Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Dans la société rurale française traditionnelle, les modes de transmission du patrimoine sont aussi variés que complexes. Des travaux récents ont bien mis en valeur une telle hétérogénéité en ce qui concerne les systèmes de dévolution de la propriété par voie successorale. Mais il faudrait également s'empresser d'ajouter que les autres formes de transferts de propriété, les opérations réalisées sur le marché foncier en l'occurrence, présentent la même diversité. L'expérience prouve, en effet, que l'acte apparemment simple qui consiste à vendre et à acheter une terre recouvre, en réalité, des pratiques multiples et géographiquement disparates.
Like ways of transmitting inheritances by successoral pathways, ways of transmitting costly property were extremely varied under the Ancien Régime. The juridical content of contracts signed in about sixty zones throughout the French territory was sufficiently diverse to throw into question the very notion ofa market for land, as it is impossible to isolate the other forms of land concession. A whole séries of opérations gravitated around a core of consensual, durable, total sales, which also came under the feudal, successoral, and judicial Systems; the money market; the rental market; and finally the market of exchange. The market for land goes beyond this spatially dislocated and juridically diversified critical examination.
* Une première version de ce texte a été présentée au Colloque d'Histoire rurale comparée Québec-France, xvne-xxe siècles (Montréal, février 1990), organisé par G. Bouchard et J. Goy sur le thème : « Reproduction sociale en milieu rural en contexte d'urbanisation », et sera publiée avec les Actes du Colloque.
1. Les nombreuses monographies publiées à ce jour en témoignent après le classique Yver, J., Essai de géographie coutumière. Égalité entre héritiers et exclusion des enfants dotés, Paris, 1966, 310 Google Scholarp.
2. Les cartes et schémas ont été réalisés grâce à l'aide de Salah Bouhedja, Anne Vitu et Marie- Christine Vouloir, que je remercie vivement ici.
3. Cf., outre les maîtrises réalisées dans certains départements, la Loire-Atlantique et la Charente- Maritime notamment, les articles de P. De Saint-Jacob, « Le mouvement de la propriété dans un village bourguignon à la fin de l'Ancien Régime, 1748-1789», Revue d'histoire économique et sociale, 1948, de S. Dontenwill, « Mutations foncières lors des crises de 1652 et 1709 dans l'Élection de Roanne : un exemple d'utilisation des sources notariales dans l'analyse d'une crise sociale», dans les Actes du 98e Congrès national des Sociétés Savantes, Saint-Étienne, 1973, Histoire moderne, t. 2, et de Béaur G. , « Révolution et transmission de la propriété : le marché foncier ordinaire (Cizy-sur-Ourcq et Bar-sur-Seine entre 1780 et 1810) », dans La Révolution française et le monde rural, Paris, 1989. Cf. aussi, entre autres, J. Garnier, Bourgeoisie et propriété immobilière en Forez aux XVIIe et XVIIIe siècles, Saint-Étienne, 1982, et Béaur, G., Le marché foncier à la veille de la Révolution. Les mouvements de propriété beaucerons dans les régions de Maintenon et de Janville de 1761 à 1790, Paris, 1984, 360 Google Scholar p.
4. Encore que Poisson, J.-P. ait montré tout le parti que l'on pouvait tirer de sondages effectués dans des fonds notariaux variés. Cf. son recueil d'articles paru sous le titre Notaires et société. Travaux d'histoire et de sociologie notariales, Paris, 1985, 736 Google Scholar p.
5. Pour cette institution on se reportera en particulier à Vilar-Berrogain, G., Guide des recherches dans les fonds d'enregistrement sous l'Ancien Régime, Paris, 1958, 385 Google Scholar p., et à P. De Saint-Jacob, « La propriété au xvnr5 siècle. Une source méconnue : le contrôle des actes et le centième denier », Annales ESC, 1946. Cf. aussi l'ouvrage plus récent de Massaloux, J.-P., La Régie de l'Enregistrement et des Domaines aux XVIIIe et XIXe siècles. Étude historique, Paris, 1989, XXII–418 Google Scholar p.
6. G. Béaur, Le marché foncier…, op. cit.
7. La dispersion des archives est un handicap sérieux et empêche la constitution d'un échantillon réellement national. Je remercie vivement les directeurs et les employés des services d'archives qui ont oeuvré pour me faciliter le travail de dépouillement, et tout particulièrement la direction et le personnel du dépôt du Val-de-Marne.
8. C'est ce que dit explicitement l'édit de 1703 qui institue le centième denier.
9. Il n'y a apparemment pas de mainmortables dans les bureaux sélectionnés. On trouve cependant une vague d'abandons de mainmorte dans le bureau de Verdun.
10. Sur ce cas particulier, cf. J. Garnier, op. cit., p. 94 ss.
11. Sur la pratique de l'afféagement en Bretagne, cf. H. SÉE, Les classes rurales en Bretagne du XVIe siècle à la Révolution, Paris, 1906, rééd. 1978, p. 221 ss.
12. Sur cette confusion et sur tout ce qui concerne la seigneurie dans cette partie de la France, cf. J. Bastier, La féodalité au siècle des Lumières dans la région de Toulouse, 1730-1790, Mémoires et documents de la Commission d'histoire économique et sociale de la Révolution française, Paris, 1975, 312 p., et G. Aubin, La seigneurie en Bordelais d'après la pratique notariale, 1715-1789, Publications de l'Université de Rouen, n° 149, 476 p.
13. Pour une approche simple du bail à domaine congéable, cf. H. SEE, op. cit., p. 263 ss.
14. Cf., en premier lieu, l'ouvrage de Schnapper, B., Les rentes au XVIesiècle. Histoire d'un instrument de crédit, Paris, 1957, 309 Google Scholar p. Mais les historiens du monde rural ont fréquemment rencontré le bail à rente, par exemple Jacquart, J., La crise rurale en Ile-de-France, 1550-1670, Paris, 1974 Google Scholar, lui consacre de nombreux développements pour le xvne siècle.
15. Selon J. Bastier, op. cit., p. 225 ss, le bail à locatairie languedocien ne transfère pas réellement la propriété comme c'est le cas en Provence. Cependant, dans la pratique, il relève une contamination par le bail à fief, avec vente par le locataire, droit d'entrée exigé par le propriétaire…
16. Et pourtant Garnier, B. montre que cette pratique est en déclin, dans «Problèmes de reproduction économique et sociale dans le bocage normand au XVIIe siècle », dans Évolution et éclatement du monde rural, France-Québec XVIIe-XXe siècles, Paris-Montréal, 1986 Google Scholar.
17. Les chiffres donnés par P. Poujade, Les ventes dans la région de Montgailhard (diocèse de Pamiers) : étude des actes notariés, 1731-1786, Mémoire de maîtrise de l'Université de Toulouse, 1987, sont éloquents à cet égard : 7 % des ventes de l'échantillon sont occasionnées par l'éloignement du vendeur, 11 % par le besoin de liquidités pour un autre achat contre 35 % pour régler des dettes, 13 % pour acquitter des impôts, et 27 % pour payer la légitime. Le poids des dettes est bien montré par J. Garnier, op. cit., ou par Servais, P., La rente constituée dans le ban de Hervé au XVIIIe siècle, Publication du Crédit communal de Belgique, 1982, xxx–402 Google Scholar p.
18. Pour le Forez, cf. J. Garnier, op. cit., p. 219 ss.
19. P. Pouiade, op. cit., n'en a trouvé que très peu à partir des minutes notariales.
20. Sur ces points, cf. J. Garnier, op. cit., p. 170 ss et p. 309 ss.
21. Il n'est pas sûr que dans les villes méridionales la pratique de la licitation soit une chose aussi peu courante que dans les milieux ruraux.
22. D'autres créanciers étrangers au couple en question peuvent également bénéficier de la collocation, qui finalement s'avère être une variété d'adjudication.
23. Pour sa part, B. Derouet, «Pratiques successorales et rapport à la terre : les sociétés paysannes d'Ancien Régime», Annales ESC, 1989, n° 1, p. 173 ss, attribue à la mobilité de la terre une influence décisive sur les pratiques successorales, au même titre que la mobilité des individus, en inversant le rapport de causalité.
24. Pour Macfarlane, A., The Origins ofEnglish Individualism, Oxford, 1978 Google Scholar, le fait que la terre soit considérée comme une marchandise traduit la sortie d'une « économie paysanne » et l'entrée dans une agriculture capitaliste.