la saturation chronique du standard parisien. […] Les auditeurs et les lecteurs ont retenu la disqualification du produit : qu’on en prenne ou pas, l’infection évolue de la même façon. »

63 - Le lecteur trouvera des informations sur ces débats dans l’article de Dodier, Nicolas et Barbot, Janine, « Le temps des tensions épistémiques », Revue française de sociologie, 41, 1, 2000, pp. 79118 CrossRefGoogle Scholar, ainsi que dans les chapitres 5 et 6 de Dalgalarrondo, Sébastien, Sida : la course aux molécules, Paris, Éditions de l’EHESS, 2004 CrossRefGoogle Scholar.

64 - Cette intervention dans le journal Le Figaro permet de juger de l’ambiguïté des propos du professeur : « Rien ne permet dans cette étude de contredire le bénéfice indiscutable, clinique et biologique, de l’AZT. » Selon ce médecin, ce bénéfice est démontré « dans plusieurs travaux d’importance aumoins équivalents à ceux de Concorde, non seulement sur les malades asymptomatiques mais aussi chez ceux dont le bilan immunologique est altéré même s’ils sont dépourvus de symptômes du sida. Ces résultats ne vont donc strictement rien changer à la façon que nous avons actuellement de traiter les malades en France et en Europe. Il est cependant admis », a-t-il reconnu, « que les effets limités de l’AZT contre-indiquent son utilisation précoce, c’est-à-dire sur des patients dont le bilan immunitaire est peu ou pas perturbé […] » (Le Figaro, 5 avril 1993).

65 - Le Monde, 10 avril 1993.

66 - L’analyse des archives de l’essai Concorde confirme que c’est bien le Pr Rozenbaum qui est ici la cible de ces propos sur l’objectivité.

67 - Source : retranscription fournie par le service média du MRC aux responsables de l’essai Concorde. Émission diffusée le 10 avril 1994, après la publication de l’article final.

68 - Terme utilisé pour désigner l’ensemble des molécules en développement dans un laboratoire.

69 - S. Epstein, La grande révolte…, op. cit., après avoir relaté la « controverse scientifique » autour des résultats de l’essai Concorde : « Qu’une controverse soit close dépend donc fondamentalement de la capacité des acteurs à s’affirmer comme des représentants ou des interprètes crédibles des expériences scientifiques afin d’obtenir que leurs propres évaluations soient crues par les autres et que ceux-ci se rangent derrière eux » (p. 320).

70 - Les travaux d’E. Richards, Vitamin C and cancer…, op. cit., vont dans le même sens. Pour cet auteur, l’objectivité des résultats produits par la recherche clinique n’est qu’un mythe au service d’une profession médicale soucieuse de préserver son pouvoir et d’écarter ceux qui pourraient le remettre en cause. Les cliniciens « orthodoxes » n’auraient ainsi qu’un seul objectif, préserver les frontières de leur profession, n’hésitant pas si nécessaire à passer sous silence l’intérêt d’une thérapeutique (ici l’usage de la vitamine C dans le traitement du cancer) qui par sa nature (auto-administration, achat sans ordonnance) pourrait remettre en question son existence.

71 - Urfalino, Philippe, « La délibération n’est pas une conversation », Négociation, 2, 2005, pp. 99114.CrossRefGoogle Scholar

72 - Hauray, Boris, « Négociation et argumentation dans la relation de contrôle. Les autorités sanitaires face aux laboratoires pharmaceutiques », Négociation, 2, 2005, pp. 8399 CrossRefGoogle Scholar. L’heure est même au durcissement des critères d’éligibilité des cliniciens et autres chercheurs siégeant au sein de ces comités. Les critiques répétées de capture de ces agences par les industriels ont par exemple donné lieu à la mise en place de déclarations de conflits d’intérêts. Précisons que le comité d’amm de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé comprend un représentant de l’industrie pharmaceutique mais que son rôle est limité dans les faits à celui d’un observateur attentif.

73 - Voir par exemple la composition du « Panel on clinical practices for treatment of HIV infection » qui travaille sous l’autorité du «US Department of Health and Human Services (DHHS) » ou, plus proche de chez nous, le groupe Dormont, créé en 1990 à l’initiative du ministère de la Santé, qui fut chargé de suivre l’actualité thérapeutique dans le domaine du VIH afin de proposer régulièrement des recommandations sur la prise en charge des personnes atteintes par le virus du sida. Précisons que si la présence d’industriels n’a jamais été envisagée comme un bénéfice potentiel, à l’inverse, celle de représentants des patients est de plus en plus d’actualité.

74 - Voir sur ce point l’ouvrage instructif de Angell, Marcia, The truth about drug companies, New York, Random House, 2004, qui fut pendant de nombreuses années rédactrice en chef d’une des grandes revues médicales : le New England Journal of medicine Google Scholar.

75 - Pour une analyse détaillée de ces partenariats en France et dans le domaine du sida, voir S. Dalgalarrondo, « Une recherche négociée… », art. cit.

76 - Le New England Journal of medicine, pourtant à la pointe de ce mouvement de réforme, a ainsi dû revoir à la baisse ses règles de publication après avoir constaté qu’il lui était très difficile de trouver des auteurs de haut niveau pour rédiger des articles de synthèse et des éditoriaux ( Holden, Constance, « Conflict of interest. NEJM admits breaking its own tough rules », Science, 287, 5458, 2000, p. 1573 CrossRefGoogle ScholarPubMed).

77 - Jouvenel, Bertrandde, « Le problème du président de séance », Négociation, vol. 2, 2005, pp. 177186 Google Scholar.

78 - Cette fracture fut d’ailleurs consacrée par l’existence d’écarts notables entre l’Amm américaine et française. Une telle configuration donnait donc prise à une vision politique de la controverse où la communauté médicale VIH européenne ne semblait défendre son essai et sa méthodologie que pour marquer son rang dans le concert mondial de la recherche clinique sur le sida.

79 - « Les médias (presse, radio, télévision) contribuent puissamment à rendre possible le débat, à l’organiser et à le structurer. Avec leurs logiques propres, ils mettent en relation et rendent mutuellement perceptibles les acteurs et leurs positions. Ils participent ainsi à la constitution de l’infrastructure nécessaire à la double exploration et aux va-et-vient qu’elle suppose. » ( Callon, Michel, Lascoumes, Pierre et Barthe, Yannick, Agir dans un monde incertain, essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001, p. 256 Google Scholar).

80 - Ajoutons que la révolution induite par l’apparition du réseau Internet n’est que trop rarement problématisée ou trop rapidement présentée comme une évolution favorable à la participation de groupes minoritaires.