Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Si la commémoration du Bicentenaire de la Révolution a fait couler beaucoup d'encre et dépenser beaucoup de salive, c'est un euphémisme de constater que les problèmes économiques, et, de manière plus restrictive, ceux qui intéressent le monde des campagnes, n'ont pas vraiment constitué une priorité. Certes, quelques fructueuses initiatives ont rappelé que ce segment de la recherche était loin d'être abandonné, mais il est patent qu'il souffre de deux handicaps importants : le primat accordé de façon croissante aux aspects politiques ou idéologiques de la Révolution ; le relatif déclin de l'intérêt porté aux questions d'histoire rurale dans leur ensemble. A cet égard, on pourra trouver hautement paradoxal que, au moment même où les outils informatiques se diffusent, les historiens délaissent un terrain qu'ils avaient abondamment labouré, tout au moins pour la période moderne, alors même qu'ils ne disposaient pas encore d'instruments performants. A croire, pour paraphraser Marx à l'envers, qu'ils ne se posent que les problèmes qu'ils ne peuvent pas résoudre.
* A propos des ouvrages de Clère, J. J., Les paysans de la Haute-Marne et la Révolution française. Recherches sur les structures foncières de la communauté villageoise (1780-1825), Paris, Éditions du CTHS, 1988, 400 p.Google Scholar, préface de M. Vovelle ; et de J. C. Martin, La terre en révolution. Biens nationaux et marché foncier dans le Domfroutais 1789-1830, dans Le Pays Bas- Normand, 1989, n° 2-3-4.
1. Comme le remarque G. Postel-Vinay, « A la recherche de la révolution économique dans les campagnes (1789-1815) », dans la Revue Économique, nov. 1989, ces questions sont « assez loin des préoccupations majoritaires des historiens ».
2. Quelques colloques ont exploré ce secteur de la recherche, notamment celui sur la Révolution et le monde rural, organisé à Paris en 1988 par l'INRA et l'IHRF, dont les actes ont été publiés en 1989 par le CTHS, et celui sur la Révolution Française et le développement du capitalisme, qui s'est tenu à Lille en 1987, dont les actes ont été édités par G. Gayot et J. P. Hirsch dans la Revue du Nord en 1989.
3. C'est la voie préconisée par F. Hincker, « La Révolution et l'économie française », dans Recherches et Travaux de l'Institut d'Histoire économique et sociale de l'Université Paris I, n° 19, 1990, qui observe que « la décennie 1789-1799 ne peut être isolée d'un bloc chronologique plus vaste, incluant la période napoléonienne ».
4. Cette préoccupation se retrouve, en revanche, dans d'autres domaines, par exemple dans les recherches de M. Vovelle sur la fête ou la déchristianisation.
5. La dîme et les droits casuels compris, semble-t-il, mais curieusement il n'est guère question des lods et ventes et autres droits de ce type, qui représentent pourtant quelquefois la ponction la plus lourde.
6. A comparer aux chiffres recueillis, ici ou là, par exemple, une moyenne de 6, 5 % dans le Bordelais, 10-11 % avec les droits casuels, mais sans la dîme, selon G. Aubin, « La seigneurie en Bordelais d'après la pratique notariale (1715-1789) », Publications de l'Université de Rouen, n° 149, sd, 474 p., ou les chiffres connus pour l'Auvergne, le Gâtinais ou le Haut-Maine. Remarquons que les auteurs qui adoptent une gamme plus ou moins large de droits, et qui en calculent le poids tantôt sur le produit brut, tantôt sur le produit net, ne facilitaient déjà pas les comparaisons.
7. Proportion équivalente dans une région très différente, la Beauce. Farcy, J.C., «Agriculture et société rurale en Beauce pendant la première moitié du xixe siècle », Paris, BN, microfiches n°1035, 1973, p. 220, indique 1/4 de paysans sans terre.Google Scholar
8. G. Aubin, « La seigneurie en Bordelais… », op. cit., p. 304 notamment, montre bien les difficultés du recouvrement et l'accumulation des arrérages qui en découlent avec les répercussions que l'on peut deviner pour les débiteurs défaillants.
9. Observations convergentes dans G. Béaur, « Le mouvement annuel de la rente foncière chartraine », communication au Congrès International d'Histoire Économique, Paris, 1977, consacré à « Prestations paysannes, dîme, rente foncière et mouvement de la production agricole à l'époque préindustrielle », dont les Actes ont été publiés par J. Goy et E. Le Roy Ladurie, Paris-La Haye, 1982, et aussi dans Le marché foncier à la veille de la Révolution. Les mouvements de propriété beaucerons dans les régions de Maintenon et de Janville de 1761 à 1790, Paris, 1984, p. 262 ss.
10. A signaler quelques tentatives pour chiffrer le gain paysan entre la fin de l'Ancien Régime et la Restauration, notamment Vovelle, M., « Propriété et exploitation dans quelques communes beauceronnes de la fin du xviiie au début du xixe siècle », dans Mémoires de la Société Archéologique d'Eure-et-Loir, Chartres, 1961 Google Scholar, reproduit dans Ville et Campagne au XVIIIe siècle, Chartres et la Beauce, Paris, 1980.
11. Ce problème des reventes avait déjà été évoqué à maintes reprises, et notamment par G. Lefebvre qui les avait suivies jusqu'en 1802 dans Les paysans du Nord pendant la Révolution Française, Lille, 1924.
12. Sur l'importance de ce désendettement et ses conséquences, cf. G. Postel-Vinay, art. cit., dont je reprends ici une partie de l'argumentation.
13. Sur la ruée des débiteurs pour procéder à l'amortissement des rentes qui leur incombaient, cf. M. Vovelle et D. Roche, « Bourgeois, rentiers, propriétaires : éléments pour la définition d'une catégorie sociale à la fin du xvnie siècle » dans Actes du 84’ Congrès national des Sociétés Savantes, Dijon, 1959, Paris, 1960, reproduit dans Ville et campagne…, op. cit., p. 154 ss.
14. L'émergence d'un groupe de « propriétaires-cultivateurs » pour lequel le capital immobilier représente une fraction croissante du patrimoine global est attestée par exemple par J. M. Moriceau, « Des notables consolidés ? Les « propriétaires-cultivateurs » au lendemain de la Révolution », dans Les paysans et la Révolution en Pays de France, Actes du Colloque de Tremblay-les-Gonesse, 1988.
15. Le département de la Haute-Marne est sinistré. Du Centième Denier, il ne reste que des épaves, et l'exploitation du Contrôle des Actes est nettement plus lourde.
16. Sur ce problème, je renvoie à G. Béaur, Le marché foncier…, op. cit., p. 204 ss.
17. Cf. l'article de G. Larguier, « Le marché immobilier et foncier narbonnais en 1789 : atonie d'une ville, difficultés de la noblesse » dans Annales du Midi, 1989.
18. Le recul de la bourgeoisie allogène est attesté partout dans la Sarthe ; en revanche paysannerie et bourgeoisie rurale sortent vainqueurs selon les zones appréhendées. Ce divorce est bien montré par Bois, P., Paysans de l'Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l'époque révolutionnaire, Paris-Le Mans, 1960.Google Scholar Mêmes conclusions dans G. Béaur, Le marché foncier…, op. cit., p. 186 ss.
19. Sur la progression paysanne à la fin du xviiie siècle, en contravention avec l'idée que l'on peut avoir de l'évolution du foncier au siècle précédent, par exemple à travers Jacquart, J., La crise rurale en Ile-de-France (1550-1670), Paris, 1974 Google Scholar, cf. G. Béaur, Le marché foncier…, op.
20. J. M. Moriceau, « Une nouvelle donne économique ? Les adjudications de fermes autour de Paris (Districts de Corbeil, Gonesse, Meaux et Versailles) », dans Mémoires de Paris- Ile-de-France, 1990, a bien montré les gains patrimoniaux réalisés par les fermiers par la suite, quelle que soit la modicité de leur progression au moment des adjudications proprement dites.
21. Sur l'accroissement de la mobilité, je renvoie à ma communication « Révolution et transmission de la propriété : le marché foncier ordinaire (Lizy-sur-Ourcq et Bar-sur-Seine entre 1780 et 1810) », dans La Révolution française et le monde rural, op. cit.
22. Selon la formule de M. Voyelle dans la préface (p. 3) de l'ouvrage de J. J. CLÈRE.
23. J. M. Moriceau, Une nouvelle donne économique…, art. cit.
24. G. Postel-Vinay, art. cit., montre à partir des travaux de J. Meuvret, les effets ambigus de ces contraintes, pas forcément défavorables « aux tenants de l'individualisme agraire ».
25. Sur l'ambiguïté des effets de la redistribution du sol, cf. la mise au point de D. Rosselle, « La vente des biens nationaux et le changement des structures de l'exploitation agricole : l'exemple artésien », dans La Révolution française et le développement du capitalisme, op. cit.
26. C'est la « voie paysanne » proposée par A. Soboul, à partir des théories d'A. Ado. Selon ce modèle, l'essor du capitalisme reposait sur une « restructuration de la petite propriété foncière au profit des petits producteurs » et « au détriment de la grande propriété rétrograde ». Citation extraite de l'article « Problèmes agraires de la Révolution française », dans A. Soboul, (sous la dir. de), Contribution à l'histoire paysanne de la Révolution française, Paris, 1977, pp. 9-43.
27. « La Révolution française et les paysans », dans Études sur la Révolution française, Paris, 1963. Mais J. J. CLÈRE objecte p. 166, que, selon G. Lefebvre, l'opposition au capitalisme n'est ni totale ni définitive.
28. C'est déjà l'évaluation que j'avais proposée dans « La vente des biens nationaux », Regards sur le foncier, n° 20, 1989. Il s'agit d'une estimation basse.
29. G. Béaur, Le marché foncier…, op. cit., p. 54 ss.
30. Le cas de l'Artois de D. Rosselle avec 25 % de la surface du sol, et même celui du département du Nord, risquent bien de paraître assez exceptionnels.
31. Les travaux sur ce problème se poursuivent et font progresser lentement mais sûrement nos connaissances sur cette question. Parmi les recherches les plus récentes, qui ont abordé systématiquement ou incidemment la question, citons B. Bodinier pour la Seine-Maritime, D. Rosselle pour l'Artois, J C. Farcy pour la Beauce, ou C. Vincent pour la Loire.
32. J. C. Asselain, « Continuités, traumatismes, mutations », dans le numéro de la Revue Économique consacré à la Révolution de 1789, Guerres et Croissance économique, 1989.
33. Signalons qu'une première tentative a été effectuée dans cet esprit, avec l'article de M. Cocaud, « Structure et évolution de la propriété foncière dans les campagnes françaises. 1753-1813 », dans Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest (Anjou, Maine, Touraine), 1990, p. 499-538. L'espace considéré est la région de Fougères (Ile-et-Vilaine).
34. F. Gauthier, « La propriété foncière », dans L'état de la France pendant la Révolution (1789-1799), Paris, 1988, p. 300 ss, estime que « d'une façon générale, la vente en petits lots multiplia la très petite et petite propriété, et augmenta d'un tiers le nombre des propriétaires ».
35. Divergence sur ce point entre la Beauce de J. C. Farcy et l'Ile-de-France de J. M. Moriceau ?