Published online by Cambridge University Press: 04 May 2017
Depuis quand fêtons-nous l’anniversaire de notre naissance? La question a dû paraître suffisamment anecdotique aux historiens pour qu’ils ne se la soient guère posée. Intéressé par les rythmes sociaux et la scansion de la vie, l’auteur invite le lecteur à le suivre dans le cheminement de sa recherche, partie de son étonnement devant le caractère encore tardif et irrégulier de la célébration de l’anniversaire au début de l’époque moderne. En remontant dans le temps, il tente d’élucider les raisons pour lesquelles le Moyen Âge, peu soucieux du jour de la naissance et de l’âge exact des individus et préoccupé au contraire par le jour de leur mort, a effectué au cours du xive siècle un retournement lourd de conséquences de la mort vers la vie, de l’anniversarium funéraire vers la « natalité ». Mais la question initiale ne trouvera de réponse que dans la «longue durée»: ce sont les 53 bougies de Goethe en 1802 qui scellent l’invention de l’anniversaire tel que nous le connaissons aujourd’hui...
Since when have we celebrated our birthdays? The question must seem trivial to historians since they have never asked it. Interested by social rhythms and the scanning of life, the author invites the reader to follow the path of his research, beginning with his astonishment at how late and erratic the celebration of birthdays was even at the beginning of the modern era. Working backward in time, he attempts to elucidate the reasons for which the Middle Ages, which was more concerned with the date of death than with the date of birth of the exact age of individuals, began, in the fourteenth century, a process of turning from death towards life, from the anniversarium of death to the day of birth, a process that would have wide-reaching consequences. But the initial question can only be answered by a consideration of the ‘longue durée’: it was the 53 candles of Goethe in 1802 that sealed the invention of the birthday in the sense that we know it today.
1 - Durkheim, Émile, Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, Paris, PUF, [1912] 1968, p. 631 et 618Google Scholar.
2 - Mauss, Marcel et Hubert, Henri, Mélanges d’histoire des religions, Paris, Félix Alcan, [1909] 1929, p. 195 Google Scholar (je souligne).
3 - Mauss, Marcel, « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos. Étude de morphologie sociale »,Sociologie et anthropologie, introduction de Claude Lévi-Strauss, Paris, PUF, 1968, p. 389-477 Google Scholar.
4 - Zerubavel, Eviatar, Hidden rhythms. Schedules and calendars in social life, Chicago/ Londres, The University of Chicago Press, 1981 Google Scholar; Hall, Edward T., La danse de la vie. Temps culturel, temps vécu, Paris, Le Seuil, [1983] 1984 Google Scholar; Gell, Alfred, The anthropology of time. Cultural construction of temporal maps and images, Oxford/Berkeley, Berg, 1992 Google Scholar.
5 - Michon, Pascal, Rythmes, pouvoir, mondialisation, Paris, PUF, « Pratiques théoriques », 2005 Google Scholar.
6 - Ariès, Philippe, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Le Seuil, 1973 Google Scholar, ne traite pas de l’anniversaire en dépit de sa connaissance de sources qui en parlent. L’ouvrage de Lebrun, Françoise, Le livre de l’anniversaire, Paris, Robert Laffont, 1987 Google Scholar, élégamment illustré, visant un large public, fait exception et ne manque pas d’apporter d’utiles informations.
7 - Gennep, Arnold Van, Manuel de folklore français contemporain, t. iii, Paris, A. et J. Picard, 1937, p. 25 Google Scholar. Dans les « Questionnaires régionaux », l’auteur prévoyait au titre de la « Vie de relation », des questions sur la « Famille », dont « Fêtes de famille; Anniversaires; Noces d’argent; Vœux; Cadeaux». Mon impression est confirmée par Nicole Belmont, savante interprète de cette œuvre. Les catégories du Manuel sont utilisées par Vaultier, Roger, Le folklore pendant la guerre de Cent Ans d’après les lettres de rémission du Trésor des chartes, Paris, Guénégaud, 1965 Google Scholar, qui ne contient aucun renseignement sur la question: on en comprendra plus loin la raison. Voir aussi: Hoffmann-Krayer, Eduard et Bächtold-Stäubli, Hanns (dir.), Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens, Berlin/ Leipzig, Walter de Gruyter,Google Scholar 1930-1931, s. v. « Geburtstag », qui note à propos de l’anniversaire que « le peuple y prête peu d’attention ».
8 - Sirota, Régine, « Les civilités de l’enfance contemporaine. L’anniversaire et le déchiffrement d’une configuration », Éducation et sociétés. Revue internationale de sociologie de l’éducation, « Sociologie de l’enfance-2 », 3, 1, 1999, p. 31-54 Google Scholar.
9 - Paroles de Jacques Larue, musique de Louiguy.
10 - Paroles et musique dues à deux sœurs, Milldred J. Hill et Patty Smith Hill, maîtresses de jardin d’enfant dans le Kentucky au tournant des xixe-xxe siècles. Je dois ces informations à Nadine Cretin que je remercie très chaleureusement. Voir le site http:// www.snopes.com/music/songs/birthday.asp.
11 - Klapisch-Zuber, Christiane, La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990 Google Scholar, ne signale aucune mention d’un anniversaire.
12 - Monnet, Pierre, Les Rohrbach deFrancfort. Pouvoirs, affaires et parenté à I’aube de la Renaissance allemande, Genève, Droz, 1997 Google Scholar.
13 - Fink, August, Die Schwarzschen Trachtenbttcher, Berlin, Deutscher Verein für Kunst wissenschaft, 1963 Google Scholar. Les deux manuscrits, conservés originellement à Wolffenbüttel, sous les cotes 58. 5 Aug. 8° et 8. 10 Aug. 4°, se trouvent aujourd’hui au Herzog Anton Ulrich-Museum de Braunschweig.
14 - Braunstein, Philippe, Un banquier mis à nu. Autobiographie de Matthäus Schwarz, bourgeois d’Augsbourg, Paris, Gallimard, 1992 Google Scholar. ii s’agit de l’édition partielle (96 figures sur 137) du ms. Paris, BNF All. 211 (183 x 110 mm, 72 ff.) que j’ai directement étudié. J’emprunte à cette édition, chaque fois que cela est possible, les traductions de l’alle-mand. Vivant Denon transféra le manuscrit à Paris en 1806, et il ne fut pas restitué en 1815. ii s’agit d’une copie réalisée en 1704 pour Sophie de Hanovre, du manuscrit original de la Herzog Bibliothek de Wolffenbüttel, 58. 5 Aug. 8°. Si les miniatures sur parchemin peuvent faire illusion, la paléographie est sensiblement différente de celle du xvie siècle.
15 - Grcebner, Valentin, « Die Kleider des Körpers des Kaufmanns. Zum ‘Trachten-buch’ eines Augsburger Bürgers im 16. Jahrhundert », Zeitschriftfür Historische Forschung, 25, 3, 1998, p. 323-358 Google Scholar.
16 - S’il a existé en Allemagne de nombreux livres de raison, les « livres des costumes » sont exceptionnels. Autre exemple: Weiditz, Christoph, Das Trachtenbuch des Christoph Weiditz, von seinen Reisen nach Spanien (1529) und den Niederlanden (1531/32), nach der in der Bibliothek des Germanischen National Museums zu Nürnberg aufbewahrten Handschrift, édité par Theodor Hampe, Berlin/Leipzig, W. de Gruyter, 1927 Google Scholar.
17 - Das Gebetbuch des Matthäus Schwarz, édité par V. Georg Habich, Munich, Königliche Bayerische Akademie der Wissenschaften, 1910.
18 - Conservé au Kupferstichkabinett de la Staatsbibliothek de Berlin.
19 - Je remercie Emmanuel Poulle de m’avoir confirmé (lettre du 16 décembre 2006) que « L’astrologie justifie un intérêt scientifique (mais absolument pas sociologique) pour les anniversaires, dans le cadre très étroit de la ‘révolution de l’année’ acquise lorsque le soleil occupe exactement, au bout d’un an (et d’année en année, naturelle-ment), la position qu’il avait lors de la naissance, ce qui arrive en un an de calendrier + ou – quelques heures. » La distinction des facteurs « sociologiques » de l’attention prêtée ou non à l’anniversaire, indépendamment des croyances astrologiques, est essen-tielle et justifie ma démarche.
20 - Boudet, Jean-Patrice, Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (XIIe-XVe siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 297 Google Scholar.
21 - Londres, British Library, Soane ms 428, f. 126v. Reproduit dans Page, Sophie, Astrology in Medieval manuscripts, Londres, The Bristish Library, 2002, p. 33-35 Google Scholar, ill. 24.
22 - J.-P. Boudet, Entre science et nigromance..., op. cit., p. 283 sq.
23 - Le Goff, Jacques, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p. 31-35 Google Scholar.
24 - Ibid., p. 33. Autre exemple: le chroniqueur Nicolas Trivet affirme au xive siècle qu’Alexandre Nequam (1157-1217) serait né en «septembre 1157» le «même jour » que le roi d’Angleterre Richard Ier. En effet, sa mère, nommée Hodierna, aurait allaité simultanément les deux garçons. La tradition est tardive, le jour n’est pas précisé et il est encore moins question d’anniversaire. Voir Hunt, Richard W., The schools and the cloister: The life and writings of Alexander Nequam (1157-1217), Oxford, Clarendon Press, 1984 Google Scholar. Je remercie Paul Saenger pour cette référence.
25 - Gauvard, Claude, « De grâce especial ». Crime, État et société à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 1991, vol. 1, p. 348-354 Google Scholar (« Une imprécision volontaire »), qui écrit entre autres: « À la fin du Moyen Âge, décliner son âge est loin d’être un acte naturel; la mémoire des sujets sort du silence sous l’aiguillon des exigences de l’État. La question d’où découle tout le reste du raisonnement n’est plus alors de savoir si ces gens connaissent leur âge, mais plutôt dans quel but ils ont été amenés à le formuler. » L’auteur précise aussi que la jeunesse (les « jeunes enfants » ont entre quinze et vingt ans) est considérée comme une circonstance atténuante: d’où l’intérêt, pour les accusés, de tenter de se rajeunir.
26 - Voir notamment les dictionnaires latins de Charles Du Cange et de Jan Frederick Niermeyer, s. v. « anniversarius », « anniversarium », « natale », « dies natalis », « natalicius » et, pour l’ancien français, celui de F. Godefroy, s. v. « anniversaille », « aniversel ». La partie étymologique de l’article « anniversaire » du Trésor de la langue française donne Benoît De Sainte-Maure, Roman de Troie, v. 17457, comme première occurrence en ancien français vers 1165, et il s’agit bien du sens funéraire. On peut faire exactement les mêmes remarques pour l’allemand à partir de Grimm, Jacob et Grimm, Wilhelm, Deutsches Wörterbuch, Leipzig, Hirzel, 1854-1960, s. v. « Geburtstag Google Scholar », qui ne mentionne pas l’usage moderne du mot avant le xvie siècle.
27 - Chiffoleau, Jacques, La comptabilité de l’au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fin du Moyen Âge (vers 1320-vers 1480), Rome, École française de Rome, 1980 Google Scholar. Voir aussi Lauwers, Michel, «Mort(s) », inJ. Le Goff et J.-C. Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, Fayard, 1999, p. 771-789 Google Scholar.
28 - Je me permets de renvoyer sur ce point à Schmitt, Jean-Claude, Les revenants. Les vivants et les morts dans l’Occident médiéval, Paris, Gallimard, 1994 Google Scholar.
29 - Pour ce qui concerne l’anniversaire de la naissance, notamment celle du souve-rain, ou l’anniversaire de l’accession de celui-ci au trône, dans l’Antiquité païenne et encore dans l’Antiquité chrétienne, se reporter à Klauser, Theodor, v., s., « Geburts-tag », in F. J. Dölger et al. (dir.), Reallexikon für Antike und Christentum, Stuttgart, A. Hiersemann, 1976, col. 217-243 Google Scholar, et au livre ancien de Schmidt, Wilhelm, Geburtstag im Altertum, Giessen, A. Töpelmann, 1908 Google Scholar. Voir aussi les articles brefs « Geburtstag », in Cancik, H. et Schneider, H. (dir.), Der Neue Pauly. Enzyklopädie der Antike, Stuttgart/Weimar, Metzler, 1998, IV, col. 843-845 Google Scholar, et « Anniversaire », in Leclant, J. (dir.), Diction-naire de l’Antiquité, Paris, PUF, 2005, p. 122 Google Scholar.
30 - Schmitt, Jean-Claude, « L’exception corporelle. A propos de l’Assomption corporelle de Marie », in Hamburger, J. et Bouché, A.-M. (éd.), The mind’s eye. Art and theological argument in the Middle Ages, Princeton, Princeton University Press, 2006, p. 151-185 Google Scholar; Lamy, Marielle, L’Immaculée Conception. Étapes et enjeux de la controverse au Moyen Age (XIIe-XVe siècle), Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2000 Google Scholar.
31 - Selon T. Klauser, « Geburtstag », art. cit., le Sacramentaire gélasien aurait conservé, sur ce modèle, un formulaire de prière pour le premier anniversaire de certains enfants (oratio in natale genuinum), mais cette pratique ne s’est pas imposée durablement et sa signification est débattue, puisqu’on peut y voir une action de grâce pour la survie de l’enfant pendant un an plutôt qu’une véritable fête d’anniversaire qui, de toute manière, ne se reproduisait pas les années suivantes.
32 - Autrand, Françoise, Charles V le Sage, Paris, Fayard, 1994, p. 11-12 Google Scholar.
33 - Autrand, Françoise, Jean de Berry. L’art et le pouvoir, Paris, Fayard, 2000, p. 29-31 Google Scholar.
34 - Voir par exemple Guibert de Nogent, qui rend grâce à Dieu de l’avoir fait « naître et renaître » (mihi nato et renato), dans la chair et dans l’esprit: De Nogent, Guibert, Autobiographie, édité et traduit par Edmond-René Labande, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 20-21 Google Scholar, n. 2.
35 - Le Goff, Jacques, La naissance du purgatoire, Paris, Gallimard, 1981 Google Scholar; Gelis, Jacques, Les enfants des limbes. Mort-nés et parents dans l’Europe chrétienne, Paris, Louis Audibert, 2006 Google Scholar.
36 - Jussen, Bernhard, Patenschaft und Adoption im frühen Mittelalter. Künstliche Verwandschaft als soziale Praxis, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1991 Google Scholar.
37 - Ce fut le cas du juif converti Pierre Alphonse, baptisé le jour de la Saint-Pierre 1106, son parrain étant le roi Alphonse d’Aragon, d’où son double nom.
38 - Il y a eu naturellement des exceptions et il a pu arriver que le psautier accueille dans son calendrier les « choses de la vie »: le célèbre Psautier d’Ingeburge porte mention des obits des parents de la reine, Waldemar et Sophie de Danemark, mais aussi, le 27 juillet, de la victoire de Bouvines.
39 - Guibert De Nogent, Autobiographie, op. cit., p. 20-23. J’ai légèrement modifié la traduction proposée par E.-R. Labande.
40 - Les temps de la vie, musée des Arts et Traditions populaires, 24 février-25 septembre 1995, catalogue rédigé par Maguet, Frédéric, Paris, RMN, 1995 Google Scholar. Et plus récemment, axé sur le « troisième âge » et la mort: Von Hülsen-Esch, Andrea et Westermann-Angerhausen, Hiltrud (dir.), Zum Sterben schön. Alter, Todentanz und Sterbekunst von 1500 bis heute, édités avec la collaboration de Stephanie Knöll, Cologne, Museum Schnütgen, 2006 Google Scholar.
41 - Sears, Elisabeth, The ages of man. Medieval interpretation of life cycle, Princeton, Princeton University Press, 1986 Google Scholar; Burrow, John A., The ages of man. A study in medieval writing and thought, Oxford, Clarendon Press, [1986] 1988 CrossRefGoogle Scholar; Agostino Paravicini Bagliani, « Âges de la vie », in J. Le Goff et J.-C. SChmitt (dir.), Dictionnaire raisonné..., op. cit., p. 7-19 (bibliographie complémentaire).
42 - Voir à ce propos les observations de Descola, Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, p. 282 Google Scholar sq. En usant de la terminologie de l’auteur, on peut parler, pour la culture chrétienne traditionnelle de l’Europe, d’analogisme travaillé par une tendance naturaliste ancienne (celle de la Genèse).
43 - Le Compost et Kalendrier des bergiers: reproduction en fac-similé de l’édition de Guy Marchant (Paris, 1493), introduction de Pierre Champion, Paris, Éd. des Quatre chemins, 1926. On peut aussi consulter la réédition des Éditions Siloe, Paris, 1981. Sur cet ouvrage: J.-P. Boudet, Entre science et nigromance..., op. cit., p. 332 sq.
44 - Polo, Marco, Le devisement du monde, édition critique publiée sous la direction de Philippe Ménard, t. iii, L’empereur Khoubilai Khan, édité par Jean-Claude Faucon, Danielle Quéruel et Monique Santucci, Genève, Droz, 2001-2004, p. 78-80 Google Scholar (chap. 86).
45 - Sans qu’il y soit question d’anniversaire, la légendaire Lettre du Prêtre Jean, qui circula en Occident à partir de 1165, affirme (à la première personne) que le roi prêtre faisait son entrée dans le palais merveilleux construit par son père à la requête d’un ange, « in die nativitatis nostrae ». Une variante de ce texte date même de « in prima die nativitatis nostrae » l’apparition d’une chapelle de cristal sur le flanc du palais (voir Zarncke, Friedrich, Der Priester Johannes, Leipzig, S. Hirzel 1879, p. 827-1030 Google Scholar, ici p. 922 et note. Je dois cette référence et l’hypothèse d’un lien avec l’anniversaire du Christ à Hila´rio Franco Jr, que je remercie). Ces mentions, qui n’impliquent nullement l’idée d’une célébration répétée de l’anniversaire, participent de l’exubérance numé-rique habituelle dans la veine utopique et merveilleuse de la littérature médiévale. Ainsi trouve-t-on dans le royaume du Prêtre Jean, qui jouxte le paradis terrestre, une « fontaine de jouvence » où toute personne, « âgée de cent ans ou de mille », retourne, si elle s’y plonge, à l’âge christique de « trente-deux ans ». Dans la version française, le roi prêtre dit être âgé de 562 ans et s’y être baigné six fois, mais achève sa lettre en se donnant 507 ans seulement. Dans la version originale, il dit écrire dans sa 51e année... L’assimilation au Christ de ce roi chrétien des confins imaginaires du monde n’est peut-être pas étrangère à ces calculs approximatifs. La Nativité du Christ, qui compte parmi les rares fêtes liturgiques célébrant un anniversaire de naissance, est devenue à partir du xie siècle le terminus a quo de la chronologie universelle, les années étant datées désormais de «l’Incarnation du Sauveur» (voir Guyotjeannin, Olivier et Tock, Benoît-Michel, « ‘Mos presentis patriae’: les styles de changement du millésime dans les actes français (XIe-XVIe siècle) », Bibliothèque de l’École des chartes, 157, 1999, p. 41-110)Google Scholar.
46 - Evans-Pritchard, Edward E., Les Nuer. Description des modes de vie et des institutions politiques d’un peuple nilote (1937), Paris, Gallimard, 1969 Google Scholar.
47 - Marco Polo, Le devisement du monde, op. cit., p. 92-93 (chap. 93).
48 - Les manuscrits enluminés princiers de la fin du xive ou du début du xve siècle de l’œuvre de Marco Polo contiennent parfois une miniature représentant l’anniversaire du Grand Khan, sous la forme d’un banquet royal qui ne se distingue pas des illustrations des autres fêtes; voir Marco Polo, Le devisement du monde, op. cit., t. iii, pl. vii, p. 207 (Oxford, Bodleian Library, ms. 264, fol. 239). Voir aussi: Polo, Marco. Le Livre des mer-veilles, ms. fr. 2810 de la Bibliothèque nationale de France, édition fac-similé publiée par François Avril et Marie-Thérèse Gousset, Lucerne, Faksimile Verlag, 1995-1996 Google Scholar.
49 - Ainsi par le franciscain Orderic de Pordenone, dans la relation de son voyage missionnaire en Extrême-Orient, vers 1330 (chap. xxix), in Van Den Wyngaert, A. (éd.), Sinica Franciscana, t. I, Florence, Ad Claras Aquas, 1928, p. 412-495 Google Scholar.
50 - Le premier manuscrit cité a fait l’objet de la publication et de l’étude de Salomon, Richard, Opicinus de Canistris. Weltbild und Bekenntnisse eines avignonesischen Klerikers des 14. Jahrhunderts, Londres, The Warburg Institute, 1936 (Klaus Reprint, 1969), 2 Google Scholar vol. L’édition du deuxième manuscrit est sous presse; elle est due à Muriel Laharie, que je remercie vivement de m’avoir communiqué son futur ouvrage.
51 - R. Salomon, Opicinus de Canistri..., op. cit., « Tableau 20 », vol. I, p. 205-220, et vol. II, ill. 20.
52 - « de votre Pénitencerie »: le pape Benoît xii est le destinataire de l’œuvre.
53 - Roux, Guy et Laharie, Muriel, Art et folie au Moyen Age. Aventures et énigmes d’Opicinus de Canistris (1296-vers 1351), Paris, Le Léopard d’Or, 1997 Google Scholar.
54 - De telles préoccupations contribuent à produire à la même époque d’autres effets encore, comme la volonté des papes de « prolonger la vie » par les moyens de l’alchimie. Paravicini Bagliani, Agostino, Le corps du pape, Paris, Le Seuil, [1994] 1997 Google Scholar, étudie le développement de ce thème, qui semble constituer une réponse à la prétendue Lettre du Prêtre Jean, déjà citée, à laquelle plusieurs papes du xiie siècle (dont Alexandre iii en 1177) avaient déjà prêté une grande attention. Vers 1243-1254 se diffuse à Rome un traité, le De retardatione accidentium senectutis, attribué au savant franciscain Roger Bacon, destiné au pape Innocent iv ou à l’empereur Frédéric ii. Pour la première fois, « la question de la prolongation de la vie est intégrée dans une démarche scientifique et expérimentale », note l’auteur: en rétablissant le regimen sanitatis, on peut contrecarrer les effets de la corruption corporelle.
55 - Witt, Ronald G., « In the footsteps of the ancients ». The origins of humanism from Lovato to Bruni, Leyde/Boston/Cologne, Brill, 2000, p. 117-173 Google Scholar.
56 - Ibid., p. 150.
57 - Witt, Ronald G., Hercules at the crossroads. The life, works and thought of Coluccio Salutati, Durham, Duke University Press, 1983, p. 239 Google Scholar. Voir aussi Crouzet-Pavan, Elisabeth, Renaissances italiennes, 1380-1500, Paris, Albin Michel, 2007, p. 39 Google Scholar.
58 - Delisle, Léopold, Recherches sur la librairie de Charles V, roi de France (1337-1380), Paris, H. Champion, 1907, vol. 1, p. 95 Google Scholar.
59 - De Pizan, Christine, Le Livre des Faits et Bonnes Mœurs du roi Charles V le Sage, traduit et présenté par Eric Hicks et Thérèse Moreau, Paris, Stock, 1997, p. 48 (Naissance) et p. 103 Google Scholar (Vénération du roi pour la sainte). Christine indique « le 22 janvier de l’an de grâce 1336, jour de la Sainte-Agnès », une erreur qui montre bien, au début du xve siècle encore, les incertitudes entourant le moment de la naissance, même pour un roi. Janvier 1336 doit s’entendre selon l’ancien style de Pâques, suivi par la chancellerie royale, équivalent de 1337 selon le nouveau style du 1er janvier.
60 - Horoscope reproduit in J.-P. Boudet, Entre science et nigromance..., op. cit., p. 308, ill. 14. Charles V était fort attiré par l’astrologie.
61 - La démonstration en a été faite par Roland Delachenal, suivi par F. Autrand, Charles V le Sage, op. cit., p. 12.
62 - Labarte, Jules, Inventaire du mobilier de Charles V roi de France, Paris, Imprimerie Nationale, 1879, p. 80 Google Scholar, n° 495. Pour les « images de sainte Agnès », voir ibid., p. 47, n° 174 (un tabernacle avec les images de Notre Dame et de sainte Agnès), p. 116, n° 865 (une image de Notre Dame en compagnie de saint Jean l’Évangéliste et de sainte Agnès), p. 121, n° 907 (un entablement d’argent doré à feuillages émaillés de la vie de sainte Agnès).
63 - Guiffrey, Jules, Inventaires de Jean, duc de Berry (1401-1416), Paris, E. Le Roux, 1894-1896, 2 Google Scholar vol.
64 - Il est mort 36 ans après son frère aîné, le 15 juin 1416.
65 - F. Autrand, Jean de Berry, op. cit., p. 9. Dans une double pleine page des Belles Heures (1402-1409), Jean de Berry s’est fait représenter en prière devant la Vierge à l’Enfant, entouré de ses saints patrons André et Jean-Baptiste. Cf. Denoël, Charlotte, Saint André. Culte et iconographie en France (Ve-XVe siècle), Paris, École des Chartes, 2004 Google Scholar, fig. 47.
66 - Outre les nombreuses étrennes du 1er janvier, je trouve pour les autres dons des dates aussi variées que celles du 18 janvier 1401 (p. 174, n° 662), 2 février 1402 (p. 174, n° 663), 11 février 1401 (p. 158, n° 592), 12 février 1401 (p. 178, n° 675), 18 février 1402 (p. 69, n° 192), 29 mars 1404 (p. 177, n° 670), 9 avril 1409 (p. 181, n° 684), 7 mai 1415 (p. 317, n° 1187), 17 mai 1411 (p. 104, n° 354), 18 mai – année non précisée – (p. 307, n° 1152), 21 juin 1402 (p. 131, n° 437), 13 juillet 1414 (p. 317, n° 1185), 9 août 1415 (p. 318, n° 1193), 17 août 1415 (p. 317, n° 1186), 23 août 1423 (p. 316, n° 1181), 14 sep-tembre 1413 (p. 300, n° 1128), 17 septembre 1413 (p. 323, n° 1209), 21 octobre 1409 (p. 181, n° 695), 25 octobre 1414 (p. 301, n° 1129), 28 octobre 1408 (p. 141, n° 469), novembre 1404 – jour non précisé – (p. 159, n° 594), novembre 1410 – jour et année non précisés – (p. 133, n° 447), 16 décembre 1405 (p. 160, n° 598-599), 18 décembre 1406 (p. 131, n° 436), etc.
67 - Ibid., p. 69, n° 193.
68 - Il faudrait notamment étudier de près le cas du « maître chanteur » réformé Hans Sachs (1494-1576).
69 - Il convient de distinguer Thomas Platter l’Ancien (1499?-1582), son fils Félix Platter (1536-1614), étudiant à Montpellier, puis professeur de médecine à Bâle, et enfin Thomas Platter le Jeune (1574-1628), fils d’un deuxième lit de Thomas l’Ancien, qui lui aussi a étudié à Montpellier, puis a voyagé en Espagne, en Angleterre et aux Pays-Bas. Voir Platter, Thomas, Autobiographie, texte traduit et présenté par Marie Helmer, Paris, Armand Colin, « Cahiers des Annales-22 » Google Scholar; Le Roy Ladurie, Emmanuel, Le siècle des Platter, 1499-1628, t. 1, Le mendiant et le professeur, Paris, Fayard, 1995 Google Scholar.
70 - Platter, Félix, Tagebuch (Lebensbeschreibung), 1536-1567, édité par Valentin Lötscher, Bâle/Stuttgart, Schwabe Verlag, 1976, p. 9 Google Scholar. Le journal de Félix (1536-1614) présente plus de notations subjectives que celui de son demi-frère Thomas le Jeune (1574-1628), qui est avant tout un grand voyageur: voir Le Roy Ladurie, Emmanuel, Le siècle des Platter, 1499-1628, t. 2, Le voyage de Thomas Platter, 1595-1599, Paris, Fayard, 2000 Google Scholar et t. 3, L’Europe de Thomas Platter. France, Angleterre, Pays-Bas, 1599-1600, Paris, Fayard, 2006.
71 - F. Platter, Tagebuch, op. cit., p. 49-50.
72 - Ibid., p. 54.
73 - Ibid., p. 55.
74 - Ibid., p. 56.
75 - Ibid., p. 57.
76 - Ibid., p. 58: « die jar unnd zeit mir nit allen eigentlich bekannt... ».
77 - Foisil, Madeleine (dir.), Journal de Jean Héroard, préface de Pierre Chaunu, Paris, Fayard, 1989, 2 Google Scholar vol.
78 - Ibid., p. 767: « Il entend parler de faire chanter le Te Deum le jour de sa nativité. Il le presse avec extreme impatience et telle qu’a cinq heures et demie il va chez Mr de Verneuil a la chapelle où il fust chanté par le curé et les presbtres du village. Me de Montglat cherchant dans son libvre Te Deum: ‘Maman, montré moy te deum, qu’e [qu’est] c’a dire maman ga’. Elle le faict lire en françois puis Mr l’aumosnier, a cause de l’obscurité. Il eut tout le temps les mains joinctes comme priant Dieu. »
79 - Ibid., p. 1078.
80 - Ibid., p. 1307. À Vêpres, il se tourne vers Mme de Montglat: « Mamanga je veu faire caca». On l’emmène, «luy disant que c’est pour ouïr chanter le Te Deum a cause du jour de sa naissance ». Mais il se rebiffe: « ‘Il y a trop long, j’y veu pa allé (er)’. Il gaigna. »
81 - Ibid., p. 1509.
82 - Ibid., p. 1665.
83 - Ibid., p. 1828.
84 - Ibid., p. 1956.
85 - Ibid., p. 2055.
86 - P. Ariès, L’enfant et la vie familiale..., op. cit., p. 45 et 56.
87 - The Diary of Samuel Pepys, édité par Latham, Robert et Matthews, William, Londres, G. Bell & Sons, 1979 Google Scholar.
88 - L’intérêt de ce document exceptionnel n’a pas échappé à F. Lebrun, Le livre de l’anniversaire, op. cit., p. 35-36 et 38-39.
89 - Fille du roi de France Charles vi, elle épousa Henri V en 1420 en vertu du traité de Troyes.
90 - Je remercie Alain Corbin de m’avoir signalé cette lettre écrite par Madame de Sévigné à Madame de Grignan, le dimanche 28 juillet 1680. Voir Correspondance, Paris, Gallimard, « La Pléiade », vol. 2, 1974, p. 1030: « Le bon abbé était l’autre jour tout couvert de bouquets, le jour de sa fête. Nous nous souvînmes des jolis vers que vous fîtes l’année passée en pareil jour; qu’ils étaient jolis! [...] quoiqu’il ait soixante-quatorze ans, il se porte bien. » Une note précise que la « fête » est bien celle de l’anniversaire de l’abbé de Coulanges, le 22 juillet, et non la Saint-Christophe, le 14 avril (ibid., p. 1567). Aucune lettre ne mentionnait l’événement l’année précédente.
91 - Que Michelle Perrot, qui m’a mis sur cette piste, en soit vivement remerciée.
92 - Notamment quand il s’agit d’un service obituaire à Saint-Denis. Je dois cette vérification au concours de Pierre-Olivier Dittmar; elle a été effectuée sur la version en ligne de l’édition Chéruel (1856-1858, 20 vol.) des Mémoires (http://rouvroy.medusis.com/). Une seule exception au sens funéraire, encore qu’on s’en rapproche puisque tomber dans la disgrâce du monarque équivalait à une mort sociale: longtemps après la disparition de Louis xiv, le duc de Lauzun observait chaque année l’« anniversaire» de sa disgrâce (tome xxx, chapitre iii, 1723).
93 - Saint-Simon, , Louis de Rouvroy (1675-1755), duc de -, Mémoires complets et authen-tiques..., édité par Chéruel, M., Paris, Hachette, 1856-1858 Google Scholar, tome xiii, chap. V; Voir Saint-Simon, , Mémoires. Louis xiv et sa cour, préface de Daniel Dessert, Bruxelles, Éditions Complexes, 2005, p. 471 Google Scholar.
94 - Archives Nationales 352 AP 8, p. 84-85, 118, 265, 290 et 352 AP 9, p. 1. Je remercie Dominique Julia de m’avoir communiqué ses notes prises en vue de l’édition de ce journal inédit, auquel il a consacré un article: « Bernard de Bonnard, gouverneur des princes d’Orléans et son Journal d’éducation (1778-1782) », MEFRIM, 109, 1, 1997, p. 383-464.
95 - Alain Corbin me dit douter que «Benjamin Constant, Stendhal, Musset, Flaubert, Michelet y fassent allusion », et retient plutôt au siècle suivant le témoignage de Claudel. Mais il confirme surtout que les réponses des historiens dépendant des questions qu’ils se posent... (lettre du 2 janvier 2007). F. Lebrun, Le livre de l’anniversaire, op. cit., p. 46 sq., cite plusieurs auteurs du xixe siècle qui mentionnent la célébration de l’anniversaire, de Charles Dickens à Emily Brontë, de la Correspondance de Georges Sand à Choses vues de Victor Hugo. Je remercie également Michelle Perrot de me confirmer que George Sand se souciait, dans Agendas, à partir de 1852, de son anniversaire, rappel annuel de son vieillissement; elle le fêtait en famille, à Nohant, le 6 juillet.
96 - Volkmar Hansen, « Goethe feiert seinen Geburtstag », in ID. Haupt- und Nebenwege zu Goethe. Mass und Wert. Düsseldorfer Schriften zur deutschen Literatur, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2005, p. 174-188.
97 - Ceci a été remarqué par F. Lebrun, Le livre de l’anniversaire, op. cit., p. 39-40.
98 - Une pâtisserie au levain en forme de spirale.
99 - Dans le prolongement de la célébration publique des anniversaires de Goethe, il conviendrait d’étudier l’institution, principalement dans les universités allemandes, de celle des 60e, 65e, 70e, etc., anniversaires des « grands professeurs » et de la publication à cette occasion, par leurs « collègues et amis », d’un ouvrage collectif de Festschrift.